1 février 2024
Cour d'appel de Caen
RG n° 22/00054

1ère chambre sociale

Texte de la décision

AFFAIRE : N° RG 22/00054

N° Portalis DBVC-V-B7G-G45D

 Code Aff. :



ARRET N°



C.P





ORIGINE : Décision du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de CAEN en date du 17 Décembre 2021 RG n° F20/00455











COUR D'APPEL DE CAEN

1ère chambre sociale

ARRÊT DU 01 FEVRIER 2024





APPELANTS :



Maître [R] [J] pris ès qualité de mandataire judiciaire au redressement judiciaire de la SAS MEDGICGROUP

[Adresse 1]



S.A.S. MEDGICGROUP prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 3]



S.E.L.A.R.L. AJIRE agissant en la personne de Maître [F] [T] pris ès qualités de commissaire à l'exécution du plan de redressement judiciaire de la SAS MEDGICGROUP

[Adresse 2]



Représentés par Me Gaël BALAVOINE, substitué par Me BENNETT, avocats au barreau de CAEN







INTIMES :



Monsieur [O] [Z]

[Adresse 4]



Représenté par Me Xavier MORICE, avocat au barreau de CAEN



AGS CGEA CENTRE DE GESTION ET D'ETUDES AGS (CGEA) DE [Localité 6] - UNITE DECONCENTREE DE L'UNEDIC prise en la personne de son représentant légal domicilié en cette qualité audit siège

[Adresse 5]



Non représentée





COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DÉBATS ET DU DÉLIBÉRÉ :



Mme DELAHAYE, Présidente de Chambre,

Mme PONCET, Conseiller,

Mme VINOT, Conseiller, rédacteur











DÉBATS : A l'audience publique du 23 novembre 2023



GREFFIER : Mme JACQUETTE-BRACKX



ARRÊT prononcé publiquement le 01 février 2024 à 14h00 par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme DELAHAYE, présidente, et Mme GOULARD, greffier












M. [U] [D] a été embauché à compter du 9 janvier 2017 en qualité de directeur technique par la société Medgicgroup.



Le 4 mars 2020, une procédure de redressement judiciaire a été ouverte à l'égard de la société Medgicgroup.



Le 27 novembre 2019, M. [U] [D] s'est vu notifier son licenciement pour faute grave après mise à pied conservatoire.



Le 3 novembre 2020, il a saisi le conseil de prud'hommes de Caen d'une demande de voir juger le licenciement sans cause réelle et sérieuse et de diverses demandes indemnitaires et rappels de salaire dirigées contre la société, le selarl Ajire en qualité d'administrateur judiciaire et Maître [J] en qualité de mandataire judiciaire et l'AGS CGEA..



Par jugement du 17 décembre 2021, le conseil de prud'hommes de Caen a :



- dit que le licenciement est sans cause réelle et sérieuse



- fixé au passif de la société Medgicgroup les créances de :



- 400,76 euros pour salaire d'octobre 2019

- 100 euros à titre de complément de rémunération en compensation d'un retard de versement de salaire

- 66 euros pour solde de notes de frais

- 4 285,72 euros pour remboursement de la mise à pied conservatoire

- 428,57 euros à titre de congés payés afférents

- 22 277,25 euros à titre d'indemnité de préavis

- 2 227,72 euros à titre de congés payés afférents

- 5 724 euros au titre de l'indemnité de licenciement

- 22 277,25 euros nets de CSG et de CRDS à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- 1 200 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile



- dit que ces sommes sont opposables à l'AGS CGEA de [Localité 6] dans la limite de la garantie légale et des plafonds applicables



- rappelle que la condamnation au paiement de créances salariales emporte nécessairement la remise des bulletins de salaire correspondants



- ordonné à selarl Ajire de régulariser les cotisations auprès des organismes sociaux



















- rejeté la demande de la selarl Ajire au titre de l'article 700 du code de procédure civile



- débouté M. [U] [D] du surplus de ses demandes.



- fixé la moyenne des trois derniers mois de salaire à 7 425,75 euros bruts



- condamné la selarl Ajire prise en la personne de Maître Merly administrateur judiciaire aux dépens.



La selarl Ajire ès qualités de commissaire à l'exécution du plan, Maître [J] ès qualités de mandataire judiciaire et la société Medgicgroup ont interjeté appel de ce jugement, en celles de ses dispositions ayant dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, ayant fixé les créances précitées, l'ayant déboutée de ses demandes.



Pour l'exposé des moyens des parties, il est renvoyé aux conclusions du 7 novembre 2023 pour les appelants et du 25 octobre 2023 pour l'intimé.



La selarl Ajire ès qualités de commissaire à l'exécution, Maître [J] ès qualités de mandataire judiciaire et la société Medgicgroup demandent à la cour de :



- infirmer le jugement en celles de ses dispositions ayant dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, ayant fixé les créances précitées, l'ayant déboutée de ses demandes



- débouter M. [U] [D] de toutes ses demandes



- condamner M. [U] [D] à lui payer la somme de 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



M. [U] [D] demande à la cour de :



- infirmer le jugement du chef du licenciement en prononçant sa nullité



- fixer en conséquence au passif du redressement judiciaire la somme de 44 554,50 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul



- à tire subsidiaire, confirmer le jugement en ce qu'il a dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse sauf à porter le montant des dommages et intérêts à 29 703 euros



- confirmer le jugement sur le surplus des sommes allouées



- y ajoutant, condamner la société Medgicgroup et selarl Ajire à lui payer la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel



- déclarer l'arrêt commun et opposable à l'AGS CGEA de [Localité 6].



L'association Unedic délégation AGS CGEA de [Localité 6], à qui les conclusions ont été signifiées, n'a pas constitué avocat.



La procédure a été clôturée par ordonnance du 8 novembre 2023.




















SUR CE





1) Sur le licenciement



La lettre de licenciement contient trois reproches :



- avoir été à l'origine d'une correspondance en recommandé destinée au président signée de six collaborateurs et membres de son équipe lui demandant des explications sur la situation financière de l'entreprise et les perspectives et de l'avoir transmise à M. [G] qui en a fait usage auprès des actionnaires pour défendre son dossier contentieux ce qui caractérise un manquement à l'obligation de loyauté



- des manquements professionnels tels qu'ils sont mis en exergue par un rapport de Cast consulting



- l'envoi d'un message le 8 novembre 2019 ('Azy mais taggggggggle on s'en fout de la vie de tes gosses') déplacé et irrespectueux , via la messagerie interne accessible à tous et visant une collaboratrice



S'agissant du premier grief, il est constant que le 21 août 2019, a été adressée à M. [X], dirigeant, une lettre signée de 10 salariés, parmi lesquels M. [U] [D], qui exprimaient leur inquiétude de la situation de l'entreprise à raison de départs successifs de personnes non remplacées, de réclamations de fournisseurs, de l'absence de clients significatifs en vue, de l'absence de stratégie commerciale et de perspectives d'évolution et de direction, déclarant en conclusion attendre des annonces claires et véridiques sur la situation financière réelle de l'entreprise.



Tant aux termes de la lettre de licenciement que de ses conclusions, l'employeur soutient que la faute du salarié consiste, compte tenu de son poste de directeur technique, membre du codir, à avoir été à l'initiative de ce courrier et à l'avoir transmis, d'avoir été ainsi à l'initiative de ce sentiment de suspicion et d'avoir transmis ce courrier à l'ancien DGA qui n'était plus salarié de la société, contrevenant à son obligation contractuelle de confidentialité et réserve.



En tête de la lettre de licenciement l'employeur indique que ces demandes des collaborateurs exprimées dans cette lettre lui ont paru légitimes et qu'il s'est d'ailleurs exprimé pour y répondre.



Ainsi, l'employeur convient lui-même que de par leur contenu et leur objet les propos de cette lettre de la part de collaborateurs de la société n'avaient aucun caractère problématique et ne caractérisaient pas un abus de la liberté d'expression, la déloyauté selon lui résidant pour M. [U] [V], directeur technique, à en avoir été à l'initiative et à l'avoir transmise.



Or, l'employeur ne fait référence à aucun élément qui établirait que M. [U] [V] ait été à l'initiative de la démarche et à cet égard le seul fait que la lettre d'envoi soit rédigée de sa main est insuffisant à l'établir, étant encore relevé que sa qualité de directeur technique ne le prive par ailleurs de sa liberté d'expression, les propos susvisés n'ayant aucune coloration d'abus quand bien même ils émanent notamment d'un directeur technique.



Quant au fait que la lettre aurait été transmise à une personne extérieure, rien ne l'établit et, contrairement à ce que soutient l'employeur, ce fait est contesté par le salarié.



En conséquence, en se voyant notifier son licenciement pour avoir initié l'envoi d'une lettre non abusive à la direction de la société (lettre dont il convient de rappeler qu'il l'a aussi signée, en entérinant ainsi les propos de sorte que l'employeur soutient inexactement que le salarié adopte une position contradictoire en soutenant à la fois qu'il n'est pas à l'initiative de la lettre et la nullité du licenciement pour violation de la liberté d'expression), c'est bien, au moins pour partie, pour un abus de la liberté d'expression que M. [U] [V] a été licencié, de sorte que la liberté d'expression constituant une liberté fondamentale, le licenciement est nul.













Aux termes de l'article L.1235-3-2 du code du travail, en cas de pluralité de motifs de licenciement, si l'un des griefs reprochés au salarié porte atteinte à une liberté fondamentale, la nullité encourue de la rupture ne dispense pas le juge d'examiner l'ensemble des griefs énoncés, pour en tenir compte, le cas échéant, dans l'évaluation qu'il fait de l'indemnité à allouer au salarié, sans préjudice des dispositions de l'article L.1235-3-1.



Il s'ensuit qu'en toute hypothèse une indemnité de 6 mois au moins est due et dès lors que le salarié ne sollicite pas une indemnisation supérieure à 6 mois de salaire, il n'y a pas lieu d'examiner les autres griefs et il sera fait droit à la demande principale, le jugement étant infirmé de ce chef.



Les montants alloués au titre du salaire pendant la mise à pied, à titre d'indemnité de préavis et à titre d'indemnité de licenciement ne sont pas critiqués à titre subsidiaire et seront quant à eux confirmés.



2) Sur les autres demandes



S'agissant de la somme réclamée à titre de solde de salaire d'octobre aucune critique n'est élevée contre le jugement pas plus que s'agissant de la somme de 100 euros accordée à titre de complément de rémunération, de sorte que ces dispositions seront confirmées.



S'agissant des frais professionnels, le contrat de travail stipule que, pour déplacements professionnels demandés, des indemnités kilométriques seront versées suivant le barème fiscal en vigueur, sur présentation d'une note de frais justifiant le kilométrage effectué.



En l'absence de production d'une note de frais, l'employeur soutient exactement que les conditions d'un paiement ne sont pas remplies et le salarié sera débouté de sa demande et le jugement infirmé sur ce point.





PAR CES MOTIFS





LA COUR





Confirme le jugement entrepris sauf en celles de ses dispositions ayant dit le licenciement sans cause réelle et sérieuse, fixé au passif de la société Medgicgroup la somme de 66 euros pour solde de note de frais et celle de 22 277,25 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.



Et statuant à nouveau sur les chefs infirmés et y ajoutant,



Dit le licenciement nul.



Fixe au passif du redressement judiciaire de la société Medgicgroup une créance de 44 554,50 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement nul.



Déclare l'AGS tenue pour ces sommes dans les termes des articles L 3253-8 et suivants du code du travail, en l'absence de fonds disponibles.



Déboute M. [Z] de sa demande en paiement de 66 euros pour remboursement de frais professionnels.



Fixe au passif du redressement judiciaire de la société Medgicgroup une créance de 1 800 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais exposés en cause d'appel.











Ordonne le remboursement par la société Medgicgroup à Pôle emploi des indemnités de chômage versées à M. [Z] dans la limite de 1 mois d'indemnités.



Fixe les dépens de l'instance d'appel au passif du redressement judiciaire de la société Medgicgroup.



LE GREFFIER LE PRESIDENT













E. GOULARD L. DELAHAYE

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