17 mai 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-16.167

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:C200486

Titres et sommaires

SAISIE IMMOBILIERE - Adjudication - Ordonnance d'exécution forcée - Contestation - Caractère proportionnée de la voie d'exécution - Atteinte à la vie privée - Office du juge

Le débiteur saisi disposant d'un recours juridictionnel lui permettant de contester l'ordonnance d'exécution forcée rendue sur la requête du créancier poursuivant, c'est sans méconnaître l'articles 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article premier du premier Protocole additionnel, qu'une cour d'appel statue, aux termes d'une procédure contradictoire conforme aux exigences du procès équitable, sans avoir à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée par le débiteur, lequel n'alléguait pas du caractère disproportionné de la mesure diligentée à son encontre tant au regard de son droit au respect de la vie privée que de son droit à la protection de la propriété

CONVENTION DE SAUVEGARDE DES DROITS DE L'HOMME ET DES LIBERTES FONDAMENTALES - Article 8 - Droit au respect de la vie privée et du domicile - Saisie immobilière - Adjudication forcée - Office du juge

Texte de la décision

CIV. 2


LM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 17 mai 2023




Rejet


Mme MARTINEL, conseiller doyen
faisant fonction de président



Arrêt n° 486 F-B

Pourvoi n° H 21-16.167








R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 17 MAI 2023


1°/ M. [G] [C], domicilié [Adresse 2],

2°/ Mme [F] [E], divorcée [C], domiciliée [Adresse 3],

ont formé le pourvoi n° H 21-16.167 contre l'arrêt rendu le 18 février 2021 par la cour d'appel de Colmar (chambre 12), dans le litige les opposant à la société Crédit foncier de France, société anonyme, dont le siège est [Adresse 1], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, un moyen unique de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Cardini, conseiller référendaire, les observations de la SCP Zribi et Texier, avocat de M. [C] et Mme [E], divorcée [C], de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Crédit foncier de France, et l'avis de Mme Trassoudaine-Verger, avocat général, après débats en l'audience publique du 28 mars 2023 où étaient présents Mme Martinel, conseiller doyen faisant fonction de président, M. Cardini, conseiller référendaire rapporteur, Mme Durin-Karsenty, conseiller, et Mme Thomas, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Colmar, 18 février 2021) et les productions, par ordonnance du 3 juin 2019, un tribunal d'instance, statuant comme tribunal de l'exécution, a ordonné, à la requête de la société Crédit foncier de France (la banque), l'exécution forcée de biens immobiliers appartenant à M. [C] et Mme [E].

2. M. [C] a formé deux pourvois immédiats, le premier afin de solliciter des délais pour vendre amiablement l'immeuble saisi, le second contre l'ordonnance du 30 janvier 2020 ayant rejeté sa demande.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

3. M. [C] et Mme [E] font grief à l'arrêt de confirmer l'ordonnance du 30 janvier 2020 ayant rejeté la demande de délais de grâce formulée par M. [C], alors :

« 1°/ que la vente par adjudication de la maison d'habitation d'un débiteur constitue une ingérence dans l'exercice de son droit au respect de son domicile ; qu'il ne peut y avoir d'ingérence dans l'exercice de ce droit que pour autant qu'elle est prévue par la loi, qu'elle poursuit un but légitime et qu'elle est proportionnée avec l'objectif recherché ; qu'en ordonnant la vente forcée de l'immeuble appartenant à Mme [E] et M. [C] et constituant le domicile de ce dernier, sans procéder, au besoin d'office, à un examen de la proportionnalité de cette mesure, la cour d'appel a méconnu l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

2°/ qu'en ce qu'elle ne permet plus au débiteur de disposer de sa maison, la vente forcée par adjudication porte atteinte à son droit au respect de ses biens ; qu'en ce qu'elle est prononcée, au terme d'une procédure n'offrant pas au débiteur des garanties procédurales suffisantes, la vente forcée des immeubles situés dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle porte une atteinte disproportionnée au droit du débiteur au respect de ses biens ; qu'en rejetant la demande de délais de grâce formulée par M. [C] sans qu'ait pu être préalablement examinée la proportionnalité de la mesure de vente forcée de sa maison prononcée à son encontre, la cour d'appel a méconnu l'article 1er du premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. »

Réponse de la Cour

4. Aux termes de l'article 8, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance.

5. Aux termes de l'article 8, § 2, il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui.

6. Selon l'article 1er du premier Protocole additionnel à la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens. Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.

7. Si la vente aux enchères de la propriété d'un débiteur, qui constitue une ingérence dans le droit au respect des biens de celui-ci, poursuit un but légitime d'utilité publique, à savoir la satisfaction des créances pécuniaires de son créancier, cette ingérence doit ménager un juste équilibre entre les exigences de l'intérêt général de la communauté et les impératifs de la sauvegarde des droits fondamentaux de l'individu. En particulier, il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé par toute mesure privant une personne de sa propriété (CEDH, 5 novembre 2009, [P] [K] Axte c. Grèce, n° 44769/07, § 34 et 35). En outre, les procédures applicables doivent aussi offrir à la personne concernée une occasion adéquate d'exposer sa cause aux autorités compétentes afin de contester effectivement les mesures portant atteinte aux droits garantis par cette disposition (CEDH, 5 novembre 2009, [P] [K] Axte c. Grèce, n° 44769/07, § 36).

8. Aux termes de l'article 145, alinéa 1er, de la loi du 1er juin 1924 mettant en vigueur la législation civile française dans les départements du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de la Moselle, l'ordonnance d'exécution est signifiée d'office au débiteur et au tiers acquéreur et inscrite d'office au livre foncier. Selon l'article 167 de la même loi, les décisions du tribunal de l'exécution sont susceptible d'un pourvoi immédiat.

9. Il résulte en outre des articles 141 et 143 de cette même loi que le tribunal de l'exécution doit rechercher si les demandes sont fondées.

10. Le débiteur saisi disposant ainsi d'un recours juridictionnel lui permettant de contester l'ordonnance d'exécution forcée rendue sur la requête du créancier poursuivant, c'est sans méconnaître l'article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales et l'article premier du premier Protocole additionnel, que la cour d'appel qui, statuant aux termes d'une procédure contradictoire conforme aux exigences du procès équitable, n'avait pas à effectuer une recherche qui ne lui était pas demandée par le débiteur, lequel n'alléguait pas du caractère disproportionné de la mesure diligentée à son encontre tant au regard de son droit au respect de la vie privée que de son droit à la protection de la propriété, a statué comme elle l'a fait.

11. Le moyen n'est, dès lors, pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [C] et Mme [E] aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par M. [C] et Mme [E] et les condamne à payer à la société Crédit foncier de France la somme globale de 1 500 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du dix-sept mai deux mille vingt-trois.

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