13 avril 2023
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-13.757

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2023:SO00348

Titres et sommaires

STATUTS PROFESSIONNELS PARTICULIERS - Gérant - Gérant non salarié - Succursale de maison d'alimentation de détail - Rupture du contrat de gérance pour faute dans la gestion du fonds de commerce - Preuve - Portée

Lorsqu'il résulte des termes de la lettre de licenciement que l'employeur a reproché des fautes au salarié, le licenciement prononcé a un caractère disciplinaire, et les juges du fond doivent se prononcer sur le caractère fautif ou non du comportement du salarié. Doit en conséquence être approuvé l'arrêt qui, pour dire sans cause réelle et sérieuse la rupture d'un contrat de gérance de succursale de commerce de détail alimentaire requalifié en contrat de travail, après avoir constaté que la société propriétaire de la succursale invoquait une faute du gérant démis de ses fonctions dès la notification du déficit d'inventaire, retient qu'il appartient à cette société de démontrer la faute grave commise par le gérant de nature à justifier la rupture des relations commerciales, et relève que la société ne rapporte pas la preuve d'une faute commise par le gérant dans la gestion du fonds de commerce

STATUTS PROFESSIONNELS PARTICULIERS - Gérant - Gérant non salarié - Succursale de maison d'alimentation de détail - Contrat - Rupture - Preuve - Déficit d'inventaire - Conditions - Détermination - Portée

CONTRAT DE TRAVAIL, RUPTURE - Imputabilité - Règles relatives à la rupture du contrat à durée indéterminée - Domaine d'application - Gérant non salarié - Succursale de maison d'alimentation de détail - Détermination - Portée

Texte de la décision

SOC.

BD4



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 avril 2023




Rejet


M. SOMMER, président



Arrêt n° 348 FS-B


Pourvois n°
N 21-13.757
P 21-13.758 JONCTION






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 13 AVRIL 2023

La société Distribution Casino France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé les pourvois n° N 21-13.757 et P 21-13.758 contre deux arrêts rendus le 22 janvier 2021 par la cour d'appel de Toulouse (4e chambre, section 1), dans les litiges l'opposant respectivement :

1°/ à Mme [F] [W] [X],
2°/ à M. [P] [R] [X],

tous deux domiciliés [Adresse 2],

défendeurs à la cassation.

M. [X] a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

La demanderesse au pourvoi n° N 21-13.757 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

La demanderesse au pourvoi principal n° P 21-13.758 invoque, à l'appui de son recours, deux moyens de cassation.

Le demandeur au pourvoi n° P 21-13.758 invoque, à l'appui de son recours, un moyen de cassation.

Les dossiers ont été communiqués au procureur général.

Sur le rapport de Mme Valéry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Distribution Casino France, de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. et Mme [X] , les plaidoiries de Me [S] pour la société Distribution Casino France et celles de Me Grévy pour M. et Mme [X], l'avis écrit de Mme Wurtz, avocat général et l'avis oral de Mme Berriat, premier avocat général, après débats en l'audience publique du 28 février 2023 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Valéry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Capitaine, conseiller doyen, Mmes Van Ruymbeke, Lacquemant, Nirdé-Dorail, Salomon, conseillers, Mmes Pecqueur, Laplume, MM. Chiron, Leperchey, conseillers référendaires, Mme Berriat, premier avocat général, et Mme Jouanneau, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Jonction

1. En raison de leur connexité, les pourvois n° N 21-13.757 et P 21-13.758 sont joints.

Faits et procédure

2. Selon les arrêts attaqués (Toulouse, 22 janvier 2021), M. et Mme [X] ont signé avec la société Distribution Casino France (la société) le 4 février 2012 un contrat de cogérance d'une succursale de commerce de détail alimentaire.

3. La société a mis fin au contrat de cogérance le 19 mai 2016.

Examen des moyens

Sur le premier moyen du pourvoi n° N 21-13.757, pris en ses première et troisième branches, et sur le premier moyen du pourvoi principal n° P 21-13.758, pris en ses première, troisième et cinquième branches


4. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ces griefs qui ne sont manifestement pas de nature à entraîner la cassation.


Sur le premier moyen du pourvoi n° N 21-13.757 et sur le premier moyen du pourvoi principal n° P 21-13.758, pris tous deux en leurs deuxième et quatrième branches

Enoncé du moyen

5. La société fait grief à l'arrêt de requalifier le contrat de cogérance non salarié de M. et Mme [X] en contrats de travail à durée indéterminée, de la condamner à verser aux intéressés diverses sommes à titre de rappel de salaires, de rappel d'heures supplémentaires, de rappel de salaire au titre de la mise à pied, d'indemnités de rupture et congés payés afférents, et de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, alors :

« 2°/ que l'obligation faite aux gérants mandataires de se conformer à la politique commerciale définie par l'entreprise propriétaire de la succursale qui est inhérente au contrat de gérance, ne caractérise pas l'existence d'un lien de subordination ; qu'en retenant que la société contrôlait régulièrement, par le biais des visites réalisées par les managers commerciaux, le respect par les mandataires gérants de leurs obligations afférentes à la prise de commandes, à la présentation des produits en rayon et à la tenue du magasin, qu'ils devaient suivre les directives du mandant en matière de publicité, qu'ils devaient rendre compte de leur gestion à date fixe et étaient susceptibles de faire l'objet d'observations, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants et privé sa décision de base légale au regard des articles L. 1221-1, L. 7322-1 et L. 7322-2 du code du travail ;

4°/ que l'article L. 7322-2 du code du travail, disposant que le gérant mandataire doit avoir toute latitude pour embaucher des salariés ou se faire remplacer à ses frais et sous son entière responsabilité, exige seulement qu'il ait la possibilité d'embaucher librement du personnel ou de se faire remplacer sans subir aucun contrôle de la société propriétaire de la succursale, et non qu'il ait la possibilité financière d'embaucher compte tenu de ses revenus ; qu'en l'espèce, le contrat de cogérance prévoyait que M. et Mme [X] avaient tout latitude pour embaucher des salariés ou se faire remplacer à leurs frais et sous leur propre responsabilité de sorte qu'il n'entravait pas leur liberté d'embauche ; qu'en retenant que cette possibilité n'était qu'apparente dans la mesure où leurs revenus, très nettement inférieurs au SMIC alors en vigueur, ne leur permettaient pas d'envisager une quelconque embauche, la cour d'appel a violé les articles L. 1221-1, L. 7322-1 et L. 7322-2 du code du travail. »

Réponse de la Cour

6. L'arrêt constate que l'activité de gérance de M. et Mme [X] s'est exercée sous le contrôle régulier de commerciaux qui devaient vérifier notamment la propreté des locaux, matériels et ustensiles, et la conformité de leur entretien avec la méthode recommandée par la société, que les intéressés ne pouvaient intervenir librement pour de simples travaux d'entretien ou pour le changement de matériels courants, que ceux-ci se voyaient imposer des périodes de congés, qu'ils n'avaient pas la possibilité de refuser les partenariats conclus entre la société et d'autres sociétés, que la société imposait d'assurer la réception et la livraison de produits Cdiscount, obligation non prévue au contrat et non rémunérée, qu'elle contrôlait la gestion du magasin, les commandes, les ventes, les encaissements réalisés par le biais des caisses enregistreuses du magasin qui étaient reliées informatiquement à la société, et que la possibilité offerte aux gérants non salariés d'embaucher des salariés ou de se faire remplacer à leurs frais et sous leur responsabilité n'était qu'apparente dans la mesure où leurs revenus, très nettement inférieurs au SMIC alors en vigueur, ne leur permettaient pas d'envisager une quelconque embauche.

7. La cour d'appel, qui en a déduit que les intéressés avaient été ainsi soumis à une autorité hiérarchique ayant le pouvoir de donner des directives, d'en contrôler l'exécution et d'en sanctionner les manquements, a exactement décidé que le contrat de cogérance non salariée devait être requalifié, à l'égard de chacun des époux, en contrat de travail.

Sur le second moyen du pourvoi n° N 21-13.757 et sur le second moyen du pourvoi principal n° P 21-13.758

Enoncé du moyen

8. La société fait grief à l'arrêt de juger sans cause réelle et sérieuse la rupture du contrat de travail de M. et Mme [X] et de la condamner en conséquence à leur verser diverses sommes à titre de rappel de salaire au titre de la mise à pied, d'indemnités de rupture et dommages-intérêts pour absence de cause réelle et sérieuse, alors :

« 1°/ que le déficit d'inventaire révélant un manquant de marchandises et d'espèces constitue un motif réel et sérieux de rupture du contrat à moins que le gérant mandataire ne rapporte la preuve qu'il est dû à une cause étrangère à sa gestion ; qu'il n'est pas nécessaire de caractériser une faute des gérants ; qu'en énonçant que le déficit d'inventaire ne saurait justifier la résiliation du contrat de travail qu'à la condition qu'un comportement fautif des gérants soit démontré, la cour d'appel a violé les articles les articles 1147 du code civil et L. 1235-1 du code du travail ;

2°/ que pour établir que le déficit d'inventaire était imputable à la gestion de M. et Mme [X], la société Distribution Casino France se prévalait du jugement du tribunal de commerce de Toulouse du 21 mai 2019 ayant condamné ces derniers à lui payer à la somme de 36 623,19 euros au titre du déficit du compte de dépôt après avoir constaté que les données d'inventaires fournies par elle étaient recevables ; qu'en se bornant à relever, pour dire que la rupture du contrat était dépourvue de cause réelle et sérieuse, que le déficit constaté à l'issue de l'inventaire effectué le 16 mars 2016 avait été rectifié à la baisse par la société Distribution Casino France suite aux contestations opposées par les gérants, que ces derniers contestaient avoir reçu une livraison le 25 février 2016 pour un montant de 2280,35 euros et que, démis de leurs fonctions le 25 mars 2016, ils avaient été privés de la possibilité de justifier des contestations qu'ils opposaient, sans rechercher comme elle y était invitée s'il ne résultait pas du jugement du tribunal de commerce de Toulouse ayant jugé que les données d'inventaires fournies par la société étaient parfaitement fiables, que le déficit d'inventaire rectifié était imputable à la gestion des gérants, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1147 du code civil et L. 1235-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

9. Il résulte de l'article L. 7322-1 du code du travail que les dispositions de ce code bénéficiant aux salariés s'appliquent en principe aux gérants non salariés de succursales de commerce de détail alimentaire et que par conséquent les articles L. 1231-1 et suivants du code du travail, relatifs à la rupture du contrat de travail à durée indéterminée, leur sont applicables.

10. Si le gérant non salarié d'une succursale peut être rendu contractuellement responsable de l'existence d'un déficit d'inventaire en fin de contrat et tenu d'en rembourser le montant, il ne peut être privé dès l'origine, par une clause du contrat, du bénéfice des règles protectrices relatives à la rupture des relations contractuelles.

11. Les motifs énoncés dans la lettre de licenciement fixent le cadre du débat. Lorsqu'il résulte des termes de cette lettre que l'employeur a reproché des fautes au salarié, le licenciement prononcé a un caractère disciplinaire, et les juges du fond doivent se prononcer sur le caractère fautif ou non du comportement du salarié.

12. La cour d'appel qui a, par motifs propres et adoptés, sans avoir à effectuer la recherche prétendument omise, constaté que la société invoquait une faute du gérant démis de ses fonctions dès la notification du déficit d'inventaire, retenu qu'il appartenait à la société de démontrer la faute grave commise par le gérant de nature à justifier la rupture des relations commerciales et relevé que la société ne rapportait pas la preuve d'une faute commise par le gérant dans la gestion du fonds de commerce, a légalement justifié sa décision.

Sur le moyen du pourvoi incident n° P 21-13.758

Enoncé du moyen

13. M. [X] fait grief à l'arrêt de le débouter de sa demande en paiement d'une somme au titre des retenues abusives sur ses commissions, alors « que le gérant d'une succursale doit bénéficier de tous les avantages accordés aux salariés par la législation sociale ; qu'il en résulte qu'il ne peut ni faire l'objet d'une retenue de commissions pour compenser des sommes qui seraient dues à l'entreprise propriétaire ni faire l'objet d'une sanction pécuniaire ; qu'en l'espèce, l'intéressé a formulé une demande de rappel de rémunération en raison de plusieurs retenues irrégulières effectuées par la société propriétaire sur ses commissions ; qu'en le déboutant de sa demande, aux motifs inopérants qu'elle a fait droit à sa demande de requalification de la relation de travail en contrat de travail salarié et que l'intéressé a perçu une rémunération au moins équivalente au SMIC, la cour d'appel a violé les articles L. 7322-1, L. 1331-2 et L. 3251-1 du code du travail. »

Réponse de la Cour

14. Le gérant d'une succursale de commerce de détail alimentaire qui a obtenu la requalification du contrat de gérance en contrat de travail ne peut obtenir, au cours d'une même année, le cumul des sommes qui lui étaient dues à titre de salaires et celles perçues à titre de bénéfice commercial.

15. La cour d'appel, qui a fait droit à la demande de requalification de la relation de travail entre M. [X] et la société en contrat de travail salarié, et qui a constaté que l'intéressé avait perçu à titre personnel une rémunération au moins équivalente au SMIC, a exactement retenu que l'intéressé ne pouvait prétendre à un rappel de commissions.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE les pourvois ;

Condamne la société Distribution Casino France aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, condamne la société Distribution Casino France à payer à M. et Mme [X] la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du treize avril deux mille vingt-trois.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.