19 octobre 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-14.535

Chambre sociale - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2022:SO01117

Texte de la décision

SOC.

CH9



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 19 octobre 2022




Rejet


M. SOMMER, président



Arrêt n° 1117 FS-D

Pourvoi n° G 21-14.535




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 19 OCTOBRE 2022

1°/ Le comité social et économique, venant aux droit du comité d'entreprise de la société Wipro Limited, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ Le syndicat CFDT Betor Pub, dont le siège est [Adresse 1],

ont formé le pourvoi n° G 21-14.535 contre l'arrêt rendu le 14 janvier 2021 par la cour d'appel de Versailles, dans le litige les opposant à la société Wipro Limited, dont le siège est [Adresse 4], défenderesse à la cassation.

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Ott, conseiller, les observations de la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat du comité social et économique de la société Wipro Limited, du syndicat CFDT Betor Pub, de la SCP Célice, Texidor, Périer, avocat de la société Wipro Limited, et l'avis de Mme Laulom, avocat général, après débats en l'audience publique du 7 septembre 2022 où étaient présents M. Sommer, président, Mme Ott, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mme Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, M. Le Masne de Chermont, Mme Ollivier, conseillers référendaires, Mme Laulom, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre,

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 janvier 2021), statuant en référé, la société de droit indien Wipro Limited (la société) a conclu le 24 juin 2013 avec le comité d'entreprise de sa succursale française, implantée à Puteaux et employant plus de cent cinquante salariés, un accord de participation.

2. Soutenant que la réserve spéciale de participation calculée d'après la formule prévue par l'accord du 24 juin 2013 aboutissait à un montant inférieur à celui devant résulter de la formule légale, le comité d'entreprise et le syndicat CFDT Betor Pub (le syndicat) ont fait assigner la société devant le juge des référés aux fins d'ordonner l'application de la formule légale de la participation pour l'exercice 2017-2018 et les exercices ultérieurs et pour réclamer le paiement d'une certaine somme au titre de l'exercice 2017-2018, outre une provision à valoir sur le préjudice subi.

3. Le comité social et économique de la société Wipro Limited est intervenu aux droits du comité d'entreprise.

Examen du moyen

Sur le moyen, en ce qu'il est soutenu par le comité social et économique
Enoncé du moyen

4. Le comité social et économique fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé sur ses demandes, alors :

« 1°/ que le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que constitue un trouble manifestement illicite l'absence de mise en oeuvre, au sein d'une entreprise, des dispositions d'ordre public de l'article L. 3324-2 du code du travail qui prévoient que si les accords de participation peuvent retenir une formule de calcul de la réserve spéciale de participation différente de la formule légale, les salariés doivent nécessairement bénéficier d'avantages au moins équivalents à ceux résultant de la mise en oeuvre des dispositions légales ; qu'en relevant qu'eu égard au silence de la loi sur la détermination des capitaux propres des succursales en France des sociétés étrangères, il n'était pas permis d'établir que le calcul de la réserve spéciale de participation effectué au sein de la société Wipro Limited sur la base de l'accord de participation du 24 juin 2013 aboutissait à un résultat moins favorable que les dispositions légales, ce dont il résultait avec évidence que le respect de la règle de l'équivalence des avantages n'était pas garanti par l'employeur, et en retenant néanmoins que l'existence d'un trouble manifestement illicite n'était pas caractérisée, la cour d'appel a violé les articles 835, aliéna 1er, du code de procédure civile et L. 3324-2 du code du travail ;

2°/ que la seule nécessité de procéder à l'interprétation d'une disposition légale ou réglementaire ne peut empêcher le juge des référés de statuer ; qu'en retenant que le silence de la loi sur la détermination des capitaux propres des succursales en France des sociétés étrangères faisait obstacle à la caractérisation d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé, derechef, l'article 835, aliéna 1er, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

5. Aux termes de l'article L. 3322-2, alinéas 1er et 2e, du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi n° 2012-387 du 22 mars 2012, les entreprises employant habituellement au moins cinquante salariés garantissent le droit de leurs salariés à participer aux résultats de l'entreprise. Il en va de même pour les entreprises constituant une unité économique et sociale d'au moins cinquante salariés reconnue dans les conditions prévues à l'article L. 2322-4. La base, les modalités de calcul, ainsi que les modalités d'affectation et de gestion de la participation sont fixées par accord dans les conditions prévues par le présent titre.

6. L'article L. 3322-6 du même code, dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2007-329 du 12 mars 2007, dispose que les accords de participation sont conclus selon l'une des modalités suivantes :
1° Par convention ou accord collectif de travail ;
2° Par accord entre l'employeur et les représentants d'organisations syndicales représentatives dans l'entreprise ;
3° Par accord conclu au sein du comité d'entreprise ;
4° A la suite de la ratification, à la majorité des deux tiers du personnel, d'un projet de contrat proposé par l'employeur. S'il existe dans l'entreprise une ou plusieurs organisations syndicales représentatives ou un comité d'entreprise, la ratification est demandée conjointement par l'employeur et une ou plusieurs de ces organisations ou ce comité.

7. Aux termes de l'article L. 2262-14 du code du travail, toute action en nullité de tout ou partie d'une convention ou d'un accord collectif doit, à peine d'irrecevabilité, être engagée dans un délai de deux mois à compter :
1° De la notification de l'accord d'entreprise prévue à l'article L. 2231-5, pour les organisations disposant d'une section syndicale dans l'entreprise ;
2° De la publication de l'accord prévue à l'article L. 2231-5-1 dans tous les autres cas.
Ce délai s'applique sans préjudice des articles L. 1233-24, L. 1235-7-1 et L. 1237-19-8 du code du travail.

8. Il résulte de l'article L. 2262-14 précité que le comité d'entreprise, signataire d'un accord de participation, n'est pas recevable à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité d'une clause de cet accord.

9. L'arrêt constate que le comité d'entreprise, aux droits duquel vient le comité social et économique, est signataire de l'accord de participation du 24 juin 2013 et a, en son temps, validé la notion de capitaux propres retenue par la société à l'article 4-1 C de l'accord en le signant.

10. Il s'ensuit que le comité social et économique n'est pas recevable à invoquer, par voie d'exception, l'illégalité de la clause de cet accord qui, dans le silence de la loi, a déterminé le mode de calcul des capitaux propres d'une succursale française d'une société étrangère.

11. Par ce motif de pur droit après avis donné aux parties en application de l'article 1015 du code de procédure civile, l'arrêt se trouve justifié.

12. Le moyen ne peut donc être accueilli.

Sur le moyen, en ce qu'il est soutenu par le syndicat

Enoncé du moyen

13. Le syndicat fait grief à l'arrêt de dire n'y avoir lieu à référé sur ses demandes, alors :

« 1°/ que le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que constitue un trouble manifestement illicite l'absence de mise en oeuvre, au sein d'une entreprise, des dispositions d'ordre public de l'article L. 3324-2 du code du travail qui prévoient que si les accords de participation peuvent retenir une formule de calcul de la réserve spéciale de participation différente de la formule légale, les salariés doivent nécessairement bénéficier d'avantages au moins équivalents à ceux résultant de la mise en oeuvre des dispositions légales ; qu'en relevant qu'eu égard au silence de la loi sur la détermination des capitaux propres des succursales en France des sociétés étrangères, il n'était pas permis d'établir que le calcul de la réserve spéciale de participation effectué au sein de la société Wipro Limited sur la base de l'accord de participation du 24 juin 2013 aboutissait à un résultat moins favorable que les dispositions légales, ce dont il résultait avec évidence que le respect de la règle de l'équivalence des avantages n'était pas garanti par l'employeur, et en retenant néanmoins que l'existence d'un trouble manifestement illicite n'était pas caractérisée, la cour d'appel a violé les articles 835, aliéna 1er, du code de procédure civile et L. 3324-2 du code du travail ;

2°/ que la seule nécessité de procéder à l'interprétation d'une disposition légale ou réglementaire ne peut empêcher le juge des référés de statuer ; qu'en retenant que le silence de la loi sur la détermination des capitaux propres des succursales en France des sociétés étrangères faisait obstacle à la caractérisation d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé, derechef, l'article 835, aliéna 1er, du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

14. Aux termes de l'article L. 3324-1 du code du travail, dans sa rédaction applicable en la cause, la réserve spéciale de participation des salariés est constituée comme suit :
1° Les sommes affectées à cette réserve spéciale sont, après clôture des comptes de l'exercice, calculées sur le bénéfice réalisé en France métropolitaine et dans les départements d'outre-mer, à [Localité 2] et à [Localité 3], tel qu'il est retenu pour être imposé à l'impôt sur le revenu ou aux taux de l'impôt sur les sociétés prévus au deuxième alinéa et au b du I de l'article 219 du code général des impôts et majoré des bénéfices exonérés en application des dispositions des articles 44 sexies, 44 sexies A, 44 septies, 44 octies, 44 octies A, 44 undecies et 208 C du code général des impôts. Ce bénéfice est diminué de l'impôt correspondant qui, pour les entreprises soumises à l'impôt sur le revenu, est déterminé dans les conditions déterminées par décret en Conseil d'Etat ;
2° Une déduction représentant la rémunération au taux de 5 % des capitaux propres de l'entreprise est opérée sur le bénéfice net ainsi défini ;
3° Le bénéfice net est augmenté du montant de la provision pour investissement prévue à l'article L. 3325-3. Si cette provision est rapportée au bénéfice imposable d'un exercice déterminé, son montant est exclu, pour le calcul de la réserve de participation, du bénéfice net à retenir au titre de l'exercice au cours duquel ce rapport a été opéré ;
4° La réserve spéciale de participation des salariés est égale à la moitié du chiffre obtenu en appliquant au résultat des opérations effectuées conformément aux dispositions des 1° et 2° le rapport des salaires à la valeur ajoutée de l'entreprise.

15. Selon l'article L. 3324-2, alinéa 1, du code du travail, l'accord de participation peut établir un régime de participation comportant une base de calcul et des modalités différentes de celles définies à l'article L. 3324-1. Cet accord ne dispense de l'application des règles définies à cet article que si, respectant les principes posés par le présent titre, il comporte pour les salariés des avantages au moins équivalents.

16. L'arrêt relève que les parties et leurs experts s'accordent pour dire que la définition des capitaux propres, donnée par l'article D. 3324-4 du code du travail, n'est pas transposable aux succursales en France des sociétés étrangères.

17. L'arrêt constate que la formule de calcul de la réserve spéciale de participation, définie à l'article 4-1 de l'accord du 24 juin 2013, « RSP = 1/2 (B - 5 % C) x (S / VA) », appliquée par la société, est strictement identique à celle résultant de l'article L. 3324-1 du code du travail et que le litige porte uniquement sur la détermination de la valeur « C » correspondant aux capitaux propres.

18. Ayant relevé qu'eu égard au silence de la loi sur la définition de la notion de capitaux propres transposable aux succursales en France de sociétés étrangères, la preuve n'étant pas rapportée que le guide de l'épargne salariale constituerait la disposition normative qui s'imposerait à tous et plus particulièrement à la société, il n'est pas démontré par le syndicat CFDT que celle-ci n'aurait pas respecté la règle de l'équivalence des avantages en continuant à appliquer la formule de calcul définie dans l'accord du 24 juin 2013 et validée en son temps par le comité d'entreprise, la cour d'appel a pu retenir que le trouble manifestement illicite n'était pas caractérisé.

19. Le moyen n'est donc pas fondé.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne le comité social et économique de la société Wipro Limited, venant aux droits du comité d'entreprise de la société Wipro Limited, et le syndicat CFDT Betor Pub aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du dix-neuf octobre deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Bouzidi et Bouhanna, avocat aux Conseils, pour le comité social et économique de la société Wipro Limited, le syndicat CFDT Betor Pub

LE POURVOI REPROCHE A L'ARRÊT ATTAQUÉ D'AVOIR dit n'y avoir lieu à référé sur les demandes du comité social et économique de la société Wipro Limited et du syndicat CFDT Betor Pub ;

1) ALORS QUE le juge des référés peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que constitue un trouble manifestement illicite l'absence de mise en oeuvre, au sein d'une entreprise, des dispositions d'ordre public de l'article L. 3324-2 du code du travail qui prévoient que si les accords de participation peuvent retenir une formule de calcul de la réserve spéciale de participation différente de la formule légale, les salariés doivent nécessairement bénéficier d'avantages au moins équivalents à ceux résultant de la mise en oeuvre des dispositions légales ; qu'en relevant qu'eu égard au silence de la loi sur la détermination des capitaux propres des succursales en France des sociétés étrangères, il n'était pas permis d'établir que le calcul de la réserve spéciale de participation effectué au sein de la société Wipro Limited sur la base de l'accord de participation du 24 juin 2013 aboutissait à un résultat moins favorable que les dispositions légales, ce dont il résultait avec évidence que le respect de la règle de l'équivalence des avantages n'était pas garanti par l'employeur, et en retenant néanmoins que l'existence d'un trouble manifestement illicite n'était pas caractérisée, la cour d'appel a violé les articles 835, aliéna 1er, du code de procédure civile et L. 3324-2 du code du travail ;

2) ALORS QUE la seule nécessité de procéder à l'interprétation d'une disposition légale ou réglementaire ne peut empêcher le juge des référés de statuer ; qu'en retenant que le silence de la loi sur la détermination des capitaux propres des succursales en France des sociétés étrangères faisait obstacle à la caractérisation d'un trouble manifestement illicite, la cour d'appel a violé, derechef, l'article 835, aliéna 1er, du code de procédure civile.

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