6 mai 2015
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-80.076

Chambre criminelle

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2015:CR02328

Titres et sommaires

INSTRUCTION - mesures conservatoires - saisies portant sur certains biens ou droits mobiliers incorporels - requête préalable du ministère public - nécessité (non) - saisie d'une créance - créance assortie de garanties acquise par la commission de l'infraction

Le juge d'instruction peut, sans requête préalable du ministère public, ordonner, sur le fondement de l'article 706-153 du code de procédure pénale, immédiatement applicable aux procédures en cours, la saisie du produit des infractions d'escroquerie et d'exercice illégal de l'activité de prestataire de services d'investissement que constitue la créance, assortie de garanties mobilières et immobilières, dont la personne mise en examen dispose en raison des faits reprochés, commis en 2007. En effet, cette créance entre dans la catégorie des "biens" dont la confiscation était et demeure encourue en application de l'article 131-21 du code pénal, dans ses rédactions contemporaine des faits et actuelle

Texte de la décision

N° Z 15-80. 076 FS-P + B
N° 2328
LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE CRIMINELLE, en son audience publique tenue au Palais de Justice à PARIS, a rendu l'arrêt suivant :
REJET du pourvoi formé par la société Landsbanki Luxembourg, représentée par son liquidateur, Mme Yvette X..., contre l'arrêt n° 2160 de la chambre de l'instruction de la cour d'appel de Paris, 2e section, en date du 20 novembre 2014, qui, dans l'information suivie contre elle des chefs d'escroqueries et exercice illégal de l'activité de prestataire de services d'investissement en France, a confirmé l'ordonnance du juge d'instruction prescrivant la saisie d'une créance ;
La COUR, statuant après débats en l'audience publique du 9 avril 2015 où étaient présents : M. Guérin, président, M. Azema, conseiller rapporteur, Mmes Nocquet, Ract-Madoux, M. Soulard, Mme de la Lance, Mme Chaubon, MM. Germain, Sadot, Mme Planchon, conseillers de la chambre, Mme Pichon, conseiller référendaire ;
Greffier de chambre : Mme Hervé ;
Sur le rapport de M. le conseiller référendaire AZEMA, les observations de la société civile professionnelle BÉNABENT et JÉHANNIN, avocat en la Cour, et les conclusions de M. l'avocat général BONNET ;
Vu l'ordonnance du président de la chambre criminelle, en date du 23 février 2015, prescrivant l'examen immédiat du pourvoi ;
Vu le mémoire produit ;
Sur le moyen unique de cassation, pris de la violation des articles 112-2 et 131-21 du code pénal, 591, 593, 706-141, 706-145 et 706-153 du code de procédure pénale :
" en ce que l'arrêt attaqué a confirmé l'ordonnance ayant ordonné la saisie pénale de la créance appartenant à la société Landsbanki Luxembourg selon contrat de prêt en date du 30 avril 2007 conclu avec les époux Y... ;
" aux motifs que l'avis du ministère public a été pris le 3 décembre 2013 comme le mentionne l'ordonnance querellée (D643) ; que la cour de céans n'est pas saisie d'une requête en nullité de la mise en examen de la société Landsbanki Luxembourg du chef d'escroquerie faute d'indices graves et/ ou concordants ; que cependant, si les juges du fond devaient retenir l'infraction d'escroquerie, pour entrer en voie de condamnation et éventuellement prononcer la peine de confiscation eu égard à la personnalité de la banque, à l'évolution de sa situation financière, eu égard au produit proposé " Equity release " à de potentiels clients à la recherche de fonds mais pas obligatoirement à la recherche de placements à titre d'investissement, aux rendements évoqués par l'intermédiaire de produits financiers émanant directement ou indirectement de la société Landsbanki Luxembourg ou de sa maison mère ou encore d'autres entités appartenant au même groupe telle que Lex Life, à l'incitation de la banque de faire investir ses futurs clients audelà de leurs besoins financiers, conditionné à la prise de sûretés de différente nature (hypothèque, nantissement, gage...) sur tout ou partie du patrimoine du futur emprunteur dans des conditions déterminées exclusivement par la banque prêteuse qui ne devait délivrer à l'emprunteur que 25 % du montant total du capital garanti à son profit, selon des mécanismes qui ont été plus haut exposés, que cet ensemble d'éléments reproduits selon un schéma identique à l'égard d'un grand nombre de particuliers pourrait laisser présumer de l'existence d'une escroquerie dont la personne morale de la banque serait pénalement responsable ; qu'il doit être considéré et admis que le bien quelconque remis par les emprunteurs à leur préjudice serait leur consentement à la signature d'un acte de prêt hypothécaire à hauteur de la totalité de l'emprunt, consentement valant obligation au sens de l'article 313-1 du code pénal alors qu'ils n'allaient disposer que de 25 % des fonds prêtés, étant ajouté, que l'acte hypothécaire ou le consentement d'autres sûretés au bénéfice de la banque doit s'analyser comme la remise de la chose au profit de cette dernière ; que la période de l'éventuelle commission des faits, telle que retenue lors de la première comparution de la société Landsbanki Luxembourg s'étend de 2006 à 2008 et que les qualifications retenues par les réquisitions sont, entre autres, celle de l'escroquerie, prévue et réprimée par les articles 313-1 et 313-3 du code pénal ; que l'article 121-2, alinéa 1er, prévoit la responsabilité pénale des personnes morales selon les distinctions faites aux articles 121-4 à 121-7 du code pénal ; que l'alinéa 3 du même article n'exclut pas la responsabilité pénale des personnes physiques auteurs ou complices des faits mêmes ; que les personnes morales déclarées pénalement responsables, dans les conditions prévues par l'article 121-2, des infractions définies aux articles 313-1 à 313-3 et à l'article 313-6-1 du code pénal en application de l'article 313-7, 4°, du même code, applicable à l'époque des faits et résultant de la loi n° 203-239 du 19 mars 2003, ou applicable jusqu'au 14 mai 2009, encourent les peines complémentaires prévues par l'article 131-39 du code pénal, de 2° à 9° ; que le 8° prévoit la peine complémentaire de la confiscation, l'article 313-7, 4°, prévoyant la confiscation, entre autre, de la chose produit de l'infraction ; que les dispositions successives de l'article 131-39, 8°, du code pénal, en vigueur du 22 juin 2004 au 7 mars 2007 (loi n° 2004-575 du 21 juin 2004), puis du 5 mars 2007 au 1er avril 2009, puis du 1er avril 2009 au 11 juillet 2010, et enfin dans sa version actuelle résultant de la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010, ont toutes prévu la peine de confiscation dans les conditions et selon les modalités prévues à l'article 131-21 du code pénal ; que le juge d'instruction a fondé chaque ordonnance prononçant une saisie pénale d'une créance (garantie par une hypothèque en faveur du créancier prêteur, la société Landsbanki Luxembourg) sur les dispositions des articles 131-21, alinéa 3, du code pénal, 706-141 à 706-147 et 706-156 du code de procédure pénale ; que l'alinéa 3 de l'article 131-21 du code pénal prévoit que la peine complémentaire de la confiscation porte, outre sur les biens ayant servi à commettre l'infraction ou qui étaient destinés à la commettre (alinéa 2), sur les biens qui sont l'objet ou le produit direct ou indirect de l'infraction ; qu'en l'espèce, les créances nées des prêts accordés par la société Landsbanki Luxembourg aux différents emprunteurs ont contraint ces derniers à consentir des sûretés réelles, hypothèques validées par actes notariés, au profit de la banque prêteuse, hypothèque inscrite à hauteur de la totalité du bien immobilier alors que le crédit délivré ne dépassera pas 25 % de la valeur totale dudit bien ; que la créance de droit incorporel garantie par une hypothèque au profit de la société Landsbanki Luxembourg, au moins à hauteur des 75 % restant, constitue pour le moins le produit indirect de l'infraction au bénéfice de la société Landsbanki Luxembourg ; que ce droit incorporel est susceptible d'être l'objet d'une mesure conservatoire, telle qu'une saisie pénale, en vue de garantir l'exécution de toute peine complémentaire qui viendrait à être prononcée à l'encontre d'un ou plusieurs des mis en examen, personne physique ou morale, dont la société Landsbanki Luxembourg, par une juridiction de jugement ; qu'enfin, la chambre criminelle de la Cour de cassation a, par arrêt du 9 mai 2012, jugé qu'en matière de saisie conservatoire, en application de l'article 112-2, 2°, du code pénal, les lois fixant les modalités de poursuites et les formes de la procédure sont applicable immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur et que d'autre part, il ressortait des dispositions de l'article 706-148 du code de procédure pénale, dans sa rédaction issue de la loi du 27 mars 2012, que la saisie à titre conservatoire des biens de la personne mise en examen ou, sous réserve des droits du propriétaire de bonne foi, des biens dont celle-ci a la libre disposition peut être autorisée au cours de l'instruction lorsque la loi qui réprime le crime ou le délit poursuivi prévoit leur confiscation ; qu'un raisonnement identique peut s'appliquer, comme en l'espèce, à une saisie spéciale, par nature cantonnée, donc moins contraignante, saisie prononcée en application de l'article 706-153, et non 706-156, du code de procédure pénale ; qu'enfin ces saisies pénales, dont le fondement n'est certes pas de garantir les droits à indemnisation des victimes, ont vocation à suspendre toutes procédures civiles d'exécution relatives à ces créances hypothécaires comme le prévoit l'article 706-145 du code de procédure pénale ; qu'autoriser la réalisation anticipée de ces sûretés avant l'issue de la procédure pénale aurait pour conséquence d'aller alimenter l'actif en cours de liquidation de la société Landsbanki Luxembourg, voire celui de la société Landsbanki Islande, de sorte que prononcée à titre de peine complémentaire, la confiscation de tout ou partie du patrimoine de la banque serait vaine faute d'actifs encore disponibles ; qu'en effet, dans la mesure où le liquidateur de la banque, Mme X..., a déclaré le 24 septembre 2013 devant le juge d'instruction qu'à ce jour, avaient été indemnisés prioritairement les clients de la banque luxembourgeoise, la Banque centrale ayant renoncé à son privilège, puis que celle-ci a été intégralement remboursée et que les actifs recouvrés aujourd'hui étaient utilisés pour rembourser la liquidation de la banque islandaise dont ses déposants (D611, p. 4) ; que si les saisies pénales prononcées n'ont pas vocation à indemniser les éventuelles victimes des préjudices subis, elles ont pour utilité, en l'état, de ne pas entraîner la disparition totale des actifs de la banque avant l'issue de la procédure pénale ; qu'en l'espèce, les créances de la société Landsbanki Luxembourg étant grevées d'hypothèques, sûretés réelles prises par nature sur des biens immobiliers, l'obligation pour le tiers débiteur de consigner auprès de l'AGRASC prévue par les dispositions de l'article 706-155 du code de procédure pénale (saisie de sommes d'argent) ne s'imposait pas et ne continue plus de s'imposer, ce qui empêche la banque de procéder au recouvrement de partie de ses créances liquides et exigibles auprès de ses débiteurs ; qu'en conséquence, l'ordonnance de saisie pénale intervenue le 11 décembre 2013 au bénéfice de M. Philippe Y... et Mme Jany Y... son épouse est bien fondée et sera confirmée " ;
" 1°) alors que seul le procureur de la République, à l'exclusion de la partie civile, peut saisir le juge d'instruction d'une demande de saisie de biens ou droits incorporels ; qu'en confirmant l'ordonnance de saisie de la créance détenue par la société Landsbanki Luxembourg sur les époux Y... tout en constatant que la saisie de cette créance avait été sollicitée par ces parties civiles et non par le ministère public, qui s'est contenté d'émettre un avis sur cette demande, la chambre de l'instruction a méconnu les textes et le principe ci-dessus mentionnés ;
" 2°) alors que les saisies pénales ont pour but de garantir l'exécution de la peine complémentaire de confiscation et non les droits à indemnisation des victimes et ne sauraient en conséquence avoir pour objet de paralyser les voies d'exécution initiées par le mis en examen en recouvrement de ses propres créances ; qu'en confirmant l'ordonnance de saisie décidée par le juge d'instruction aux seules fins " de suspendre toute procédure civile d'exécution " relative à la créance détenue par la société Landsbanki Luxembourg sur les époux Y... et faire ainsi obstacle à ce que la personne mise en examen puisse recouvrer la créance qu'elle détient sur les parties civiles, la chambre de l'instruction a méconnu les textes et le principe ci-dessus mentionnés ;
" 3°) alors que ne peuvent être saisis à titre conservatoire au cours de l'instruction que les biens pour lesquels la peine de confiscation est encourue par la personne mise en examen en cas de condamnation de cette dernière par la juridiction de jugement ; que sont seules applicables à des faits les peines prévues par des textes en vigueur lorsqu'ils ont été commis ; que la peine de confiscation encourue par les personnes morales en 2006-2008, date des faits pour lesquels la société Landsbanki Luxembourg a été mise en examen, ne pouvait alors porter que sur une chose, à l'exclusion d'un droit incorporel ; que la chambre de l'instruction ne pouvait ordonner la saisie de la créance hypothécaire détenue par la société Landsbanki Luxembourg sur les époux Y... au prétexte, inopérant, que les lois fixant les modalités de poursuites et les formes de la procédure sont applicables immédiatement à la répression des infractions commises avant leur entrée en vigueur, sans méconnaître les textes et le principe ci-dessus mentionnés " ;
Attendu qu'il résulte de l'arrêt attaqué et des pièces de la procédure que la banque Landsbanki Luxembourg, mise en examen le 21 octobre 2011 des chefs d'escroqueries et exercice illégal de l'activité de prestataire de services d'investissement en France, a fait souscrire à des emprunteurs, moyennant la prise d'hypothèques immobilières, de nantissements ou de gages, un produit financier composé de l'allocation d'un prêt destiné, pour partie, à financer la souscription d'un contrat d'assurance-vie adossé à des fonds d'investissement ; qu'à la suite de la liquidation judiciaire de la banque, la perte de valeur des titres, dont le rendement était destiné au remboursement des emprunts, a entraîné la déchéance du terme de certains prêts à l'égard, notamment, de clients domiciliés en France, lesquels ont fait l'objet, de la part du liquidateur, de procédures d'exécution ; que, par ordonnance du 11 décembre 2013, le juge d'instruction a ordonné la saisie de la créance de la banque résultant du contrat de prêt conclu le 30 avril 2007 avec M. et Mme Y... et assortie d'une hypothèque sur un immeuble situé à Aspremont, ainsi que de deux contrats de gage sur l'assurance-vie et sur des fonds ;
Attendu que, pour confirmer cette ordonnance, l'arrêt énonce que la peine complémentaire de confiscation est encourue, notamment, sur le produit indirect de l'infraction et que les saisies, immédiatement applicables, ont vocation à suspendre les voies d'exécution civiles, ce qui évite que la réalisation des sûretés par le créancier n'alimente l'actif de la liquidation et n'échappe à la confiscation ;
Attendu qu'en prononçant, sur ce fondement, la saisie d'une créance assortie de garanties prises par la banque à l'occasion de la commission des faits reprochés et abstraction faite de la référence à l'article 313-7 du code pénal au lieu de l'article 313-9 du même code, la chambre de l'instruction a justifié sa décision ;
Qu'en effet, selon l'article 706-153 du code de procédure pénale, immédiatement applicable aux procédures en cours, la saisie peut, sans requête préalable du ministère public, être ordonnée par le juge d'instruction pour garantir l'exécution de la peine complémentaire de confiscation d'un bien, meuble ou immeuble, laquelle était et demeure encourue en application de l'article 131-21 du code pénal, dans ses rédactions contemporaine des faits et actuelle ;
D'où il suit que le moyen doit être écarté ;
Et attendu que l'arrêt est régulier en la forme ;
REJETTE le pourvoi.
Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre criminelle, et prononcé par le président le six mai deux mille quinze ;
En foi de quoi le présent arrêt a été signé par le président, le rapporteur et le greffier de chambre.

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