8 septembre 2022
Cour d'appel de Papeete
RG n° 21/00054

Chambre Sociale

Texte de la décision

N° 87



NT

---------------



Copie exécutoire

délivrée à :

- Me Guédikian,

le 12.09.2022.





Copie authentique

délivrée à :

- Me Ober,

le 12.09.2022.



REPUBLIQUE FRANCAISE



COUR D'APPEL DE PAPEETE



Chambre Sociale





Audience du 8 septembre 2022





RG 21/00054 ;



Décision déférée à la Cour : jugement n° 21/00089, rg n° F 21/00009 du Tribunal du Travail de Papeete du 2 août 2021 ;



Sur appel formé par déclaration reçue au greffe du Tribunal du Travail de Papeete sous le n° 21/54 le 18 août 2021, dossier transmis et enregistré au greffe de la Cour d'appel le même jour ;



Appelant :



M. [D] [I], né le 26 mars 1965 à [Localité 3], de nationalité française, demeurant à [Adresse 2] ;



Représenté par Me Jean-Sébastien OBER, avocat au barreau de Papeete ;



Intimée :



La Sa Brasserie de Tahiti, inscrite au Rcs de Papeete sous le n° 531 B, n° Tahiti 031195, dont le siège social est sis [Adresse 1] ;



Représentée par Me Gilles GUEDIKIAN, avocat au barreau de Papeete ;



Ordonnance de clôture du 4 mars 2022 ;



Composition de la Cour :



La cause a été débattue et plaidée en audience publique du 12 mai 2022, devant Mme TISSOT, conseiller désigné par l'ordonnance n° 83/ OD/PP.CA/21 du Premier Président de la Cour d'Appel de Papeete en date du 15 décembre 2021 pour faire fonction de Président dans le présent dossier, Mme BRENGARD, président de chambre, M. RIPOLL, conseiller, qui ont délibéré conformément à la loi ;



Greffier lors des débats : Mme SUHAS-TEVERO ;



Arrêt contradictoire ;



Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 264 du code de procédure civile de Polynésie française ;



Signé par Mme TISSOT, président et par Mme SUHAS-TEVERO, greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.




A R R E T,



Faits, procédure et moyens des parties :



Par contrat à durée indéterminée du 27 novembre 2018, M [D] [I] a été engagé à compter du 3 décembre 2018 par la SA BRASSERIE DE TAHITI en qualité de chef des services techniques, en contrepartie d'un salaire mensuel de 730 000 FCP.



La période d'essai de 3 mois a été renouvelée le 28 février 2019.



Par lettre du 28 octobre 2019 pointant la persistance de certains manquements dans son attitude professionnelle (manque de réactivité et de considération à l'égard de requêtes de services transversaux, manque de communication, d'information, disponibilité, proximité insuffisante dans les rapports humains au sein de son service), l'employeur a notifié à M. [I] la suspension de toute forme de réorganisation du service dans l'attente qu'il retrouve stabilité et sérénité.



Par lettre du 11 février 2020, M [D] [I] a été convoqué à entretien préalable à licenciement pour insuffisance professionnelle, fixé au 26 février 2020 ;



Par lettre du 9 mars 2020, [D] [I] a été licencié pour insuffisance professionnelle en laissant ouvert la discussion sur l'exécution du préavis de trois mois.



Par requête du 11 janvier 2021, enregistrée au greffe le 13 janvier 2021 sous le numéro 21/00009, [D] [I] a saisi le tribunal du travail aux fins de voir :

- requalifier les PV litigieux en sanctions disciplinaires ;

- constater que les faits mentionnés dans le courrier de licenciement ont déjà été sanctionnés ;

- dire son licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- condamner la SA BRASSERIE DE TAHITI au paiement des sommes de :

500 000 FCP de dommages et intérêts pour défaut de procédure disciplinaire 6 000 000 FCP d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

1 000 000 FCP d'indemnité pour licenciement abusif ;

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir ;

- condamner la SA BRASSERIE DE TAHITI aux entiers dépens et au paiement d'une somme de 350 000 FCP en application de l'article 407 du code de procédure civile.



Par jugement du 2 août 2021 auquel il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits et de la procédure, le Tribunal du Travail de Papeete a :

- dit le licenciement de [D] [I] par la SA BRASSERIE DE TAHITI fondée sur une cause réelle et sérieuse et non abusif ;

- débouté consécutivement [D] [I] de l'ensemble de ses prétentions ;

- condamné [D] [I] aux entiers dépens de l'instance ;

- dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française.



Suivant requête d'appel enregistrée au greffe le 18 août 2021 et dernières conclusions transmises par RPVA le 2 décembre 2021, auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et arguments de l'appelant, M. [D] [I] demande à la cour de :

Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;

Jugeant à nouveau ;

A titre principal,

Requalifier les procès-verbaux litigieux en sanction disciplinaire ;

Constater que les faits mentionnés dans le courrier de licenciement ont déjà été sanctionnés ;

En tout état de cause,

Constater que l'employeur n'a pas satisfait à son obligation de formation ;

Constater la mésentente entre M. [I] et les agents de son service ;

Dire et juger le licenciement prononcé à rencontre de M. [I], privé de toute cause réelle et sérieuse ;

Condamner la société BRASSERIE DE TAHITI à payer à M. [I] les sommes suivantes :

500 000 CFP à titre de dommages et intérêts pour défaut de procédure disciplinaire ;

6 000 000 CFP à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

1 000 000 CFP à titre d'indemnité pour licenciement abusif ;

Condamner la société BRASSERIE DE TAHITI au paiement de la somme de 350 000 CFP au titre des frais irrépétibles en application de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française, outre les entiers dépens.



Suivant conclusions transmises par RPVA le ,auxquelles il est renvoyé pour un plus ample exposé des moyens et arguments de l'intimé, M. [I] demande à la cour de :

Débouter M. [D] [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

Confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

Y ajoutant,

Condamner M. [D] [I] à payer à la BRASSERIE DE TAHITI la somme de 250 000 F CFP au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens,

Condamner M. [D] [I] à payer à la BRASSERIE DE TAHITI la somme de 250 000 F CFP au titre des frais irrépétibles ainsi qu'aux entiers dépens.



L'ordonnance de clôture a été rendue le 4 mars 2022.




Motifs de la décision :



Sur la recevabilité de l'appel :



Attendu que la recevabilité de l'appel n'est pas discutée et aucun élément de la procédure ne permet à la cour d'en relever d'office l'irrégularité.









Sur la nature du licenciement :



Attendu que l'insuffisance professionnelle se traduit par l'inaptitude d'un salarié à exercer de façon satisfaisante conformément aux prévisions contractuelles, les fonctions qui lui sont confiées, perturbant ainsi le bon fonctionnement de l'entreprise ;



Qu'il est constant que l'insuffisance professionnelle est un motif personnel non fautif de licenciement qui ne dégénère en comportement fautif que s'il est justifié d'une mauvaise volonté délibérée, voire d'une intention de nuire ;



Que la lettre de licenciement du 9 mars 2020 pour insuffisance professionnelle qui fixe les termes du litige comporte une dizaine de pages, dans laquelle il est pointé' des carences managériales en matière de responsabilité et autonomie, dans la forme de communication et dans la formalisation des décisions, dans le soutien technique aux équipes, dans l'absence de considération des' obligations transversales, notamment administratives et RH.et dans une différence d'appréciation majeure de situation enfin par rapport à ses équipes' ;



Qu'en appel M. [I] conteste la motivation du tribunal qui 'n'a manifestement pas tenu compte du comportement global de l'employeur qui s'est inscrit davantage dans une démarche disciplinaire que dans l'accompagnement d'un salarié dont le comportement était considéré comme pouvant justifier l'insuffisance professionnelle' ;



Que l'appelant soutient qu'il aurait fait l'objet d'une double sanction en raison du fait que le courrier de licenciement se bornerait à reprendre les mêmes griefs et les mêmes reproches que ceux indiqués à M. [I] lors des réunions du 4 juillet et du 19 décembre 2019 ;



Que toutefois les PV querellés, des réunions tenues en présence de la quasi totalité des membres du service à la suite de plaintes et remarques du personnel, sur le comportement de M. [I], ne peuvent être qualifiés de sanctions disciplinaires ; qu'ils ne privent pas l'employeur en tout état de cause, de la possibilité de licencier le salarié en invoquant son insuffisance professionnelles pour des faits de même nature tirés de la difficulté constatée chez le salarié de développer des relations adéquates avec ses collaborateurs ; que les courriers dans lesquels la Direction générale a informé Monsieur [I] des difficultés qu'il rencontrait au sein de son équipe, ne sont que le compte rendu des observations de l'équipe technique, sans qu'aucune sanction n'ait été prise à ce stade par la Direction.;



Que le Tribunal a parfaitement analysé à la fois le comportement du salarié et la réaction de son employeur qui ne s'est pas placé sur un terrain disciplinaire, reconnaissant à l'inverse l'incapacité dans laquelle se trouvait M. [I] d'assumer les fonctions qui étaient les siennes ;



Que la décision entreprise s'est appuyée sur les nombreux témoignages versés aux débats qui constituent autant d'attestations circonstanciées caractérisant l'insuffisance professionnelle de M. [I], lequel avait pourtant été préalablement alerté sur les difficultés rencontrées par les agents avec qui il travaillait, au travers justement de la communication des PV de réunion, d'une lettre notamment de son employeur du 28 octobre 2019 ainsi que l'entretien d'évaluation du 17 décembre 2019, produit par M. [I] lui-même ;



Qu'il ressort de l'examen de la lettre de licenciement que la BRASSERIE DE TAHITI n'a pas reproché à M. [I] un comportement délibéré ou intentionnel mais une inadaptation au poste pour lequel M. [I] avait postulé ; que si les termes de griefs et de manquement sont utilisés, le terme de faute n'est du reste jamais mentionné ;



Que M. [I] soutient toutefois que l'employeur ne peut invoquer l'insuffisance professionnelle que si tous les moyens ont été donnés au salarié pour qu'il puisse faire ses preuves en temps et en formation ; qu'il soutient qu'il n'a pas bénéficié des actions d'adaptation qui lui auraient permis de répondre aux exigences des fonctions de " Chef du service technique " en méconnaissance des dispositions prévues aux articles Lp 6311-4 , Lp 6311-5 et Lp 6312-3 du code du travail ;



Qu'en défense l'employeur excipe de ce que M. [I] a précisément été embauché en raison des compétences dont il se prévalait, mettant en avant en avant à plusieurs reprises dans sa lettre de motivation, son expérience professionnelle et sa capacité à encadrer du personnel cadre mais également animer et administrer efficacement une nouvelle équipe, le tout, fort de sa connaissance approfondie de l'économie et des pratiques locales lui permettant d'être rapidement opérationnel ;



Qu'il sera constaté de fait qu'un salarié disposant de telles aptitudes non contredites par son propre CV n'a pas à recevoir a priori de la part de son employeur une formation, puisque c'est en raison de ses capacités qu'il a été embauché, l'obligation de formation ne pouvant exister qu'à l'égard d'un salarié qui n'en dispose pas ;



Qu'il est constant que l'obligation générale de formation qui pèse sur l'employeur ne tend au surplus qu'à assurer l'adaptabilité au poste de travail et le maintien du salarié dans son emploi, qu'il n'existe a contrario aucune obligation légale pour un employeur de former un salarié lors de son embauche initiale, et ce d'autant moins lorsque le dit-salarié se prévaut de qualités qui en constituent précisément le motif ;



Que si M. [I] soutient enfin que la direction aurait pris le parti des salariés de l'équipe technique et qu'il se serait retrouvé totalement abandonné à son sort 'face à 35 salariés qui justifient d'une ancienneté importante et qui se révèlent particulièrement réticents aux changements souhaités", cette allégation contestée, n'est pas justifiée davantage en appel qu'en première instance ;



Que c'est donc par des motifs pertinents que la cour adopte que le tribunal a retenu que le licenciement de M. [D] [I] par la SA BRASSERIE DE TAHITI était fondé sur une cause réelle et sérieuse.



Sur le caractère abusif du licenciement :



Attendu que l'article Lp. 1225-5 du code du travail dispose que : 'La rupture d'un contrat de travail à durée indéterminée par le salarié ou par l'employeur ouvre droit à des dommages et intérêts si elle est abusive' ;



Qu'il est constant que le salarié doit démontrer une faute de l'employeur ayant rendu les circonstances de la rupture brutale ou vexatoire et entraînant un préjudice distinct de celui de la rupture, pour ouvrir droit a des dommages et intérêts au titre d'un licenciement abusif ;



Que cette preuve n'est pas davantage rapportée en appel qu'en première instance.



Sur les frais irrépétibles :



Attendu qu'il serait inéquitable de laisser à la charge de la SA BRASSERIE DE TAHITI les frais irrépétibles du procès ; que M. [D] [I] sera condamné à lui payer la somme 250 000 F CFP au titre de l'article 407 du code de procédure civile.



Sur les dépens :



Attendu qu'en application de l'article 406 du code de procédure civile, selon lequel toute partie qui succombe est condamnée aux dépens, M. [D] [I] sera condamné aux dépens de la présente instance.



PAR CES MOTIFS,



La Cour, statuant par mise à disposition, publiquement, contradictoirement, en matière sociale et en dernier ressort ;



Déclare l'appel recevable ;



Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;



Y ajoutant :



Déboute les parties de leurs demandes plus amples ou contraires ;



Condamne M. [D] [I] à payer à la société BRASSERIE DE TAHITI la somme de 250 000 F CFP au titre de l'article 407 du code de procédure civile de la Polynésie française ;



Condamne M. [D] [I] aux entiers dépens qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 409 du code de procédure civile de la Polynésie française.



Prononcé à Papeete, le 8 septembre 2022.



Le Greffier, Le Président,





signé : M. SUHAS-TEVEROsigné : N. TISSOT

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.