11 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-17.899

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:CO00330

Titres et sommaires

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 6, § 1 - Droit effectif au juge - Applications diverses - Décision annulant la délibération d'agrément d'un associé - Tierce opposition formée par l'associé agréé

Le droit effectif au juge, garanti par l'article 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, implique que l'associé d'une société civile, qui a hérité de parts sociales de cette société et qui a été agréé comme associé au titre de ces parts, soit recevable à former tierce opposition à l'encontre de la décision annulant la délibération de la société l'agréant comme associé

TIERCE OPPOSITION - Recevabilité - Décision annulant la délibération d'agrément d'un associé - Tierce opposition formée par l'assocé agréé

SOCIETE CIVILE - Associés - Agrément - Décision annulant la délibération d'agrément - Tierce opposition - Recevabilité

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2023




Cassation partielle


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 330 FS-B

Pourvoi n° Q 21-17.899







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 11 MAI 2023

1°/ Mme [Y] [D],

2°/ Mme [K] [D],

domiciliées toutes les deux [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° Q 21-17.899 contre l'arrêt rendu le 30 mars 2021 par la cour d'appel de Bordeaux (1re chambre civile), dans le litige les opposant :

1°/ à M. [H] [S], domicilié [Adresse 6], pris en sa qualité de co-indivisaire de l'indivision [V] [S], représentée par M. [V] [S],

2°/ à M. [C] [S], domicilié [Adresse 5], pris en sa qualité de co-indivisaire de l'indivision [V] [S], représentée par M. [V] [S],

3°/ à M. [V] [S], domicilié [Adresse 2] (Suisse), pris en son nom personnel et en qualité de mandataire et de co-indivisaire de l'indivision [V] [S],

4°/ à M. [B] [D], domicilié [Adresse 4],

5°/ au GFA [Adresse 3], groupement foncier agricole, dont le siège est [Adresse 3], représenté par son gérant M. [O] [S],

défendeurs à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ducloz, conseiller, les observations de la SCP Marlange et de La Burgade, avocat de Mme [Y] [D] et de Mme [K] [D], de la SCP Foussard et Froger, avocat du GFA [Adresse 3], de la SCP Spinosi, avocat de MM. [H], [C] et [V] [S], et l'avis de M. Lecaroz, avocat général, après débats en l'audience publique du 14 mars 2023 où étaient présents M. Vigneau, président, Mme Ducloz, conseiller rapporteur, M. Mollard, conseiller doyen, Mmes Graff-Daudret, Daubigney, MM. Ponsot, Alt, Calloch, conseillers, M. Guerlot, Blanc, Mmes Lion, Tostain, conseillers référendaires, M. Lecaroz, avocat général, et Mme Fornarelli, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Bordeaux, 30 mars 2021), à la suite du décès de leurs parents, M. [V] [S] et Mme [Y] [D] ont hérité, en indivision, de 52 848 parts du groupement foncier agricole [Adresse 3] (le GFA), les autres parts étant détenues par Mme [Y][D] (7 248 parts), par M. [B] [D] (1 part) et Mme [K] [D] (1 part), enfants de Mme [Y] [D], et par M. [V] [S] et ses enfants, MM. [H] et [C] [S] (1 part en indivision).

2. Un jugement du 20 septembre 2011 a ordonné le partage par moitié, entre M. [V] [S] et Mme [Y] [D], des parts du GFA héritées en indivision.

3. Le 28 juin 2012, l'assemblée générale extraordinaire du GFA a, d'une part, agréé Mme [Y] [D] en qualité d'associée au titre des parts attribuées à l'issue du partage de l'indivision successorale, d'autre part, refusé d'agréer M. [V] [S] à ce même titre.

4. M. [V] [S] a assigné le GFA et M. [B] [D], son gérant, en nullité de la résolution de l'assemblée générale extraordinaire du 28 juin 2012. MM. [H] et [C] [S] sont intervenus volontairement à l'instance.

5. Un arrêt du 22 mai 2018 a dit que l'agrément de M. [V] [S] comme associé du GFA, au titre des parts attribuées à celui-ci dans le partage de l'indivision successorale, était acquis au 9 décembre 2012 et que Mme [Y] [D] n'était pas agréée comme associée au titre des parts lui ayant été attribuées dans ce même partage.

6. Mmes [Y] [D] et [K] [D] ont formé tierce-opposition à cet arrêt.

Examen du moyen

Sur le moyen, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la tierce-opposition de Mme [K] [D]

Enoncé du moyen

7. Mme [K] [D] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa tierce-opposition, alors :

« 1°/ qu'est recevable à former tierce-opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque ; que si la personne morale représente ses associés dans les litiges avec les tiers et dans les cas où les associés subissent un préjudice qui n'est que le corollaire de celui de la société, la représentation des associés par la société est en revanche exclue lorsque le litige porte sur un conflit entre associés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'action introduite par M. [V] [S] à l'encontre du GFA et ayant donné lieu à l'arrêt du 22 mai 2018 contre lequel Mmes [Y] [D] et [K] [D] ont formé tierce-opposition portait sur les qualités respectives d'associés de Mme [Y] [D] et M. [V] [S] et sur le partage successoral entre eux des parts du GFA ; qu'il ressortait donc des constatations de la cour d'appel que le litige ne portait pas sur les rapports du GFA avec les tiers ni ne mettait en cause un préjudice social ayant atteint l'ensemble des associés, mais portait sur un conflit entre associés ; qu'en jugeant néanmoins que Mmes [Y] [D] et [K] [D] avaient été représentées par le GFA dans le cadre de ce litige, pour en déduire que leur tierce-opposition était irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ qu'est recevable à former tierce-opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque ; qu'une communauté d'intérêts ne saurait suffire à caractériser cette représentation ; qu'en l'espèce, en retenant, pour juger que Mmes [Y] [D] et [K] [D] avaient été représentées par le GFA dans la procédure ayant donné lieu à l'arrêt du 22 mai 2018 et en déduire que leur tierce-opposition était irrecevable, que les demandes et moyens qu'elles formulaient dans le cadre de cette tierce-opposition étaient identiques aux demandes et moyens qui avaient été présentés par le GFA, de sorte que les intérêts de Mmes [Y] [D] et [K] [D] auraient été défendus par le GFA et son gérant lors de la procédure précédente, cependant qu'une communauté d'intérêts ne pouvait suffire à caractériser la représentation de Mmes [Y] [D] et [K] [D] par le GFA, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

8. Après avoir exactement énoncé que les associés, représentés à l'instance par le représentant légal de la société, ne sont, en principe, pas recevables à former tierce-opposition au jugement, sauf s'ils font valoir un moyen qui leur est personnel, et relevé que le litige dont Mme [K] [D] a saisi la cour d'appel, relatif à l'agrément, par le GFA, de M. [V] [S] et de Mme [Y] [D] en qualité d'associés au titre des parts attribuées à chacun d'eux dans le partage de l'indivision successorale, est identique à celui ayant donné lieu à un arrêt du 22 mai 2018, l'arrêt retient que Mme [K] [D], associée du GFA, est présumée avoir été représentée au cours de la procédure ayant abouti à cette décision par le GFA, lui-même représenté par son gérant, sauf à démontrer que le GFA n'a pas défendu ses intérêts, et que les moyens qu'elle invoque au soutien de sa tierce-opposition, qui sont relatifs aux conditions d'application de la clause statutaire d'agrément, sont identiques à ceux soutenus par le GFA et son gérant lors de la précédente procédure, de sorte qu'elle ne fait état d'aucun moyen propre et distinct de ceux ayant déjà été soumis à une juridiction.

9. De ces énonciations, constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire, sans méconnaître le droit à l'accès au juge garanti par l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ni violer l'article 583 du code de procédure civile, que Mme [K] [D], qui n'était pas propriétaire des parts sociales soumises à l'agrément litigieux, était irrecevable en sa tierce-opposition.

10. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur ce moyen, pris en sa première branche, en ce qu'il fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable la tierce-opposition de Mme [Y] [D]

Enoncé du moyen

11. Mme [Y] [D] fait grief à l'arrêt de déclarer irrecevable sa tierce-opposition, alors « qu'est recevable à former tierce-opposition toute personne qui y a intérêt, à la condition qu'elle n'ait été ni partie ni représentée au jugement qu'elle attaque ; que si la personne morale représente ses associés dans les litiges avec les tiers et dans les cas où les associés subissent un préjudice qui n'est que le corollaire de celui de la société, la représentation des associés par la société est en revanche exclue lorsque le litige porte sur un conflit entre associés ; qu'en l'espèce, la cour d'appel a constaté que l'action introduite par M. [V] [S] à l'encontre du GFA et ayant donné lieu à l'arrêt du 22 mai 2018 contre lequel Mmes [Y] [D] et [K] [D] ont formé tierce-opposition portait sur les qualités respectives d'associés de Mme [Y] [D] et M. [V] [S] et sur le partage successoral entre eux des parts du GFA ; qu'il ressortait donc des constatations de la cour d'appel que le litige ne portait pas sur les rapports du GFA avec les tiers ni ne mettait en cause un préjudice social ayant atteint l'ensemble des associés, mais portait sur un conflit entre associés ; qu'en jugeant néanmoins que Mmes [Y] [D] et [K] [D] avaient été représentées par le GFA dans le cadre de ce litige, pour en déduire que leur tierce-opposition était irrecevable, la cour d'appel a violé l'article 583 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales :

12. Le droit effectif au juge, garanti par ce texte, implique que l'associé d'une société civile, qui a hérité de parts sociales de cette société et qui a été agréé comme associé au titre de ces parts, soit recevable à former tierce-opposition à l'encontre de la décision annulant la délibération de la société l'agréant comme associé.

13. Pour dire la tierce-opposition de Mme [Y] [D] irrecevable, l'arrêt, après avoir relevé que le litige dont elle a saisi la cour d'appel, relatif à son agrément, par le GFA, et à celui de M. [V] [S] en qualité d'associés au titre des parts attribuées à chacun d'eux dans le partage de l'indivision successorale, est identique à celui ayant donné lieu à un arrêt du 22 mai 2018, retient que Mme [Y] [D], associée du GFA, est présumée avoir été représentée au cours de la procédure ayant abouti à cette décision par le GFA, lui-même représenté par son gérant, sauf à démontrer que le GFA n'avait pas défendu ses intérêts et avait fait valoir des moyens distincts de ceux présentés à l'occasion de la tierce-opposition. L'arrêt ajoute que les demandes formées et les moyens invoqués par Mme [Y] [D] à l'occasion de sa tierce-opposition sont identiques à celles présentées et ceux soutenus par le GFA et son gérant lors de la précédente procédure, de sorte qu'elle ne fait état d'aucun moyen propre et distinct de ceux ayant déjà été soumis à une juridiction.

14. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme [Y] [D], associée du GFA, avait été agréée comme associée au titre des parts du groupement dont elle avait hérité, de sorte qu'elle était recevable en sa tierce-opposition formée à l'encontre de la décision annulant la délibération du GFA l'agréant comme associée, la cour d'appel a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur l'autre grief du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il déclare la tierce-opposition de Mme [Y] [D] irrecevable et statue, en ce qui la concerne, sur l'article 700 du code de procédure civile et les dépens, l'arrêt rendu le 30 mars 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Bordeaux ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel de Toulouse ;

Condamne MM. [V], [H] et [C] [S] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes de Mme [K] [D] et de MM. [V], [H] et [C] [S], et condamne MM. [V], [H] et [C] [S] à payer à Mme [Y] [D] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-trois.

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