11 mars 2021
Cour de cassation
Pourvoi n° 19-17.384

Deuxième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2021:C200188

Titres et sommaires

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Lien de causalité avec le dommage - Défaut - Applications diverses - Préjudice moral de l'enfant né après la disparition de sa soeur aînée

Viole les articles 1240 du code civil et 706-3 du code de procédure pénale la cour d'appel qui alloue à une victime par ricochet une provision au titre de son préjudice moral en raison du traumatisme tenant à sa naissance au sein d'une famille marquée par la disparition non élucidée de sa soeur aînée, alors qu'il résultait de ses constatations que cette victime avait été conçue après cette disparition, de sorte qu'il n'existait pas de lien de causalité entre cette dernière et le préjudice invoqué

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Réparation - Personnes pouvant l'obtenir - Soeur - Préjudice moral de l'enfant né après la disparition de sa soeur aînée - Lien de causalité avec le dommage - Exclusion - Cas

INDEMNISATION DES VICTIMES D'INFRACTION - Bénéficiaires - Exclusion - Cas - Préjudice moral de l'enfant né après la disparition de sa soeur aînée

Texte de la décision

CIV. 2

CM



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 11 mars 2021




Cassation
sans renvoi


M. PIREYRE, président



Arrêt n° 188 F-P

Pourvoi n° P 19-17.384

Aide juridictionnelle totale en défense
au profit de Mme U... S....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 6 juillet 2020.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, DU 11 MARS 2021

Le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, dont le siège est [...] , a formé le pourvoi n° P 19-17.384 contre l'arrêt rendu le 24 avril 2018 par la cour d'appel de Grenoble (2e chambre civile), dans le litige l'opposant :

1°/ à Mme U... S..., domiciliée [...] ,

2°/ au procureur général près la cour d'appel de Grenoble, domicilié en son parquet général, [...],

défendeurs à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Ittah, conseiller référendaire, les observations de la SCP Delvolvé et Trichet, avocat du Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions, de la SCP Bauer-Violas, Feschotte-Desbois et Sebagh, avocat de Mme S..., et l'avis de Mme Nicolétis, avocat général, après débats en l'audience publique du 27 janvier 2021 où étaient présents M. Pireyre, président, M. Ittah, conseiller référendaire rapporteur, Mme Leroy-Gissinger, conseiller doyen, M. Besson, Mme Bouvier, M. Martin, conseillers, Mme Guého, M. Talabardon, M. Pradel, conseillers référendaires, Mme Nicolétis, avocat général, et M. Carrasco, greffier de chambre,

la deuxième chambre civile de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Grenoble, 24 avril 2018), et les productions, E... S..., née le [...] , a disparu le 8 juillet 1987.

2. L'information judiciaire ouverte du chef d'enlèvement de mineur de 15 ans a fait l'objet d'une ordonnance de non-lieu en janvier 1989. L'information ayant été reprise des chefs d'enlèvement et séquestration de plus de sept jours, un second non-lieu a été prononcé en novembre 2014, à la suite duquel la chambre de l'instruction a ordonné un supplément d'information.

3. Mme U... S..., soeur de E... S..., née le [...] , se prévalant des faits d'enlèvement et de séquestration qui auraient été commis à l'encontre de cette dernière, a saisi, le 4 décembre 2015, une commission d'indemnisation des victimes d'infractions, aux fins de versement d'une provision en réparation de son préjudice moral, sur le fondement des articles 706-3 et suivants du code de procédure pénale.

Exposé du moyen

Sur le moyen, pris en sa première branche

Enoncé du moyen

4. Le Fonds de garantie des victimes d'actes de terrorisme et d'autres infractions fait grief à l'arrêt d'allouer à Mme U... S... la somme provisionnelle de 12 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral alors « que n'existe aucun lien de causalité entre la disparition de la victime et le préjudice prétendument souffert par sa soeur née plusieurs années après cette disparition ; qu'en allouant néanmoins à Mme S... la somme provisionnelle de 12 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la disparition de sa soeur, après avoir pourtant constaté que Mme S... était née près de quatre ans après cette disparition, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale. »

Réponse de la Cour

Vu l'article 1240 du code civil et l'article 706-3 du code de procédure pénale :

5. Aux termes du premier de ces textes, tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer et, selon le second, sous certaines conditions, toute personne ayant subi un préjudice résultant de faits volontaires ou non qui présentent le caractère matériel d'une infraction peut obtenir la réparation intégrale des dommages qui résultent des atteintes à la personne.

6. Pour allouer à Mme U... S... une provision au titre de son préjudice moral, l'arrêt retient qu'en raison de sa naissance au sein d'une famille marquée par la disparition inexpliquée d'une enfant de 10 ans, Mme U... S... a dû se construire avec le traumatisme de cette disparition, entretenu en permanence au sein du foyer familial.

7. En statuant ainsi, alors qu'il résultait de ses constatations que Mme U... S... avait été conçue après la disparition de sa soeur, de sorte qu'il n'existait pas de lien de causalité entre cette disparition non élucidée et le préjudice invoqué, la cour d'appel a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

8. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 2, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

9. L'intérêt d'une bonne administration de la justice justifie, en effet, que la Cour de cassation statue au fond.

10. En l'absence de lien de causalité entre le fait dommageable et le préjudice allégué, la demande de provision formée par Mme U... S... doit être rejetée.

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur les autres griefs du pourvoi, la Cour :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 24 avril 2018, entre les parties, par la cour d'appel de Grenoble ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

REJETTE la demande de provision formée par Mme U... S... en réparation du préjudice allégué ;

Laisse les dépens exposés, tant devant la cour d'appel que devant la Cour de cassation, à la charge du Trésor public ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du onze mars deux mille vingt et un.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Delvolvé et Trichet, avocat aux Conseils, pour la Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et d'autres infractions

Il est fait grief à l'arrêt d'avoir alloué à Mme U... S... la somme provisionnelle de 12 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice moral ;

Aux motifs que « dans le cadre de la disparition de la jeune E... S... le 8 juillet 1987, le FGTI ne conteste pas la dimension infractionnelle de la dite disparition mais conteste le droit à indemnisation de Mme U... S... en ce qu'elle est née en 1991 soit presque 4 ans après la disparition de sa soeur qu'elle n'a donc jamais connue ; qu'il convient de rappeler que le préjudice d'affection correspond à l'indemnisation de la perte d'un proche avec qui un lien affectif est établi ; qu'en l'espèce, l'existence d'un lien affectif préalablement établi entre la soeur disparue et la soeur née 3 ans plus tard n'est pas caractérisable ; que dès lors, aucune indemnisation ne peut intervenir sur le fondement d'un préjudice d'affection ; qu'en revanche, en raison de sa naissance au sein d'une famille marquée par la disparition inexpliquée d'une jeune enfant de 10 ans, Mme U... S... a dû se construire avec le traumatisme de cette disparition, traumatisme entretenu en permanence au sein du foyer familial ; qu'elle subit de ce fait un préjudice moral qu'il convient d'indemniser ; qu'une provision de 12 000 euros lui sera accordée à ce titre ; que la décision sera donc confirmée par substitution de motifs sur le principe de l'indemnisation et infirmée sur le montant de la provision accordée » (arrêt attaqué, p. 4, § 6 et s.) ;

1°) Alors, d'une part, que n'existe aucun lien de causalité entre la disparition de la victime et le préjudice prétendument souffert par sa soeur née plusieurs années après cette disparition ; qu'en allouant néanmoins à Mme U... S... la somme provisionnelle de 12 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la disparition de sa soeur, après avoir pourtant constaté que Mme U... S... était née près de quatre ans après cette disparition, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale ;

2°) Alors, d'autre part, que le fait pour une personne de naître dans une famille marquée par un drame et, par suite, d'avoir dû se construire dans un tel environnement ne constitue pas un préjudice réparable ; qu'en allouant néanmoins à Mme U... S... la somme provisionnelle de 12 000 euros en réparation du préjudice résultant pour elle d'avoir, en raison de sa naissance au sein d'une famille marquée par la disparition d'une jeune fille de de 10 ans, dû se construire avec le traumatisme de cette disparition, traumatisme entretenu en permanence au sein du foyer familial, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale ;

3°) Alors, enfin, que le droit à réparation naît au jour du fait dommageable ; qu'il s'en déduit qu'une personne ne saurait obtenir réparation de faits survenus à un moment où elle n'était pas conçue ; qu'en allouant néanmoins à Mme U... S... la somme provisionnelle de 12 000 euros au titre du préjudice moral résultant de la disparition de sa soeur, après avoir pourtant constaté que Mme U... S... était née quatre ans après cette disparition, la cour d'appel a violé l'article 706-3 du code de procédure pénale et l'article 1382 ancien, devenu 1201, du code civil.

Vous devez être connecté pour gérer vos abonnements.

Vous devez être connecté pour ajouter cette page à vos favoris.

Vous devez être connecté pour ajouter une note.