22 mai 1997
Cour d'appel de Versailles
RG n° 1995-7326

Texte de la décision

A compter du 1er février 1994, prenant la suite de MULTIFROID SERVICES, la société LAPCANOR a assuré le transport de produits de la société CHAMBOURCY depuis les entrepôts de cette dernière jusqu'aux entrepôts ou magasins de ses clients.

Il est constant que CHAMBOURCY n'a pas réglé cinq factures de LAPCANOR pour un montant total, à l'origine de 310.623,73 francs TTC. CHAMBOURCY motivait ces refus de règlements par l'existence de manquements par LAPCANOR à ses obligations, le principal étant le défaut de restitution du matériel de livraison.

Par exploit d'huissier en date du 18 août 1994, LAPCANOR a alors assigné CHAMBOURCY en référé devant le président du tribunal de commerce de NANTERRE afin de la voir condamner à lui payer, à titre provisionnel, la somme de 244.977,32 francs en principal, au titre d'une partie des factures impayées. Devant ce magistrat, les parties ont convenu que le montant total des factures non réglées était de 310.623,73 francs TTC et CHAMBOURCY a réglé à la barre à LAPCANOR la somme de 90.028,89 francs, sous réserve de tous ses droits quant à la valeur exacte du matériel de livraison non restitué par LAPCANOR.

Pour le surplus de la créance invoquée par LAPCANOR au titre des factures impayées, soit la somme de 214.594,84 francs, CHAMBOURCY a invoqué la compensation entre cette dette et sa créance contre LAPCANOR au titre du matériel de livraison non restitué par elle, et évalué par CHAMBOURCY à cette somme de 214.594,84 francs.

Par ordonnance de référé rendue le 20 septembre 1994, le président du tribunal de commerce de NANTERRE a dit n'y avoir lieu à référé compte tenu de la contestation sérieuse soulevée par CHAMBOURCY, et renvoyé les parties devant le tribunal statuant au fond.

C'est dans ces conditions qu'a été rendu le jugement déféré du 02 juin 1995, qui a fait droit à la demande de compensation de CHAMBOURCY et a condamné LAPCANOR à payer à CHAMBOURCY la somme de

5.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

Au soutien de l'appel qu'elle a interjeté contre cette décision, LAPCANOR fait valoir qu'elle a commencé à effectuer des transports pour le compte de CHAMBOURCY dès février 1994 puisqu'elle a, par ordonnance du juge commissaire du 24 mai 1994, été autorisée à racheter la clientèle de MULTIFROID SERVICES, qui effectuait des transports pour le compte de CHAMBOURCY. Elle précise que cette cession de clientèle a fait l'objet d'un contrat, postérieur à l'ordonnance, dont aucune clause ne la subroge dans les droits et obligations de MULTIFROID SERVICES.

Elle estime que, dans ces conditions, les éventuelles obligations auxquelles MULTIFROID SERVICES aurait été tenue ne lui sont pas opposables.

Elle précise qu'elle n'a, quant à elle, souscrit aucun accord avec CHAMBOURCY qui contiendrait obligation expresse ou tacite de retour des matériels constituant les emballages et les supports, après exécution du contrat de transport. Elle souligne qu'à cet égard, les transports qu'elle a effectués en février et mars 1994 l'ont été sans retour des emballages et supports et lui ont été réglés sans contestation et précise que, lors des autres transports, elle n'a, non plus, réalisé aucun retour des emballages. Elle considère qu'il en résulte, nonobstant les termes d'une lettre du 14 juin 1994 -qui doit être replacée dans son contexte (pressions de CHAMBOURCY pour obtenir, sans contrepartie, un tel retour)- la preuve de l'absence d'obligation, à sa charge, de retour des emballages. Elle souligne qu'au surplus elle a, dans une lettre du 29 juin 1994, manifesté sans ambigu'té son désaccord sur cette prétention de CHAMBOURCY.

LAPCANOR fait valoir, en droit, que la prestation qu'elle fournit est un contrat de transport usuel, lequel ne comprend pas obligation de

retour des emballages à l'expéditeur. Elle précise que le prix qu'elle facture à CHAMBOURCY est facturé en fonction du poids net des marchandises, hors emballages et supports. Elle souligne que l'accord des transports routiers de denrées alimentaires dont fait état CHAMBOURCY -qui n'a d'ailleurs pas l'objet que cette société lui prête- spécifie, lorsqu'il envisage la reprise des palettes, par le transporteur, chez le destinataire, que "les transports de marchandises palettisées seront facturés sur la base du poids brut transporté, palettes comprises", ce qui n'est pas le cas en l'espèce, ce qui, une fois encore, démontre que les parties n'ont pas entendu mettre à la charge du transporteur une obligation de retour des emballages.

LAPCANOR estime que les emballages font partie intégrante de l'envoi et que leur éventuel retour doit faire l'objet d'un contrat indépendant. Elle estime que, dans ces conditions, l'exigence de CHAMBOURCY, non contractuelle, serait de plus sans contrepartie. Au surplus, il faudrait notamment que CHAMBOURCY puisse justifier des instructions qu'il aurait données aux destinataires de ses expéditions sur les conditions de restitution des supports et emballages au transporteur et qu'ait été définie la responsabilité pouvant incomber au destinataire et au transporteur en ce qui concerne les conditions et délais de restitution desdits supports et emballages.

LAPCANOR fait enfin observer, sur l'évaluation du préjudice, que celle-ci ne trouve aucune autre justification que celle d'être l'équivalent du montant de la facture impayée. Au surplus, s'il est exact que les emballages en question restent sa propriété, rien ne l'empêche d'en obtenir la restitution auprès des destinataires des livraisons. Or, elle ne justifie nullement avoir même tenté de l'obtenir.

Outre condamnation de CHAMBOURCY à lui payer 214.594,84 francs avec intérêts au taux légal à compter du 4 juillet 1994, LAPCANOR demande condamnation de CHAMBOURCY à lui payer 36.180 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

CHAMBOURCY, qui souligne qu'elle demande compensation judiciaire entre la créance de LAPCANOR et la sienne propre, à l'encontre de cette même société, et qu'elle demande à la cour de liquider, fait valoir à cet égard que LAPCANOR n'exécutait pas correctement les obligations contractuelles qui étaient les siennes. Elle précise que ses relations contractuelles avec LAPCANOR sont antérieures à la cession de la clientèle de MULTIFROID SERVICES qui serait intervenue au profit de LAPCANOR et souligne que d'une part celle-ci ne retournait pas régulièrement les bons de livraison -qui constitue la preuve de remise des marchandises au client- ce qui rendait difficile, voire impossible la mise en oeuvre de la clause de réserve de propriété, que d'autre part, de nombreux problèmes de livraison sont intervenus (casse, retards...) et qu'enfin et surtout elle n'exécutait pas son obligation de reprise et de restitution du matériel de livraison, ce qui constitue la cause de la créance qu'elle invoque pour solliciter la compensation.

CHAMBOURCY souligne que la preuve de cette obligation est libre, conformément aux dispositions de l'article 109 du code de commerce. Elle estime apporter cette preuve, d'une part, en soulignant que MULTIFROID SERVICES auquel a succédé LAPCANOR, exécutait cette obligation sans supplément de prix. Or, précise-t-elle, LAPCANOR s'est engagée, dans une lettre adressée à CHAMBOURCY, à "garantir la pérennité de service" et, contrairement à ses allégations, a effectivement -même si cela n'a été fait qu'incomplètement- exécuté cette obligation en février et mars 1994. Elle a même, par une lettre du 14 juin de la même année, reconnu et accepté que cette prestation

lui incombait. Elle précise que ce n'est que par une télécopie du 20 juillet 1994 et par une lettre du 1er août qu'elle a, finalement, et sans doute pour les besoins de la cause, contesté en être redevable, précisant ne l'avoir exécutée qu'à titre purement commercial.

Si la cour devait, à cet égard, considérer que cette télécopie et ce courrier constituent une résiliation unilatérale de son engagement, celui-ci ne saurait produire effet qu'après un délai de préavis qui doit être fixé, conformément aux usages, à trois mois. En toute hypothèse, une telle résiliation ne saurait priver CHAMBOURCY de l'indemnisation qui lui est due pour les matériels non restitués avant l'expiration du délai de préavis.

Sur l'existence de l'obligation, CHAMBOURCY fait valoir qu'elle est en outre conforme aux usages et est exécutée par l'ensemble des autres transporteurs qui travaillent pour elle. Elle est d'ailleurs reprise dans le protocole relatif aux transports routiers de denrées alimentaires du 30 octobre 1991. Elle considère que ce protocole s'impose aux parties et qu'en toute hypothèse il a au moins la valeur d'usage professionnel et s'impose, à ce titre, également aux parties. A cet égard, le fait que les factures aient été établies sur la base du poids net des marchandises serait, même si cela était établi, inopérant.

Sur le montant de sa créance, CHAMBOURCY fait valoir que la somme de 214.594,84 francs qu'elle réclame correspond à la moitié du prix du matériel neuf non restitué et est pleinement justifié. Elle demande en outre à la cour condamnation de LAPCANOR à lui payer 15.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile. SUR CE LA COUR

Attendu que le contrat de transport de marchandises est une convention par laquelle le transporteur s'engage à prendre un bien en un lieu déterminé et à le remettre indemne à son destinataire en un

autre lieu déterminé ; qu'il n'emporte pas, par lui-même, l'obligation de rapatrier au point de départ l'éventuel emballage du bien transporté, une telle obligation n'existant que si elle est spécialement prévue ;

Attendu que le décret du 7 avril 1988 sur le transport routier de marchandises périssables sous température dirigée ne prévoit pas la charge du retour des supports de livraison après transport ; que ni l'accord relatif aux transports routiers de denrées alimentaires du 30 octobre 1991, ni la lettre du délégué général du syndicat national des fabricants de produits laitiers frais ne justifient de l'existence d'usages professionnels applicables à l'espèce ;

Attendu que le décret du 4 mai 1988 mettant en place le contrat type messagerie n'est pas applicable aux transports sous température dirigée régis par le décret du 7 avril 1988 ci-dessus visé ;

Attendu en l'espèce que les relations contractuelles entre LAPCANOR et CHAMBOURCY sont définies par les termes d'une lettre adressée par la MULTIFROID SERVICES à CHAMBOURCY le 31 janvier 1994 ; que par cette lettre, qui ne fait nulle référence à la cession de clientèle, d'ailleurs ultérieure, invoquée par LAPCANOR, ce transporteur indique à CHAMBOURCY que la société MULTIFROID SERVICES "passe sous le contrôle de la société LAPCANOR, à dater du 1er février 1994" et précise que "cela ne changera rien aux excellentes relations que nous entretenons depuis plusieurs mois et nous nous engageons à vous garantir la pérennité de service"; que, conformément à cette lettre, LAPCANOR a, dès février 1994, effectué des transports pour le compte de CHAMBOURCY ;

Attendu qu'il résulte de ces éléments que LAPCANOR s'est clairement et sans ambigu'té engagée, vis à vis de CHAMBOURCY, au même service que celui qui était antérieurement assuré par MULTIFROID SERVICES ;

Attendu que CHAMBOURCY justifie de ce qu'INTERFROID DISTRIBUTION

(devenu MULTIFROID SERVICE comme cela résulte de la lettre de cette dernière société en date du 22 mars 1993) s'était obligée à retourner, après transport, les supports de livraison des différents types et modèles ("expos" petites et grandes roues, "expos" lait, palettes, "rolls"...) ; que l'existence de cette obligation résulte notamment de courriers des 14 août 1990, 26 février 1991, 3 avril 1992 et 11 février 1993, ainsi que d'une télécopie du 29 octobre 1990 ;

Attendu que cette reprise, par LAPCANOR, de l'engagement spécifique de MULTIFROID SERVICES de retour des supports de livraison après transport, est implicitement confirmée par le fait que cette société l'a effectivement exécuté, dans les premiers mois durant lesquels elle a travaillé pour le compte de CHAMBOURCY, même si ces retours de supports ont été effectués de façon incomplète, comme en témoignent les fiches de suivi de ces retours pour les mois de février à mai 1994; que cette reprise de l'engagement est encore confirmée, explicitement cette fois-ci, par le courrier de LAPCANOR à CHAMBOURCY, en date du 14 juin 1994, par lequel le transporteur indique : "je vous confirme que nous mettons des moyens en place pour récupérer des emballages (rolls, tirlait), nous vous en rendrons avant fin de semaine" ; que l'existence de cet engagement n'est pas contredite par les courriers postérieurs de LAPCANOR faisant savoir pour l'un que cette société serait prête, pour l'avenir, à mettre en place les moyens nécessaires pour assurer la récupération et le retour de supports de matériel déjà livré, et pour l'autre faisant savoir que les retours déjà effectués l'avaient été "à titre gracieux" ; que ces deux documents, qui ne sont pas explicites, ne constituent pas même une résiliation de l'engagement antérieur ;

Attendu que LAPCANOR allègue vainement que l'obligation à laquelle elle s'est engagée de retour des supports de livraison serait sans

contrepartie dès lors que s'étant engagée à exécuter cette obligation spéciale en même temps qu'elle s'engageait au transport, il n'est pas possible de distinguer, dans le montant de la rémunération demandée, la part affectée au paiement des retours ;

Attendu que, contrairement aux allégations de LAPCANOR, il résulte notamment des courriers des 14 août 1990 et 11 février 1993, ainsi que de la télécopie du 29 octobre 1990 que CHAMBOURCY a pris les mesures nécessaires pour permettre et gérer les retours de supports ; Attendu que CHAMBOURCY justifie du nombre des supports non retournés ; qu'il résulte de la télécopie du 30 août 1994 que, nonobstant la carence de LAPCANOR dans l'exécution de son obligation, elle a vainement tenté, auprès des destinataires de ses produits, de récupérer les supports de livraison ;

Attendu que la perte de ces supports résulte directement de la faute de LAPCANOR ;

Attendu que CHAMBOURCY verse aux débats les factures ECO fil, qui justifient du coût neuf des différents types de matériel de support de livraisons perdus; qu'elle demande à ce que la cour fixe la créance qu'elle a à l'encontre de LAPCANOR, pour les pertes subies, à la moitié du coût neuf, soit 214.594,84 francs ; que cette demande est justifiée ;

Attendu que cette créance est connexe de celle de LAPCANOR ; qu'il y a lieu d'ordonner la compensation sollicitée ;

Attendu que l'équité conduit, outre à confirmation de la décision des premiers juges, en ce qu'ils ont prononcé condamnation sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, à condamnation de LAPCANOR à payer la somme de 8.000 francs pour frais irrépétibles d'appel ;

PAR CES MOTIFS

Statuant publiquement et contradictoirement,

- Confirme la décision déférée et statuant plus avant,

- Condamne LAPCANOR à payer à CHAMBOURCY SA la somme de 8.000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

- La condamne aux dépens,

- Admet la SCP JULLIEN LECHARNY ROL au bénéfice des dispositions de l'article 699 du nouveau code de procédure civile. LE PRESIDENT A. PECHE-MONTREUIL

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.