11 avril 2012
Cour de cassation
Pourvoi n° 10-25.904

Chambre commerciale financière et économique

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2012:CO00446

Titres et sommaires

BANQUE - responsabilité - prêt - prêt à une société avant toute activité - comportement fautif de la banque - preuve - charge - faute - manquement à l'obligation de mise en garde - obligation de mise en garde - domaine d'application - gérante caution non avertie - constatations suffisantes

C'est sans inverser la charge de la preuve qu'une cour d'appel a pu décider que la responsabilité d'une caisse était engagée, après avoir relevé qu'elle avait accordé un prêt à une société, avant toute activité, pour en permettre le démarrage, sans que lui fussent présentés des éléments comptables prévisionnels, et retenu qu'elle n'était pas en mesure d'apprécier l'adaptation de ce crédit aux capacités financières de la société, appréciations faisant ressortir son comportement fautif

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, a rendu l'arrêt suivant :





Sur le moyen unique :


Attendu, selon l'arrêt attaqué (Paris, 10 décembre 2009), que la Caisse de crédit mutuel de Paris 3e et 4e Marais Bastille, aux droits de laquelle vient la Caisse de crédit mutuel Ile-de-France (la caisse), a consenti à la société Ilodelis.com nouvellement créée (la société), deux concours, l'un sous la forme d'un prêt destiné à financer l'acquisition du droit au bail et les premières activités de la société, l'autre sous la forme d'une facilité de caisse, Mme X..., gérante de la société et Mme Y..., associée, s'étant rendues cautions pour le premier concours tandis que Mme Y... se rendait seule caution solidaire pour le second ; que la société ayant été mise en liquidation judiciaire, la caisse, après avoir déclaré sa créance, a assigné en paiement Mmes X... et Y... en leurs qualités de cautions ; que ces dernières ont recherché la responsabilité de la caisse pour octroi d'un crédit inapproprié et manquement à son obligation de mise en garde ;


Attendu que la caisse fait grief à l'arrêt de l'avoir condamnée à verser à Mmes X... et Y... la somme globale de 40 000 euros à titre de dommages-intérêts et ordonné la compensation entre cette somme et celles dues par les cautions, alors, selon le moyen :


1°/ qu'il appartient à l'emprunteur ou ses cautions d'apporter en preuve les éléments de nature à établir l'octroi abusif de crédit qu'il impute à la caisse ; qu'en se bornant à relever en l'espèce le défaut de production par la caisse du «moindre programme prévisionnel d'activités de la société» et «d'éléments comptables prévisionnels»,quand il appartenait à Mmes X... et Y..., cautions solidaires de la société, débitrice en liquidation judiciaire, d'apporter en preuve les éléments de nature à établir l'octroi abusif de crédit, la cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du code civil ;


2°/ que le dirigeant de société ayant contracté l'emprunt consenti à cette dernière est présumé caution avertie ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Mme X... était gérante statutaire de la société ; qu'en affirmant cependant que, titulaire d'une maîtrise de lettres et d'un Dess de l'information et de la documentation et (ayant) exercé des activités de documentaliste ... elle ne peut donc pas être considérée, en sa qualité de signataire des actes de prêt concernés, comme une gérante avertie de la gestion d'une société commerciale, sans constater que l'intéressée se serait tenue à l'écart des tractations avec la caisse et de la gestion de la société emprunteur, la cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;


3°/ que le simple associé peut être caution avertie dès lors qu'il est établi qu'il a participé activement à la gestion de l'entreprise ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que «Mme Y... indique dans son curriculum vitae disposer d'une maîtrise technique et langage des médias et d'une formation complémentaire en gestion et finances et avoir été chargée de communication dans une agence spécialisée dans les nouvelles technologies des BTP, de l'environnement et de l'industrie avant d'entrer dans la société Mareva, producteur de matériel de piscines ; qu'elle déclare avoir une bonne connaissance de la gastronomie française ; qu'elle précise que dans les postes qu'elle a occupés, elle était chargée de la recherche de fournisseurs de l'achat de services et de marchandises, de l'élaboration des contrats et des relations avec les clients», de sorte qu'elle «peut être considérée comme avertie en matière de gestion» ; qu'en affirmant cependant, pour la considérer en définitive comme caution non avertie, qu' «elle n'est qu'associée de la société et n'a donc pas à ce titre participé aux demandes de prêt et n'a pas été signataire des actes contestés», sans rechercher, comme l'y invitait la caisse dans ses écritures d'appel, si Mme Y..., titulaire de 50 % des parts, n'avait pas participé à la création et à la gestion de la société et ne devait pas être tenue comme co-animatrice de la société bien qu'elle n'ait pas la qualité de gérant statutaire, dès lors qu'elle avait pratiqué le management et la direction, la gestion et les finances, la cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1147 du code civil ;


Mais attendu, d'une part, qu'après avoir relevé que le prêt sollicité, en avril 2002, avant toute activité de la société, pour en permettre le démarrage, avait été accordé par la caisse sans que lui fussent présentés des éléments comptables prévisionnels, l'arrêt retient que la caisse n'était pas en mesure d'apprécier l'adaptation de ce crédit aux capacités financières de la société; qu'en l'état de ces appréciations faisant ressortir le comportement fautif de la caisse, la cour d'appel, sans inverser la charge de la preuve, a pu décider que la responsabilité de cette dernière était engagée ;


Attendu, d'autre part, qu'après avoir relevé que Mme X... était titulaire d'une maîtrise de lettres et d'un dess de l'information et de la documentation et avait exercé des activités de documentaliste, l'arrêt retient qu'elle ne peut pas être considérée, en sa qualité de signataire des actes de prêt concernés, comme gérante avertie de la gestion d'une société commerciale ; qu'ayant ainsi fait ressortir qu'à la date de la mise en place du concours financier, Mme X... ne pouvait être regardée comme une caution avertie, la cour d'appel a légalement justifié sa décision ;


Attendu, enfin, que sous le couvert d'un grief infondé de manque de base légale, le moyen ne tend qu'à remettre en cause le pouvoir souverain des juges du fond qui ont relevé que Mme Y..., si elle avait des connaissances en matière de gestion, n'était qu'associée de la société, n'avait pas participé aux demandes de prêt et n'avait pas été signataire des actes contestés, faisant ainsi ressortir qu'elle ne pouvait être considérée, à l'occasion de ce concours, comme une caution avertie ;


D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;


PAR CES MOTIFS :


REJETTE le pourvoi ;


Condamne la Caisse de crédit mutuel Ile-de-France aux dépens ;


Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette les demandes ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le conseiller doyen faisant fonction de président, à l'audience publique du onze avril deux mille douze.





MOYEN ANNEXE au présent arrêt


Moyen produit par Me Le Prado, avocat aux Conseils, pour la Caisse régional de crédit mutuel Ile-de-France


Le moyen reproche à l'arrêt attaqué :


D'AVOIR condamné la Caisse de Crédit Mutuel à verser à Madame Brigitte Y... et Madame Marianne X... une somme de 40.000 € à titre de dommages et intérêts et d'AVOIR ordonné la compensation entre cette somme et celles dues par les cautions ;


AUX MOTIFS PROPRES QUE «Mademoiselle Y... et Madame X... reprochent en premier lieu à la Caisse de Crédit Mutuel d'avoir consenti à la société ILODELIS.COM des crédits inappropriés, sans aucun discernement, sans étude préalable et sans bilan provisionnel, alors que le projet n'était pas viable ; qu'elles soulèvent un grief de soutien abusif pour le second crédit de 10.000 € ; il résulte des pièces produites que la société ILODELIS.COM, ayant pour objet social l'épicerie fine, l'achat et la vente de biens concernant la gastronomie, l'artisanat et l'art de la table, a été constituée en février 2002 ; que la circonstance que le crédit ait été accordé à la société en avril 2002, avant toute activité et pour en permettre le démarrage, n'est pas de nature à elle seule à caractériser un comportement fautif de la banque ; mais considérant que la faute commise par la Caisse de Crédit Mutuel consiste à avoir consenti le prêt litigieux sans s'être procurée le moindre programme prévisionnel d'activités de la société ; qu'elle n'était donc pas en mesure d'apprécier le bien fondé du prêt consenti, faute d'éléments comptables prévisionnels sur la société nouvellement créée ; qu'il n'est donc pas démontré que le crédit était adapté aux capacités financières de la société emprunteuse ; considérant par contre que le concours de 10.000 € consenti le 26 juin 2003, destiné aux besoins courants de la société, ne peut pas être considéré comme un crédit ruineux, faute pour Mademoiselle Y... et Madame X... de démontrer que la société ILODELIS.COM était à cette date dans une situation irrémédiablement compromise ; que Mademoiselle Y... et Madame X... reprochent en deuxième lieu à la banque un défaut de mise en garde sur les risques de l'opération, alors qu'elles exposent être des cautions non averties ; qu'il convient de savoir si la société qui a souscrit un prêt a la qualité d'emprunteur non averti et dans l'affirmative si la banque justifie avoir satisfait à son obligation de mise en garde à raison des capacités financières de la société et des risques de l'endettement né de l'octroi des prêts ; que Madame X..., gérante de la société ILODELIS.COM, est titulaire d'une maîtrise de lettres et d'un DESS de l'information et de la documentation et a exercé des activités de documentaliste, tel que cela résulte des pièces produites ; qu'elle ne peut donc pas être considérée, en sa qualité de signataire des actes de prêt concernés, comme une gérante avertie de la gestion d'une société commerciale ; que Mademoiselle Y... indique dans son curriculum vitae disposer d'une maîtrise technique et langage des médias et d'une formation complémentaire en gestion et finances et avoir été chargée de communication dans une agence spécialisée dans les nouvelles technologies des BTP, de l'environnement et de l'industrie avant d'entrer dans la société MAREVA, producteur de matériel de piscines ; qu'elle déclare avoir une bonne connaissance de la gastronomie française ; qu'elle précise que dans les postes qu'elle a occupés, elle était chargée de la recherche de fournisseurs de l'achat de services et de marchandises, de l'élaboration des contrats et des relations avec les clients ; que si Mademoiselle Y... peut être considérée comme avertie en matière de gestion, elle n'est qu'associée de la société ILODELIS.COM et n'a donc pas à ce titre participé aux demandes de prêt et n'a pas été signataire des actes contestés ; que la Caisse de Crédit Mutuel devait donc mettre en garde Madame X... à raison des risques d'endettement de la société ILODELIS.COM nés de l'octroi des prêts ; qu'elle n'établit pas avoir satisfait à cette obligation ; ... qu'il résulte de ce qui précède que la faute de la Caisse de Crédit Mutuel consiste en une absence d'étude et en un défaut de mise en garde, qui a fait perdre à la société ILODELIS.COM une chance de ne pas avoir emprunté la somme de 80.000 € si elle avait été correctement informée des risques qu'elle encourait à raison de cette charge...» (arrêt attaqué p. 4 et 5) ;


ET AUX MOTIFS ADOPTES QUE «le concours consenti à une entreprise en vue de lui permettre de commencer son exploitation n'est pas fautif s'il se fonde sur un projet apparemment sérieux, comportant un programme prévisionnel d'activité, des prévisions de rentabilité et un plan de financement ; que la responsabilité de la banque est d'autant moins engagée que l'activité financée s'est poursuivie pendant trois ans avant l'ouverture de la procédure collective et qu'elle n'a donc pas financé une activité dépourvue de toute viabilité ; qu'il est enfin constant que la caution qui demande à être déchargée de son obligation à raison d'une faute commise par le créancier à l'encontre du débiteur principal peut, par voie de demande reconventionnelle, demander à être déchargée indirectement en sollicitant des dommages et intérêts puis la compensation entre le montant de sa dette et celui de ces dommages et intérêts ; qu'en l'espèce, le Crédit Mutuel ne produit, à l'appui de sa décision d'accorder ce prêt, que la liste des dépenses avant création de la société, un prêt d'honneur de 11.400 € accordé le 25 avril 2002, soit postérieurement à l'acte de prêt du 2 avril 2002 et les statuts de la société ; qu'il n'est pas démontré que sa décision d'octroyer ce crédit, d'un montant important pour une nouvelle société, a été fondée sur une étude de la viabilité de l'entreprise, au moyen de l'examen du programme prévisionnel d'activité, de prévisions de rentabilité et de plan de financement, lesquels sont nécessaires, peu important la faible dimension de la société créée, dès lors qu'elle fait appel à un financement extérieur, l'objet de ce financement fut-il un élément essentiel comme le droit au bail ; qu'en outre, le parcours professionnel des deux associées imposait de sa part une vigilance et une exigence accrue, dans la mesure où ni l'une ni l'autre ne démontraient d'expérience en matière de gestion de société ; qu'enfin l'absence de viabilité de cette entreprise s'est rapidement révélée puisque dès juin 2003, soit un an après sa création, un découvert en compte de 10.000 € a été sollicité par la gérante, pour faire face à des difficultés financières de la société, qui en juillet 2003 accusait un déficit sur son compte courant de 5.682 € et qui, près de six mois plus tard, était mise en liquidation judiciaire, malgré l'ouverture d'un crédit supplémentaire ; que le Crédit Mutuel a donc commis une faute en accordant un crédit important à la société ILODELIS.COM sans étude préalable de la viabilité de cette société ; que par conséquent, Mesdames Y... et X..., cautions de cette société, sont donc fondées à invoquer la faute de la banque et solliciter des dommages et intérêts... puis la compensation entre le montant de leur dette et les dommages et intérêts...» (jugement p. 8 et 9) ;


ALORS QUE, d'une part, il appartient à l'emprunteur ou ses cautions d'apporter en preuve les éléments de nature à établir l'octroi abusif de crédit qu'il impute à la banque ; qu'en se bornant à relever en l'espèce le défaut de production par la C.C.M. du «moindre programme prévisionnel d'activités de la société» et «d'éléments comptables prévisionnels», quand il appartenait à Mesdames Y... et X..., cautions de la société ILODELIS.COM, débitrice en liquidation judiciaire, d'apporter en preuve les éléments de nature à établir l'octroi abusif de crédit, la Cour d'appel a inversé la charge de la preuve et violé l'article 1315 du Code civil ;


ALORS QUE, d'autre part, le dirigeant de société ayant contracté l'emprunt consenti à cette dernière est présumé caution avertie ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué que Madame X... était gérante statutaire de la société ILODELIS.COM ; qu'en affirmant cependant que «titulaire d'une maîtrise de lettres et d'un DESS de l'information et de la documentation et (ayant) exercé des activités de documentaliste ... elle ne peut donc pas être considérée, en sa qualité de signataire des actes de prêt concernés, comme une gérante avertie de la gestion d'une société commerciale», sans constater que l'intéressée se serait tenue à l'écart des tractations avec la C.C.M. et de la gestion de la société emprunteur, la Cour d'appel, qui s'est prononcée par un motif inopérant, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1147 du Code civil ;


ALORS QUE, de troisième part, le simple associé peut être caution avertie dès lors qu'il est établi qu'il a participé activement à la gestion de l'entreprise ; qu'en l'espèce, il résulte des énonciations de l'arrêt attaqué «que Mademoiselle Y... indique dans son curriculum vitae disposer d'une maîtrise technique et langage des médias et d'une formation complémentaire en gestion et finances et avoir été chargée de communication dans une agence spécialisée dans les nouvelles technologies des BTP, de l'environnement et de l'industrie avant d'entrer dans la société MAREVA, producteur de matériel de piscines ; qu'elle déclare avoir une bonne connaissance de la gastronomie française ; qu'elle précise que dans les postes qu'elle a occupés, elle était chargée de la recherche de fournisseurs de l'achat de services et de marchandises, de l'élaboration des contrats et des relations avec les clients», de sorte qu'elle «peut être considérée comme avertie en matière de gestion» ; qu'en affirmant cependant, pour la considérer en définitive comme caution non avertie, qu'«elle n'est qu'associée de la société ILODELIS.COM et n'a donc pas à ce titre participé aux demandes de prêt et n'a pas été signataire des actes contestés», sans rechercher, comme l'y invitait la banque C.C.M. dans ses écritures d'appel, si Mademoiselle Y..., titulaire de 50 % des parts, n'avait pas participé à la création et à la gestion de la société ILODELIS.COM et ne devait pas être tenue «comme co-animatrice de la société bien qu'elle n'ait pas la qualité de gérant statutaire, (dès lors) qu'elle a pratiqué le management et la direction, la gestion et les finances», la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article 1147 du Code civil.

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