28 mars 1995
Cour de cassation
Pourvoi n° 93-10.761

Chambre commerciale financière et économique

Titres et sommaires

CAUTIONNEMENT - etendue - dettes d'une société - engagement d'un actionnaire - portée de sa garantie - sommes dues en principal et intérêts - mention manuscrite d'un montant - clause dactylographiée concernant les intérêts

Texte de la décision

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIERE ET ECONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :


Sur le pourvoi formé par :


1 / M. Werner X..., demeurant à Pforzheim 7530 (Allemagne), Scharnhorst strasse n 21,


2 / M. Karl Z..., demeurant à Pforzheim 7530 (Allemagne), 26 Waisenhausplatz, en cassation d'un arrêt rendu le 27 novembre 1992 par la cour d'appel de Colmar (2e chambre civile), au profit de la Banque populaire de la région économique de Strasbourg, dont le siège social est à Strasbourg (Bas-Rhin), ..., défenderesse à la cassation ;


Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;


LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 7 février 1995, où étaient présents : M. Bézard, président, M. Grimaldi, conseiller rapporteur, Mme Pasturel, conseiller, M. Raynaud, avocat général, Mlle Barault, greffier de chambre ;


Sur le rapport de M. le conseiller Grimaldi, les observations de Me Vincent, avocat de MM. X... et Z..., de Me Spinosi, avocat de la Banque populaire de la région économique de Strasbourg, les conclusions de M. Raynaud, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt déféré (Colmar, 27 novembre 1992), qu'à la fin de l'année 1981, la société Banque populaire de la région économique de Strasbourg (la banque), qui finançait un découvert en compte courant de la société anonyme Ménal, a obtenu plusieurs cautionnements ;


que c'est ainsi que, par acte du 3 décembre 1981, M. Karl Z... s'est constitué caution solidaire, à concurrence de 500 000 francs, une des clauses de l'acte, écrite en langue allemande, portant, selon une traduction constante : "Cet engagement de caution n'est valable que jusqu'à l'immatriculation au registre du commerce de Bodo Z... en tant qu'actionnaire de la société Ménal" ;


que, par un autre acte du même jour, M. Werner X... s'est constitué caution solidaire dans les mêmes conditions, une des clauses de l'acte portant, selon sa traduction française : "Cette caution n'est valable que jusqu'à l'inscription de Rüdiger X... au registre du commerce comme actionnaire de la société Ménal ;


qu'assignés en paiement en leurs qualités de cautions, MM. Karl Z... et Werner X... ont résisté en faisant valoir, à titre principal, que les actionnaires des sociétés anonymes ne sont jamais inscrits au registre du commerce, qu'ainsi leurs cautionnements étaient invalides dès leur souscription, qu'en revanche l'inscription d'un actionnaire en tant qu'administrateur était parfaitement concevable, que l'inscription de MM. Bodo Z... et Rüdiger X... comme administrateurs étant intervenue le 14 octobre 1980, antérieurement aux actes de cautionnement, ces derniers étaient "nuls dès l'origine" ;


Sur le premier moyen, pris en ses cinq branches :


Attendu que MM. Karl Z... et Werner X... reprochent à l'arrêt de les avoir condamnés à payer, chacun, la somme de 500 000 francs à la banque alors, selon le pourvoi, d'une part, qu'il résulte des propres constatations de l'arrêt que la mention manuscrite par les cautions qu'elles entendaient limiter la durée de leur engagement jusqu'à l'inscription pour l'une de Bodo Z..., pour l'autre de Rüdiger X... au registre du commerce, devait s'entendre comme limitant les cautionnements dans le temps jusqu'à l'entrée de Bodo Zeitler et de Rüdiger X... dans le conseil d'administration de la société Ménal et qu'il est prouvé que Bodo Z... et Rüdiger X... ont été nommés administrateurs de la SA Ménal le 14 octobre 1980 ;


que, par suite, en déclarant valables les cautionnements du 3 décembre 1981, la cour d'appel a méconnu ses propres constatations et a ainsi violé l'article 1134 du Code civil ;


alors, d'autre part, qu'en refusant de constater la nullité des cautionnements, quand il résultait de ses propres constatations que, lors de leur souscription, la condition fixant la durée de l'engagement des cautions était déjà advenue, la cour d'appel a violé l'article 1101 du Code civil ;


alors, de troisième part, que l'attitude ultérieure des signataires n'avait pu faire revivre un engagement nul ;


que, par suite, la cour d'appel a statué par des motifs inopérants qui ne sauraient donner une base légale à sa décision au regard des textes susvisés ;


alors, de quatrième part, que le cautionnement doit être exprès et ne peut être étendu au delà des limites dans lesquelles il a été contracté ;


que l'arrêt retient que les cautionnements de l'espèce auraient comporté une seconde limitation dans le temps, à savoir "jusqu'à la participation de la société Ménal à une augmentation du capital de 2 000 000 francs par apports de fonds" ;


que, cependant, une telle condition ne figure aucunement dans les actes de cautionnement et qu'en prétendant la déduire d'une lettre adressée par la banque elle-même à une autre caution que MM. Karl Z... et Warner Y..., la cour d'appel a violé les articles 1315, 1165 et 2015 du Code civil ;


et alors, enfin, que MM. Karl Z... et Warner X... soutenaient dans leurs conclusions que les cautionnements "se trouvaient dès l'origine sans effet juridique en raison même de la limitation manuscrite apposée sur les actes" et "sont devenus sans objet dès le 31 décembre 1981 parce que les apports de fonds qu'ils devaient garantir avaient été réalisés" ;


qu'ainsi, ces conclusions distinguaient clairement entre la durée des cautionnements limitée dans le temps et leur objet tenant à la garantie des apports de fonds, tout en faisant valoir leur inefficience en raison de la limitation tenant à leur durée, expirée avant la date de leur signature ;


que, par suite, en décidant que les cautionnements auraient été limités dans le temps jusqu'à la participation de la société Ménal à une augmentation de capital par apports de fonds, quand cette participation n'était aucunement évoquée dans les actes de cautionnement et quand les conclusions des cautions n'en faisaient état que pour déterminer l'objet des cautionnements, la cour d'appel a dénaturé les conclusions et a ainsi violé les articles 4 du nouveau Code de procédure civile et 1134 du Code civil, a, en outre, dénaturé les actes de cautionnement et a ainsi violé l'article 1134 du Code civil et a derechef violé l'article 2015 du Code civil ;


Mais attendu que l'arrêt énonce que la qualité d'actionnaire de société anonyme n'est jamais inscrite au registre du commerce et que, pour donner un sens à la clause litigieuse, il convient "de rechercher quelle a été la volonté réelle des cautions" ;


qu'à cet effet, après avoir relevé que MM. Bodo Z... et Rüdiger X... étaient entrés au conseil d'administration de la société Ménal le 14 octobre 1980, soit plus d'un an avant la conclusion des contrats de cautionnement, de telle sorte que ceux-ci étaient mis "à néant" le jour même de leur signature, l'arrêt, s'appuyant sur une lettre de la banque invoquée par MM. Karl Z... et Werner X..., ainsi que sur les conclusions de ces derniers, retient, hors toute dénaturation, que la durée de validité des cautionnements était en réalité limitée à une augmentation de capital de la société Ménal d'un montant de 2 000 000 francs, à laquelle devait participer MM. Bodo Z... et deux des cautions, et qu'à la date du 31 décembre 1981, ce montant, convenu entre les parties, n'avait pas été atteint ;


qu'ainsi, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;


que le moyen n'est fondé en aucune de ses cinq branches ;


Sur le second moyen :


Attendu que MM. Karl Z... et Werner X... reprochent encore à l'arrêt d'avoir dit que la condamnation prononcée à l'encontre de chacun d'eux sera assortie d'intérêts alors, selon le pourvoi, que la mention manuscrite des actes de cautionnement énonce seulement :

"Bon pour caution solidaire de la SA Ménal dans les termes ci-dessus à concurrence de 500 000 francs, soit, en toutes lettres, cinq cent mille francs" ;


qu'en retenant que la référence à la clause imprimée ("aux termes ci-dessus") valait engagement de payer les accessoires, la cour d'appel a dénaturé les actes de cautionnement et violé l'article 1134 du Code civil, ainsi que l'article 2015 du Code civil ;


Mais attendu qu'ayant constaté que la mention manuscrite apposée par chacune des cautions portait "Bon pour caution solidaire dans les termes ci-dessus à concurrence de 500 000 francs" et que les intérêts étaient stipulés dans la partie dactylographiée de chacun des actes, c'est sans étendre les limites des cautionnements contractés et hors toute dénaturation que l'arrêt retient que MM. Karl Z... et Werner X..., en se référant à la clause imprimée des actes qu'ils ont signés, se sont engagés au paiement des intérêts des sommes cautionnées ;


que le moyen est sans fondement ;

PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne solidairement MM. Karl Z... et Werner X... à payer à la société Banque populaire de la région économique de Strasbourg, la somme de 12 000 francs sur le fondement de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile ;


Les condamne, envers la Banque populaire de la région économique de Strasbourg, aux dépens et aux frais d'exécution du présent arrêt ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par M. le président en son audience publique du vingt-huit mars mil neuf cent quatre-vingt-quinze.

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