17 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 22-13.416

Première chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2023:C100340

Texte de la décision

CIV. 1

SG



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 mai 2023




Rejet


Mme GUIHAL, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 340 F-D

Pourvoi n° N 22-13.416




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, DU 17 MAI 2023

Mme [O] [N], domiciliée [Adresse 1], a formé le pourvoi n° N 22-13.416 contre l'arrêt rendu le 6 janvier 2022 par la cour d'appel de Nancy (2e chambre civile), dans le litige l'opposant à Mme [L] [Y], domiciliée [Adresse 2] (Belgique), défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ancel, conseiller, les observations de la SCP Delamarre et Jehannin, avocat de Mme [N], de la SCP Duhamel Rameix Gury Maitre, avocat de Mme [Y], après débats en l'audience publique du 28 mars 2023 où étaient présents Mme Guihal, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Ancel, conseiller rapporteur, M. Hascher, conseiller et Mme Vignes, greffier de chambre,


la première chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Nancy, 6 janvier 2022), Mme [N] a interjeté appel de la décision d'une directrice de greffe d'un tribunal judiciaire déclarant exécutoire en France un jugement belge du 6 février 2015.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

2. Mme [N] fait grief à l'arrêt de rejeter l'exception d'incompétence territoriale qu'elle avait soulevée et de confirmer la décision par laquelle le 9 décembre 2020 la directrice du greffe du tribunal judiciaire de Briey a déclaré exécutoire en France le jugement rendu le 6 février 2015 par le tribunal judiciaire de paix d'Arlon-Messancy, alors :

« 1°/ que les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée ; que la compétence territoriale de l'autorité compétente pour connaître de la requête est déterminée par le domicile de la partie contre laquelle l'exécution est demandée, ou par le lieu de l'exécution ; qu'en l'espèce, Mme [N] soutenait qu'elle avait modifié son domicile en août 2020, quittant son domicile de [Localité 3] pour s'installer à [Localité 4], en sorte qu'à la date de la requête de Mme [Y], le 8 septembre 2020, l'autorité compétente pour en connaître n'était pas le tribunal judiciaire de Briey mais le tribunal judiciaire de Thionville ; que pour l'établir, elle se prévalait notamment de deux procès-verbaux de recherches infructueuses dont il ressort qu'à la date du 18 février 2021, le nom de Mme [N] ne figurait ni sur la sonnette, ni sur la boîte aux lettres de son ancienne adresse de [Localité 3] ; que pour dire toutefois que le changement de domicile de Mme [N] au mois d'août 2020 ne serait pas établi, la cour d'appel s'est fondée sur la circonstance que, le 28 décembre 2020, l'administration fiscale lui avait adressé un courrier à son adresse de [Localité 3] et que la Caisse d'Epargne lui avait également adressé le relevé de son compte bancaire à son adresse de [Localité 3] au mois de janvier 2021 ; qu'en statuant ainsi, quand ces circonstances étaient parfaitement indifférentes, le fait qu'une banque ou l'administration fiscale n'aient pas encore tenu compte du changement de domicile de Mme [N] n'excluant aucunement l'existence de celui-ci, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 38 et 39 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;

2°/ que les décisions rendues dans un État membre et qui y sont exécutoires sont mises à exécution dans un autre État membre après y avoir été déclarées exécutoires sur requête de toute partie intéressée ; que la compétence territoriale de l'autorité compétente pour connaître de la requête est déterminée par le domicile de la partie contre laquelle l'exécution est demandée, ou par le lieu de l'exécution ; qu'en l'espèce, Mme [N] soutenait qu'elle avait modifié son domicile en août 2020 quittant son domicile de [Localité 3] pour s'installer à [Localité 4] en sorte qu'à la date de la requête de Mme [Y], le 8 septembre 2020, l'autorité compétente pour en connaître n'était pas le tribunal judiciaire de Briey mais le tribunal judiciaire de Thionville ; qu'elle soulignait que si elle avait indiqué son adresse de [Localité 3] dans sa déclaration d'appel du 10 mai 2021, ainsi que dans l'acte de signification de cette déclaration d'appel, il ne s'agissait que d'une simple erreur matérielle, liée au fait que la décision attaquée mentionnait ladite adresse ; qu'elle faisait valoir que cette erreur matérielle avait été rectifiée et que la nouvelle adresse de [Localité 4] figurait dans ses conclusions ; que pour dire toutefois que le changement de domicile de Mme [N] au mois d'août 2020 ne serait pas établi, la cour d'appel s'est fondée sur l'adresse mentionnée dans la déclaration d'appel et dans l'acte de signification de la déclaration d'appel ; qu'en statuant ainsi, sans rechercher, comme elle était invitée à le faire, si la mention de l'adresse de [Localité 3] ne procédait pas d'une simple erreur matérielle ensuite rectifiée, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 38 et 39 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 ;

3°/ que pour établir que Mme [N] avait modifié son domicile au mois d'août 2020 pour le fixer à [Localité 4], l'exposante versait aux débats de nombreuses pièces, notamment l'échéancier EDF pour son domicile de [Localité 4] fixé le 14 août 2020 (pièce n° 9), le contrat de bail qu'elle avait conclu pour son domicile de [Localité 4] le 1er août 2020 (pièce n° 12), ainsi que son attestation de domiciliation à [Localité 4] à compter du 1er août 2020, visée par la mairie de ladite commune (pièce n° 13) ; qu'en retenant que le changement de domicile de l'exposante à [Localité 4], au mois d'août 2020, ne serait pas établi, sans examiner, serait-ce sommairement, ces pièces, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

3. Ayant relevé que Mme [N] ne contestait pas avoir établi son domicile à [Localité 3] lorsqu'elle s'est installée en France, que les documents administratifs, bancaires et judiciaires produits par Mme [Y], tous établis postérieurement au 8 septembre 2020, démontraient que Mme [N] n'avait pas à cette date changé de domicile, et enfin considéré que le fait que cette dernière ait pu, tout en conservant son domicile longovicien, louer un appartement à [Localité 4] était sans conséquence, celle-ci n'ayant pas produit de document, tel qu'un état des lieux de sortie ou une facture de déménagement, venant prouver qu'elle avait quitté son logement de [Localité 3] avant le 8 septembre 2020, la cour d'appel, qui a souverainement apprécié la valeur et la portée des éléments de preuve soumis, a pu estimer qu'elle n'avait pas quitté son domicile longovicien à la date de la requête et rejeter l'exception d'incompétence territoriale soulevée.

4. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

5. Mme [N] fait grief à l'arrêt de confirmer la décision par laquelle le 9 décembre 2020 la directrice du greffe du tribunal judiciaire de Briey a déclaré exécutoire en France le jugement rendu le 6 février 2015 par le tribunal judiciaire de paix d'Arlon-Messancy, alors :

« 1°/ que l'exposante, dans ses conclusions d'appel, soutenait expressément que Mme [Y], en omettant d'élire domicile lors du dépôt de la requête et lors de la signification de la décision du 9 décembre 2020 lui avait causé un grief ; qu'elle faisait ainsi expressément valoir qu' « en l'espèce, ce grief est clairement démontré puisque l'absence d'élection de domicile en France aurait dû empêcher le tribunal judiciaire de Briey, qui plus est territorialement incompétent, de rendre la décision querellée. D'autant plus que cette irrégularité n'a pas été régularisée par la suite par l'huissier de justice ayant signifié la décision. Si les règles procédurales avaient été respectées, Mme [N] n'aurait pas eu à intenter le présent recours ni même à régler des frais relatifs à sa défense afin de contester une décision de reconnaissance parfaitement illégale. Ainsi, il n'est pas sérieux de soutenir que Mme [N] ne démontre aucun grief » (conclusions, p. 19, quatre premiers alinéas) ; qu'en retenant pourtant que « Mme [O] [N] n'explique pas le grief que lui aurait causé cette omission » (arrêt, p. 4, dernier alinéa), la cour d'appel a dénaturé les conclusions de celle-ci, en violation de l'interdiction faite au juge de dénaturer les éléments de la cause ;

2°/ que et en tout état de cause le requérant qui sollicite en France la reconnaissance d'une décision étrangère doit faire élection de domicile dans le ressort de la juridiction saisie ; que l'exigence d'élection de domicile est destinée à faciliter l'exercice du recours par la partie contre laquelle l'exécution est requise en lui permettant d'échapper aux frais de signification à l'étranger d'une déclaration d'appel contre la décision de reconnaissance ; que l'omission d'élire domicile dans le ressort de la juridiction saisie est donc de nature à causer un grief tenant au coût du recours formé contre une personne domiciliée à l'étranger, quand bien même le recours aurait été effectivement et régulièrement formé ; qu'en considérant qu' « il est d'ailleurs démontré que cette omission ne lui a causé aucun grief puisqu'elle a pu interjeter appel, dans les délais et les formes requis, de la décision d'exequatur du tribunal judiciaire de Briey » (arrêt, p. 5, alinéa 1er), sans rechercher, comme elle était invitée à le faire (conclusions, p. 19), si le grief de Mme [N] ne tenait pas au coût du recours qu'elle a dû supporter, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 40 du Règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000, ensemble l'article 114 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

6. Il résulte de l'article 40, § 2 du règlement (CE) n° 44/2001 du Conseil du 22 décembre 2000 concernant la compétence judiciaire, la reconnaissance et l'exécution des décisions en matière civile et commerciale que si le requérant doit faire élection de domicile dans le ressort de la juridiction saisie, le manquement à cette formalité, dont la sanction relève de la loi de l'Etat requis, ne saurait ni remettre en cause la validité du jugement accordant l'exequatur, ni permettre qu'il soit porté atteinte aux droits de la partie contre laquelle l'exécution est poursuivie.

7. Ayant retenu que Mme [N] avait pu interjeter appel, dans les délais et les formes requis, de la déclaration reconnaissant le caractère exécutoire du jugement belge, la cour d'appel, sans encourir le grief de dénaturation des écritures, a pu en déduire que l'absence d'élection de domicile de Mme [Y] ne lui avait causé aucun grief, lequel ne pouvait résulter du seul coût engendré par le recours qu'elle avait décidé et pu engager, et a ainsi légalement justifié sa décision.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne Mme [N] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par Mme [N] et la condamne à payer à Mme [Y] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille vingt-trois.

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