7 novembre 2006
Cour de cassation
Pourvoi n° 04-13.454

Première chambre civile

Publié au Bulletin

Titres et sommaires

PROPRIETE LITTERAIRE ET ARTISTIQUE - droit d'auteur - droits moraux - droit au respect de l'oeuvre - atteinte - caractérisation - cas - altération de l'oeuvre - portée - déconsidération de l'auteur - exploitation des droits - modalités - exercice - limites - atteinte aux droits moraux de l'auteur - défaut - applications diverses - vente - garantie - eviction - bénéficiaires - conditions - bonne foi - droits voisins du droit d'auteur - droits des artistes - interprètes - effets - etendue - détermination

L'exploitation d'une oeuvre dans une compilation, mode d'exercice du droit patrimonial cédé, n'est de nature à porter atteinte au droit moral de l'auteur qu'autant qu'elle risque d'altérer la première ou de déconsidérer le second.

Texte de la décision

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS


LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :




Donne acte à la société Warner Chappell music France du désistement partiel de son pourvoi en ce qu'il est dirigé à l'encontre de la société Pioneer LDCE limited ;

Attendu que, par licence en date du 25 juin 1996, la société Warner Chappell music France, sous-cessionnaire des droits d'exploitation de la chanson "Les Jolies Colonies de vacances", dont M. Pierre X... est l'auteur-compositeur et l'interprète habituel, a autorisé la société Polygram vidéo, devenue Universal pictures video France, à intégrer l'oeuvre dans une vidéocassette, intitulée "Kara ok !" ;


qu'un groupe d'artistes interprète là quatorze chansons, textes et musiques, tandis que les paroles, superposées aux images, défilent simultanément ; que la liste des titres portée au dos de la jaquette comporte, à propos de la chanson "Les Jolies Colonies de vacances", l'indication : Interprète : Pierre X... - (Pierre X... - Pierre X...) - c Barclay Morris droits transférés à Warner Chappell music France ; que M. Pierre X... a assigné les deux sociétés Warner Chappell music France et Polygram vidéo ; que la cour d'appel, excluant l'atteinte à son droit moral d'auteur mais retenant celle portée à son droit d'artiste-interprète, a condamné in solidum les deux sociétés à dommages-intérêts, la société Polygram vidéo devant être garantie par la société Warner Chappell music France, et a prononcé la résiliation du contrat d'édition du 7 juin 1966 liant cette dernière et M. Pierre X... ;


Sur le moyen unique du pourvoi incident, pris en ses deux branches :


Attendu que M. Pierre X... fait grief à l'arrêt attaqué de l'avoir débouté de sa demande tendant à voir juger que l'exploitation sans son autorisation de la vidéocassette litigieuse, en ce qu'elle comporte la chanson "Les Jolies Colonies de vacances", porte ainsi atteinte à son droit moral d'auteur, alors, selon le moyen :


1 / que viole le droit moral de l'auteur l'incorporation de son oeuvre dans une oeuvre composite nouvelle sans son autorisation ; que l'inaliénabilité du droit au respect de l'oeuvre, principe d'ordre public, s'oppose à ce que l'auteur abandonne au cessionnaire, de façon préalable et générale, l'appréciation exclusive des utilisation, diffusion, adaptation, retrait, adjonction et changement auxquels ce dernier souhaiterait procéder ; qu'en retenant en l'espèce que Pierre X..., ayant cédé par contrat du 7 juin 1966 à la société Barclay, dont la société Warner Chappell music France est cessionnaire des droits, la totalité de son droit de reproduction et de représentation sur la chanson "Les Jolies Colonies de vacances" dont il est l'auteur et celle-ci se retrouvant intégralement, sans modification et sans altération de son esprit, dans le vidéogramme litigieux dit "Kara ok ", l'incorporation de ladite chanson dans "l'oeuvre composite nouvelle et globale" que constitue ce vidéogramme ne portait pas atteinte à son droit moral d'auteur, sans qu'importe qu'elle ait été faite sans son autorisation, la cour d'appel a violé ensemble les articles L. 111-1, L. 113-4, L. 121-1 et L. 121-2 du code de la propriété intellectuelle ;


2 / que le droit moral, qui comporte notamment le droit au respect de l'oeuvre, confère à son auteur le droit de contrôler la qualité de l'exploitation qui en est faite ; qu'attaché à la personne de l'auteur, ce droit est discrétionnaire sous réserve d'abus ; qu'en retenant en l'espèce que l'exploitation de la chanson "Les Jolies Colonies de vacances" dans le vidéogramme litigieux n'est de nature ni à dévaloriser cette chanson, qui est "une chanson populaire", ni à "nuire à l'honneur ou à la réputation de son auteur" et ne porte donc pas atteinte au respect dû à celle-ci, sans s'interroger sur la qualité contestée par M. Pierre X... de l'interprétation faite dans ce vidéogramme de la chanson "Les Jolies Colonies de vacances" et rechercher si, comme le faisait valoir celui-ci, son interprétation en play-back, par un groupe totalement anonyme, chantant au surplus faux, n'autorisait pas, sans abus, Pierre X..., sur le fondement du droit au respect dû à son oeuvre, à s'opposer à l'exploitation de ce vidéogramme, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article L. 121-1 du code de la propriété intellectuelle ;


Mais attendu que l'exploitation d'une oeuvre au sein d'une compilation, mode d'exercice du droit patrimonial cédé, n'est de nature à porter atteinte au droit moral de l'auteur, requérant alors son accord préalable, qu'autant qu'elle risque d'altérer l'oeuvre ou de déconsidérer l'auteur ; que la cour d'appel a relevé qu'en l'espèce la vidéocassette litigieuse ne dissociait pas les paroles et la musique de la chanson, que le groupe d'artistes l'interprétait classiquement, la livrant au public sans déformation, mutilation ou autre modification, et que ni la superposition du texte aux images ni le cadre général de l'oeuvre audiovisuelle ne modifiait l'esprit de l'oeuvre particulière, chanson populaire comme les treize autres, ni n'était de nature à la dévaloriser, ou à nuire à l'honneur ou à la réputation de M. Pierre X... ; qu'à partir de ces constatations, la cour d'appel, qui a ainsi mené les recherches prétendument omises, a légalement justifié sa décision ; que le moyen n'est donc pas fondé ;


Sur le second moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :


Attendu que la société Warner Chappell music France fait grief à l'arrêt d'avoir résilié le contrat d'édition intervenu entre elle et M. Pierre X... le 7 juin 1966, alors, selon le moyen, que le contrat d'édition musicale est un contrat par lequel l'auteur d'une chanson constituée de paroles et/ou de musique cède à une personne appelée éditeur le droit de la reproduire et de la diffuser ; que le non-respect du nom de l'artiste-interprète, consistant dans le fait d'attribuer à celui-ci une interprétation de l'oeuvre qui n'est pas la sienne, ne constitue pas une violation du contrat d'édition ; qu'en sanctionnant par la résiliation du contrat d'édition la faute, de nature quasidélictuelle, commise par la société Warner Chappell music France, simple éditeur musical, à l'encontre de M. Pierre X... pris non en qualité d'auteur mais d'interprète de son oeuvre, la cour d'appel a violé les articles 1184 et 1383 du code civil, ensemble les articles L. 211-1 et suivants du code civil ;


Mais attendu que la cour d'appel a relevé, d'une part, que la société Warner Chappel music France, professionnel averti, n'avait pu penser que le droit moral d'artiste-interprète de M. Pierre X..., et non son droit d'auteur ainsi qu'il résulte d'une erreur matérielle manifeste que la Cour de cassation est à même de réparer par application de l'article 462 du nouveau code de procédure civile, n'était pas compromis par l'enregistrement contesté, et, d'autre part, que le fait d'avoir demandé à la société productrice de porter la mention litigieuse sur la jaquette de la vidéocassette relevait d'un comportement commercial fautif ; que dès lors, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain que la cour d'appel, après s'être expliquée sur la violation par la société Warner Chappell music France de son obligation contractuelle de bonne foi, implicitement déduite des articles 1134, alinéa 3, et 1135 du code civil, a estimé que sa gravité justifiait la résiliation prononcée ; que le moyen est inopérant ;


Mais sur le premier moyen du pourvoi principal, pris en sa première branche :


Vu l'article 1626 du code civil ;


Attendu que la personne qui a délibérément participé à la violation du droit d'un artiste-interprète en mettant en vente un enregistrement qu'elle savait lui être faussement attribué ne peut obtenir la garantie de celui dont elle est l'ayant cause ;


Attendu que pour condamner la société Warner Chappel music France à garantir la société Universal pictures video France, la cour d'appel retient, par motifs adoptés, d'une part, l'engagement général pris en ce sens par la première envers la seconde contre tous recours de tiers quant aux frais et droits relatifs au conditionnement des vidéogrammes et des phonogrammes, et, d'autre part, que c'est conformément à sa demande et à ses indications que la société Universal pictures video France a fait figurer sur la jaquette la mention inexacte de l'interprétation de la chanson par M. Pierre X... ; qu'en statuant par de tels motifs, la cour d'appel a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il soit besoin de se prononcer sur les deux autres branches du même moyen :


DIT que les motifs de l'arrêt attaqué, en sa page 9, ligne 25, seront modifiés comme suit : " ... n'a pas pu penser en toute bonne foi que le droit moral d'artiste-interprète de M. Pierre X... n'était pas engagé... " ;


CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'il a condamné la société Warner Chappell music France à garantir la société Universal pictures video France, l'arrêt rendu le 23 janvier 2004, entre les parties, par la cour d'appel de Paris ; remet, en conséquence, sur ce point, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Paris, autrement composée ;


Condamne la société Universal pictures video France aux dépens ;


Vu l'article 700 du nouveau code de procédure civile, rejette les demandes ;


Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt partiellement cassé ;


Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du sept novembre deux mille six.

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