28 février 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 22/12396

Pôle 1 - Chambre 5

Texte de la décision

Copies exécutoires République française

délivrées aux parties le : Au nom du peuple français





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 5





ORDONNANCE DU 28 FEVRIER 2023

(n° /2023)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12396 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGCQ2



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2022 TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS - RG n° 20/1622



Nature de la décision : Contradictoire



NOUS, Michèle CHOPIN, Conseillère, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Cécilie MARTEL, Greffière.




Vu l'assignation en référé délivrée à la requête de :





DEMANDEUR



Monsieur [P] [D]

[Adresse 4]

[Localité 3] - TURQUIE



Représenté par Me Nathalie HOLLIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0311





à





DÉFENDEUR



TASARRUF MEVDUATI SIGORTA FONU, établissement public de droit turc

Domicile élu chez Me Stéphanie DALET-VENOT

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Stéphanie DALET VENOT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0673





Et après avoir appelé les parties lors des débats de l'audience publique du 17 Janvier 2023 :



Par jugement du 6 juillet 2022, le tribunal judiciaire de Paris a :

- déclaré irrecevable M. [D] en son moyen fondé sur le défaut de caractère définitif du jugement,

- débouté M. [D] de ses demandes,

- déclaré exécutoire sur le territoire français le jugement rendu le 9 mai 2019 sous le numéro 2019/445 dans l'affaire 2018/977 par la 18ème chambre commerciale du tribunal de première instance d'[Localité 3] (Turquie),

- condamné M. [D] à verser à l'établissement TMSF la somme de 5.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile,

- rejeté le surplus des demandes,

- condamné M. [D] aux dépens,

- rappelé l'exécution provisoire de droit.



M. [D] a interjeté appel de ce jugement.



Par acte du 25 juillet 2022, M. [D] demande au premier président de la cour d'appel, en référé, au visa de l'article 514-3 du code de procédure civile à titre principal de :

- constater qu'il existe des moyens sérieux de réformation du jugement rendu le 6 juillet 2022,

- constater que l'exécution de ce jugement risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement au jugement rendu,

- ordonner le sursis à exécution des mesures ordonnées et des condamnations prononcées par le tribunal judiciaire le 6 juillet 2022,

A titre subsidiaire, au visa des articles 514-6, 517, 518, 519 du code de procédure civile,

- constater que l'aménagement de l'exécution provisoire du jugement rendu le 6 juillet 2022 par le tribunal judiciaire, lequel a déclaré exécutoires sur le territoire français le jugement turc du 9 mai 2019 et condamné M. [D] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile est fondé et légitime,

- ordonner que l'exécution provisoire du jugement rendu le 6 juillet 2022 par le tribunal judiciaire soit conditionnée à la constitution d'une garantie par TMSF suffisante pour répondre de toute restitution et réparation au profit de M. [D] à l'issue de la procédure d'appel.



A l'audience du 17 janvier 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs observations.



Dans ses conclusions en réponse déposées à l'audience du 17 janvier 2023, M. [D] demande au premier président de :

A titre principal, au visa de l'article 514-3 du code de procédure civile,

- constater qu'il est recevable dans sa demande de sursis à exécution provisoire,

- constater qu'il existe des moyens sérieux de réformation du jugement rendu le 6 juillet 2022 par le tribunal judiciaire de Paris,

- constater que l'exécution provisoire attachée au jugement entrepris est de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives pour lui,

- ordonner le sursis à exécution des mesures ordonnées et des condamnations prononcées dans le jugement du 6 juillet 2022,

A titre subsidiaire, au visa des articles 514-3, 517, 518, 519 du code de procédure civile,

- constater que l'aménagement de l'exécution provisoire du jugement rendu le 6 juillet 2022 par le tribunal judiciaire, lequel a déclaré exécutoires sur le territoire français les jugements turcs du 3 mai 2010 et 11 septembre 2014 et condamné M. [D] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile est fondé et légitime,

- ordonner que l'exécution provisoire du jugement rendu le 6 juillet 2022 par le tribunal judiciaire soit conditionnée à la constitution d'une garantie par TMSF suffisante pour répondre de toute restitution et réparation au profit de M. [D] à l'issue de la procédure d'appel.

En tout état de cause,

- condamner TMSF à payer à M. [D] une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Il fait notamment valoir notamment que :

- contrairement à ce qu'a retenu le tribunal judiciaire de Paris, le jugement turc du 9 mai 2019 ne doit pas être déclaré exécutoire en France,

- ni le défaut de caractère exécutoire ni le défaut de caractère définitif ne sont des fins de non recevoir au sens de l'article 122 du code de procédure civile,

- les risques de réformation sont très élevés et doivent faire obstacle à l'exequatur,

- il a été retenu à tort que le jugement turc du 9 mai 2019 était en tous points conforme à l'ordre public international français de fond et de procédure pour l'accueillir dans le for,

- le juge de l'exéquatur a donc manqué à son obligation de vérifier si le taux d'intérêt de la banque centrale turque découlant de la reconnaissance du jugement du 9 mai 2019 est conforme à l'ordre public international,

- de toute évidence, le taux d'intérêt est abusif, usuraire et disproportionné à la réparation du préjudice revendiqué par TMSF,

- l'exécution de ce jugement du 6 juillet 2022 risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives,

-il subit la pression redoutable d'un risque de triple poursuite, en France, en Turquie et en Grèce,

- TMSF n'exécute jamais les décisions qui lui sont défavorables, en sa qualité d'établissement public et fait régulièrement valoir son immunité d'exécution,

- subsidiairement, il sera tenu compte des circonstances exceptionnelles liées à la qualité de TMSF qui n'exécute aucune condamnation pécuniaire, alors qu'il se réserve le droit de solliciter la compensation entre les sommes dues par TMSF et celle qu'il devrait lui régler,

- aucune information financière n'est produite concernant TMSF.



Dans ses conclusions récapitulatives déposées à l'audience du 17 janvier 2023, TMSF demande, au visa des articles 514-3 et 514-5 du code de procédure civile, de :

- constater que M. [D] ne justifie pas de ce que l'exécution provisoire du jugement du 6 juillet 2022 entraînerait pour lui des conséquences manifestement excessives révélées postérieurement au jugement du 6 juillet 2022, et en conséquence le déclarer irrecevable en sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire,

- constater que M. [D] ne justifie d'aucun moyen sérieux de réformation du jugement du 6 juillet 2022 et le débouter de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire,

- le débouter de sa demande d'aménagement de l'exécution provisoire,

- à titre subsidiaire, ordonner la consignation par M. [D] des sommes allouées par le jugement du 6 juillet 2022 auprès de la caisse des dépôts et consignations,

- le débouter de ses prétentions,

- le condamner à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



TMSF fait notamment valoir notamment que :

- M. [D] n'a pas contesté l'exécution provisoire de droit devant le tribunal judiciaire,

- il n'explique pas en quoi la prétendue réticence à se soumettre aux décisions de justice se serait révélée postérieurement au jugement du 6 juillet 2022,

- le triple risque d'exécution n'existe pas, et n'est pas un des critères visés par l'article 514-3 du code de procédure civile,

- M. [D] ne justifie pas de conséquences manifestement excessives résultant de ses facultés de paiement ou des facultés de paiement de TMSF qui auraient été révélées postérieurement au jugement rendu, alors qu'il dispose d'un patrimoine important,

- il ne justifie d'aucun moyen sérieux de réformation du jugement du 6 juillet 2022,

- à titre subsidiaire,

- à titre subsidiaire, M. [D] n'ayant pas réglé ce qu'il doit à TMSF, la demande d'aménagement de l'exécution provisoire est infondée mais une consignation des sommes dues par M. [D] pourrait être envisagée auprès de la caisse des dépôts et consignations.






SUR CE,



Il résulte de l'article 514-3 du code de procédure civile qu'en cas d'appel, le premier président peut être saisi afin d'arrêter l'exécution provisoire de la décision lorsqu'il existe un moyen sérieux d'annulation ou de réformation et que l'exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.



La demande de la partie qui a comparu en première instance sans faire valoir d'observations sur l'exécution provisoire n'est recevable que si, outre l'existence d'un moyen sérieux d'annulation ou de réformation, l'exécution provisoire risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives qui se sont révélées postérieurement à la décision de première instance.



Un moyen sérieux d'annulation ou de réformation est un moyen qui, compte tenu de son caractère à l'évidence pertinent, sera nécessairement pris en compte par la juridiction d'appel.



Les conséquences manifestement excessives s'apprécient en ce qui concerne les condamnations pécuniaires par rapport aux facultés de paiement du débiteur et aux facultés de remboursement de la partie adverse en cas d'infirmation de la décision assortie de l'exécution provisoire.



Le risque de conséquences manifestement excessives suppose un préjudice irréparable et une situation irréversible en cas d'infirmation.



En l'espèce, s'agissant d'abord de la recevabilité de la demande de M. [D], il faut rappeler que celle-ci a demandé au premier juge que le jugement à intervenir soit revêtu de l'exécution provisoire.



Même s'il a été condamné au titre de ce jugement, il apparaît quand même avoir formulé en première instance des observations sur l'exécution provisoire, étant observé que l'article 514-3 du code de procédure civile ne précise pas la teneur des observations en ce domaine.

M. [D] apparaît ainsi recevable en sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire.

- les conséquences manifestement excessives de l'exécution provisoire du jugement à savoir le paiement de la somme de 5.000 euros au titre des frais irrépétibles outre les dépens de l'instance doivent s'apprécier par rapport aux facultés de paiement du débiteur, notamment,

- s'agissant de ces conséquences manifestement excessives, force est de constater que M. [D] procède par affirmation quant au risque de non-remboursement des sommes dues par TMSF en cas d'infirmation de la décision rendue et quant au risque de "triple exécution",

- en effet, il développe principalement des arguments selon lesquels TMSF n'exécuterait pas les décisions qui lui sont défavorables et compte tenu de son statut d'établissement public, rendrait impossible toute exécution, et fait valoir à plusieurs reprises son "immunité d'exécution",

- ces considérations sont toutefois extrêmement générales et peu étayées, de sorte que M. [D] ne rapporte pas de ce chef le risque de conséquences manifestement excessives qui serait attaché à l'exécution provisoire du jugement rendu le 6 juillet 2022,

- en outre, faute de tout justificatif de sa situation financière, notamment en France, il n'établit pas l'impossibilité d'exécution alléguée, alors que TMSF produit un document nommé "Valorisation par M. [D] de ses biens immobiliers détenus en France" et un autre intitulé "Valorisation par M. [D] de ses oeuvres d'art" dont il résulte qu'il dispose d'un patrimoine important,

- s'agissant des facultés de paiement de TMSF, le risque de conséquences manifestement excessives ne peut se déduire du seul statut public de l'établissement, étant précisé que les parties sont en litige depuis de nombreuses années et disposent manifestement d'importantes créances l'une envers l'autre.



Il s'ensuit que le risque de conséquences manifestement excessives en ce que M. [D] doit démontrer le préjudice irréparable qui en résulterait n'est pas établi. Les critères de l'article 514-3 du code de procédure civile étant cumulatifs, il n'y a pas lieu d'examiner l'existence de moyens sérieux de réformation ou d'annulation de la décision rendue et la demande d'arrêt de l'exécution provisoire formée par M. [D] sera rejetée.



M. [D] demande subsidiairement l'aménagement de l'exécution provisoire par la constitution d'une garantie réelle ou personnelle tandis que TMSF demande à titre principal le rejet de cette demande et à titre subsidiaire, la consignation des sommes issues des condamnations prononcées par le jugement rendu le 6 juillet 2022.



En application de l'article 521 du code de procédure civile, la partie condamnée au paiement de sommes autres que des aliments, des rentes indemnitaires ou des provisions peut éviter que l'exécution provisoire soit poursuivie en consignant, sur autorisation du juge, les espèces ou les valeurs suffisantes pour garantir, en principal, intérêts et frais, le montant de la condamnation.

Si cette dernière disposition n'impose pas de caractériser le risque de conséquences manifestement excessives ou la démonstration d'un moyen sérieux de réformation ou d'annulation de la décision entreprise, il n'en demeure pas moins que le demandeur à la consignation doit, à tout le moins, établir la nécessité de cette mesure, eu égard aux circonstances de l'espèce, s'agissant d'une mesure dérogeant à l'exécution provisoire attachée à la décision.

En l'espèce aucune circonstance particulière ne justifie de faire application de cette disposition légale de sorte que la demande sera rejetée.



Il convient, compte tenu de la solution donnée au présent litige, de condamner M. [D] aux dépens, étant précisé qu'aucune disposition légale n'imposant le concours d'un avocat pour assigner ou défendre en référé, il n'y a pas lieu à application de l'article 699 du code de procédure civile.



Il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



Rejetons les demandes de M. [D],



Rejetons les demandes des parties,



Condamnons M. [D] aux dépens,



Disons n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



ORDONNANCE rendue par Mme Michèle CHOPIN, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.





La Greffière, La Conseillère

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