4 juillet 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-83.681

Chambre sociale - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2023:SO09043

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 4 juillet 2023







M. SOMMER, président



Avis n° 9043 FS-D

Pourvoi n° N 22-83.681



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


AVIS DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 4 JUILLET 2023

La chambre criminelle, saisie du pourvoi n° N 22-83.681 formé par la société Lafarge, a sollicité, le 14 mars 2023, l'avis de la chambre sociale.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire, les observations écrites de la la SCP Spinosi, avocat de la société Lafarge, de la SCP Piwnica et Molinié, avocat de la Fédération internationale des droits de l'Homme, de la Ligue des droits de l'Homme et du Centre syrien pour les médias et la liberté d'expression, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de l'association European Center for Constitutional and Human Rights, de Mmes [J] [U] et [L] [AM], de la SCP Zribi et Texier, avocat de MM. [O] [M], [O] [R], [OB] [P], [MD] [D] [I], [H] [F], [X] [T], [A] [C] [B], [K] [RR] [Y], [G] [S], [W] [E], [N] [IG], [IX] [MU], [V] [ES], [Z] [SH], les plaidoires de Me Spinosi, celles de Me Bauer-Violas, celles de Me Texier et celles de Me Molinié, et l'avis de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 28 juin 2023 où étaient présents M. Sommer, président, M. Le Masne de Chermont, conseiller référendaire rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, Bouvier, Bérard, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, Ollivier, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a émis le présent avis.


Énoncé de la demande d'avis

1. Saisie du pourvoi formé par la société Lafarge SA (la société Lafarge) contre l'arrêt de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 1ère section, en date du 18 mai 2022, qui, sur renvoi après cassation (Crim., 7 septembre 2021, pourvoi n° 19-87.367), dans l'information suivie contre cette société des chefs, notamment, de complicité de crimes contre l'humanité et mise en danger de la vie d'autrui, a dit n'y avoir lieu à annulation d'un acte ou d'une pièce de la procédure, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, par arrêt du 14 mars 2023, soumis à la chambre sociale la question ainsi formulée :

« Les dispositions des articles R. 4121-1, R. 4121-2 et R. 4141-13 du code du travail français peuvent-elles être qualifiées de lois de police au sens de l'article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil du 17 juin 2008 sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I). »

Examen de la demande d'avis

2. Aux termes de l'article 9, § 1, du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I), une loi de police est une disposition impérative dont le respect est jugé crucial par un pays pour la sauvegarde de ses intérêts publics, tels que son organisation politique, sociale ou économique, au point d'en exiger l'application à toute situation entrant dans son champ d'application, quelle que soit par ailleurs la loi applicable au contrat d'après ce règlement.

3. Selon le considérant 37 de ce règlement, des considérations d'intérêt public justifient, dans des circonstances exceptionnelles, le recours par les tribunaux des États membres aux mécanismes que sont les lois de police. La notion de « lois de police » devrait être distinguée de celle de « dispositions auxquelles il ne peut être dérogé par accord » et devrait être interprétée de façon restrictive.

4. En tant que mesure dérogatoire, l'article 9 dudit règlement est d'interprétation stricte (CJUE, arrêt du 18 octobre 2016, Nikiforidis, C-135/15, point 44).

5. Dans le cadre de l'appréciation du juge national quant au caractère de « loi de police » de la loi nationale qu'il entend substituer à celle expressément choisie par les parties au contrat, il lui revient de tenir compte non seulement des termes précis de cette loi, mais aussi de l'économie générale et de l'ensemble des circonstances dans lesquelles ladite loi a été adoptée pour pouvoir en déduire qu'elle revêt un caractère impératif, dans la mesure où il apparaît que le législateur national a adopté celle-ci en vue de protéger un intérêt jugé essentiel par l'État membre concerné (CJUE, arrêt du 17 octobre 2013, Unamar, C 184/12, point 50).

6. Selon l'article L. 4121-3 du code du travail, l'employeur, compte tenu de la nature des activités de l'établissement, évalue les risques pour la santé et la sécurité des travailleurs.

7. Aux termes de l'article R. 4121-1du code du travail, l'employeur transcrit et met à jour dans un document unique les résultats de l'évaluation des risques pour la santé et la sécurité des travailleurs à laquelle il procède en application de l'article L. 4121-3. Cette évaluation comporte un inventaire des risques identifiés dans chaque unité de travail de l'entreprise ou de l'établissement, y compris ceux liés aux ambiances thermiques.

8. Aux termes de l'article R. 4121-2 de ce code, la mise à jour du document unique d'évaluation des risques est réalisée :
1° Au moins chaque année ;
2° Lors de toute décision d'aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail, au sens de l'article L. 4612-8 ;
3° Lorsqu'une information supplémentaire intéressant l'évaluation d'un risque dans une unité de travail est recueillie.

9. Selon l'article L. 4141-1 du code du travail, l'employeur organise et dispense une information des travailleurs sur les risques pour la santé et la sécurité et les mesures prises pour y remédier.

10. Aux termes de l'article R. 4141-13 du même code, la formation à la sécurité relative aux conditions d'exécution du travail a pour objet d'enseigner au travailleur, à partir des risques auxquels il est exposé :
1° Les comportements et les gestes les plus sûrs en ayant recours, si possible, à des démonstrations ;
2° Les modes opératoires retenus s'ils ont une incidence sur sa sécurité ou celle des autres travailleurs ;
3° Le fonctionnement des dispositifs de protection et de secours et les motifs de leur emploi.

11. Les articles L. 4121-3 et L. 4141-1 du code du travail sont issus de la loi n° 91-1414 du 31 décembre 1991 modifiant le code du travail et le code de la santé publique en vue de favoriser la prévention des risques professionnels et portant transposition de directives européennes relatives à la santé et à la sécurité du travail, au nombre desquelles figure la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail.

12. Aux termes de l'article 9, § 1, sous a), de cette directive, l'employeur doit disposer d'une évaluation des risques pour la sécurité et la santé au travail, y compris ceux concernant les groupes des travailleurs à risques particuliers.

13. Selon l'article 12, § 1, de la même directive, l'employeur doit assurer que chaque travailleur reçoit une formation à la fois suffisante et adéquate à la sécurité et à la santé, notamment sous forme d'informations et d'instructions.

14. La directive 89/391 a pour base légale l'article 118 A du traité CEE devenu l'article 153 du traité FUE qui prévoit que, en vue d'assurer les objectifs visés à l'article 151 TFUE, l'Union soutient et complète l'action des États membres pour l'amélioration, en particulier, du milieu du travail pour protéger la santé et la sécurité des travailleurs.

15. Ainsi, l'élaboration du document unique d'évaluation des risques et la formation à la sécurité relative aux conditions de travail, prévues de manière impérative aux articles R. 4121-1, R. 4121-2 et R. 4141-13 du code du travail, participent de la protection de la santé et de la sécurité des travailleurs, laquelle, se rapportant à l'organisation sociale et économique tant de l'Union européenne que de la France, est d'intérêt public.

16. Toutefois, en application de l'article 8 du règlement n° 593/2008 le travailleur dont la France est le pays dans lequel ou, à défaut, à partir duquel, en exécution du contrat, il accomplit habituellement son travail ou dont le contrat de travail présente les liens les plus étroits avec la France, bénéficie de la protection que lui assurent les articles R. 4121-1, R. 4121-2 et R. 4141-13 du code du travail.

17. Le bénéfice de la protection garantie par ces dispositions étant ainsi assuré aux travailleurs dont le contrat présente un lien de rattachement suffisant à la France, la sauvegarde des intérêts publics en matière de santé et de protection des travailleurs n'impose pas une application immédiate des mêmes dispositions, exclusive des règles de conflit de lois prévues par le règlement n° 593/2008.

18. En conséquence, la chambre sociale est d'avis que les dispositions des articles R. 4121-1, R. 4121-2 et R.4141-13 du code du travail français ne peuvent être qualifiées de lois de police au sens de l'article 9 du règlement n° 593/2008.


PAR CES MOTIFS, la chambre sociale :

EST D'AVIS QUE :

Les dispositions des articles R. 4121-1, R. 4121-2 et R. 4141-13 du code du travail français ne peuvent être qualifiées de lois de police au sens de l'article 9 du règlement (CE) n° 593/2008 du Parlement européen et du Conseil, du 17 juin 2008, sur la loi applicable aux obligations contractuelles (Rome I).

ORDONNE la transmission du dossier et de l'avis à la chambre criminelle.

Ainsi fait et émis par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du quatre juillet deux mille vingt-trois.

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