3 octobre 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-84.207

Chambre criminelle - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:CR01257

Texte de la décision

N° E 23-84.207 F-D

N° 01257


MAS2
3 OCTOBRE 2023


REJET


M. BONNAL président,








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E
________________________________________


AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE,
DU 3 OCTOBRE 2023



Mme [R] [W] a formé un pourvoi contre l'arrêt n° 3 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 22 juin 2023, qui, dans l'information suivie contre elle des chefs d'extorsion et blanchiment, en bande organisée, a confirmé l'ordonnance du juge des libertés et de la détention la plaçant en détention provisoire.

Un mémoire a été produit.

Sur le rapport de M. Hill, conseiller, les observations de la SARL Cabinet Rousseau et Tapie, avocat de Mme [R] [W], et les conclusions de M. Croizier, avocat général, après débats en l'audience publique du 3 octobre 2023 où étaient présents M. Bonnal, président, M. Hill, conseiller rapporteur, Mme Labrousse, conseiller de la chambre, et Mme Sommier, greffier de chambre,

la chambre criminelle de la Cour de cassation, composée en application de l'article 567-1-1 du code de procédure pénale, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure ce qui suit.

2. Le 4 août 2022, un mandat d'arrêt européen a été émis à l'encontre de Mme [R] [W] des chefs susvisés.

3. Le 25 avril 2023, Mme [W] a été arrêtée en Italie en exécution de ce mandat d'arrêt et placée sous écrou extraditionnel.

4. Remise à la France le 2 juin 2023, elle a été placée en détention provisoire par ordonnance du 5 juin suivant.

5. Mme [W] a interjeté appel de cette ordonnance.

Enoncé du moyen

6. Le moyen critique l'arrêt attaqué en ce qu'il a confirmé l'ordonnance de placement en détention provisoire de Mme [W], alors :

« 1°/ que la règle de l'unique objet ne peut être opposée à la personne mise en examen qui fonde son appel d'une ordonnance de placement en détention provisoire sur l'irrégularité du mandat d'arrêt en vertu duquel elle a été appréhendée ; qu'il en résulte que, lorsqu'elles sont saisies d'une telle demande, les juridictions d'instruction sont compétentes pour examiner, dans le cadre de l'appel interjeté à l'encontre d'une ordonnance de placement en détention provisoire, la régularité de ce mandat d'arrêt ; qu'en refusant de rechercher, comme elle y était invitée, si le mandat d'arrêt était entaché d'irrégularité, aux motifs erronés que par arrêt distinct, elle a déjà dit n'y avoir lieu à annulation de cet acte, la chambre de l'instruction a excédé négativement ses pouvoirs et méconnu les articles 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 137-3, 145 et 186 du code de procédure pénale ;

2°/ que la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs limitativement énumérés par la loi et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique ; qu'en relevant, pour confirmer l'ordonnance de placement en détention provisoire, que l'exposante pourrait aisément détruire à distance les preuves contenues dans son téléphone, dont elle a refusé de communiquer ses codes d'accès, quand il résultait de l'ordonnance de placement en détention provisoire que le magistrat instructeur avait fait procéder à un déverrouillage forcé de ce téléphone par les services d'enquête techniques qui devaient faire l'objet d'une exploitation
utile par le juge d'instruction, l'intéressée devant être interrogée sur les éléments ainsi recueillis, la chambre de l'instruction, qui s'est ainsi prononcée par des motifs impropres à établir le risque invoqué de destruction des preuves et indices matériels, n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 137, 144, 147-1, 148-1, 148-2, 367 591 et 593 du code de procédure pénale ;

3°/ que la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs limitativement énumérés par la loi et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique ; qu'en relevant, pour confirmer l'ordonnance de placement en détention provisoire, qu'il convient d'éviter toute concertation entre l'exposante et [I] [T], autre membre de l'organisation criminelle, qui vit actuellement en Ukraine, sans expliquer en quoi, concrètement et effectivement, Mme [W] aurait eu un lien quelconque avec ce dernier et qu'un tel risque serait ainsi avéré, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale au regard des articles 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, 137, 144, 147-1, 148-1, 148-2, 367 591 et 593 du code de procédure pénale ;

4°/ que la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs limitativement énumérés par la loi et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique ; qu'en relevant, pour confirmer l'ordonnance de placement en détention provisoire, qu'il convient de mettre fin à l'infraction en ce que compte tenu de son mode de vie, de ses très nombreux déplacements à l'étranger, mais aussi de sa résidence habituelle en Russie, la présentation d'une résidence en France n'est pas de nature à constituer une garantie suffisante, sans expliquer de quelle manière elle aurait bénéficié des fonds issus de l'infraction et, lorsque, à l'exception d'un unique témoignage colportant une simple rumeur, le dossier pénal est vide de tout élément permettant d'établir que l'exposante aurait perçu des transferts d'argent provenant de l'infraction, la chambre de l'instruction a privé sa décision de base légale et méconnu les articles 5§3 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire, 122, 591 et 593 du code de procédure pénale ;

5°/ que le principe de la présomption d'innocence interdit de soumettre un accusé à toute rigueur non nécessaire pour s'assurer de sa personne ; que la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que s'il est démontré, au regard des éléments précis et circonstanciés de la procédure, qu'elle constitue l'unique moyen de parvenir à l'un ou plusieurs des objectifs limitativement énumérés par la loi, et que ceux-ci ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou d'assignation à résidence avec surveillance électronique ; qu'en confirmant l'ordonnance de placement en détention provisoire sans s'expliquer concrètement, au regard des éléments précis et circonstanciés du dossier, sur le caractère insuffisant du contrôle judiciaire ou de l'assignation à résidence avec surveillance électronique ni dire en quoi les risques allégués ne pouvaient être conjurés par ces mesures, la chambre de l'instruction n'a pas légalement justifié sa décision au regard des articles 5 et 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, préliminaire, 137, 144, 148-1-1, 591 et 593 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Sur le moyen, pris en sa première branche

7. Pour dire qu'il n'y avait pas lieu à statuer sur la régularité du mandat d'arrêt du 4 août 2022, l'arrêt attaqué énonce que, par arrêt du même jour, il a été prononcé sur une requête distincte, aux même fins.

8. Les juges ajoutent que l'argumentaire des avocats de Mme [W] est identique dans le dossier de nullité et dans le présent dossier, peu important que le juge des libertés et de la détention ait dit qu'il n'y ait pas lieu de statuer sur ce point.

9. En prononçant ainsi, et dès lors qu'elle a nécessairement adopté les motifs par lesquels elle a rejeté l'exception de nullité du mandat d'arrêt dans l'arrêt précité statuant sur la requête de la demanderesse, la chambre de l'instruction a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.

10. D'une part, elle a exactement retenu, par des motifs exempts d'insuffisance, qu'il existait à l'encontre de Mme [W] des indices graves ou concordants rendant vraisemblable qu'elle ait pu participer comme auteur ou complice aux faits, objet du mandat d'arrêt.

11. D'autre part, elle a également caractérisé, sans insuffisance, que le mandat d'arrêt délivré à l'encontre de Mme [W], qui effectuait de nombreux déplacements à l'étranger, mise en cause dans une procédure d'extorsion et de blanchiment commis en bande organisée, ayant causé un préjudice très important, était nécessaire et proportionné au regard notamment du risque majeur de dissimulation ou de dissipation des preuves.

12. Ainsi, ce grief doit être écarté.


Sur le moyen, pris en ses deuxième, troisième, quatrième et cinquième branches

13. Pour confirmer l'ordonnance de placement en détention provisoire, l'arrêt attaqué énonce notamment que la détention provisoire de la personne mise en examen constitue, en l'état, l'unique moyen de conserver les preuves ou indices matériels, que des investigations, notamment sur les matériels saisis lors de son interpellation, doivent être réalisées, que, si elle était remise en liberté, elle pourrait aisément détruire à distance les preuves contenues dans son téléphone et dissiper le produit des infractions, estimé en l'état à plus de dix millions d'euros.

14. Les juges ajoutent qu'il importe d'éviter toute concertation entre Mme [W] et M. [I] [T], autre membre de l'organisation criminelle, qui vit actuellement en Ukraine, afin de déterminer précisément le rôle exact de celle-ci dans cette organisation mise en place par son ex-compagnon alors qu'elle explique n'être au courant de rien, tout en refusant de communiquer les code d'accès à ses appareils.

15. Ils indiquent qu'il convient en outre de garantir le maintien de Mme [W] à la disposition de la justice et de mettre fin à l'infraction dès lors que, compte tenu de son mode de vie, de ses très nombreux déplacements à l'étranger, mais aussi de sa résidence habituelle en Russie, l'existence d'une résidence en France n'est pas de nature à constituer une garantie suffisante et que ni un contrôle judiciaire ni même un placement sous surveillance électronique ne seraient de nature à l'empêcher de quitter le territoire français, pour se rendre en Russie, pays où son conjoint actuel a ses affaires et Etat avec lequel il n'existe plus aucune coopération internationale, ce qui lui permettrait de se soustraire définitivement à l'action de la justice française.

16. Ils concluent que, nonobstant les observations développées au mémoire et les garanties invoquées au soutien de ces observations, la détention provisoire est justifiée, au regard des éléments précis et circonstanciés de la procédure, comme étant l'unique moyen de parvenir aux objectifs qui viennent d'être énoncés et qui ne sauraient être atteints en cas de placement sous contrôle judiciaire ou sous le régime de l'assignation à résidence avec surveillance électronique, quelles qu'en soient les modalités, de telles mesures ne comportant pas de contrainte suffisante pour prévenir efficacement les risques précités et ne permettant que des contrôles discontinus, intervenant a posteriori, le non-respect de l'une ou l'autre des obligations ne pouvant être révélé qu'après l'apparition de conséquences dont le caractère inéluctable serait alors avéré.



17. En se déterminant ainsi, par des motifs exempts d'insuffisance ou de contradiction, fondés sur des éléments précis et circonstanciés résultant de la procédure, et répondant aux articulations essentielles du mémoire de la personne mise en examen, la chambre de l'instruction a justifié sa décision.

18. Dès lors, le moyen doit être écarté.

19. Par ailleurs, l'arrêt est régulier tant en la forme qu'au regard des dispositions des articles 137-3 et 143-1 et suivants du code de procédure pénale.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président en son audience publique du trois octobre deux mille vingt-trois.

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