3 février 2011
Cour de cassation
Pourvoi n° 09-71.005

Deuxième chambre civile

ECLI:FR:CCASS:2011:C200227

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :





Attendu, selon l'arrêt attaqué, que Martial X..., qui avait été employé par la société Kaefer Wanner (la société) du 17 juin 1975 au 7 mai 1982, puis, par la suite, par la société Les Chantiers de l'Atlantique, est décédé le 20 avril 2004 des suites d'une maladie qui avait été prise en charge par la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine (la caisse) au titre du tableau n° 30 A des maladies professionnelles ; que le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante (Le Fonds), saisi par ses héritiers d'une demande d'indemnisation, leur a adressé, le 2 mars 2005, une offre qu'ils ont acceptée ; que le Fonds a alors saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale d'Ille-et-Vilaine d'une demande de reconnaissance de la faute inexcusable de la société Kaefer Wanner, sollicitant que soient ordonnés la majoration de la rente servie à la veuve du salarié et le remboursement par la caisse des sommes versées aux ayants droit ; que par jugement du 10 mai 2007, le tribunal a dit que la maladie professionnelle dont le salarié était décédé était due à la faute inexcusable de la société Kaefer Wanner, ordonné la majoration de la rente versée à sa veuve, confirmé le montant des indemnités allouées par le Fonds et condamné la caisse à les lui rembourser, déclaré la décision de prise en charge opposable à la société et condamné celle-ci à rembourser à la caisse le montant du capital représentatif de la majoration de rente ainsi que les indemnités réparant les préjudices extrapatrimoniaux ;


Sur le premier moyen du pourvoi principal :


Attendu que ce moyen n'est pas de nature à permettre l'admission du pourvoi ;


Mais sur le moyen unique du pourvoi incident :


Vu l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale, ensemble les articles 4 et 5 du code de procédure civile ;


Attendu que pour dire que la prise en charge par la caisse de Martial X... au titre de la législation professionnelle était inopposable à la société Kaefer Wanner, l'arrêt énonce que le fait qu'une enquête ait été effectuée par les services de la caisse au domicile de Martial X... et au sein de la société Les Chantiers de l'Atlantique sur l'origine professionnelle ou pas de la pathologie dont il était atteint qui est à l'origine de son décès, ne dispensait pas la caisse de respecter les dispositions de l'article R. 441-11 du code de la sécurité sociale sur le devoir d'information et le respect de la contradiction ; qu'il n'est pas contesté que la société Kaefer Wanner dernier employeur de ce salarié n'a pas été associée à cette enquête et que le dossier n'a pas été mis à sa disposition de sorte qu'elle n'a pas été en mesure de faire valoir ses observations sur l'origine de la pathologie ; que la caisse ne justifie pas par la production de document qu'elle ait, dans le délai imparti de trois mois, notifié à l'employeur le terme de l'instruction et l'ait invité dans le délai de dix jours à venir consulter les pièces constituant le dossier ;


Qu'en statuant alors qu'il résultait des conclusions des parties que le dernier employeur de Martial X... était la société Les Chantiers de l'Atlantique, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;


PAR CES MOTIFS et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le second moyen du pourvoi principal :


CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a dit que la prise en charge de la maladie dont était atteint M. X... était inopposable à la société Kaefer Wanner et en ce qu'elle a autorisé la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine à exercer son action récursoire à l'encontre de la société Kaeffer Wanner en ce qui concerne la majoration de rente et les indemnités versées aux ayants droit au titre de leurs préjudices extrapatrimoniaux , l'arrêt rendu le 16 septembre 2009, entre les parties, par la cour d'appel de Rennes ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Rennes, autrement composée ;


Condamne la société Kaefer Wanner aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la société Kaefer Wanner, la condamne à payer au Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante la somme de 2 400 euros et à la caisse primaire d'assurance maladie d'Ille-et-Vilaine la somme de 2 500 euros ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trois février deux mille onze.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt


Moyens produits au pourvoi principal par la SCP Richard, avocat aux conseils pour la société Kaefer Wanner


PREMIER MOYEN DE CASSATION


IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir retenu une faute inexcusable à l'encontre de la Société KAEFER WANNER comme cause du décès de Monsieur X..., d'avoir ordonné la majoration à son plafond maximum de la rente allouée à Madame Y..., d'avoir dit que la Caisse Primaire d'Assurance Maladie d'Ille-et-Vilaine serait tenue de verser directement à Madame X... le capital représentatif de la majoration de la rente et que ladite caisse était autorisée à exercer son action récursoire à l'encontre de la Société KAEFER WANNER en ce qui concerne cette majoration et les indemnités versés aux ayants droit au titre de leurs préjudices extra patrimoniaux ;


AUX MOTIFS QUE la faute inexcusable de l'employeur s'entend "d'une faute d'une gravité exceptionnelle, dérivant d'un acte ou d'une omission volontaire, de la conscience du danger que devait en avoir son auteur, de l'absence de toute cause justificative et doit être la cause déterminante de l'accident ou de la maladie contractée" ; que même en l'absence de toute réglementation, il incombe à l'employeur, qui est garante de la sécurité et de la santé du salarié qu'il emploie en vertu d'un contrat de travail, de prendre pendant toute la durée de l'exécution du contrat sur les lieux d'intervention du salarié les mesures individuelles et collectives de prévention et de protection propres à assurer sa sécurité, quelle que soit son expérience ; que cette obligation, qualifiée par la Cour de cassation de résultat, impose à l'employeur ou à son représentant de vérifier en permanence que l'activité confiée au salarié ne lui fait pas courir un risque manifeste pouvant porter atteinte à sa santé et à celle des personnes de son entourage et procéder régulièrement à toutes les vérifications nécessaires pour s'assurer que les mesures de prévention et de protection nécessaires et efficaces ont été effectivement prises pendant toute la durée des interventions des salariés et que le matériel mis à la disposition du personnel était en état de fonctionnement, conforme à ce qu'exigeait la législation en vigueur et ne présentait pas de danger ; que la Société KAEFER WANNER, spécialisée dans la réalisation d'isolations industrielles pour le compte des chantiers navals, d'entreprises, de chaufferies centrales thermiques et nucléaires… pour lesquelles elle utilisait régulièrement des produits à basse d'amiante ne peut sérieusement soutenir qu'elle ignorait les effets cancérigènes des poussières d'amiante pour les personnes travaillant dans cet environnement pollué par l'amiante et qu'elle n'avait pas conscience du danger qu'elle faisait courir à certains de ses salariés affectés à la réalisation des isolations ; que pendant la période d'activité de Monsieur X... au sein de la Société KAEFER WANNER, du 17 juin 1975 au 7 mai 1982, cet employeur, qui figure parmi les entreprises utilisant de l'amiante assujettie à la contribution "Amiante", ne justifie pas avoir pris les moyens utiles et efficaces dans les ateliers pour réduire au maximum la production de poussières d'amiante, par l'installation de ventilation permanente, le port de combinaisons et masques de protection ; qu'il en résulte que la maladie dont était atteint Monsieur X..., puis son décès, sont bien en relation directe avec la faute inexcusable de son employeur ;


ALORS QU'en vertu du contrat de travail le liant à son salarié, l'employeur est tenu envers celui-ci d'une obligation de sécurité de résultat, notamment en ce qui concerne les maladies professionnelles contractées par ce salarié du fait des produits fabriqués ou utilisés par l'entreprise ; que le manquement à cette obligation a le caractère d'une faute inexcusable, au sens de l'article L.452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour l'en préserver ; qu'en se bornant, pour décider que la Société KAEFER WANNER avait commis une faute inexcusable, à affirmer qu'elle utilisait régulièrement des produits à base d'amiante, sans rechercher, comme elle y était invitée, si Monsieur X... avait été ou non en contact avec de l'amiante dans l'accomplissement de son travail, à défaut de quoi sa maladie ne pouvait trouver sa cause dans une faute inexcusable de l'employeur, la Cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard des articles 1315 du Code civil, L.4141-1 du Code du travail, L.451-1, L.452-2 et L.452-3 du Code de la sécurité sociale.


SECOND MOYEN DE CASSATION (subsidiaire)


IL EST FAIT GRIEF à l'arrêt attaqué d'avoir autorisé la Caisse Primaire d'Assurance Maladie d'Ille-et-Vilaine à exercer son action récursoire à l'encontre de la Société KAEFER WANNER, en ce qui concerne la majoration de la rente versée au bénéfice de Madame X... et les indemnités versés aux ayants droit de Monsieur X... au titre de leurs préjudices extra patrimoniaux ;


AUX MOTIFS QUE le fait qu'une enquête ait été effectuée par les services de la caisse primaire au domicile de Monsieur
X...
et au sein de la Société Les Chantiers de l'Atlantique sur l'origine professionnelle ou pas de la pathologie dont il était atteint qui est à l'origine de son décès, ne dispensait pas la Caisse de respecter les dispositions de l'article R. 441-11 du Code de la sécurité sociale sur le devoir d'information et le respect du contradictoire ; qu'il n'est pas contesté que la Société KAEFER WANNER, dernier employeur de ce salarié, n'a pas été associée à cette enquête et que le dossier de Monsieur X... n'a pas été mis à sa disposition, de sorte que la Société KAEFER WANNER n'a pas été en mesure de faire valoir ses observations sur l'origine de la pathologie, d'autant que chez ses précédents employeurs, cette personne avait déjà été au contact de poussières d'amiante ; que ladite caisse ne justifiant pas, par la production de documents, qu'elle ait dans le délai imparti de trois mois notifié à l'employeur le terme de l'instruction et l'ait invité dans un délai de dix jours à venir consulter les pièces constituant le dossier, la prise en charge de la maladie (un adénocarcinome pulmonaire bronchique) est inopposable à la Société KAEFER WANNER ; (…) ; qu'en vertu de l'indépendance des rapports entre la caisse et l'assuré, entre la caisse et l'employeur et entre le salarié et son employeur, l'inopposabilité d'une décision de prise en charge de la maladie professionnelle à l'égard de l'employeur ne prive pas la victime du droit de faire reconnaître la faute inexcusable de son employeur, d'obtenir réparation de ses préjudices et la caisse d'exercer une action récursoire à l'encontre de l'employeur pour obtenir le remboursement des sommes dont elle a fait l'avance à la victime ou a ses ayants droit par application des dispositions de l'article L 452-3 du Code de la sécurité sociale ; que la Caisse primaire étant tenue de faire l'avance des sommes allouées à la victime ou à ses ayants droit par les juridictions du contentieux de la sécurité sociale dans le cadre d'une procédure de reconnaissance de la faute inexcusable de l'employeur, conserve contre l'employeur dont la faute inexcusable a été reconnue le recours prévu par l'article L.452-3, alinéa 3, du Code de la sécurité sociale ; que le fait que la décision de prise en charge par la caisse au titre de la législation professionnelle de la maladie (ou du décès ) soit déclarée inopposable à l'employeur en raison du non-respect par la caisse des dispositions de l'article R.441-11 du Code de la sécurité sociale sur le devoir d'information ne peut priver la caisse de son recours tiré de l'article L. 452-3 du même code, alors que les deux actions n'ont pas le même fondement ni le même objet ; que l'inopposabilité de la prise en charge de la maladie ou de l'accident du travail par la caisse a seulement pour effet dans les rapports caisse - employeur de dispenser l'employeur de supporter les conséquences financières de la maladie, mais ne saurait priver la caisse primaire d'exercer son action en remboursement des sommes qu'elle a versées à titre provisionnel au salarié dans le cadre des dispositions de l'article L.452-3 du même code, alors que l'auteur de la faute inexcusable, qui a son origine dans une faute quasi-délictuelle préexistante à la demande de prise en charge de la maladie, est responsable sur son patrimoine personnel des conséquences financières de sa faute et des cotisations complémentaires qui en résulte ; que pour ces raisons, il sera fait droit à la demande de la caisse ;


ALORS QUE, dès lors que la décision de la caisse primaire d'assurance maladie de reconnaître le caractère professionnel de la maladie est inopposable à l'employeur, cet organisme social ne peut récupérer sur ce dernier, après reconnaissance de sa faute inexcusable, les compléments de rente et les indemnités versés au salarié malade ou à ses ayants droit ; qu'en décidant néanmoins que l'inopposabilité de la décision de prise en charge par la Caisse Primaire d'Assurance Maladie d'Ille-et-Vilaine de la maladie professionnelle de Monsieur X... ne pouvait priver cet organisme social de l'exercice de son action récursoire à l'encontre de la Société KAEFER WANNER pour obtenir le remboursement des sommes dont elle avait fait l'avance à ses ayants droit, la Cour d'appel a violé les articles L.452-3 et R 441-11 du Code de la sécurité sociale.


Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Gatineau et Fattaccini, avocat aux conseils pour la CPAM d'Ille-et-Vilaine


Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'AVOIR déclaré que la prise en charge de la maladie de Monsieur X... au titre de la législation professionnelle par la CPAM D'ILLE ET VILAINE était inopposable à la Société KAEFER WANNER ;


AUX MOTIFS QUE le fait qu'une enquête ait été effectuée par les services de la caisse primaire au domicile de Monsieur
Z...
et au sein de la société LES CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE sur l'origine professionnelle ou pas de la pathologie dont il était atteint qui est à l'origine de son décès, ne dispensait pas la Caisse de respecter les dispositions de l'article R 441-11 du code de la sécurité sociale sur le devoir d'information et le respect du contradictoire, or il n'est pas contesté que la société KAEFER WANNER dernier employeur de ce salarié n'a pas été associée à cette enquête et que le dossier de Monsieur Z... n'a pas été mis à sa disposition, de sorte que la société KAEFER WANNER n'a pas été en mesure de faire valoir ses observations sur l'origine de la pathologie d'autant que chez ses précédents employeurs, cette personne avait déjà été au contact de poussières d'amiante ; que la Caisse primaire ne justifiant pas par la production de document qu'elle ait dans le délai imparti de trois mois notifié à l'employeur le terme de l'instruction et l'ait invité dans un délai de dix jours à venir consulter les pièces constituant le dossier, la prise en charge de la maladie (un adénocarcinome pulmonaire bronchique) est inopposable à la société KAEFER WANNER ;


1- ALORS QU'il résultait des conclusions des parties que le dernier employeur de Monsieur X... était la société LES CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE et non la Société KAEFER WANNER ; qu'en affirmant qu'il n'était pas contesté que la Société KAEFER WANNER était le dernier employeur du salarié, la Cour d'appel a méconnu les termes du débat et violé les articles 4 et 5 du Code de procédure civile ;


2- ALORS QUE seul le dernier employeur doit être associé à la procédure de reconnaissance de la maladie professionnelle d'un salarié employé successivement par plusieurs employeurs chez qui il a pu contracter la maladie ; qu'en faisant grief à la Caisse de ne pas avoir associé à la procédure la Société KAEFER WANNER, avant dernier employeur seulement de Monsieur X..., la Cour d'appel a violé l'article R 441-11 du Code de la Sécurité Sociale.

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