3 novembre 2022
Cour d'appel de Paris
RG n° 20/08939

Pôle 4 - Chambre 9 - A

Texte de la décision

Copies exécutoiresRÉPUBLIQUE FRANÇAISE

délivrées aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS





COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 4 - Chambre 9 - A



ARRÊT DU 03 NOVEMBRE 2022



(n° , 4 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/08939 - N° Portalis 35L7-V-B7E-CCABT



Décision déférée à la Cour : Jugement du 5 mars 2020 - Tribunal Judiciaire de BOBIGNY - RG n° 11-19-002115





APPELANTE



Madame [T] [S]

née le [Date naissance 2] 1986 à [Localité 7] (78)

[Adresse 1]

[Localité 6]



représentée par Me Shirley DEROO, avocat au barreau de PARIS, toque : D0794





INTIMÉ



Monsieur [V] [D]

né le [Date naissance 4] 1983

[Adresse 3]

[Localité 5]



DÉFAILLANT







COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions des articles 805 et 907 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 14 septembre 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre

Mme Fabienne TROUILLER, Conseillère

Mme Laurence ARBELLOT, Conseillère



Greffière, lors des débats : Mme Camille LEPAGE















ARRÊT :



- DÉFAUT



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Mme Muriel DURAND, Présidente de chambre et par Mme Camille LEPAGE, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




FAITS, PROCÉDURE ET PRÉTENTIONS DES PARTIES



Mme [T] [S] explique avoir participé, en janvier 2016, au tournage d'un clip-vidéo réalisé par son ex-compagnon, M. [V] [D]. Le clip-vidéo, où elle apparaît dénudée à plusieurs reprises, a été mis en ligne le 5 février 2016 sur le site Internet Youtube, sans son autorisation. Elle précise avoir déposé plainte le 3 octobre 2016 et mis en demeure la société Youtube de procéder au retrait de la vidéo par lettre recommandée du 16 février 2017, ce qui a été fait en avril 2017.



Saisi le 11 septembre 2019 par Mme [S] d'une demande tendant principalement à la condamnation du défendeur au paiement d'une somme totale de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts, le tribunal judiciaire de Bobigny, par un jugement réputé contradictoire rendu le 5 mars 2020 auquel il convient de se reporter, a débouté Mme [S] de ses prétentions.



Le tribunal a considéré qu'aucun élément ne permettait d'établir l'identité de l'auteur de la publication de cette vidéo, les déclarations de main courante n'étant pas suffisamment probantes.



Par une déclaration en date du 9 juillet 2020, Mme [S] a relevé appel de cette décision.



Aux termes de conclusions remises par voie électronique le 8 octobre 2020, l'appelante demande à la cour :

- d'infirmer le jugement dont appel,

- de condamner M. [D] à lui payer les sommes de 8 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice moral, 2 000 euros en réparation du préjudice matériel, 3 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et de le condamner aux entiers dépens,

- de dire que ces sommes porteront intérêts à taux légal.



L'appelante vise les articles 9 et 1240 du code civil pour soutenir que M. [D] a porté atteinte à sa vie privée en diffusant sans son consentement des vidéos d'elle dénudée sur Internet. Elle explique avoir consenti au tournage de la vidéo mais pas à sa diffusion. Elle fait valoir que les pièces versées aux débats établissent l'identité de l'auteur de la vidéo sur Youtube. À cet égard, elle explique que le retrait de la vidéo suite aux mises en demeure adressées à l'intimé permet d'établir sa qualité d'auteur.



Elle indique avoir subi un préjudice du fait de l'atteinte portée à son image, des frais engagés pour faire retirer la vidéo et du stress engendré. Elle produit divers certificats médicaux en attestant et explique avoir désormais la qualité de travailleur handicapé.



Régulièrement assigné par acte d'huissier délivré le 4 septembre 2020 conformément aux dispositions de l'article 659 du code de procédure civile, M. [D] n'a pas constitué avocat. Les conclusions lui ont été signifiées sous les mêmes formes par acte du 27 octobre 2020.



Pour un plus ample exposé des faits, moyens et prétentions de l'appelante, il est renvoyé aux écritures de celle-ci conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 14 juin 2022 et l'affaire a été appelée à l'audience le 14 septembre 2022.




MOTIFS DE LA DÉCISION



Selon l'article 472 du code de procédure civile, lorsque le défendeur ne comparaît pas, il est néanmoins statué sur le fond, le juge ne fait droit à la demande que s'il l'estime régulière, recevable et bien fondée.



En application de l'article 9 du code civil, chacun a droit au respect de sa vie privée.



En application de l'article 1240 du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.



Ainsi, toute personne a sur son image un droit exclusif et absolu et peut s'opposer à sa fixation, à sa reproduction ou à son utilisation sans autorisation préalable.



En application de l'article 9 du code de procédure civile, il appartient à celui qui allègue un fait d'en démontrer la réalité.



En l'espèce, les pièces versées aux débats et notamment le constat d'huissier établi le 21 mars 2017, la main-courante du 3 octobre 2016, les courriers recommandés adressés à la société Youtube, la suppression de la vidéo sur internet par l'hébergeur en avril 2017 et les trois courriers recommandés adressés à M. [D], établissent que ce dernier a diffusé la vidéo litigieuse sur laquelle apparaît Mme [S] en sous-vêtements et dans des positions suggestives, que cette vidéo a été diffusée entre le 5 février 2016 et le mois d'avril 2017, date à laquelle la société Youtube a procédé à son retrait sur son site.



Mme [S] ne conteste pas avoir consenti à la participation du tournage mais s'est opposée à sa diffusion publique.



Contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, il apparaît que M. [D] est parfaitement identifiable dans le clip vidéo retranscrit dans le constat d'huissier, qu'il a utilisé un nom d'artiste, qu'il n'a jamais protesté aux trois courriers recommandés dont les accusés réception sont revenus signés et qu'il n'a donc jamais contesté les faits dénoncés.



De surcroît, il est manifeste que M. [D] ne s'est pas opposé au retrait de sa vidéo sur le site de la société Youtube.







Ainsi, la faute commise par M. [D] qui s'est permis de diffuser, sans le consentement de Mme [S], une vidéo comportant des images présentant à l'évidence un caractère sexuel, est suffisamment établie.



Mme [S] invoque à juste titre une atteinte à son image et au droit au respect de sa vie privée et soutient avoir été très choquée par la diffusion publique. Elle produit enfin des certificats médicaux des mois de février et mars 2017, ainsi qu'un arrêt de travail entre le 4 et le 15 octobre 2016 et un second arrêt de travail de deux jours, les 23 et 24 février 2017. Elle justifie des soins de sa prise en charge médicale, rendue nécessaire par le stress subi du fait de cette diffusion.



Elle justifie des nombreuses démarches entreprises pour mettre fin à son préjudice, matériel et moral, qui a perduré pendant plus d'un an. Il est établi que la vidéo a été visionnée 1 440 fois sur le site Youtube et qu'un aperçu de cette vidéo a été partagé sur le réseau social Facebook.



Partant, le jugement est infirmé en toutes ses dispositions et il sera alloué à Mme [S] une somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice matériel, une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral, outre les intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 21 avril 2017 et une somme de 2 000 euros au titre de ses frais irrépétibles.



PAR CES MOTIFS



LA COUR,



Statuant après débats en audience publique, par arrêt rendu par défaut mis à disposition au greffe,



Infirme le jugement en toutes ses dispositions ;



Statuant de nouveau,



Condamne M. [V] [D] à payer à Mme [T] [S] :

- une somme de 1 500 euros en réparation de son préjudice matériel,

- une somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral ;



Dit que ces sommes porteront intérêts à compter du prononcé de l'arrêt ;



Y ajoutant,



Condamne M. [V] [D] aux entiers dépens de première instance et d'appel, dont distraction, pour ces derniers, au profit de Me Shirley Deroo, avocate, conformément à l'article 699 du code de procédure civile ;



Condamne M. [V] [D] à payer à Mme [T] [S] une somme de 2 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.





La greffièreLa présidente

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.