28 février 2023
Cour d'appel de Paris
RG n° 22/12395

Pôle 1 - Chambre 5

Texte de la décision

Copies exécutoires République française

délivrées aux parties le : Au nom du peuple français





COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 1 - Chambre 5





ORDONNANCE DU 28 FEVRIER 2023

(n° /2023)





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/12395 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CGCQY



Décision déférée à la Cour : Jugement du 06 Juillet 2022 TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de PARIS - RG n° 19/13119



Nature de la décision : Contradictoire



NOUS, Michèle CHOPIN, Conseillère, agissant par délégation du Premier Président de cette Cour, assistée de Cécilie MARTEL, Greffière.




Vu l'assignation en référé délivrée à la requête de :





DEMANDEUR



Monsieur [R] [F]

[Adresse 4]

[Localité 3] - TURQUIE



Représenté par Me Nathalie HOLLIGER, avocat au barreau de PARIS, toque : B0311





à





DÉFENDEUR



TASARRUF MEVDUATI SIGORTA FONU, établissement public de droit turc

Domicile élu chez Me Stéphanie DALET-VENOT

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représenté par Me Stéphanie DALET VENOT, avocat au barreau de PARIS, toque : D0673





Et après avoir appelé les parties lors des débats de l'audience publique du 17 Janvier 2023 :



Par jugement du 6 juillet 2022 (RG 19/13119), le tribunal judiciaire de Paris a :

- déclaré exécutoire sur l'ensemble du territoire français le jugement rendu par la 14ème chambre commerciale du tribunal de première instance d'Istanbul (Turquie) le 3 mai 2010 et le jugement de la 11eme chambre civile de la cour d'appel de la République de Turquie en date du 11 septembre 2014 qui l'a partiellement confirmé,

- condamné M. [F] à verser à l'établissement TMSF la somme de 5.000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile et les dépens,

- prononcé l'exécution provisoire.



M. [F] a fait appel de la décision le 11 juillet 2022.



Par acte du 25 juillet 2022, M. [F] demande au premier président de la cour d'appel, en référé, au visa de l'article 524 du code de procédure civile dans sa rédaction antérieure au décret du 11 décembre 2019, de :

- constater que l'exécution provisoire attachée au jugement entrepris est de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives pour lui ;

- ordonner le sursis à exécution des mesures ordonnées et des condamnations prononcées,

à titre subsidiaire, au visa des articles 517 à 522 et 524 du code de procédure civile,

- constater que l'aménagement de l'exécution provisoire du jugement rendu le 6 juillet 2022 par le tribunal judiciaire, lequel a déclaré exécutoires sur le territoire français les jugements turcs du 3 mai 2010 et 11 septembre 2014 et condamné M. [F] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile est fondé et légitime,

- ordonner que l'exécution provisoire du jugement rendu le 6 juillet 2022 par le tribunal judiciaire soit conditionnée à la constitution d'une garantie par TMSF suffisante pour répondre de toute restitution et réparation au profit de M. [F] à l'issue de la procédure d'appel.



A l'audience du 17 janvier 2023, les conseils des parties ont été entendus en leurs observations.



Dans ses conclusions en réponse déposées à l'audience du 17 mai 2022, M. [F] demande au premier président de :

A titre principal, au visa de l'article 524 du code de procédure civile, dans sa rédaction antérieure au décret du 11 décembre 2019,

- constater que l'exécution provisoire attachée au jugement entrepris est de nature à entraîner des conséquences manifestement excessives pour lui ;

- ordonner le sursis à exécution des mesures ordonnées et des condamnations prononcées dans le jugement du 6 juillet 2022,

A titre subsidiaire, au visa des articles 517 à 522 et 524 du code de procédure civile,

- constater que l'aménagement de l'exécution provisoire du jugement rendu le 6 juillet 2022 par le tribunal judiciaire, lequel a déclaré exécutoires sur le territoire français les jugements turcs du 3 mai 2010 et 11 septembre 2014 et condamné M. [F] au paiement de la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile est fondé et légitime,

- ordonner que l'exécution provisoire du jugement rendu le 6 juillet 2022 par le tribunal judiciaire soit conditionnée à la constitution d'une garantie par TMSF suffisante pour répondre de toute restitution et réparation au profit de M [F] à l'issue de la procédure d'appel.

En tout état de cause,

- condamner TMSF à payer à M. [F] une somme de 5.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



Il fait notamment valoir notamment que :

- TMSF est un organisme gouvernemental turc, qualifié "d'aile du parti" en référence au parti de l'AKP,

- en raison de cette qualité particulière, M. [F] n'a aucun moyen de contrainte envers TMSF en Turquie et en France, alors que TMSF n'a pas hésité à faire valoir une immunité d'exécution dans le cadre de sa défense d'une demande de radiation devant la cour de cassation,

- sa faculté de remboursement en cas d'infirmation fait défaut,

- TMSF n'exécute jamais les décisions qui lui sont défavorables, sa malveillance est démontrée,

- TMSF poursuit parallèlement l'exécution des jugements turcs des 3 mai 2010 et 11 septembre 2014 en Turquie, de sorte qu'il subit un double risque d'exécution en France et en Turquie,

- subsidiairement, il sera tenu compte des circonstances exceptionnelles liées à la qualité de TMSF.



Dans ses conclusions récapitulatives déposées à l'audience du 17 janvier 2023, TMSF demande, au visa des articles 517 et 524 du code de procédure civile, de :

- constater que M. [F] ne justifie pas de ce que l'exécution provisoire du jugement du 6 juillet 2022 entraînerait pour lui des conséquences manifestement excessives,

- le débouter de sa demande d'arrêt de l'exécution provisoire,

- le débouter de sa demande d'aménagement de l'exécution provisoire,

- à titre subsidiaire, ordonner la consignation par M. [F] des sommes allouées par le jugement du 6 juillet 2022 auprès de la caisse des dépôts et consignations,

- le débouter de ses prétentions,

- le condamner à lui payer la somme de 5.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



TMSF fait notamment valoir notamment que :

- le double risque d'exécution n'existe pas, et n'est pas un des critères visés par l'article 524 du code de procédure civile,

- il est fait abstraction de ce que TMSF compte tenu de son statut d'établissement public a les facultés financières de rembourser et exécute, contrairement à ce qui est allégué, toutes les décisions y compris celles qui lui sont défavorables,

- M. [F] est en réalité débiteur depuis plus de 20 ans de sommes colossales à l'encontre de TMSF qui pourraient être payées par compensation,

- il ne justifie pas plus de ses revenus ni de son patrimoine, alors qu'il a de façon évidente la faculté d'exécuter le jugement rendu le 6 juillet 2022,

- à titre subsidiaire, demander à TMSF de constituer une garantie réelle ou personnelle s'avérerait compliqué en pratique mais une consignation des sommes dues par M. [F] pourrait être envisagée auprès de la caisse des dépôts et consignations.






SUR CE,



Il résulte de l'article 524 premier alinéa 2° du code de procédure civile, dans sa version applicable aux instances introduites devant les juridictions du premier degré avant le 1er janvier 2020, que, lorsque l'exécution provisoire a été ordonnée, le premier président statuant en référé peut l'arrêter si elle risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.



Les conséquences manifestement excessives s'apprécient en ce qui concerne les condamnations pécuniaires par rapport aux facultés de paiement du débiteur et aux facultés de remboursement de la partie adverse en cas d'infirmation de la décision assortie de l'exécution provisoire.



Le risque de conséquences manifestement excessives suppose un préjudice irréparable et une situation irréversible en cas d'infirmation.



Il sera précisé, en tant que de besoin, que la présente juridiction n'est pas juge d'appel de la décision rendue en première instance et n'a donc aucunement à apprécier si la décision frappée d'appel comporte des erreurs de droit ou de fait ni à apprécier les chances de réformation dans le cadre de l'appel interjeté, les observations sur le fond du litige important donc peu.



En l'espèce, il apparaît que :

- M. [F] procède par affirmation quant au risque de non-remboursement des sommes dues par TMSF en cas d'infirmation de la décision rendue et quant au risque de "double exécution",

- en effet, il développe principalement des arguments selon lesquels TMSF n'exécuterait pas les décisions qui lui sont défavorables et compte tenu de son statut d'établissement public, rendrait impossible toute exécution, alors que cet établissement aurait affiché sa volonté de faire exécuter les décisions du 3 mai 2010 et du 22 septembre 2014 rendues par les juridictions turques, et fait valoir à plusieurs reprises son "immunité d'exécution",

- ces considérations sont toutefois extrêmement générales et peu étayées, de sorte que M. [F] ne rapporte pas de ce chef le risque de conséquences manifestement excessives qui serait attaché à l'exécution provisoire du jugement rendu le 6 juillet 2022,

- en outre, faute de tout justificatif de sa situation financière, notamment en France, il n'établit pas l'impossibilité d'exécution alléguée, alors que TMSF produit un document nommé "Valorisation par M. [F] de ses biens immobiliers détenus en France" et un autre intitulé "Valorisation par M. [F] de ses oeuvres d'art" dont il résulte qu'il dispose d'un patrimoine important,

- s'agissant des facultés de paiement de TMSF, le risque de conséquences manifestement excessives ne peut se déduire du seul statut public de l'établissement, étant précisé que les parties sont en litige depuis de nombreuses années et disposent manifestement d'importantes créances l'une envers l'autre.



Il s'ensuit que le risque de conséquences manifestement excessives n'est pas démontré. Les conditions permettant l'arrêt de l'exécution provisoire n'étant dès lors pas réunies, il convient de rejeter la demande de M. [F] à ce titre.



M. [F] demande subsidiairement l'aménagement de l'exécution provisoire par la constitution d'une garantie réelle ou personnelle tandis que TMSF demande à titre principal le rejet de cette demande et à titre subsidiaire, la consignation des sommes issues des condamnations prononcées par le jugement rendu le 6 juillet 2022.



L'application des dispositions légales sur ce point, à savoir celles des articles 517 à 522 du code de procédure civile relève du pouvoir discrétionnaire du premier président et elle n'est pas subordonnée à la condition que cette exécution risque d'entraîner des conséquences manifestement excessives.



En l'espèce aucune circonstance particulière ne justifie de faire application de cette disposition légale de sorte que la demande sera rejetée.



Il convient, compte tenu de la solution donnée au présent litige, de condamner M. [F] aux dépens, étant précisé qu'aucune disposition légale n'imposant le concours d'un avocat pour assigner ou défendre en référé, il n'y a pas lieu à application de l'article 699 du code de procédure civile.



Il ne sera pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.





PAR CES MOTIFS



Rejetons les demandes de M. [F],



Rejetons les demandes des parties,



Condamnons M. [F] aux dépens,



Disons n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.



ORDONNANCE rendue par Mme Michèle CHOPIN, Conseillère, assistée de Mme Cécilie MARTEL, greffière présente lors de la mise à disposition au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.





La Greffière, La Conseillère

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