3 mai 2022
Cour d'appel d'Agen
RG n° 21/00150

CHAMBRE SOCIALE

Texte de la décision

ARRÊT DU

03 MAI 2022



PF/CO**



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N° RG 21/00150 -

N° Portalis DBVO-V-B7F-C3NW

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[T] [Y]





C/





SARL PARFUMEL





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Grosse délivrée

le :



à

ARRÊT n° 44 /2022







COUR D'APPEL D'AGEN

Chambre Sociale







Prononcé par mise à disposition au greffe de la cour d'appel d'Agen conformément au second alinéa des articles 450 et 453 du code de procédure civile le trois mai deux mille vingt deux par Benjamin FAURE, conseiller faisant fonction de président assisté de Chloé ORRIERE, greffier



La COUR d'APPEL D'AGEN, CHAMBRE SOCIALE, dans l'affaire



ENTRE :



[T] [Y]

demeurant '[Adresse 4]'

[Localité 2]



Représentée par Me Aurélia BADY substituant à l'audience Me Camille GAGNE, avocat inscrit au barreau d'AGEN







APPELANTE d'un jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'AGEN en date du 01 février 2021 dans une affaire enregistrée au rôle sous le n° R.G. 18/00229



d'une part,



ET :



La SARL PARFUMEL prise en la personne de son représentant légal et ayant son siège social :

[Adresse 1]

[Localité 3]



Représentée par Me Arnaud DARRIEUX, avocat inscrit au barreau d'AGEN







INTIMÉE



d'autre part,





A rendu l'arrêt contradictoire suivant après que la cause a été débattue et plaidée en audience publique le 08 février 2022 sans opposition des parties devant Pascale FOUQUET, conseiller faisant fonction de président de chambre et Nelly EMIN, conseiller, assistés de Chloé ORRIERE, greffier. Les magistrats en ont, dans leur délibéré rendu compte à la cour composée, outre eux-mêmes, de Benjamin FAURE, conseiller, en application des dispositions des articles 945-1 et 805 du code de procédure civile et il en a été délibéré par les magistrats ci-dessus nommés, les parties ayant été avisées de la date à laquelle l'arrêt serait rendu.






* *

*





FAITS ET PROCÉDURE :



Mme [T] [Y] a été recrutée par la Sarl Parfumel , qui exerçait son activité à [Localité 3] et dont le gérant est M. [B], suivant plusieurs contrats de travail à durée déterminée puis par contrat à durée indéterminée du 1er avril 2014 en qualité d'employée.



La convention collective applicable est celle d'esthétique cosmétique et enseignement esthétique et parfumerie.



Le 3 avril 2017, Mme [Y] a été placée en arrêt de travail à la suite d'une suspiçion de vol du 1er avril.



Le 12 avril 2017, elle a fait l'objet d'un avertissement pour ces faits et l'a contesté.



Le 25 juillet 2017, l'employeur déposait plainte pour vol, sans la viser nommément. Elle était entendue par les services enquêteurs au mois de mars 2018 ainsi que sa collégue, Mme [V]. L'affaire sera classée sans suite.



Le 30 octobre 2017, Mme [Y] a été déclarée inapte à la reprise de son activité professionnelle par le médecin du travail.



Par courrier du 10 novembre 2017, l'employeur a notifié à sa salariée son impossibilité de la reclasser.



Le 16 novembre 2017, Mme [Y] a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement qui s'est tenu le 27 novembre 2017.



Puis par courrier recommandé daté du 30 novembre 2017 avec avis de réception, la Sarl Parfumel a notifié à Mme [Y] son licenciement pour inaptitude non professionnelle avec impossibilité de reclassement.



Mme [Y] a saisi le conseil de prud'hommes d'Agen le 29 novembre 2018 aux fins d'annulation de l'avertissement délivré le 12 avril 2017, de voir dire et juger que son licenciement était sans cause réelle et sérieuse et obtenir les indemnités afférentes.



Par jugement du 1er février 2021, le conseil de prud'hommes a :



- débouté la salariée de sa demande d'annulation de l'avertissement du 12 avril 2017

- dit et jugé que le licenciement pour inaptitude physique de Mme [Y] n'était pas en causalité avec son emploi au sein de la Sarl Parfumel

- débouté Mme [Y] de sa demande pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- condamné Mme [Y] à payer à la Sarl Parfumel les sommes de 274,02 euros de rappel de salaire et 27,04 euros de congés afférents

- débouté Mme [Y] du surplus de ses demandes

- débouté la Sarl Parfumel de sa demande reconventionnelle

- mis les dépens à la charge de la la Sarl Parfumel.



Par acte du 19 février 2021, Mme [Y] a relevé appel du jugement en intimant la Sarl Parfumel et en visant les chefs de jugement critiqués qu'elle cite dans sa déclaration d'appel, dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.



La clôture de la procédure de mise en état a été prononcée le 2 décembre 2021 et l'affaire a été fixée à l'audience de la cour du 8 février 2022.





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Par dernières conclusions d'appelant adressées au greffe par le réseau privé virtuel des avocats le 19 mai 2021, expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions de l'appelante, Mme [Y] demande à la cour de :



- réformer le jugement du conseil de prud'hommes d'Agen du 1er février 2021 en ce qu'il :

- l'a déboutée de sa demande en annulation de l'avertissement du 12 avril 2017

- a dit et jugé que son licenciement pour inaptitude physique n'était pas en causalité avec son emploi au sein de la société Sarl Parfumel et en conséquence l'a déboutée de sa demande pour licenciement sans cause réelle et sérieuse

- a condamné la Sarl Parfumel à des rappels de salaire inférieurs à la somme sollicitée par la salariée



statuant à nouveau,



- annuler l'avertissement du 12 avril 2017,



- juger son licenciement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse,



A titre principal,



- juger que doit être écarté le montant maximal d'indemnisation prévu par l'article L.1235-3 du code du travail en raison de son inconventionnalité, ce plafonnement violant les dispositions de l'article 24 de la Charte sociale européenne, les articles 4 et 10 de la convention 158 de l'OIT et le droit au procès équitable ou à défaut faire une appréciation « in concreto » du préjudice subi par le salarié.



- condamner en conséquence la Sarl Parfumel à verser à Madame [Y] la somme de 8 881,80 € net, correspondant à 6 mois de salaire, en réparation de l'ensemble des préjudices professionnels, financiers et moraux subis dans le cadre de son licenciement.



A titre subsidiaire,



- condamner la Sarl Parfumel à lui verser la somme de 5 921,20 € net correspondant à 4 mois de salaire à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en application de l'article L. 1235-3.







En tout état de cause,



- condamner la Sarl Parfumel au paiement des sommes suivantes :

- 2 960,60 € au titre de l'indemnité compensatrice de préavis,

- 296,06 € au titre des congés payés sur préavis,

- 442,47 € au titre des rappels de salaire du 1er décembre 2014 à 30 novembre 2017,

- 44, 24 € au titre des congés payés afférents.



- ordonner la remise de l'attestation Pôle emploi rectifiée ainsi que d'un bulletin de salaire récapitulant l'ensemble des condamnations prononcées à l'encontre de la Sarl Parfumel.



- condamner enfin la Sarl Parfumel au paiement de la somme de 2 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.





A l'appui de ses prétentions, Mme [Y] fait valoir que :



- sur l'annulation de l'avertissement :

- l'employeur a reconnu l'absence de réglement intérieur et ses affirmations verbales aux employées tenant à l'interdiction de sortir des échantillons et autre matériel du magasin ne sont justifiées par aucune pièce

- l'attestation de Mme [V] datant cette injonction de 'vers mars 2017" est trop incertaine et l'avertissement datant du 1er avril, il existe un doute sérieux sur son antériorité. La preuve de la date certaine de l'injonction n'est pas rapportée

- elle a été sanctionnée pour avoir délivré gracieusement des testeurs à une employée venue à la boutique sur convocation de l'employeur au sujet de sa procédure de licenciement

- les testeurs étaient gratuits et constituaient des avantages en nature auxquels l'employée, qui les a reçus, avait droit

- elle réfute avoir eu connaissance de la directive de l'employeur

- l'employeur ne justifie pas du changement de directive. Il s'agissait d'un avantage en nature et non d'une interdiction. Il n'existe aucune note de service ou autre document à ce sujet

- elle a été entendue le 29 avril 2018 par les services enquêteurs dans le cadre de la plainte du 25 juillet 2017 pour des faits de vols commis entre le 1er janvier 2016 au 25 juillet 2017

- la sanction est disproportionnée



- sur le licenciement :

- le manquement de l'employeur à son obligation de loyauté a eu pour conséquence la dégradation de son état de santé et son inaptitude professionnelle

- tout manquement conduisant à l'inaptitude professionnelle peut être invoqué pour contester un licenciement

- il s'agit d'un principe général non limité à l'obligation de sécurité

- il existait une totale désorganisation du magasin, le gérant étant souvent absent

- la gestion des stocks par M. [B] était hasardeuse. Elle est à l'origine des écarts rencontrés. Il ne s'agit pas de vols

- elle conteste toute liberté dans l'organisation du travail invoquée par l'employeur et au contraire, a vécu un stress et un inconfort permanents liés à l'absence du gérant, auxquels s'ajoutait la charge initiale de son emploi de conseillère de vente comme cela ressort de l'attestation de Mme [N], représentante en parfumerie

- en pratique, elle assumait les fonctions de responsable de fait sans avoir le salaire correspondant





- sur la non remise des documents contractuels :

- elle a été embauchée au coefficient 135 mais était chargée de nombreuses responsabilités en l'absence chronique du gérant. Elle produit les attestations de Mme [C], [V] et de Mme [N]



- elle a interpellé son employeur le 24 avril 2017 pour obtenir un document précisant ses attributions lequel en réponse, portait son coefficient à la classification175

- les nombreux échanges de SMS avec M. [B] démontrent qu'elle exerçait des fonctions de responsable de fait, à l'origine de sa surcharge de travail



- sur la déloyauté du système de vidéo surveillance :

- les employées n'étaient pas informées de la mise en place de ce dispositif

- l'autorisation de la préfecture est expirée et ne dispensait pas l'employeur de procéder à cette déclaration

- ce climat délétère, sentiment d'être surveillées, a contribué à la dégradation des conditions de travail

- l'une des caméras était d'ailleurs dirigée vers l'intérieur du magasin

- M. [B] s'est rendu au magasin immédiatement après que Mme [Y] ait remis les testeurs à la cliente



- la plainte pour vol le 25 juillet 2017 est déloyale :

- elle l'a apprise tardivement le jour de son entretien préalable soit 4 mois plus tard

- elle a été profondément affectée par le dépôt de plainte puis par son audition par les services de gendarmerie. La plainte a été finalement classée sans suite

- les écarts de stocks s'expliquent par la gestion déplorable de la structure et non par des vols

- M. [B] a déconseillé le recrutement de Mme [Y] à une autre parfumerie



- ces faits ont eu un retentissement sur sa santé :

- comme l'attestent ses collègues et les pièces médicales versées au dossier

- elle a subi un arrêt de travail le 3 avril 2017, a fait l'objet d'un suivi thérapeutique, a été déclarée inapte sur avis médical le 30 octobre 2017 et a été en dépression jusqu'en 2018



- le lien de causalité est établi entre la dégradation de ses conditions de travail et l'atteinte à sa santé



- elle demande d'écarter le barême ou subsidiairement de retenir 4 mois de salaire car elle a été privée de ressources du 17 septembre au 31 décemre 2017. L'employeur a refusé de lui solder ses congés. Elle n'a trouvé que quelques contrats à durée déterminée puis un contrat de professionnalisation du 14 septembre 2020 au 30 juin 2022. Elle perçoit actuellement 1231,56 euros mensuels bruts et subi une perte financière d'environ 250 euros.





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Par dernières conclusions d'intimé et d'appel incident enregistrées au greffe le 16 août 2021 expressément visées pour plus ample exposé des moyens et prétentions, la Sarl Parfumel demande à la cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a octroyé à Mme [Y] le coefficient 175 de la convention collective et un rappel de salaires de 274,02 euros outre 27,40 euros de congés payés afférents et y ajoutant, condamner Mme [Y] à lui payer la somme de 2 500 euros sur l'article 700 ainisi que les dépens.



A l'appui de ses prétentions, la Sarl Parfumel fait valoir que :



- sur l'avertissement :

- il est fondé car la salariée a reconnu devant témoins être au courant de l'interdiction de sortir des échantillons hors sa présence expresse



- la reconnaisssance des faits par la salariée ressort des termes de l'avertissement qu'il lui a délivré

- il n'est pas astreint à un réglement intérieur faisant figurer cette directive car la structure est inférieure à 20 salariés

- l'audition de Mme [V] devant les services enquêteurs démontre du fait des dates données, que la salariée connaissait ses directives le jour de l'incident du 1er avril

- son comportement traduit un acte d'insubordination qu'il a sanctionné



- sur le licenciement :

- les jurisprudences produites sont inapplicables

- seule la violation d'une obligation de sécurité à l'origine d'un accident du travail entraine la requalification de la rupture pour inaptitude

- or, il n'a commis aucun manquement à son obligation de sécurité de nature à entraîner l'inaptitude constatée et en l'absence de tout lien de causalité, le licenciement est bien fondé.



- à titre subsidiaire : les manquements allégués sont inexistants

- elle jouissait d'une grande liberté en termes d'organisation et de sa confiance

- s'il existe une désorganisation, il est le seul auquel elle a porté préjudice

- il conteste toute désorganisation de la parfumerie mais une grande latitude d'organisation, sans charge de travail supplémentaire, vecteur de liberté laissé à ses employées et relevant d'un choix managérial

- Mme [Y] se comportait en responsable du commerce et, déçue dans son projet professionnel de rachat, n'a plus voulu travailler sous ses ordres.



- sur la remise des documents :

- elle a obtenu le coefficient 175

- elle se comportait comme une responsable mais ne l'était pas et ne le démontre pas. Elle exerçait les fonctions normales d'une vendeuse



- sur la vidéo surveillance :

* il n'existe aucun lien entre le manquement allégué et l'inaptitude

* il avait pour but de prévenir des vols par effraction et non de surveiller les employées

* il a été régulièrement déclaré en préfecture



- sur les accusations de vols :

- il a déposé une première plainte pour vol, non nominative, le 25 juillet 2017 alors qu'elle était en arrêt maladie depuis plus de 3 mois

- la rupture du contrat est intervenue en novembre 2017 et elle n'a été entendue qu'au mois d'avril 2018. Il n'existe donc pas de lien entre l'inaptitude et la mise en cause puisque elle a été licenciée avant son audition



- sur les rappels de salaire entre le 1er décembre 2014 et le 30 novembre 2017 :

* en raison de la prescription, elle ne peut réclamer que les rappels de salaire sur la période du 1er décembre 2015 au 30 novembre 2017

* elle ne démontre pas que ses tâches correspondaient à cette époque à la classification 175 réclamée



- elle est mal fondée à demander d'écarter le barême de l'article 1235-3 du code du travail et les préjudices complémentaires sont injustifiés






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MOTIFS :



I) Sur l'avertissement



Selon l'article L. 1331-1 du code du travail, « constitue une sanction toute mesure, autre que les observations verbales, prise par l'employeur à la suite d'un agissement du salarié considéré par l'employeur comme fautif, que cette mesure soit de nature à affecter immédiatement ou non la présence du salarié dans l'entreprise, sa fonction, sa carrière ou sa rémunération ».

La définition donnée par l'article L. 1331-1 du code du travail se rattache à une conception subjective de la sanction disciplinaire. C'est la volonté de l'employeur de sanctionner un comportement du salarié qu'il estime fautif qui est déterminante pour la qualification de la mesure concernant le salarié.

L'article L.1332-1 du code du travail dispose que : 'Aucune sanction ne peut être prise à l'encontre du salarié sans que celui-ci soit informé dans le même temps par écrit des griefs retenus contre lui'.

L'article L.1333-2 du code du travail dispose que : 'Le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou diproportionnée à la faute commise'.



En l'espèce, par lettre datée du 12 avril 2017, l'employeur a notifié à la salariée les griefs fondant son avertissement : 'Le samedi 1er avril 2017, nous avons eu à regretter les faits suivants : en fin d'après-midi, nous avons appréhendé Mme [P] [T] employée de la Sarl PARFUMEL actuellement en congé parental. Mme [P] sortait du magasin BEAUTY SUCCESS avec un conditionnement de plusieurs testeurs de parfums dont voici la liste : (...)

Devant témoins, vous nous avez confirmé bien connaître l'instruction de ne faire sortir aucun produit, cadeau, testeur et assimilés sans la présence expresse du gérant. (Le non respect de cette règle pourrait être assimilée à un vol. Vous nous avez déclaré avoir été la personne qui a donné le conditionnement de testeurs à Mme [P].

J'en conclus que c'est délibérément que vous êtes passée outre mes instructions. Une telle attitude constitue un manquement à vos obligations contractuelles. Pour éviter qu'une telle situation ne se reproduise, je juge nécessaire de vous adresser le présent avertissement qui sera porté à votre dossier. (...)'



La cour retient qu'en premier lieu, l'employeur n'établit pas avoir délivré aux salariés l'information qu'il allégue. En effet, il ne produit aucune note de service qui aurait été délivrée au personnel à ce sujet. Il se fonde sur l'audition de Mme [V] le 26 avril 2018 laquelle déclarait que 'vers mars 2017", M. [B] avait téléphoné aux employées pour leur interdire de retirer du magasin les cadeaux qu'elles obtenaient en fonction de leurs résultats commerciaux. D'une part, aucun élément ne permet d'établir que Mme [Y] avait été contactée personnellement et avait eu connaissance de l'information et d'autre part, s'il s'agissait effectivement de cadeaux revenant aux employées, l'employeur n'avait pas à leur imposer d'interdiction.

En second lieu, l'employeur s'appuie sur son propre courrier d'avertissement dans lequel il a indiqué que Mme [Y] avait reconnu connaître ses instructions 'devant témoin'. Cependant, il s'agit d'une affirmation qui est contestée et qui n'est corroborée par aucun élément de preuve et notamment par par une attestation de ce prétendu témoin.

En toute hypothèse, à supposer même que l'interdiction ait été réellement portée à la connaissance de Mme [Y] avant les faits, eu égard à ceux-ci, qui ne portaient que sur la remise de quelques testeurs de parfum à une collègue de travail, l'avertissement notifié à la personne qui selon les propres termes de l'employeur se comportait en responsable du magasin - sans qu'il ait jamais remis ce statut en cause auprès des autres salariés - constitue une sanction disciplinaire totalement disproportionnée, un simple rappel des consignes paraissant plus que suffisant pour des faits ne pouvant à l'évidence être considérés comme un vol.



Dès lors il y a lieu d'infirmer le jugement de ce chef et d'annuler l'avertissement délivré le 12 avril 2017 par l'employeur à Mme [Y].



II) Sur l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement



Il résulte des dispositions des articles L.1232-1 et L.1235-1 du code du travail que tout licenciement pour motif personnel doit être justifié par une cause réelle et sérieuse, et qu'en cas de litige relatif au licenciement, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La salariée sollicite la requalification de son licenciement pour inaptitude en licenciement sans cause réelle et sérieuse en soutenant que l'inaptitude est consécutive au comportement fautif de l'employeur.



Pour infirmer le jugement, la cour retient en premier lieu les attestations de Mme [V], employée de janvier 2016 à juillet 2017 : 'on n'avait aucune formation pour être responsable mais on devait le faire. On vérifiait les ventes, on prenait les commandes, on vérifiait les manques, les nouveautés', de Mme [N], commerciale que 'lorsqu'elle venait au magasin, elle avait toujours à faire aux employées qui se débrouillaient comme elles pouvaient' et de Mme [K], stagiaire en 2017 : 'Le patron faisait confiance à [T]. Il la laissait gérer le magasin. Il regardait juste les bénéfices. J'ai toujours vu [T] gérer le magasin' qui établissent le rôle de responsable de fait de la salariée.

Il ressort également du compte rendu de l'entretien préalable que l'employeur n'a pas réagi ni n'a apporté de contradiction à l'énumération des tâches par la salariée :' Je faisais l'ouverture, la fermeture, les caisses, les commandes, les inventaires (...), je classe les factures, les avoirs et les bons de commande. Et en plus je forme les stagiaires (...)'. La conseillère de la salariée a noté : ' M. [B] n'apporte aucune contradiction, il ne répond pas'.

Ces éléments établissent qu'elle réalisait des tâches qui ne relevaient pas de ses fonctions et qui ont généré une surcharge de travail.



En second lieu, l'usage des caméras, pour lesquelles l'autorisation préfectorale avait expiré depuis le 30 mars 2016, initialement installées pour sécuriser le magasin, a été détourné de sa finalité. En effet, l'utilisation de la vidéo surveillance a été mise en place manifestement dans le but d'exercer une surveillance sur les employées. L'intervention immédiate de M. [B] lors de l'incident du 1er avril 2017 et sa déclaration lors de son complément de plainte, le 1er décembre 2017, le confirme : 'j'ai surveillé par le biais de la vidéo surveillance. Un jour j'ai vu [T] préparer un sac avec des échantillons, des testeurs. Je suis allé au magsin, c'était le samedi 1er avril 2017".

Enfin, le jour même de son entretien préalable le 27 novembre 2017, la salariée a appris incidemment de son employeur lui-même qu'il avait déposé plainte contre elle sans en préciser l'objet malgré sa demande. Cette absence de réponse et la brutalité de l'annonce ont contribué à aggraver son état de santé déjà dégradé.



Ainsi, il est démontré que l'inaptitude a été causée par le comportement de l'employeur qui a imposé à la salariée une charge excessive de travail et par le manquement à son obligation de loyauté, faisant ainsi ressortir un comportement fautif de cet employeur directement à l'origine de la dégradation de l'état de santé de la salarié, puis de son inaptitude.

En conséquence, la cour infirme le jugement et déclare le licenciement sans cause réelle et sérieuse.



III) Sur les conséquences financières du licenciement



Il convient de fixer le salaire de Mme [Y] à la somme mensuelle brute de 1480,30 euros, tel qu'il ressort des bulletins de salaire produits.



L'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, applicable à l'espèce, prévoit que si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, en cas de refus de la réintégration du salarié dans l'entreprise, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre les montants minimaux et maximaux fixés par ledit article, en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise et du nombre de salariés employés habituellement dans cette entreprise.

Mme [Y] demande à la cour d'écarter le barème fixé par l'article L.1235-3 du code du travail qui, compte tenu de son ancienneté, limite son indemnisation entre 3 et 4 mois de salaire en invoquant, d'une part, son inconventionnalité au regard des dispositions de l'article 10 de la convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail et de l'article 24 de la Charte sociale européenne, d'autre part, le caractère dérisoire de l'indemnité résultant de l'application de l'article 1235-3 précité, par rapport au préjudice qu'elle subit du fait de la rupture abusive du contrat de travail.

L'article 55 de la Constitution, aux termes duquel les traités et accords régulièrement ratifiés ont une autorité supérieure à celle des lois, impose au juge national de contrôler la compatibilité d'une loi avec les engagements internationaux de la France et d'écarter l'application de la règle interne incompatible avec une règle internationale ou européenne.

L'applicabilité directe de la norme internationale au contentieux de droit privé est toutefois subordonnée à deux conditions cumulatives : d'une part, l'incorporation de la norme conventionnelle dans l'ordre juridique interne, qui n'est discutée ni pour la convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail, ni pour la Charte sociale européenne, ratifiée en toutes ses dispositions et sans réserves par la France, d'autre part, l'intention des parties contractantes de créer directement des droits pour les particuliers et une précision suffisante de la norme, à la fois dans son objet et sa forme, pour être directement applicable, sans mesure complémentaire d'exécution.

L'article 24 de la Charte sociale européenne révisée stipule que « en vue d'assurer l'exercice effectif du droit à la protection en cas de licenciement, les parties s'engagent à reconnaître' le droit des travailleurs licenciés sans motif valable à une indemnité adéquate ou à une autre réparation appropriée' ». L'annexe à cette Charte, qui en fait partie intégrante, précise que « ['] il est entendu que l'indemnité ou toute autre réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable doit être déterminée par la législation ou la réglementation nationales, par des conventions collectives ou de toute autre manière appropriée aux conditions nationales ».

Ces termes mettent clairement en évidence que l'intention des parties contractantes n'était pas de créer directement un droit pour les particuliers, puisqu'elles faisaient expressément mention de la nécessité d'une intervention de l'Etat pour déterminer l'indemnité adéquate ou la réparation appropriée. Dès lors, les dispositions de l'article 24 de la Charte ne sont pas d'effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers.

L'article 10 de la convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail, ratifiée par la France le 16 mars 1989, stipule que le salarié injustement licencié dont la réintégration ne peut être ordonnée ou proposée doit obtenir une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Cet article créé un droit au profit d'un particulier, qui peut être assuré sans que soit nécessaire l'intervention d'une législation nationale pour en assurer l'effectivité. Dès lors, il est directement applicable dans le cadre du litige soumis à la Cour, étant observé par ailleurs que son application directe en droit interne dans les litiges entre particuliers n'est discutée par aucune des parties et a d'ailleurs été admise par la Cour de cassation dans un avis du 17 juillet 2019.

Le pouvoir de vérification de la conventionnalité de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa rédaction issue de la loi de ratification du 27 mars 2018, au regard de l'article 10 précité, est ouvert en l'espèce, même si l'article L.1235-3, dans cette rédaction, a été jugé conforme à la Constitution par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 21 mars 2018.

Il impose au juge de rechercher, tout d'abord in abstracto, si cette disposition légale est conforme ou contraire à un droit ou un principe conventionnel, et ensuite in concreto, si elle est jugée conforme aux engagements internationaux de la France, de vérifier qu'elle n'affecte pas de manière disproportionnée un droit ou un principe revendiqué par l'une des parties au procès.

Le principe de réparation intégrale d'un préjudice, opposé par Mme [Y], est un principe général du droit consacré par la Cour de cassation. Il n'a pas valeur constitutionnelle, mais seulement valeur législative, ce qui autorise le législateur à y déroger pour un motif d'intérêt général. Le législateur a d'ailleurs mis en place dans certains domaines des plafonds, et plus rarement des planchers d'indemnisation.

En l'espèce, le législateur, aux termes de l'exposé des motifs de la loi d'habilitation, a entendu, par la barémisation des dommages et intérêts prévue par l'article L.1235-3, notamment en fonction de l'ancienneté, renforcer la prévisibilité des conséquences qui s'attachent à la rupture du contrat de travail et favoriser l'emploi en redonnant confiance aux employeurs et aux investisseurs. Il apparaît qu'il a ainsi poursuivi un but d'intérêt général qu'il n'appartient pas au juge judiciaire de discuter ou d'apprécier.

Par ailleurs, une indemnité adéquate ou une réparation appropriée n'implique pas en soi, une réparation intégrale du préjudice résultant de la perte d'emploi et peut s'accorder avec l'instauration d'un plafond.

Par suite les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail n'apparaissent pas, in abstracto et par elles-même, contraires aux dispositions de l'article 10 de la convention n°158 de l'Organisation Internationale du Travail.

S'agissant du contrôle in concreto portant sur la vérification que l'application de l'article L.1235-3 du code du travail, dans sa version issue de l'ordonnance n°2017-1387 du 22 septembre 2017, n'affecte pas de manière disproportionnée le droit de Mme [Y] d'obtenir une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée, il convient de relever que :

- Mme [Y] sollicite le paiement d'une indemnité égale à 6 mois de salaire brut (et non net comme indiqué dans les conclusions de l'appelante) de 8881,80 euros

- compte tenu de son ancienneté 3 ans et 6 mois, dans une entreprise employant habituellement moins de 11 salariés, l'indemnité due par la société Parfumel en l'absence de réintégration est fixée à un mois de salaire brut selon l'article L.1235-3

- Mme [Y], étant âgée de 21 ans au jour de la rupture de son contrat de travail, la fourchette d'indemnisation prévue au cas d'espèce, permettant d'allouer au salarié jusqu'à 1 mois de salaire brut d'indemnité, n'apparaît pas disproportionnée par rapport au préjudice résultant pour Mme [Y] de la rupture de son contrat de travail

- dès lors, in concreto et en l'absence de disproportion, l'inconventionnalité de l'article L.1235-3 du code du travail n'est nullement établie et la demande de Mme [Y] de voir écarter l'application de l'article L.1235-3 précité sera rejetée



- au regard des éléments d'appréciation qui précèdent sur la situation personnelle de Mme [Y], le préjudice résultant de la rupture abusive de son contrat de travail sera justement indemnisé par l'allocation d'une somme de 1 480,30 euros à titre de dommages-intérêts que la société Parfumel sera condamnée à lui payer



La cour infirmera donc le jugement et condamnera l'employeur à payer à Mme [Y], outre cette indemnité, les sommes de 2 960,60 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et de 296,06 euros au titre de l'idemnité compensatrice de congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis.



Il résulte enfin des dispositions de l'article L.1235-4 du code du travail que, lorsque le juge condamne l'employeur à payer au salarié une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse sur le fondement des dispositions de l'article L.1235-3 du même code, il ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage. Il convient de faire application de ces dispositions au cas d'espèce.



La cour ordonne à la société Parfumel de remettre à Mme [Y] un bulletin de salaire rectifié et d'une nouvelle attestation Pôle emploi conforme au présent arrêt.



IV) Sur le rappel de salaires



À titre liminaire, il convient de rappeler qu'en cas de différend sur la catégorie professionnelle qui doit être attribuée à un salarié il n'y a pas lieu de s'attacher aux mentions portées sur le contrat de travail ou les organigrammes, mais à la réalité des fonctions exercées par le salarié, à la nature de l'emploi effectivement occupé et à la qualification qu'il requiert. Par ailleurs, c'est à celui qui revendique une classification conventionnelle ou un coefficient différent de celui figurant sur son contrat de travail ou son bulletin de salaire de démontrer qu'il assure de façon permanente, dans le cadre de ses fonctions, des tâches et responsabilités relevant de la classification qu'il estime être la sienne.

Le salarié ne peut prétendre à obtenir la classification conventionnelle qu'il revendique que s'il remplit les conditions prévues par la convention collective.



En l'espèce, la salariée revendique l'application du coefficient 175 de la convention collective pour la période du 1er décembre 2014 au 30 novembre 2017 en raison des tâches qui lui incombaient et qui dépassaient son simple rôle de conseillère de vente. Une revalorisation au coefficient 175 à compter du 1er juin 2017 lui avait été notifiée par courrier du 8 juillet 2017.

Il lui appartient de démontrer qu'elle effectuait les tâches relevant de cette classification de manière permanente et non occasionnelle.



Pour confirmer la décision, il suffira de rappeler que la salariée produit des attestations ( Mme [V], Mme [N], Mme [C]) établissant qu'elle exerçait un emploi impliquant un rôle de responsable de magasin qui n'a pas été démenti par son employeur lors de l'entretien préalable lors duquel elle était assistée.

D'autre part, l'article L.3245-1 du code du travail issu de la loi du 14 juin 2013 prévoit une prescription de 3 ans pour l'action en paiement ou en répétition des salaires à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer. La demande peut porter sur les sommes dues au titre des





trois dernières années à compter de ce jour ou lorsque le contrat est rompu, sur les sommes dues au titre des trois années précédant la rupture du contrat qui, en l'espèce, est intervenue le 30 novembre 2017.

En conséquence, la cour infirme le jugement entrepris et condamne la Sarl Parfumel à payer à Mme [Y] la somme de 442,47 euros au titre des rappels de salaire du 1er décembre 2014 au 30 novembre 2017 et 44,24 euros au titre des congés payés afférents.



V) Sur les demandes accessoires



La Sarl Parfumel qui succombe sera condamnée aux dépens d'appel et à payer à Mme [Y] la somme de 2 000 euros au titre des frais non répétibles.



PAR CES MOTIFS :



La Cour, statuant contradictoirement, par arrêt prononcé par sa mise à disposition au greffe et en dernier ressort,



INFIRME le jugement en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a condamné la Sarl Parfumel aux dépens,



Statuant de nouveau des chefs infirmés,



ANNULE l'avertissement du 12 avril 2017,



CONDAMNE la Sarl Parfumel à payer à Mme [Y] les sommes de :

- 1 480, 30 euros bruts à titre d edommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

- 2 960,60 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

- 296,06 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis ;

- 442,47 euros bruts à titre de rappel de salaires ;

- 44,24 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur rappel de salaire ;



y ajoutant,



ORDONNE le remboursement par la Sarl Parfumel aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées à Mme [Y], du jour de son licenciement au jour de l'arrêt prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage,



ORDONNE à la Sarl Parfumel la remise d'un bulletin de salaire et d'une attestation Pôle emploi rectifiés conforme au présent arrêt,



CONDAMNE la Sarl Parfumel aux dépens de l'appel,



CONDAMNE la Sarl Parfumel à payer à Mme [Y] la somme de 2 000 euros au titre des frais non répétibles.



Le présent arrêt a été signé par Benjamin FAURE, conseiller faisant fonction de président et Chloé ORRIERE, greffier.



LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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