7 juillet 2015
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-12.417

Chambre sociale

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2015:SO01502

Titres et sommaires

QUESTION PRIORITAIRE DE CONSTITUTIONNALITE - ordonnance n° 58 - 1067 du 7 novembre 1958 - articles 23 - 4, 23 - 5 et 23 - 7 - incompétence négative du législateur - principe d'impartialité des juridictions - droit à une procédure juste et équitable - déclaration préalable de constitutionnalité - non - lieu à renvoi au conseil constitutionnel - code du travail - articles l. 3121 - 38 et l. 212 - 15 - 3 - liberté contractuelle - droit à un procès équitable - droit au respect des situations légalement acquises - droit au respect des conventions et accords collectifs - interprétation jurisprudentielle constante - portée - caractère sérieux - défaut

Texte de la décision

LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :





Attendu qu'à l'occasion du pourvoi formé contre l'arrêt rendu le 12 décembre 2014 par la cour d'appel de Lyon, la société Auchan, par mémoires distincts et motivés, demande à la Cour de cassation de renvoyer au Conseil constitutionnel trois questions prioritaires de constitutionnalité ;
Sur la première question prioritaire de constitutionnalité :


Attendu que la première question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :


« Les articles 23-4, 23-5 et 23-7 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958, en ce qu'ils sont seuls applicables à la procédure devant la Cour de cassation du fait de l'article 12 de la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 qui a abrogé purement et simplement l'article 23-6 de l'ordonnance précitée et ainsi supprimé la formation spéciale de la Cour de cassation, qui, dans le schéma initial de la réforme de la QPC, était chargée d'examiner le renvoi des questions au Conseil constitutionnel, sans prévoir de dispositions propres à garantir le respect d'une procédure juste et équitable par la Cour de cassation lorsqu'elle est saisie d'une question prioritaire mettant en cause la constitutionnalité de sa propre jurisprudence, sont-ils conformes au principe résultant de l'article 34 de la Constitution, selon lequel l'incompétence négative du législateur ne doit pas porter atteinte à un droit ou une liberté que la constitution garantit, à savoir en l'espèce le principe d'impartialité des juridictions et le droit au respect d'une procédure juste et équitable, garantis par l'article 16 de la Déclaration des droits de 1789 ? » ;


Attendu que les dispositions législatives critiquées sont applicables au litige ;


Mais attendu que les dispositions contestées ont déjà été déclarées conformes à la Constitution dans les motifs et le dispositif de la décision n° 2009-595 DC rendue le 3 décembre 2009 par le Conseil constitutionnel pour ce qui concerne les articles 23-4, 23-5 et 23-7 de l'ordonnance n° 58-1067 du 7 novembre 1958 et dans les motifs et le dispositif de la décision n° 2010-611 DC rendue le 19 juillet 2010 par le Conseil constitutionnel pour ce qui concerne l'article 12 de la loi organique n° 2010-830 du 22 juillet 2010 ; qu'aucun changement dans les circonstances de droit ou de fait n'est depuis intervenu qui, affectant la portée des dispositions législatives critiquées, en justifierait le réexamen ; qu'il n'y a pas lieu de renvoyer la question au Conseil constitutionnel ;


Sur la deuxième question prioritaire de constitutionnalité :


Attendu que la deuxième question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :


« Telles qu'elles sont interprétées par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, les dispositions de l'article L. 3121-38 du code du travail (dans leur rédaction antérieure à la loi du 20 août 2008), en ce qu'elles exigeraient nécessairement la formalisation d'un écrit sans égard pour les dispositions de l'article L. 3121-40 du code du travail (dans leur rédaction antérieure à la loi du 20 août 2008) et le contenu de la convention ou de l'accord collectif conclu sur le fondement de ce dernier article pour prévoir les modalités et les caractéristiques principales des conventions de forfait, sont-elles conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment :
- au droit, pour tout justiciable, d'être jugé dans le respect de la valeur normative arrêtée par le Parlement, l'existence d'un tel droit pouvant être déduite des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789, et des articles 3 et 34 de la Constitution, au besoin en établissant que le non-respect de ces dispositions constitutionnelles affecte un droit ou une liberté que la Constitution garantit, à savoir en l'espèce : (i) le droit au respect des conventions et accords collectifs conclus dans le respect des termes de la loi, notamment pour préciser les modalités concrètes d'application d'une norme édictée par le législateur, qui résulte de l'article 4 de la Déclaration de 1789 et de l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 1946, (ii) la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789, (iii) ainsi que le droit à un procès équitable et le droit au respect des situations légalement acquises et des effets qui peuvent légitimement en être attendus, qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ¿ l'exposante constatant qu'en l'absence de jurisprudence du Conseil constitutionnel quant à l'existence d'un tel droit, et quant à la possibilité (s'il existe) de l'invoquer au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalité, l'existence d'une question nouvelle est caractérisée ; à la liberté contractuelle, qui découle de l'article 4 de la Déclaration de 1789 ¿ l'exposante constatant que la question posée suppose de trancher préalablement la question de savoir si le juge est en droit de créer une atteinte à une telle liberté, par son interprétation constante (et si oui dans quelles limites) ¿ une telle question étant nouvelle en l'absence de jurisprudence du Conseil constitutionnel ;
- au droit au respect des conventions et accords collectifs conclus dans le respect des termes de la loi, notamment pour préciser les modalités concrètes d'application d'une norme édictée par le législateur, qui résulte de l'article 4 de la Déclaration de 1789 et de l'alinéa 8 du préambule de la Constitution du 1946, dispositions conventionnelles qui se situent en principe sur le même plan que des dispositions réglementaires ¿ l'exposante constatant que la question posée suppose de trancher préalablement : a) la question de la nature et des limites du contrôle que le juge est en droit d'exercer à l'égard des conventions et accords collectifs conclus pour préciser les modalités concrètes d'application d'une norme édictée par le législateur ; b) la question de savoir si le juge est en droit de porter atteinte aux conventions et accords collectifs conclus dans le respect des termes de la loi, par son interprétation constante (et si oui dans quelles limites) ¿ de telles questions étant nouvelles ;
- au droit à un procès équitable et au droit au respect des situations légalement acquises et des effets qui peuvent légitimement en être attendus, qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ¿ l'exposante constatant que la question posée suppose de trancher préalablement la question de savoir si : a) les conventions et accords collectifs sont éligibles à la protection que l'article 16 de la Déclaration de 1789 accorde au titre du procès équitable et de la protection des situations légalement acquises et des effets qui peuvent légitimement en être attendus ; b) le juge est en droit d'y porter atteinte par son interprétation constante (et si oui dans quelles limites) ¿ une telle question étant nouvelle, ainsi que l'a d'ailleurs déjà admis le Conseil d'Etat dans son arrêt du 10 juin 2013 (n° 366880) ? » ;


Attendu que les dispositions législatives critiquées sont applicables au litige ;


Mais attendu, d'une part, que la question, qui ne porte pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne tend, sous le couvert de nouveauté, qu'à contester la possibilité même pour le juge, dans le cadre de son office, de donner une portée quelconque aux dispositions législatives qu'il doit mettre en oeuvre pour trancher le litige dont il est saisi ;


Et attendu, d'autre part, que la question posée ne présente pas un caractère sérieux en ce que la formalisation par écrit de la convention de forfait en jours, en application des dispositions de l'article L. 3121-38 du code du travail, telles qu'interprétées par la Cour de cassation, qui, sans dénaturer la portée de la liberté contractuelle, participe aux garanties de nature à satisfaire aux exigences de santé et de sécurité au travail résultant du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946, ne porte pas atteinte à une situation légalement acquise et ne méconnaît pas les dispositions des articles 4 et 16 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 et du huitième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ;


D'où il suit qu'il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;


Sur la troisième question prioritaire de constitutionnalité :


Attendu que la troisième question prioritaire de constitutionnalité est ainsi rédigée :


« Telles qu'elles sont interprétées par la jurisprudence constante de la Cour de cassation, sans égard pour l'ancienneté et le nombre des conventions et accords collectifs conclus et des conventions individuelles conclues pour leur application, les dispositions de l'article L. 212-15-3 du code du travail (devenu l'article L. 3121-45 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 août 2008), en ce qu'elles subordonneraient la validité des conventions et accords collectifs visés par cet article à l'existence de stipulations « assurant la garantie du respect des durées maximales de travail » et de stipulations garantissant une amplitude et une charge de travail «raisonnables et assur a nt une bonne répartition, dans le temps, du travail », alors même que ces dispositions légales se bornaient à imposer un suivi de l'amplitude et de la charge de travail et que les dispositions de l'article L. 212-15-3 (devenu l'article L. 3121-47 du code du travail, dans sa rédaction antérieure à la loi du 20 août 2008)excluaient l'application des durées maximales de travail prévues par le code du travail, sont-elles conformes aux droits et libertés garantis par la Constitution et notamment :
- au droit, pour tout justiciable, d'être jugé dans le respect de la valeur normative arrêtée par le Parlement, l'existence d'un tel droit pouvant être déduite des articles 6 et 16 de la Déclaration de 1789, et des articles 3 et 34 de la Constitution, au besoin en établissant que le non-respect de ces dispositions constitutionnelles affecte un droit ou une liberté que la Constitution garantit, à savoir en l'espèce : (i) le droit au respect des conventions et accords collectifs conclus dans le respect des termes de la loi et au respect des conventions individuelles conclues pour l'application de ces conventions et accords collectifs, qui sont protégés par la Constitution, sur le fondement de l'article 8 du préambule de la Constitution de 1946 (principe dit de participation) et des article 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 (ii) ainsi que le droit à un procès équitable (compte- tenu, notamment, du caractère tardif, imprécis et subjectif des conditions posées, à l'occasion de l'élaboration de la portée effective des dispositions législatives en débat, les durées maximales qui doivent être respectées n'étant pas clairement définies, et les notions d'amplitude et de charge de travail raisonnables et de bonne répartition du travail dans le temps, étant non seulement imprécises mais également subjectives) et le droit au respect des situations légalement acquises et des effets qui peuvent légitimement en être attendus, qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ¿ l'exposante constatant qu'en l'absence de jurisprudence du Conseil constitutionnel quant à l'existence d'un tel droit, et quant à la possibilité (s'il existe) de l'invoquer au soutien d'une question prioritaire de constitutionnalité, l'existence d'une question nouvelle est caractérisée ;
- au droit au respect des conventions et accords collectifs conclus dans le respect des termes de la loi et au respect des conventions individuelles conclues pour l'application de ces conventions et accords collectifs, qui sont protégés par la Constitution, sur le fondement de l'article 8 du préambule de la Constitution de 1946 (principe dit de participation) et des articles 4 et 16 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 ¿ l'exposante constatant que la question posée suppose de trancher préalablement la question de savoir si le juge est en droit porter atteinte à de tels conventions et accords collectifs, et aux conventions individuelles intervenues pour leur application, par son interprétation constante (et si oui dans quelles limites) une telle question étant nouvelle en l'absence de jurisprudence du Conseil constitutionnel ;
- au droit à un procès équitable (compte tenu, notamment, du caractère tardif, imprécis et subjectif des conditions posées, à l'occasion de l'élaboration de la portée effective des dispositions législatives en débat, les durées maximales qui doivent être respectées n'étant pas clairement définies, et les notions d'amplitude et de charge de travail raisonnables et de bonne répartition du travail dans le temps, étant non seulement imprécises mais également subjectives) et au droit au respect des situations légalement acquises et des effets qui peuvent légitimement en être attendus, qui résultent de l'article 16 de la Déclaration de 1789 ¿ l'exposante constatant que la question posée suppose de trancher préalablement la question de savoir si : a) les conventions et accords collectifs sont éligibles à la protection que l'article 16 de la Déclaration de 1789 accorde au titre du procès équitable et de la protection des situations légalement acquises et des effets qui peuvent légitimement en être attendus et, dans l'affirmative, si b) le juge est en droit d'y porter atteinte par son interprétation constante (et si oui dans quelles limites) ¿ une telle question étant nouvelle, ainsi que l'a d'ailleurs déjà admis le Conseil d'Etat dans son arrêt du 10 juin 2013 (n° 366880) ? » ;


Attendu que les dispositions législatives critiquées sont applicables au litige ;


Mais attendu, d'une part, que la question, qui ne porte pas sur l'interprétation d'une disposition constitutionnelle dont le Conseil constitutionnel n'aurait pas encore eu l'occasion de faire application, ne tend, sous le couvert de nouveauté, qu'à contester la possibilité même pour le juge de procéder, ainsi qu'il en a l'obligation, à l'interprétation à la lumière du droit de l'Union européenne des dispositions législatives qu'il doit mettre en oeuvre ;


Et attendu, d'autre part, que les dispositions de l'article L. 212-15-3, devenu L. 3121-38, du code du travail, telles qu'interprétées par la Cour de cassation à la lumière de l'article 17, § 1 et 4, de la directive 93/104/CE du Conseil du 23 novembre 1993, des articles 17, § 1, et 19 de la directive 2003/88/CE du Parlement européen et du Conseil du 4 novembre 2003 et de l'article 31 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, qui ne permettent de déroger aux règles relatives à la durée du travail que dans le respect des principes généraux de la protection de la sécurité et de la santé du travailleur, mettent en oeuvre l'exigence constitutionnelle de santé et de sécurité au travail qui découle du onzième alinéa du Préambule de la Constitution de 1946 ; qu'elles ne portent pas atteinte à une situation légalement acquise et ne méconnaissent aucun des principes constitutionnels applicables invoqués ; que cette disposition législative, ainsi interprétée, ne mettant en cause aucune règle ni aucun principe inhérent à l'identité constitutionnelle de la France, il n'y a pas lieu de la renvoyer au Conseil constitutionnel ;


PAR CES MOTIFS :


DIT N'Y AVOIR LIEU DE RENVOYER au Conseil constitutionnel les questions prioritaires de constitutionnalité ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du sept juillet deux mille quinze.

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