15 décembre 2022
Cour d'appel de Paris
RG n° 22/10600

Pôle 1 - Chambre 2

Texte de la décision

Copies exécutoires REPUBLIQUE FRANCAISE

délivrées aux parties le : AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 1 - Chambre 2



ARRET DU 15 DECEMBRE 2022



(n° , 6 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 22/10600 - N° Portalis 35L7-V-B7G-CF5KK



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 10 Mai 2022 -Juge des contentieux de la protection de PARIS - RG n° 12-22-617





APPELANTE



Mme [V] [O]



[Adresse 1]

[Localité 5]



Représentée par Me Florian TOSONI, avocat au barreau de PARIS, toque : B1192

Substitué à l'audience par Me TAIEB Céline, avocat au barreau de PARIS, toque : E505





INTIMEE



Melle [L] [K]



[Adresse 2]

[Localité 6]



Représentée et assistée par Me Pascal POYLO, avocat au barreau de PARIS, toque : P0091





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 804, 805 et 905 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 16 novembre 2022, en audience publique, les avocats des parties ne s'y étant pas opposés, devant Michèle CHOPIN, Conseillère, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composée de :



Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre

Thomas RONDEAU, Conseiller,

Michèle CHOPIN, Conseillère,



Qui en ont délibéré,



Greffier, lors des débats : Saveria MAUREL







ARRÊT :



- CONTRADICTOIRE

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Marie-Hélène MASSERON, Présidente de chambre et par Saveria MAUREL, Greffier, présent lors de la mise à disposition.




*****



EXPOSÉ DU LITIGE :



M. [O] est décédé le 28 décembre 2009, son épouse, Mme [U], veuve [O], le 11 février 2010, laissant pour leur succéder leurs six enfants, dont Mme [V] [O] qui occupe depuis les années 1970 l'appartement qui appartenait à ses parents, situé [Adresse 1], lot N°16 correspondant aux 32/1046èmes des parties communes générales, cadastré section BG n°[Cadastre 4].



Par ordonnance du 29 novembre 2017, sur assignation de M. [P] [O], agissant en qualité d'administrateur de la succession [O], le juge des référés du tribunal judiciaire de Paris avait condamné Mme [V] [O] à payer au demandeur la somme provisionnelle de 33.964 euros augmentée de 756 euros par mois au titre des indemnités d'occupation dont elle était redevable pour son occupation de l'appartement dépendant de l'indivision successorale situé [Adresse 1].



Par jugement du 27 février 2019 modifié par jugement du 21 mai 2021, le tribunal judiciaire d'Orléans a ordonné le partage judiciaire des successions confondues de M. [O] et de Mme [U], veuve [O] et a débouté Mme [V] [O] de sa demande d'attribution préférentielle de ce bien immobilier.



Par ce même jugement, il a été ordonné la licitation de ce bien à l'audience des criées du tribunal judiciaire de Paris.



Par jugement d'adjudication sur licitation rendu le 16 décembre 2021 par le tribunal judiciaire de Paris, Mme [K] s'est vue adjuger cet appartement.



Exposant que Mme [O] ne lui a versé aucune somme pour l'occupation des lieux depuis le 16 décembre 2021, par exploit du 10 mars 2022, Mme [K] a fait assigner cette dernière devant le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé aux fins de voir :


juger que Mme [O] est occupante sans droit ni titre depuis le 16 décembre 2021 de l'appartement situé [Adresse 1] ;


En conséquence


ordonner l'expulsion de Mme [O] ainsi que celle de tous occupants de son chef de l'appartement du [Adresse 1] et ce, avec l'assistance de la force publique, à défaut de libération volontaire des lieux dans les 15 jours suivant la signification de l'ordonnance à intervenir ;

ordonner le transport et la séquestration du mobilier pouvant garnir les lieux dans un garde-meubles qu'il plaira au bailleur et ce, aux frais de Mme [O] ;

condamner Mme [O] au paiement d'une indemnité mensuelle d'occupation de 808,75 euros à compter du 16 décembre 2021 et jusqu'à complète libération des lieux par remise des clés ou sur procès-verbal de son huissier ;





condamner Mme [O] à lui payer la somme de 2.500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

rappeler l'exécution provisoire de droit de l'ordonnance à intervenir.




Par ordonnance réputée contradictoire du 10 mai 2022, le juge des contentieux de la protection du tribunal judiciaire de Paris, statuant en référé a :



Au principal,

- renvoyé les parties à se pourvoir ainsi qu'elles aviseront ;

Dès à présent, vu l'urgence,

- jugé que Mme [O] est occupante sans droit ni titre depuis le 16 décembre 202l de l'appartement situé [Adresse 1] ;

- ordonné l'expulsion de Mme [O] ainsi que celle de tous occupants de son chef de ces mêmes lieux, au besoin avec l'assistance de la force publique, faute de départ volontaire dans un délai fixé à un mois a compter de la délivrance du commandement d'avoir à quitter les lieux, signifié en application de la présente ordonnance, étant précisé que le délai de deux mois prévu à 1'artic1e L 412 -1 du code de procédure civile d'exécution est supprimé ;

- jugé que le sort des biens mobiliers trouvés dans les lieux sera régi par les dispositions des articles L.433-1 , L.433-2 , R.433-L 1 et suivants du code des procédures civiles d'exécution ;

- condamné Mme [O] à payer à Mme [K] une indemnité d'occupation mensuelle de l'ordre de 800 euros due à compter de l'assignation et jusqu'à complète libération des lieux par remise des clés ou sur procès-verbal d'expulsion de l' huissier de justice ;

- rejeté toutes demandes autres, plus amples ou contraires ;

- condamné Mme [O] à payer à Mme [K] une indemnité de procédure de l'ordre de 1.000 euros et à supporter les entiers dépens ;

- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.



Par déclaration du 1er juin 2022, Mme [O] a relevé appel de cette décision.



Dans ses dernières conclusions remises et notifiées le 9 novembre 2022 Mme [O] demande à la cour de :



- l'accueillir en l'intégralité de ses demandes, dires, fins et conclusions ;

- débouter a contrario Mme [K] de l'intégralité de ses demandes, dires, fins et conclusions ;

- infirmer l'ordonnance rendue le 10 mai 2022 par le juge des contentieux de la protection près le tribunal judiciaire de Paris en toutes ses dispositions ;

Statuant à nouveau,

Y ajoutant,

- rejeter toutes les demandes de Mme [K], notamment la demande de son expulsion et le paiement d'une indemnité d'occupation de 800 euros mensuels, sachant qu'elle est titulaire d'un contrat de bail sur le logement sis [Adresse 1] qu'elle occupe depuis 1996 de manière continue et que par conséquent, son expulsion est sans fondement, outre le fait qu'elle ne peut être condamnée à payer une indemnité supérieure à 460 euros hors charges par mois (prix de son bail), le tout constituant des difficultés sérieuses empêchant d'entrer en voie de condamnation à son encontre lors d'une procédure de référé ;

- condamner Mme [K] à lui payer à la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 code de procédure civile, ainsi que les entiers dépens de l'instance.



Mme [O] soutient en substance que :





- elle a initialement bénéficié d'une jouissance à titre gratuit du logement de ses parents mais a commencé à s'acquitter d'un loyer mensuel à compter de l'année 1996,

- elle était donc titulaire d'un bail verbal qui lui permet de bénéficier d'un titre et d'un droit d'occupation des lieux,

- les conditions de vente de l'appariement ne sont pas transmises en l'espèce,

- elle est membre de l'indivision pour laquelle le bien a été vendu, ce qui ne lui retire pas la qualité de locataire des lieux,

- le locataire dont la qualité est antérieure à la procédure d'adjudication a un droit opposable au poursuivant, de sorte qu'il n'est pas sans droit ni titre,

- la condamnation à payer une indemnité d'occupation est injustifiée puisqu'elle s'acquittait d'un loyer de 460 euros par mois, hors charges en 1996, directement entre les mains de ses parents,

- la suppression du délai légal est infondée, dans la mesure où elle n'est pas entrée par voie de fait dans l'appartement de ses parents et qu'elle y a établi sa résidence principale.



Dans ses dernières conclusions, remises et notifiées le 22 juillet 2022, Mme [K] demande à la cour de :



- la recevoir en son appel incident ;

- confirmer en toutes ses dispositions l'ordonnance de référé rendue le 10 mai 2022 à l'exception de la date à partir de laquelle Mme [O] est redevable de l'indemnité d'occupation qui doit être fixée au 16 décembre 2021 ;

- condamner Mme [O] à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

- condamner Mme [O] en tous les dépens de l'instance d'appel dont distraction au profit de Me Poylo, avocat aux offres de droit, dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile.



Mme [K] soutient en substance que :



- Mme [O] ne lui a versé aucune somme depuis le 16 décembre 2021, en dépit de lettres recommandées,

- Mme [O] a sans contestation possible qualité de débiteur saisi en application des dispositions de l'article R 322-4 du code des procédures civiles d'exécution,

- le document manuscrit établi par le père de Mme [O] n'a pas date certaine, les versements auxquels elle a procédé sont sporadiques, de sorte qu'aucun bail ne lui est opposable,

- l'indemnité mensuelle d'occupation est due à compter du 16 décembre 2021, date du jugement d'adjudication à son profit,

- la discussion sur la suppression du délai de deux mois en application de l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution est sans objet devant la cour, Mme [O] étant toujours dans les lieux.



Pour un plus ample exposé des moyens des parties, il est renvoyé à leurs conclusions susvisées conformément à l'article 455 du code de procédure civile.




SUR CE,



L'article 835 du code de procédure civile dispose que le président du tribunal judiciaire ou le juge des contentieux de la protection dans les limites de sa compétence peuvent toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.



L'article R.322-64 du code des procédures civiles d'exécution dispose que "sauf si le cahier des conditions de vente prévoit le maintien dans les lieux du débiteur saisi, l'adjudicataire peut mettre à exécution le titre d'expulsion dont il dispose à l'encontre du saisi et de tout occupant de son chef, n'ayant aucun droit qui lui soit opposable, à compter du versement du prix ou de sa consignation et du paiement des frais taxés."



Le jugement d'adjudication constitue donc bien un titre d'expulsion contre tout occupant qui tient ses droits de la partie saisie.



L'article L. 321-4 du code des procédures civiles d'exécution prévoit en outre que les baux consentis par le débiteur après l'acte de saisie sont, quelle que soit leur durée, inopposables au créancier poursuivant comme à l'acquéreur. La preuve de l'antériorité du bail peut être faite par tout moyen.



Il appartient donc à Mme [O], qui invoque un droit au maintien dans les lieux, d'établir qu'elle bénéficie d'un droit opposable à Mme [K], adjudicataire. Elle soutient à cet effet qu'elle bénéficiait d'un bail verbal qui lui avait été consenti par ses parents et produit pour en justifier un écrit de son père, M [H] [O], daté du 14 décembre 2022, indiquant: 'Je, soussigné [O] [H] confirme le bail oral existant entre ma fille [V] et moi-même pour l'appartement [Adresse 3], à savoir son loyer de 460 euros, les charges, eau, électricité, téléphone, les charges habituelles de copropriété, la taxe d'habitation'.



Toutefois, outre que cet écrit comporte une erreur sur le numéro d'immeuble, il ne suffit pas à apporter la preuve de l'existence d'un bail opposable à l'adjudicataire dans la mesure où tout d'abord, Mme [O] n'établit pas sa réalité ni son exécution, les versements dont elle se prévaut étant des versements isolés, de montants autres que 460 euros et peu nombreux (deux chèques de 1998 et 2005 à l'ordre de ses parents, trois mandats-cash adressés au notaire chargé de la succession en 2010), versements qui ne peuvent être sérieusement rattachés au paiement d'un loyer et dans la mesure où, ensuite, il ressort de l'ordonnance de référé rendue le 29 novembre 2017 par le tribunal judiciaire de Paris que Mme [O] a été condamnée à une indemnité d'occupation à verser à l'indivision successorale au titre de la seule occupation des lieux, sans qu'elle ne se soit alors prévalue d'un bail.



De la sorte, il y a lieu de considérer que Mme [O] ne tient ses droits que de la succession de ses parents, ces droits n'étant pas opposables à Mme [K], adjudicataire.



Dans ces conditions, l'ordonnance rendue sera confirmée en ce qu'elle a considéré que Mme [O] était occupante sans droit ni titre des lieux et qu'il convenait d'ordonner son expulsion ainsi que celle de tous occupants de son chef, faute de départ volontaire.



S'agissant de l'indemnité d'occupation, en application de l'alinéa 2 de l'article 835 du code de procédure civile, le juge des contentieux de la protection peut, dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, accorder une provision au créancier.



En application de ce texte, le montant de la provision qui peut être allouée en référé n'a d'autre limite que le montant non sérieusement contestable de la créance alléguée.



L'indemnité d'occupation correspond à la fois à une contrepartie de la jouissance des locaux et à la compensation du préjudice subi par le propriétaire du fait de la privation de la libre disposition des lieux.





L'occupant sans droit ni titre d'un local qui se maintient dans les lieux peut être condamné à la demande du propriétaire au paiement d'une indemnité d'occupation.



Selon les dispositions de l'article R-322-64 du code des procédures civiles d'exécution, l'adjudicataire peut mettre à exécution le titre d'expulsion dont il dispose à l'encontre du saisi et de tout occupant de son chef n'ayant aucun droit qui lui soit opposable, à compter du versement du prix où de sa consignation, et du paiement des frais taxés.



Si en application de ce texte le droit d'agir en expulsion contre le saisi peut être exercé à compter du règlement du prix et de sa consignation ainsi que du paiement des frais taxés, il reste que l'adjudicataire devient propriétaire du bien à compter de la date du jugement d'adjudication



Mme [O] est donc débitrice d'une indemnité d'occupation à partir de la date de l'adjudication qui marque le moment où le bien a été vendu. L'ordonnance rendue sera infirmée par conséquent en ce qu'elle a dit que l'indemnité mensuelle occupation est due par Mme [O] à compter de l'assignation qui lui a été délivrée.



L'ordonnance rendue le 29 novembre 2017 précitée a fixé à la somme de 756 euros (valeur 11 février 2012) la valeur locative de l'appartement occupé par Mme [O]. Au vu de l'indexation de l'IRL (indice du 4ème trimestre 2012: 123, 97 et indice du 3ème trimestre 2022: 136, 27),l'indemnité mensuelle d'occupation peut être fixée à la somme de 831 euros, étant précisé que Mme [O] ne produit aucune pièce sur ce point.



Ces éléments suffisent à démontrer que le montant non sérieusement contestable de l'indemnité d'occupation peut être fixé à la somme de 831 euros par mois. L'ordonnance sera donc confirmée, sauf à actualiser le montant de cette indemnité.



Sur le délai de deux mois en application des dispositions de l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution, celui-ci dispose que si l'expulsion porte sur un local affecté à l'habitation principale de la personne expulsée ou de tout occupant de son chef, elle ne peut avoir lieu qu'à l'expiration d'un délai de deux mois qui suit le commandement, sans préjudice des dispositions des articles L. 412-3 à L. 412-7. Toutefois, le juge peut, notamment lorsque les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux par voie de fait ou lorsque la procédure de relogement effectuée en application de l'article L. 442-4-1 du code de la construction et de l'habitation n'a pas été suivie d'effet du fait du locataire, réduire ou supprimer ce délai.



En l'espèce, Mme [O] n'étant incontestablement pas entrée dans les lieux par voie de fait, il n'y a pas lieu de réduire ou supprimer ce délai. L'ordonnance rendue sera donc infirmée sur ce point.



L'ordonnance sera confirmée en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et dépens de première instance.



Partie perdante, Mme [O] ne saurait prétendre à l'allocation de frais irrépétibles. Elle devra en outre supporter les dépens d'appel.



Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à Mme [K] la charge des frais irrépétibles exposés en cause d'appel.









PAR CES MOTIFS



La cour,



Confirme l'ordonnance entreprise sauf en ce qu'elle a ordonné le paiement d'une indemnité d'occupation par Mme [O] à compter de l'assignation et supprimé le délai de deux mois en application de l'article L 412-1 du code des procédures civiles d'exécution et sauf à actualiser le quantum de l'indemnité mensuelle d'occupation ;



Statuant à nouveau et y ajoutant ;



Condamne Mme [O] à Payer à Mme [K] une indemnité d'occupation de 831 euros à titre provisionnel à compter du jugement d'adjudication et jusqu'à complète libération des lieux par remise des clés ou sur procès-verbal d'expulsion par huissier de justice ;



Dit n'y avoir lieu à supprimer le délai prévu par les dispositions de l'article L. 412-1 du code des procédures civiles d'exécution ;



Rejette toute autre demande ;



Condamne Mme [O] à verser à Mme [K] une somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



Condamne Mme [O] aux dépens d'appel, dont distraction au profit de Maître Pascal Poylo, en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.



LE GREFFIER LA PRESIDENTE

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