17 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-24.383

Chambre sociale - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00534

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 mai 2023




Cassation partielle


Mme MARIETTE, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 534 F-D


Pourvois n°
N 21-24.383
P 21-24.384
Q 21-24.385
R 21-24.386
S 21-24.387
T 21-24.388
U 21-24.389
V 21-24.390
W 21-24.391 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 17 MAI 2023

La société Keolis Caen mobilités, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 2], a formé les pourvois n° N 21-24.383, P 21-24.384, Q 21-24.385, R 21-24.386, S 21-24.387, T 21-24.388, U 21-24.389, V 21-24.390 et W 21-24.391 contre neuf ordonnances de référé rendues le 31 août 2021 par le conseil de prud'hommes de Caen, dans les litiges l'opposant respectivement :

1°/ à M. [J] [Z], domicilié [Adresse 7],

2°/ à M. [X] [T], domicilié [Adresse 8],

3°/ à M. [G] [D], domicilié [Adresse 1],

4°/ à M. [I] [H], domicilié [Adresse 3],

5°/ à M. [A] [U], domicilié [Adresse 5],

6°/ à M. [O] [N], domicilié [Adresse 9],

7°/ à M. [Y] [S], domicilié [Adresse 4],

8°/ à Mme [C] [F], domiciliée [Adresse 11],

9°/ à M. [V] [K], domicilié [Adresse 10],

10°/ au syndicat CGT Keolis Caen mobilités, dont le siège est [Adresse 6],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de chacun de ses recours, trois moyens de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Douxami, conseiller, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Keolis Caen mobilités, de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de MM. [Z], [T], [D], [H], [U], [N], [S], Mme [F], M. [K], et du syndicat CGT Keolis Caen mobilités, après débats en l'audience publique du 4 avril 2023 où étaient présents Mme Mariette, conseiller doyen faisant fonction de président, Mme Douxami, conseiller rapporteur, M. Pietton, conseiller, et Mme Piquot, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 21-24.383 à W 21-24.391 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les ordonnances attaquées (conseil de prud'hommes de Caen, 31 août 2021), rendues en matière de référé, M. [Z] et huit autres salariés ont fait l'objet d'une sanction disciplinaire prononcée par la société Keolis Caen mobilités (la société), au cours des années 2019 ou 2020, qui l'a ensuite annulée.

3. Les salariés ont saisi la juridiction prud'homale, en référé, d'une demande de provision sur dommages-intérêts en réparation du préjudice subi pour sanction abusive en l'absence de règlement intérieur.

4. Le syndicat CGT Keolis Caen mobilités (le syndicat) est intervenu volontairement à l'instance.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

5. L'employeur fait grief aux ordonnances de le dire irrecevable en sa demande tendant à déclarer les prétentions des salariés comme excédant les pouvoirs de la formation de référé et de le condamner à leur payer une provision sur dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi, alors :

« 1°/ que la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour "faire cesser" un trouble manifestement illicite ; qu'il en résulte que lorsque le trouble manifestement illicite a cessé au jour où la formation de référé statue, le litige ne relève pas de son pouvoir, qu'il résulte des propres constatations des ordonnances de référé que les salariés avaient saisi la juridiction des référés aux seules fins d'obtenir des dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi pour avoir fait l'objet d'une sanction disciplinaire illicite en raison de l'absence de règlement intérieur, que la société avait par la suite annulée avant même la saisine par les salariés du juge des référés ; qu'en condamnant la société à verser des dommages-intérêts à titre provisionnel aux salariés sur le fondement d'un trouble manifestement illicite lorsque I'illicéité de la notification d'une sanction en raison de I'absence de règlement intérieur dont se prévalaient les salariés avait cessé avant même qu'ils ne saisissent la juridiction prud'homale d'une demande qui ne poursuivait que l'indemnisation d'un préjudice moral, le conseil des prud'hommes a violé l'article R. 1455-6 du code du travail ;

2°/ que les termes du litige sont fixés par les prétentions respectives des parties ; que les salariés sollicitaient l'indemnisation de leur préjudice moral résultant du prononcé à leur encontre d'une sanction illicite ; qu'en retenant que la société ne contestait pas avoir failli à son obligation de négociation et de publicité du règlement intérieur de l'entreprise imposée par le législateur pour en déduire l'existence d'un trouble manifestement illicite, lorsque les salariés ne soutenaient pas avoir souffert un préjudice résultant de l'absence de règlement intérieur, le conseil des prud'hommes a violé l'article 4 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Aux termes de l'article R. 1455-7 du code du travail, dans le cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, la formation de référé peut accorder une provision au créancier ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.

7. Le conseil de prud'hommes qui a constaté que la société ne contestait pas avoir failli à son obligation de négociation et de publicité du règlement intérieur et que les salariés avaient subi un préjudice incontestable pour avoir fait l'objet d'une sanction illicite en raison de l'absence de règlement intérieur, et cela même si l'employeur avait décidé du retrait de la sanction après l'intervention du syndicat, en a exactement déduit, abstraction faite des motifs critiqués par le moyen mais qui sont surabondants, que les salariés étaient fondés à obtenir une provision à valoir sur les dommages-intérêts en réparation de ce préjudice.

8. Le moyen n'est donc pas fondé.

Sur le deuxième moyen

Enoncé du moyen

9. L'employeur fait grief aux ordonnances de rejeter "l'exception de forme", aux fins d'incident de procédure, qu'il a formulée à titre reconventionnel tendant à déclarer les salariés irrecevables en leur demande à défaut de concordance de signature sur le mandat de représentation remis à l'audience, en comparaison du mandat inséré au dossier, de le condamner en conséquence à leur payer une provision sur dommages-intérêts pour réparation du préjudice moral subi, alors « que la procédure prud'homale est orale ; que ce n'est que lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, qu'elles sont tenues, dans leurs conclusions, de formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée et que le bureau de jugement ou la formation de référé ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ; qu'il résulte des constatations des ordonnances que les salariés étaient représentés par un défenseur syndical ; que dès lors en rejetant "l'exception de forme" formulée à titre reconventionnel par la société tendant à voir déclarer les salariés irrecevables en leurs demandes à défaut de concordance de la signature figurant le mandat de représentation remis à l'audience avec celle figurant sur le mandat inséré au dossier, après avoir relevé que cette "exception" avait été soulevée à l'audience et n'était pas reprise dans le "par ces motifs" des conclusions de la société, le conseil de prud'hommes a violé les articles R. 1453-3 et R. 1453-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

10. Contrairement à ce que soutient le moyen, le conseil de prud'hommes s'est prononcé sur la fin de non recevoir soulevée par l'employeur et a retenu que la société, sans preuve, ni expertise d'écriture, ni présentation d'une quelconque connaissance particulière en graphologie, n'établissait pas la prétendue discordance entre la signature des salariés figurant sur les mandats de représentation portés par le défenseur syndical et celle figurant sur le mandat du dossier.

11. Le moyen n'est donc pas fondé.

Mais sur le troisième moyen

Enoncé du moyen

12. L'employeur fait grief aux ordonnances de rejeter "l'exception de forme", aux fins d'incident de procédure, qu'il a formulée à titre reconventionnel, tendant à déclarer le syndicat irrecevable en son intervention à défaut de conformité de signature sur la délibération du bureau du syndicat et de le condamner en conséquence à lui payer une provision sur dommages-intérêts en réparation des faits de violation de la législation du travail préjudiciables à l'intérêt collectif de la profession qu'iI représente, alors « que la procédure prud'homale est orale : que ce n'est que lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, qu'elles sont tenues, dans leurs conclusions, de formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune de ces prétentions est fondée et que le bureau de jugement ou la formation de référé ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif ; qu'il résulte des constatations des ordonnances que le syndicat était représenté par un défenseur syndical ; que dès lors en rejetant "l'exception de forme" formulée à titre reconventionnel par la société tendant à déclarer le syndicat irrecevable en son intervention à défaut de conformité de signature sur la délibération du bureau du syndicat, après avoir relevé que cette "exception" avait été soulevée à l'audience et n'était pas reprise dans le "

Par ces motifs" des conclusions de la société, le conseil de prud'hommes a violé les articles R. 1453-3 et R. 1453-5 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu les articles R. 1453-3 et R. 1453-5 du code du travail :

13. Aux termes du premier de ces textes, la procédure prud'homale est orale.

14. Selon le second, lorsque toutes les parties comparantes formulent leurs prétentions par écrit et sont assistées ou représentées par un avocat, elles sont tenues de les récapituler sous forme de dispositif et elles doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures.

15. Pour rejeter la demande de l'employeur tendant à déclarer le syndicat irrecevable en son intervention à défaut de conformité de signature sur la délibération du bureau du syndicat et le condamner à lui payer une provision sur dommages-intérêts en réparation des faits de violation de la législation du travail préjudiciables à l'intérêt collectif de la profession, les ordonnances retiennent que l'employeur a sollicité, en argument additionnel des conclusions portées au conseil- et cela durant les débats contradictoires- l'irrecevabilité de la demande du syndicat au motif que la délibération du syndicat n'est émargée que par un seul membre du bureau. Elles ajoutent que cette demande reconventionnelle en irrecevabilité en la forme de la demande du syndicat n'est pas précisément reprise dans le "Par ces motifs" des conclusions du défendeur, seul en est contesté le bien-fondé.

16. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que le syndicat était représenté par un défenseur syndical de sorte que, la procédure étant orale, l'employeur était recevable à formuler une demande devant le juge lors des débats, le conseil de prud'hommes a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

17. En application de l'article 624 du code de procédure civile, la cassation du chef du dispositif des ordonnances rejetant "l'exception de forme" formulée par l'employeur aux fins de voir déclarer le syndicat irrecevable en son intervention entraîne la cassation des chefs de dispositif condamnant l'employeur à payer au syndicat différentes sommes au titre de provision sur dommages-intérêts et de l'article 700 du code de procédure civile.

18. Il convient de condamner la société Keolis Caen mobilités, qui succombe dans ses pourvois à l'égard des salariés, aux dépens et en conséquence au paiement d'une somme au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elles rejettent "l'exception de forme" formulée par la société Keolis Caen mobilités aux fins de voir déclarer le syndicat CGT Keolis Caen mobilités irrecevable en son intervention et condamne la société Keolis Caen mobilités à payer au syndicat CGT Keolis Caen mobilités différentes sommes au titre de provision sur dommages-intérêts et de l'article 700 du code de procédure civile, les ordonnances de référé rendues le 31 août 2021 par le conseil de prud'hommes de Caen ;

Remet les affaires et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ces ordonnances et les renvoie devant le conseil de prud'hommes de Lisieux ;

Condamne la société Keolis Caen mobilités et le syndicat CGT Keolis Caen mobilités aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes formées par la société Keolis Caen mobilités et le syndicat CGT Keolis Caen mobilités et condamne la société Keolis Caen mobilités à payer à MM. [Z], [T], [D], [H], [U], [N], [S] et [K] ainsi qu'à Mme [F] la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite des ordonnances de référé partiellement cassées ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille vingt-trois.

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