11 mai 2022
Cour de cassation
Pourvoi n° 21-14.510

Troisième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2022:C300420

Texte de la décision

CIV. 3

MF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mai 2022




Cassation partielle


Mme TEILLER, président



Arrêt n° 420 F-D

Pourvoi n° F 21-14.510




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MAI 2022

1°/ la société Ocebault, société civile immobilière, dont le siège est [Adresse 4],

2°/ la société Olpri, société à responsabilité limitée, dont le siège est [Adresse 2],

ont formé le pourvoi n° F 21-14.510 contre l'arrêt rendu le 2 février 2021 par la cour d'appel de Rennes (1re chambre), dans le litige les opposant :

1°/ à la société McDonald's France, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1],

2°/ à la société Langrest, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 7],

défenderesses à la cassation.

Les demanderesses invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Baraké, conseiller référendaire, les observations de la SAS Buk Lament-Robillot, avocat de la société Ocebault, de la société Olpri, de la SCP Alain Bénabent , avocat de la société McDonald's France, de la société Langrest, après débats en l'audience publique du 5 avril 2022 où étaient présents Mme Teiller, président, M. Baraké, conseiller référendaire rapporteur, M. Echappé, conseiller doyen, et Mme Besse, greffier de chambre,

la troisième chambre civile de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Rennes, 2 février 2021), rendu en référé, sur renvoi après cassation (3ème Civ., 6 juin 2019, pourvoi n° 18-10.738), la société McDonald's France est propriétaire de la parcelle cadastrée AB [Cadastre 5], sur laquelle est édifiée un restaurant disposant d'un service « drive », exploité par la société Langrest.

2. La société civile immobilière Ocebault (la SCI) est propriétaire des parcelles contiguës, cadastrées AB [Cadastre 6] et [Cadastre 3], qui bénéficient d'une servitude de passage grevant la partie Sud-Ouest de la parcelle AB [Cadastre 5] au niveau de l'accès au drive du restaurant. La société Olpri exploite un garage construit sur la parcelle AB [Cadastre 6].

3. Dénonçant des difficultés d'usage de leur servitude de passage imputables, selon elles, aux conditions d'accès au « drive » du restaurant, la SCI et la société Olpri ont assigné en référé la société McDonald's France et la société Langrest en rétablissement du droit de passage et de l'accès aux parcelles AB [Cadastre 6] et [Cadastre 3].

Examen du moyen

Sur le moyen, pris en sa deuxième branche

Enoncé du moyen

4. La SCI et la société Olpri font grief à l'arrêt de rejeter leurs demandes d'ordonner à la société Langrest de mettre immédiatement et durablement un terme au blocage de la servitude de passage et de l'accès aux parcelles AB [Cadastre 6] et [Cadastre 3] et d'enjoindre à la société Mc Donald's France de respecter la servitude de passage instaurée entre les parcelles AB [Cadastre 5] et [Cadastre 6], alors « que le procès-verbal de constat dressé le 24 mai 2020 par Me [D] énonce que « lors de mon passage sur place, soit entre 20h11 et 20h24 : - plusieurs véhicules se sont arrêtés, de quelques secondes jusqu'à environ une minute sur la partie de voie "drive" avec zébras au sol, soit une partie de la servitude de passage qui bénéficierait aux sociétés pour sortir de la parcelle AB [Cadastre 6] » ; qu'en retenant, pour considérer que ce constat n'établissait pas le caractère insuffisant des aménagements mis en place, que les photographies annexées au constat démontrent que si des voitures ont emprunté la voie matérialisée par des zébras, elles n'ont pas obstrué cette voie que M. [K] aurait pu emprunter dans le sens de la sortie sans subir une attente anormale eu égard à la configuration et à la fréquentation du fonds, la cour d'appel a dénaturé par omission les termes clairs et précis de ce constat dont il résultait que la partie de la servitude matérialisée par des zébras était obstruée à répétition, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause. »

Réponse de la Cour

Vu l'obligation pour le juge de ne pas dénaturer les documents de la cause :

5. Pour écarter la valeur probante du procès-verbal de constat dressé par huissier de justice le 24 mai 2020, l'arrêt retient que les photographies qu'il comporte en annexe ne permettent pas de retenir que des véhicules auraient obstrué l'assiette de la servitude de passage.

6. En statuant ainsi, alors que dans la partie constatations du procès-verbal, l'huissier indique que plusieurs véhicules s'étaient arrêtés, de quelques secondes jusqu'à environ une minute sur la partie de la voie du « drive » comportant un zébra au sol, correspondant à l'assiette de la servitude de passage, la cour d'appel a dénaturé, par omission, les termes clairs et précis de ce document, et, partant, violé le principe susvisé.

Et sur le moyen, pris en sa sixième branche

Enoncé du moyen

7. La SCI et la société Olpri font le même grief à l'arrêt, alors « que caractérise un trouble manifestement illicite tout obstacle, même temporaire, fait au droit de passage « en tout temps et à tous usages » conventionnellement prévu ; que dès lors, en excluant toute entrave au droit de passage, après avoir constaté que, le 23 octobre 2020, M. [K] avait mis 7 minutes pour accéder depuis son parking à la voie publique avec sa dépanneuse, qu'il lui avait fallu 10 minutes, puis 5 minutes, le 29 octobre 2020 et que le 22 octobre il avait dû renoncer à sortir du parking avec son poids lourd, circonstances qui caractérisaient pourtant une entrave à un usage normal de la servitude de passage, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 809 du code de procédure civile. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 809, devenu 835, du code de procédure civile :

8. Le stationnement, même intermittent, sur l'assiette d'une servitude de passage, de véhicules faisant obstacle à la circulation et en diminuant l'usage pour le propriétaire du fonds dominant, constitue un trouble manifestement illicite.

9. Pour rejeter les demandes de rétablissement de l'assiette de la servitude de passage, l'arrêt retient que, même aux périodes de grande affluence, le gérant de la société Olpri a pu accéder à la voie publique, dans des délais qui n'ont rien d'anormal en zone urbaine fréquentée.

10. En statuant ainsi, alors qu'elle avait constaté qu'à plusieurs reprises, le propriétaire du fonds dominant avait dû patienter plusieurs minutes avant de pouvoir emprunter la servitude de passage pour accéder à la voie publique, qu'il avait une fois renoncé à utiliser ce passage après avoir attendu plusieurs minutes sans pouvoir s'y engager, ce dont il résultait que les aménagements installés n'avaient pas permi d'éviter que des véhicules bloquent le passage, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé le texte susvisé.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs, la Cour :

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il rejette les demandes tendant à ce qu'il soit enjoint à la société Langrest de mettre fin au blocage de la servitude de passage et de l'accès aux parcelles AB [Cadastre 6] et [Cadastre 3], et à la société McDonald's France de respecter la servitude de passage instaurée entre les parcelles AB [Cadastre 5] et [Cadastre 6], l'arrêt rendu le 2 février 2021, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ;

Remet, sur ces points, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les renvoie devant la cour d'appel d'Orléans ;

Condamne la société McDonald's France et la société Langrest aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société McDonald's France et la société Langrest et les condamne à payer à la société civile immobilière Ocebault et à la société Olpri la somme globale de 3 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mai deux mille vingt-deux.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SAS Buk Lament-Robillot, avocat aux Conseils, pour les sociétés Ocebault et Olpri

Les sociétés Ocebault et Olpri font grief à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté leurs demandes d'ordonner à la société Langrest de mettre immédiatement et durablement un terme au blocage de la servitude de passage et de l'accès aux parcelles AB n°[Cadastre 6] et [Cadastre 3] depuis la [Adresse 7]) et d'enjoindre à la société McDonald's France de respecter la servitude de passage instaurée entre les parcelles AB n°[Cadastre 5] et [Cadastre 6] ;

1°) ALORS QUE le procès-verbal de constat dressé le 24 mai 2020 par Me [D] énonce que « il appert que la zone d'entrée des véhicules du parking du restaurant, et entrée/sortie de la société Olpri, est obstruée par des véhicules à l'arrêt. Un vigile positionné dans cette zone indique oralement aux conducteurs des voitures tentant de passer par cette voie d'accès, y compris moi, qu'il convient de faire la queue sur la voie publique (…). Une file d'attente de voitures à l'arrêt s'étend ainsi, sur ladite voie publique – rue Laënnec, depuis la zone d'accès susvisée jusqu'à proximité du parking de l'enseigne But », ce dont il résultait sans ambiguïté que l'embouteillage sur la voie publique était causé par la file d'attente des véhicules tentant d'accéder au restaurant McDonald's ; que dès lors en retenant, pour considérer que ce constat n'établissait pas que les aménagements mis en place étaient insuffisants pour permettre le respect de la servitude de passage, que « l'huissier constate un embouteillage sur la voie publique dont la responsabilité ne peut être imputée aux sociétés intimées », la cour d'appel a dénaturé les termes clairs et précis du constat précité, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

2°) ALORS QUE le procès-verbal de constat dressé le 24 mai 2020 par Me [D] énonce que « lors de mon passage sur place, soit entre 20h11 et 20h24 : - plusieurs véhicules se sont arrêtés, de quelques secondes jusqu'à environ une minute sur la partie de voie "drive" avec zébras au sol, soit une partie de la servitude de passage qui bénéficierait aux sociétés pour sortir de la parcelle AB [Cadastre 6] » ; qu'en retenant, pour considérer que ce constat n'établissait pas le caractère insuffisant des aménagements mis en place, que les photographies annexées au constat démontrent que si des voitures ont emprunté la voie matérialisée par des zébras, elles n'ont pas obstrué cette voie que M. [K] aurait pu emprunter dans le sens de la sortie sans subir une attente anormale eu égard à la configuration et à la fréquentation du fonds, la cour d'appel a dénaturé par omission les termes clairs et précis de ce constat dont il résultait que la partie de la servitude matérialisée par des zébras était obstruée à répétition, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

3°) ALORS QUE caractérise un trouble manifestement illicite tout obstacle, même temporaire, fait au droit de passage « usages » conventionnellement prévu ; que dès lors, en retenant, pour considérer que les procès-verbaux de constats établis à la demande des sociétés Ocebault et Olpri les 22, 23 et 29 octobre 2020 n'étaient pas probants quant à la persistance d'un encombrement de la servitude, qu'ils incluaient « dans la zone litigieuse un secteur plus important que la partie de la servitude empruntée par la voie "drive", laquelle est matérialisée par des zébras sur le sol, créant ainsi une fausse apparence de trouble illicite en comptabilisant des véhicules qui circulent entre la zone hachurée et le premier plot non grevé par la servitude de passage », circonstance qui n'était pourtant pas de nature à exclure l'existence d'un obstacle sur l'assiette de la servitude qui correspondait à la grande majorité de la zone prise en compte, la cour d'appel, qui a statué par des motifs inopérants, a violé l'article 809 du code de procédure civile ;

4°) ALORS, en tout état de cause, QUE le procès-verbal de constat dressé le 22 octobre 2020 par Me [D] énonce que « 18h54'04'' : trois véhicules sont à l'arrêt dans la zone concernée (dont deux entièrement sur les zébras) » et comporte 18 photographies montrant des véhicules arrêtés sur les zébras ; que dès lors, en énonçant, pour considérer que ce procèsverbal n'était pas probant quant à la persistance d'un encombrement de la servitude, qu'il incluait « dans la zone litigieuse un secteur plus important que la partie de la servitude empruntée par la voie "drive", laquelle est matérialisée par des zébras sur le sol, créant ainsi une fausse apparence de trouble illicite en comptabilisant des véhicules qui circulent entre la zone hachurée et le premier plot non grevé par la servitude de passage », la cour d'appel a dénaturé par omission le procès-verbal précité dont il ressortait sans ambiguïté que des véhicules étaient arrêtés, non seulement dans l'ensemble de la zone mais plus précisément sur les zébras, méconnaissant ainsi le principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

5°) ALORS, en outre, QUE le procès-verbal de constat dressé le 29 octobre 2020 par Me [D] énonce que « à 18h59 et à 19h00 des véhicules sortent du parking situé sur la parcelle de la demanderesse. La servitude étant toujours obstruée par trois véhicules à l'arrêt, les véhicules concernés accèdent à la rue Ouest en empruntant la voie carrossable Sud-Ouest à contre sens » ; que dès lors en en énonçant, pour considérer que ce procèsverbal n'était pas probant, que les constatations concernaient une zone plus importante que la partie de la servitude empruntée par la voie drive et « qu'entre 14 heures 36 et 14 heures 43, contrairement à ce qu'il sous-entend, il ne résulte pas des constatations de l'huissier que des véhicules se soient attardés sur la zone de servitude, l'huissier évoquant uniquement la voie bordée par une ligne blanche continue doublée d'une ligne discontinue qui dépasse largement l'assiette de la servitude », la cour d'appel en a dénaturé par omission les termes clairs et précis dont il résultait, sans ambiguïté, que la servitude de passage était régulièrement obstruée, en violation du principe selon lequel le juge ne doit pas dénaturer les documents de la cause ;

6°) ALORS QUE caractérise un trouble manifestement illicite tout obstacle, même temporaire, fait au droit de passage « en tout temps et à tous usages » conventionnellement prévu ; que dès lors, en excluant toute entrave au droit de passage, après avoir constaté que, le 23 octobre 2020, M. [K] avait mis 7 minutes pour accéder depuis son parking à la voie publique avec sa dépanneuse, qu'il lui avait fallu 10 minutes, puis 5 minutes, le 29 octobre 2020 et que le 22 octobre il avait dû renoncer à sortir du parking avec son poids lourd, circonstances qui caractérisaient pourtant une entrave à un usage normal de la servitude de passage, la cour d'appel, qui n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations, a violé l'article 809 du code de procédure civile ;

7°) ALORS QUE le juge ne peut soulever un moyen d'office, ni se fonder sur des pièces qui n'ont pas fait l'objet d'un débat, sans inviter les parties à présenter leurs observations ; que dès lors, en retenant d'office, pour considérer que l'obstruction de la servitude de passage ne résultait pas des procès-verbaux des 22, 23 et 29 octobre 2020, que la sortie du parking aménagée sur le fonds dominant ne donnerait pas sur l'assiette de la servitude de passage mais sur la zone réciproquement affectée à la circulation et au stationnement, sans inviter au préalable les parties à présenter leurs observations sur ce moyen, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile ;

8°) ALORS QUE l'acte de vente du 6 octobre 1995, qui stipule que « la parcelle de terrain présentement vendue sera grevée dans sa partie sudouest d'une servitude de passage en tout temps et à tous usages au profit du surplus de la parcelle restant appartenir à la société HMP Entreprises » définit une servitude de passage sans restriction de sens de circulation dans la partie sud-ouest de la parcelle AB n° [Cadastre 5], donnant sur la rue Laënnec ; qu'en retenant que le panneau « sens interdit » implanté à l'entrée du fonds dominant, empêchant l'accès à la rue Laënnec depuis la servitude de passage, n'entraverait pas l'usage de cette dernière, aux motifs inopérants qu'il ne pourrait être confondu avec un panneau de la sécurité routière, qu'il permettrait d'assurer la sécurité des usagers des établissements et qu'il serait de l'intérêt des sociétés Ocebault et Olpri que la sortie par le passage soit aussi limité eque possible, la cour d'appel a méconnu, la loi des parties et ainsi violé l'article 1134 du code civil, dans sa rédaction applicable au litige.

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