28 février 2023
Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion
RG n° 22/00619

Chambre civile TGI

Texte de la décision

Arrêt N°

FA



R.G : N° RG 22/00619 - N° Portalis DBWB-V-B7G-FV4N















[R]





C/



[N]































COUR D'APPEL DE SAINT-DENIS





ARRÊT DU 28 FEVRIER 2023



Chambre civile TGI





Appel d'une ordonnance rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE SAINT-DENIS REUNION en date du 07 AVRIL 2022 suivant déclaration d'appel en date du 12 MAI 2022 rg n°: 22/00082







APPELANTE :



Madame [D] [S] [R]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentant : Me Fabian GORCE, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/002263 du 25/05/2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de Saint-Denis)





INTIME :



Monsieur [B] [N]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représentant : Me Alexandra MARTINEZ, avocat au barreau de SAINT-DENIS-DE-LA-REUNION



Clôture: 20 septembre 2022



DÉBATS : en application des dispositions des articles 778, 779 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue à l'audience publique du 15 Novembre 2022 devant la cour composée de :

Président : Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre

Conseiller : Madame Pauline FLAUSS, Conseiller

Conseiller : Monsieur Franck ALZINGRE, Conseiller



Qui en ont délibéré après avoir entendu les avocats en leurs plaidoiries.





A l'issue des débats, le président a indiqué que l'arrêt sera prononcé, par sa mise à disposition le 28 Février 2023.



Arrêt : prononcé publiquement par sa mise à disposition des parties le  28 Février 2023.



Greffier : Mme Véronique FONTAINE














FAITS ET PROCÉDURE



Mme [D] [R] a accouché d'un garçon le 16 aout 2016, [G] [R].



Selon acte en date du 2 et 4 janvier 2022, Mme [D] [R] a assigné en référé le docteur [N], médecin ayant suivi sa grossesse, devant le président du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion aux fins d'expertise, outre le règlement d'une provision de 5 000 euros à valoir sur l'indemnisation de ses préjudices et de la somme de 2 000 euros au titre des frais irrépétibles.



Par ordonnance du 7 avril 2022, le juge des référés a rejeté les demandes de Mme [D] [R], relevant que la réalité des pathologies présentées par son enfant n'était pas démontrée.



Par acte du 12 mai 2022, Mme [R] interjetait appel de l'ordonnance rendue.



Une ordonnance fixant l'audience à bref délai a été rendue le 31 mai 2022. L'avis de fixation de l'affaire à bref délai a été adressée le même jour.



La déclaration d'appel a été signifiée le 2 juin 2022 et, les premières conclusions de l'appelante ont été notifiées par RPVA le 18 juin 2022.



Le 7 juillet 2022, l'intimé a notifié par RPVA ses conclusions.



L'ordonnance de clôture est datée du 20 septembre 2022.



PRÉTENTIONS ET MOYENS



Par ses seules conclusions précitées, l'appelante sollicite de voir la cour :

Vu les articles 145,

Vu du 23 juin 2009 fixant les règles de bonnes pratiques en matière de dépistage et de diagnostic prénatals avec utilisation des marqueurs sériques maternels de la trisomie 21,

Vu les pièces versées au dossier,

Vu l'ordonnance de référé du 07 avril 2022

JUGER recevable et bien fondée Mme [D] [R] en son appel ;

INFIRMER l'ordonnance de référé du 07 avril 2022 en ce qu'elle a rejeté les demandes de Mme [D] [R] ;

Statuant à nouveau,

DÉSIGNER tel expert qu'il plaira au tribunal avec la mission ci-dessus détaillée ;

JUGER que les conclusions du rapport d'expertise devront comporter un récapitulatif des différents postes de préjudices conformément à la nomenclature proposée ;

DIRE que l'expert déposera un pré-rapport aux parties, qui, dans les 4 semaines de sa réception, lui feront connaître leurs observations auxquelles il répondra dans son rapport définitif ;

DIRE que l'expert établira un rapport qu'il devra déposer au greffe de la Juridiction dans un délai qu'il conviendra de fixer et qu'en cas d'empêchement il sera remplacé par ordonnance rendue sur simple requête ou d'office ;

DIRE qu'en cas de difficulté, l'expert saisira le président qui aura ordonné l'expertise ou le juge désigné par lui ;



FIXER la provision à consigner au Greffe, à titre d'avance sur les honoraires de l'expert, dans le délai qui sera imparti par l'ordonnance à intervenir ;

CONDAMNER Monsieur [B] [N] à verser à Madame [R] la somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.



***



En réplique, l'intimé souhaite voir selon premières et dernières conclusions précitées :

RECEVOIR le Docteur [B] [N], en ses écritures, les disant bien fondées ;

DONNER ACTE au Docteur [B] [N] de ses protestations et réserves tant sur le principe de sa responsabilité que sur la mesure d'expertise sollicitée ;

DÉSIGNER tel expert compétent en gynécologie obstétrique qu'il plaira ;

DIRE que l'expert devra convoquer les parties et leurs conseils par courrier recommandé avec accusé de réception dans un délai minimal de 4 semaines avant l'accédit ;

ENJOINDRE à chaque partie de communiquer contradictoirement l'intégralité des pièces dont il adresse copie à l'expert, selon bordereau, sans que les parties ne puissent se retrancher derrière le secret médical ;

COMPLÉTER la mission de l'Expert de la manière suivante :

Dire que l'Expert désigné pourra, en cas de besoin, s'adjoindre le concours de tout spécialiste de leur choix, dans un domaine distinct du sien, après en avoir avisé les conseils des parties ;

Dire que l'Expert adressera un pré-rapport aux conseils qui, dans les 4 semaines de la réception, lui feront connaître leurs observations auxquelles ils devront répondre dans son rapport définitif ;

Se faire communiquer l'intégralité des dossiers d'hospitalisation ;

Interroger les demandeurs et recueillir les observations des défendeurs ;

Reconstituer l'ensemble des faits ayant conduit à la présente procédure, faire une chronologie précise des différentes interventions ;

Consigner les doléances des demandeurs,

Procéder à l'examen et à la description de manière contradictoire des clichés anténataux;

Dire si les actes et soins ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science ;

Déterminer quelle est la pathologie dont l'enfant est atteint et dire si elle était curable in utero, et/ou après la naissance, et par quels moyens ;

Dire si cette pathologie pouvait être dépistée et diagnostiquée durant la surveillance de la grossesse, par qui, par quels moyens et à quel moment, ou si ce type de pathologie fait partie de celles qui peuvent encore échapper au dépistage malgré un suivi et des examens échographiques consciencieux et conformes à la bonne pratique ;

Dire, dans l'hypothèse où le dépistage aurait pu être fait à un moment en prénatal, si la parturiente réunissait à ce moment les conditions pour bénéficier d'une interruption médicale de grossesse, au regard des dispositions de l'article L. 2213.1 du Code de la Santé Publique ;

Dire, dans l'hypothèse où le handicap de l'enfant n'aurait été directement provoqué par aucune faute imputable au praticien, qu'il n'y a pas lieu d'évaluer son préjudice ;

Dire, dans l'hypothèse où le dépistage aurait pu être fait à un moment en prénatal, si l'absence de diagnostic est la conséquence directe et certaine d'une faute caractérisée ;

Déterminer, dans la seule hypothèse où une faute serait retenue et démontrée scientifiquement à l'égard d'une ou de plusieurs parties, si cette faute serait à l'origine d'une perte de chance pour la parturiente, et distinguer les préjudices imputables à la malformation génétique et/ou congénitale et ceux imputables à la ou les faute(s) retenue(s) ;



DIRE que les frais d'expertise seront à la charge des demandeurs ;

RÉSERVER les dépens.



***



Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, et en application de l'article 455 du code de procédure civile, il convient de se reporter à leurs écritures ci-dessus visées figurant au dossier de la procédure.





L'affaire a été mise en délibéré au 28 février 2023.




MOTIFS



A titre liminaire



En application des dispositions de l'article 954 du code de procédure civile « la cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif », et que les demandes de « constater », « donner acte » ou « dire et juger » ne sont pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions au sens des articles 4, 5, 31 et 954 du code de procédure civile, mais des moyens ou arguments au soutien des prétentions.



Sur la demande d'expertise



A l'appui de ses prétentions, l'appelante produit plusieurs pièces médicales destinées selon elle à justifier l'état de santé de l'enfant après sa naissance. Elle indique par ailleurs que, durant sa grossesse, le poids inquiétant de l'enfant ainsi que les résultats de plusieurs tests médicaux auraient dû conduire le médecin à prendre des précautions supplémentaires.



En réponse, l'intimé soulève l'irrecevabilité de la demande d'expertise formulée aux fins d'évaluation des préjudices de l'enfant [G] [R] en ce que, par application de l'article L 114-5 du code de l'action sociale et des familles, les parents ne peuvent demander une indemnité qu'au titre de leur seul préjudice lorsque la responsabilité d'un professionnel est engagée au titre d'une faute caractérisée pendant la grossesse. Il ajoute contester sa responsabilité et forme toutes protestations et réserves d'usage.



Sur ce, comme il a été rappelé précédemment, la cour ne doit statuer que sur les prétentions reprises dans le dispositif des conclusions. Celles de l'intimé ne font qu'émettre des protestations et réserves d'usage et solliciter des chefs de mission supplémentaires pour l'expertise. La question de l'irrecevabilité soulevée dans le corps des conclusions n'a donc pas à être tranchée.



S'agissant de l'expertise à proprement parler, l'article 145 du code de procédure civile prescrit que s'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé en référé. Le motif légitime ainsi visé suppose qu'il existe un litige potentiel à objet et fondement suffisamment caractérisés, que la prétention du demandeur à la mesure d'instruction ne soit pas manifestement vouée à l'échec, que les faits invoqués par lui soient pertinents et que la preuve de ceux-ci soit utile.



Au cas particulier, il ressort de pièces médicales versées aux débats que suite à la naissance de l'enfant, ce dernier a dû être pris en charge médicalement pour des problèmes respiratoires.

À dix-sept jours, il a été transféré en soins intensifs de néonatologie à Sainte-Clotilde pour détresse respiratoire, et ce jusqu'au 18 octobre 2016.

A compter de cette date, il a été transféré au centre hospitalier de [Localité 5] pour le traitement d'une cardiopathie, pour y subir une intervention chirurgicale.



Les analyses médicales auxquelles il a été procédé pendant la grossesse, révèlent des taux non conformes aux valeurs de référence.



L'expertise in futurum peut se justifier puisqu'elle pourrait mettre en lumière un retard de diagnostic et de traitement.



En conséquence, il y a lieu de considérer que les demandeurs apportent la preuve d'un motif légitime tel qu'exigé par l'article 145 du Code de procédure civile et il sera fait droit à la demande d'expertise, d'autant plus que l'intimé ne s'y oppose pas.



La mission sera fixée au dispositif, considération faite des diverses demandes des parties.



Enfin, en application de l'article 964-2 du code de procédure civile, il est opportun de confier le suivi de la mesure au juge chargé du contrôle des expertises du tribunal judiciaire afin de privilégier le principe du double degré de juridiction en cas de difficultés.



Sur les dépens et les frais irrépétibles



Les parties supporteront provisoirement leurs propres dépens.



Mme [R] devra consigner la provision à valoir sur les frais d'expertise.



Il est équitable de ne pas faire application de l'article 700 du code de procédure civile, s'agissant d'une mesure probatoire.



'

PAR CES MOTIFS



La cour, statuant publiquement, en matière civile et en dernier ressort, par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe conformément à l'article 451 alinéa 2 du code de procédure civile,





INFIRME l'ordonnance de référé rendue le 7 avril 2022 par le président du Tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion,



Statuant à nouveau et y ajoutant,



ORDONNE une mesure d'expertise médicale,

'

DESIGNE en qualité d'expert :



Le Docteur [U] [H]

Expert inscrit sur la liste de la cour d'appel

[6] [Adresse 4]



En cas d'indisponibilité :

Docteur [Z] [T]

Expert inscrit sur la liste de la cour d'appel

Centre Hospitalier Universitaire [6] / [Adresse 4]



Avec pour mission de':

1°) Convoquer toutes les parties par lettre recommandée avec accusé réception et leurs conseils par lettre simple ;

. Se faire communiquer par les parties les pièces échangées et tout élément utile à l'appréhension du litige ;

. Reconstituer l'ensemble des faits ayant conduit à la présente procédure, faire une chronologie précise des différentes interventions ;

. Consigner les doléances de l'appelante et, au besoin, de ses proches;

. Se faire communiquer par Mme [R] tous les éléments médicaux relatifs à la situation critiquée et se faire communiquer par tous tiers détenteurs l'ensemble documents médicaux nécessaires ainsi que ceux détenus par tous médecins et établissements de soins concernant la prise en charge de Mme [R] et de l'enfant [G] ;

. Prendre connaissance de l'identité de la situation personnelle et professionnelle de Mme [R], fournir le maximum de renseignement sur son mode de vie, ses conditions d'activités professionnelles;

. Retracer son état médical, évoquer le cas échéant la problématique d'antécédents médicaux ;

. Décrire tous les soins médicaux et paramédicaux qui ont été prodigués à Mme [R] et à son enfant depuis la naissance, en précisant leur imputabilité, leur nature, leur durée ;

2°) Procéder à l'examen et à la description de manière contradictoire des clichés anténataux ;

. Dire si les actes et soins ont été attentifs, diligents et conformes aux données acquises de la science';

. Déterminer quelle est la pathologie dont l'enfant est atteint et dire si elle était curable in utero, et/ou après la naissance, et par quels moyens ;

. Dire si cette pathologie pouvait être dépistée et diagnostiquée durant la surveillance de la grossesse, par qui, par quels moyens et à quel moment, ou si ce type de pathologie fait partie de celles qui peuvent encore échapper au dépistage malgré un suivi et des examens échographiques consciencieux et conformes à la bonne pratique ;

. Dire, dans l'hypothèse où le dépistage aurait pu être fait à un moment en prénatal, si la patiente réunissait à ce moment les conditions pour bénéficier d'une interruption médicale de grossesse, au regard des dispositions de l'article L. 2213.1 du Code de la Santé Publique ;

. Dire, dans l'hypothèse où le dépistage aurait pu être fait à un moment en prénatal, si l'absence de diagnostic est la conséquence directe et certaine d'une faute caractérisée ;

. Déterminer, dans la seule hypothèse où une faute serait retenue et démontrée scientifiquement à l'égard d'une ou de plusieurs parties, si cette faute serait à l'origine d'une perte de chance pour la patiente, et distinguer les préjudices imputables à la malformation génétique et/ou congénitale et ceux imputables à la ou les faute(s) retenue(s) ;

3°) Déterminer l'ampleur du préjudice de la victime imputable aux éventuels manquements, notamment au titre d'une perte de chance en distinguant :

* Souffrances endurées (SE) :

Décrire les souffrances physiques, psychiques ou morales endurées par Mme [R] depuis la naissance de son enfant. L'évaluer sur une échelle de 1 à 7 degrés.

* Dépenses de santé futures :

Décrire les soins futurs et les aides techniques compensatoires au handicap de l'enfant (prothèses, appareillage spécifique, véhicule), en précisant la fréquence de leur renouvellement ; indiquer leur caractère occasionnel ou viager, la nature, la quantité, ainsi que la durée prévisible ;

4°) Donner toutes autres précisions utiles sur les suites dommageables ;



DIT qu'en cas de besoin, l'expert pourra s'adjoindre le concours de tout spécialiste de leur choix, dans un domaine distinct du sien, après en avoir avisé les conseils des parties ;



DIT que l'expert devra adresser un pré-rapport aux conseils qui, dans les 4 semaines de la réception, lui feront connaître leurs observations auxquelles ils devront répondre dans son rapport définitif ;



FIXE à la somme de 2.000 (DEUX MILLE) euros la provision à valoir sur la rémunération de l'expert, somme qui devra être consignée par Mme [R] à la Régie du tribunal judiciaire de Saint-Denis de la Réunion, dans le délai de SIX semaines suivant le prononcé de la présente décision';



DIT que, faute de consignation de la provision dans ce délai, la désignation de l'expert sera caduque et privée de tout effet ;



DIT que l'expert commencera sa mission dès qu'il aura confirmé l'acceptation de sa mission après avoir été avisé par le greffe du dépôt de la consignation':



DIT qu'il devra déposer son rapport dans un délai de QUATRE MOIS à compter de la date d'acceptation de sa mission,'auprès du service chargé du contrôle des expertises du tribunal judiciaire ;





DIT que l'expert devra soumettre un pré-rapport aux conseils des parties en leur précisant un délai d'au moins quinze jours pour présenter leurs observations';



DIT que le juge chargé du contrôle des expertises au tribunal judiciaire sera chargé du suivi des opérations';



DIT n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;



DIT que les parties supporteront provisoirement leurs propres dépens.



Le présent arrêt a été signé par Monsieur Patrick CHEVRIER, Président de chambre, et par Mme Véronique FONTAINE greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



LA GREFFIÈRE LE PRÉSIDENT

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