3 février 2016
Cour d'appel de Versailles
RG n° 14/03680

15e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES









Code nac : 80C



15e chambre



ARRET N°



contradictoire



DU 03 FEVRIER 2016



R.G. N° 14/03680



AFFAIRE :



[Y] [I]





C/

SAS [C] FRANCE









Décision déférée à la cour : Jugement rendu(e) le 08 Juillet 2014 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire d'ARGENTEUIL



N° RG : 13/00427





Copies exécutoires délivrées à :



Me Roland ZERAH

la SCP WENNER





Copies certifiées conformes délivrées à :



[Y] [I]



SAS [C] FRANCE







le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE TROIS FEVRIER DEUX MILLE SEIZE,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre :



Monsieur [Y] [I]

[Adresse 2]

[Localité 1]

comparant en personne, assisté de Me Roland ZERAH, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : D0164





APPELANT

****************

SAS [C] FRANCE

[Adresse 1]

[Adresse 4]

[Localité 2]

représentée par Me Valérie ORSINI MORGADO de la SCP WENNER, avocat au barreau de PARIS, vestiaire : P0314





INTIMEE

****************





Composition de la cour :



En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 15 Décembre 2015, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller chargé(e) d'instruire l'affaire.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la cour, composé(e) de :



Madame Michèle COLIN, Président,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,

Madame Carine TASMADJIAN, Conseiller,



Greffier, lors des débats : Madame Brigitte BEUREL,














































EXPOSE DU LITIGE



La société [C] France SAS fait partie du groupe allemand ALFONS [C], géré par deux frères messieurs [P] et [Z] [C], spécialisé dans la conception, le développement et la fabrication de composants et systèmes clés en main pour le transfert et le comptage des hydrocarbures. La société [C] France, dont le siège social est à [Adresse 3], a pour activité la vente en France des produits fabriqués par le groupe. Elle emploie moins de 11 salariés et applique la convention collective du commerce de gros.





Monsieur [Y] [I] a été engagé par ladite société par contrat à durée indéterminée à compter du 1er septembre 1990, en qualité de directeur technique et commercial, statut cadre. En dernier lieu, sa rémunération mensuelle brute était de 9.522 €.



Il a exercé successivement plusieurs mandats sociaux en fonction de la forme juridique de la société [C] FRANCE : cogérant du 17 juin 1991 au 26 juin 1994, gérant unique du 27 juin 1994 au 23 décembre 1996 (SARL), président du conseil d'administration du 24 décembre 1996 au 15 février 2006 (SA), président du 16 février 2006 au 21 mai 2013 (SAS), date à laquelle il a démissionné de son mandat. Monsieur [P] [C] a été nommé président en remplacement lors de l'assemblée générale du 5 juin 2013.



M. [I] a été en arrêt de travail pour maladie à compter du 17 mai 2013 jusqu'au 17 juillet 2013, son médecin psychiatre relevant 'un état dépressif réactionnel de type burn out dans un contexte de harcèlement moral organisationnel professionnel, avec inaptitude temporaire'.



Le 8 juillet 2013, monsieur [I] a été convoqué à un entretien préalable en vue de son éventuel licenciement fixé au 22 juillet suivant, avec mise à pied à titre conservatoire.



Le 18 juillet 2013, M. [I] a passé une visite de reprise auprès du médecin du travail, lequel l'a déclaré "inapte à son poste de directeur technique et commercial dès la première visite : danger immédiat pour la santé du salarié de maintien au poste de travail selon les dispositions de l'article R 4624-31 du code du travail relatif au danger immédiat".



Le 19 juillet 2013, M. [I] était de nouveau arrêté par son médecin psychiatre jusqu'au 19 août 2013.



Le 1er août 2013, monsieur [I] a été convoqué à un second entretien préalable en vue de son éventuel licenciement fixé au 12 août suivant.





Le 16 août 2013, la société [C] France adressait à monsieur [I] une lettre de licenciement pour fautes et inaptitude au poste avec impossibilité de reclassement.



Monsieur [I] a saisi le conseil de prud'hommes d'Argenteuil le 17 septembre 2013 afin de contester son licenciement.



Le conseil de prud'hommes par jugement du 8 juillet 2014 a débouté monsieur [Y] [I] de l'ensemble de ses demandes.



Monsieur [I] a régulièrement interjeté appel de cette décision et dans ses dernières conclusions, il demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris et :



A titre principal : de condamner la société [C] France à lui verser les sommes suivantes: 57.132,00 € à titre d'indemnité de préavis et 5.713,20 € de congés payés afférents ;

250.000,00 € à titre d'indemnité pour licenciement nul ou sans cause réelle et sérieuse; 135.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour perte de points de retraite ;

100.000,00 € à titre de dommages-intérêts pour préjudice moral ;

5.737,12 € à titre de rappel de salaire ;

5.000,00 € au titre de l'article 700 euros du code de procédure civile ;







A titre subsidiaire, si la Cour faisait droit à la demande de la société [C] France de considérer que son contrat de travail avait été suspendu pour la période du 17 juin 1991 au 21 mai 2013 :

-de prononcer la nullité du licenciement intervenu,

-d'ordonner sa réintégration dans ses fonctions de directeur technique et commercial, et ce sous astreinte de 5.000 € par jour de retard à compter de la notification de la décision à intervenir,

-de condamner la société [C] France au versement de ses salaires depuis son licenciement jusqu'à sa réintégration,

ou s'il n'était pas fait droit à sa demande de réintégration,

-de condamner la société [C] France à lui verser les sommes précédemment sollicitées à titre principal.



Dans ses dernières conclusions, la société [C] France demande à la cour :

A titre principal :

-de juger que le contrat de travail de M. [I] était automatiquement suspendu du 17 juin 1991 au 21 mai 2013 en raison de l'exercice de divers mandats sociaux,

-de juger que le contrat de travail de M. [I] était également suspendu du 17 mai 2013 au 18 juillet 2013 en raison de ses arrêts pour maladie non professionnelle,

-de confirmer le jugement du conseil de prud'hommes d'Argenteuil du 8 juillet 2014, en ce qu'il a débouté M. [I] de l'intégralité de ses demandes,

Subsidiairement si la Cour considère que le licenciement de M. [I] est nul,

-de lui ordonner de communiquer tous les justificatifs relatifs aux revenus de remplacement/allocations/indemnités journalières qu'il a perçus pendant la période courant de son licenciement à sa réintégration, étant précisé que toutes ces sommes devront être déduites de toutes les sommes auxquelles la société [C] France serait condamnée,

-d'ordonner la compensation en deniers et quittance des sommes indûment versées à M. [I] avec les éventuelles condamnations de nature salariale qui seraient prononcées contre la société [C] France,

-de minorer le montant de l'indemnité sollicitée par M. [I] pour licenciement nul,

Si la Cour considère que le licenciement de M. [I] est sans cause réelle et sérieuse,

-de rejeter ou à tout le moins de minorer le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

En tout état de cause,

-de condamner M. [I] à lui rembourser la somme de 100.781,05 € indûment versée à titre d'indemnité de licenciement portant intérêt au taux légal à compter de son paiement le 12 septembre 2013,

Subsidiairement ordonner la compensation avec les sommes auxquelles elle pourrait être condamnée,

-de condamner M. [I] à lui payer la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Conformément aux dispositions de l'article 455 du code de procédure civile, la cour renvoie, pour l'exposé des prétentions et moyens des parties, aux conclusions qu'elles ont déposées et soutenues oralement à l'audience.




MOTIFS



SUR LE CUMUL ENTRE LE CONTRAT DE TRAVAIL DE MONSIEUR [I] ET SON MANDAT SOCIAL



La société [C] France soutient que monsieur [I] n'avait aucune fonction technique distincte de ses fonctions résultant de son mandat social et aucun lien de subordination avec la société qu'il dirigeait ; qu'en conséquence son contrat de travail a été suspendu pendant la durée des mandats sociaux qu'il a exercés.



Monsieur [I] rétorque que ses fonctions techniques étaient réelles et qu'il supervisait l'activité de l'atelier, outre le fait qu'il était chargé de la commercialisation des produits.



Un mandat social n'est pas incompatible avec un contrat de travail. Toutefois pour que le cumul soit possible il faut que le contrat de travail corresponde à un emploi effectif s'entendant de fonctions techniques distinctes de celles de direction, donnant lieu en principe à rémunération distincte, exercées dans le cadre d'un lien de subordination vis à vis de la société et dans des conditions exclusives de toute fraude à la loi.



En présence d'un contrat de travail écrit antérieur au mandat social, il appartient à celui qui soutient qu'il n'y avait pas eu cumul du contrat de travail et du mandat social postérieur d'en rapporter la preuve.



Comme soulevé à juste titre par la société [C] FRANCE, l'établissement de fiches de paie, le paiement d'une indemnité de licenciement ou les mentions du commissaire aux comptes relatives au salaire de monsieur [I] sont insuffisants à caractériser la poursuite du contrat de travail et le maintien d'un lien de subordination.



La société [C] France produit les procès verbaux des assemblées générales nommant monsieur [I] comme mandataire social à partir de 1991 et précisant, lorsque la société est devenue une société anonyme, qu'il était investi des pouvoirs les plus étendus pour agir en toutes circonstances en son nom.



Les fonctions de directeur technique et commercial précisées dans le contrat de travail de Monsieur [I] consistaient notamment à analyser les données du marché pour les articles distribués par la société ainsi que la position des concurrents, fixer, en accord avec la direction, la politique commerciale, les objectifs de vente, la pratique des prix, marges, tarifs et remises, gérer les effectifs, promouvoir les articles distribués par la société, visiter personnellement les clients importants, accompagner les représentants au besoin, enquêter sur la solvabilité des clients, superviser toutes études et solutions techniques liées à l'exploitation des produits, diriger l'ensemble des services affectés à la vente, apporter sa contribution à la croissance permanente des activités de l'entreprise, tout en améliorant sa rentabilité.



Or, en qualité de gérant puis président de la société [C] France petite structure comprenant moins de 11 salariés et dont l'activité était principalement la vente en France des produits fabriqués par le groupe, monsieur [I] était investi des plus larges pouvoirs dans sa direction générale et les attributions figurant dans son contrat de travail ne se distinguaient pas de celles liées à l'exercice de son mandat social, qui se confondaient avec l'objet social de l'entreprise. Ainsi, le mandat absorbait les fonctions de directeur technique et commercial.



En outre, monsieur [I] lui même indique dans ses conclusions que :

-les faits reprochés dans la lettre de licenciement relevaient du mandat de président et non de l'exécution du contrat de travail ;

-le système de reporting mis en place permettait à monsieur [P] [C] d'être informé de l'activité de la société et de donner des instructions mais qui ne concernaient pas l'activité de directeur commercial et technique mais son mandat social de président qu'il exerçait sous sa tutelle constante ;

-Monsieur [P] [C] ne venait en France voir sa filiale qu'une fois par an, lors de l'assemblée générale ordinaire, exceptionnellement pour une AG extraordinaire et qu'en 23 ans, il n'avait fait que 4 visites avec lui pour rencontrer des clients importants et deux autres visites pour rencontrer des sociétés qu'il projetait de racheter.



De même, les demandes faites par l'actionnaire unique à monsieur [I] lors de l'assemblée générale extraordinaire du 1er mars 2013 concernant notamment le budget ou la réduction des coûts relevaient de son mandat social.



Ainsi, dès lors que monsieur [I] exerçait toutes les fonctions de direction de la société et qu'aucun secteur ne lui échappait, plus aucun lien de subordination ne perdurait avec le signataire de son contrat de travail, étant précisé que le lien de subordination ne doit pas se confondre avec les directives que peut recevoir le mandataire de la part des associés ou du conseil d'administration et qui sont la conséquence logique de son mandat.



En conséquence, à défaut de fonctions techniques distinctes de celles de direction et de lien de subordination vis à vis de la société [C] France, le contrat de travail de monsieur [I] a été automatiquement suspendu pendant la durée des différents mandats exercés à compter du 17 juin 1991 jusqu'au 21 mai 2013.



En revanche, à compter du 22 mai 2013, suite à sa démission de son dernier mandat social, le contrat de travail de monsieur [I] a repris ses effets.



SUR LE HARCELEMENT MORAL



Monsieur [I] soutient avoir fait l'objet de pressions depuis le mois de mai 2012 qui ont eu des conséquences sur son état de santé et qui ont entraîné son inaptitude. Il mentionne notamment la découverte de la consultation donnée par un cabinet d'avocat français pour le transfert de la société d'[Localité 3] à [Localité 4], la demande de monsieur [P] [C] en décembre 2012 de faire des économies, la convocation d'une assemblée générale extraordinaire en mars 2013, sans lui en préciser la raison, les propos de son employeur du 29 avril 2013 selon lesquels il se serait 'ridiculisé'.



Aux termes de l'article L. 1152-1 du code du travail aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.



Comme précédemment jugé, le contrat de travail de monsieur [I] a été suspendu durant l'exercice de ses mandats sociaux et n'a repris ses effets que le 22 mai 2013. Si les pièces produites par monsieur [I] attestent d'une dégradation de ses relations avec monsieur [P] [C] représentant l'actionnaire unique de la société [C] FRANCE, celle ci est intervenue alors que le contrat de travail était suspendu et portait sur l'exercice du mandat social.



En outre, placé en arrêt maladie puis déclaré inapte, monsieur [I] n'a pas repris ses fonctions de directeur technique et commercial. Le seul mail du 28 juin 2013 dans lequel monsieur [C] déplorait l'impossibilité de le joindre se situe manifestement dans la continuité de leur différend quant à la gestion de la société.



Enfin, si par certificats médicaux successifs, le médecin psychiatre de monsieur [I] faisait état d'un harcèlement moral au travail, force est de constater que le premier certificat et le premier arrêt de travail ont été délivrés alors que le contrat était encore suspendu et que le praticien a précisé ultérieurement les avoir redigés à partir des dires de son patient à l'évocation de sa situation professionnelle, sans avoir pu matériellement constater les faits rapportés.

Quant à l'avis d'inaptitude du médecin du travail, il ne se prononce pas sur sa cause.



Ainsi, monsieur [I] n'établit pas la matérialité de faits précis permettant de présumer l'existence d'un harcèlement moral.



Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il avait rejeté les demandes à ce titre.



SUR LA RUPTURE DU CONTRAT DE TRAVAIL



sur la nullité du licenciement



La société [C] FRANCE a fondé la rupture du contrat sur deux motifs personnels, d'une part des fautes commises par monsieur [I] et d'autre part son inaptitude.



Monsieur [I] conteste à son employeur la possibilité de mettre en oeuvre deux procédures distinctes de licenciement. Il soutient également que celui-ci est nul puisqu'il est invraisemblable de licencier un salarié dont, selon l'argumentation de la société [C] FRANCE, le contrat a été suspendu depuis le 17 juin 1991 et qui n'a jamais repris ses fonctions salariales du fait de son arrêt maladie.



En premier lieu, l'employeur, à condition de respecter les règles de procédure applicables à chaque cause de licenciement, peut invoquer dans la lettre de licenciement des motifs différents de rupture inhérents à la personne du salarié, dès lors qu'ils procèdent de faits distincts.

En l'espèce, la société [C] FRANCE n'a eu connaissance de l'inaptitude au poste de monsieur [I] que le 18 juillet 2013 après avoir engagé une première procédure de licenciement pour faute ; qu'il lui appartenait donc de convoquer le salarié à un nouvel entretien préalable pour évoquer ce fait distinct ; qu'ainsi, la procédure a été régulièrement mise en oeuvre.



En second lieu, la nullité d'un licenciement ne peut être prononcée que si un texte le prévoit ou en cas de violation d'un droit ou d'une liberté fondamentale.

En l'espèce, l'absence de faute est de nature à rendre le licenciement sans cause réelle et sérieuse et non pas nul et si effectivement aucune faute ne peut être reprochée à monsieur [I] puisqu'il n'a pas repris ses fonctions du fait de son arrêt maladie, la visite de reprise du 18 juillet 2013 auprès du médecin du travail a mis fin à la période de suspension du contrat et a ouvert le régime juridique de l'inaptitude.



La demande de nullité du licenciement sera donc rejetée.



sur le motif économique invoqué par monsieur [I]



Monsieur [I] soutient que le véritable motif de son licenciement est économique puisque la société [C] FRANCE souhaitait depuis plusieurs mois transférer son établissement sur [Localité 4] pour réduire les coûts et qu'il n'a pas été remplacé dans son emploi.



Néanmoins, la société [C] FRANCE justifie avoir embauché monsieur [S] en qualité de responsable des ventes à compter du 14 octobre 2013 avec des fonctions similaires à celles de monsieur [I]. En outre, il ressort de l'extrait Kbis de novembre 2015 que le siège social et l'établissement de la société [C] FRANCE n'ont pas été transférés et se trouvent toujours à la même adresse à [Localité 3].



Ce moyen ne saurait donc prospérer.



sur le licenciement pour inaptitude



Aux termes de l'article L. 1226-2 du code du travail, à l'issue des périodes de suspension du contrat de travail consécutives à une maladie ou à un accident non professionnels, si le salarié est déclaré par le médecin du travail inapte à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur est tenu de lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités, compte tenu des conclusions écrites du médecin du travail et des indications qu'il formule sur l'aptitude du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise et aussi comparable que possible à l'emploi précédemment occupé, au besoin par la mise en 'uvre de mesures telles que mutations ou transformations de postes de travail ou aménagement du temps de travail.



Il appartient à l'employeur d'établir qu'il s'est trouvé dans l'impossibilité de reclasser le salarié inapte à son poste. En outre, lorsque l'entreprise fait partie d'un groupe, les possibilités de reclassement doivent être recherchées à l'intérieur du groupe auquel elle appartient, parmi les entreprises dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation permettent la permutation de tout ou partie du personnel, peu important qu'elles appartiennent ou non à un même secteur d'activité.



Monsieur [I] a été placé en arrêt maladie le 17 mai 2013 jusqu'au 17 juillet et a été déclaré inapte à son poste le 18 juillet 2013 avec danger immédiat. Le 25 juillet 2013, le médecin du travail précisait après étude du poste que monsieur [I] était "inapte au poste dans l'entreprise mais restait apte à un poste équivalent dans un contexte organisationnel distinct".



La société [C] France rappelle que le groupe ALFONS [C] auquel elle appartient est un groupe familial dirigé par ses membres, en particulier par messieurs [P] et [Z] [C] et qu'un reclassement s'avérait donc impossible au vu de la préconisation du médecin du travail qui demandait un autre contexte organisationnel ; que par ailleurs aucun poste au sein des entreprises du groupe n'était susceptible d'être proposé à M. [I].



Si la société produit des attestations des dirigeants des sociétés du groupe qui indiquent l'absence de poste de directeur technique et commercial en leur sein en juillet/août 2013, force est de constater que seul est mentionné le poste précédemment occupé par le salarié sans que la recherche ne soit élargie à d'autres postes compatibles avec les capacités de l'intéressé même d'une qualification inférieure.

Il en ressort également que monsieur [P] [C], même s'il faisait partie des comités de direction, n'était pas le dirigeant des entités du groupe se trouvant en dehors de l'Allemagne, ce qui rendait possible un 'autre contexte organisationnel' conforme aux préconisations médicales.

En effet, il ressort des pièces produites que monsieur [I] s'est plaint essentiellement de relations difficiles avec monsieur [P] [C] et qu'il n'avait pas de contact régulier avec les autres membres de la famille, étant en tout état de cause relevé que les dirigeants des filiales étrangères n'en faisaient pas partie et qu'il appartenait à l'employeur en cas de doute sur la signification de l'avis du médecin de l'interroger sur ce point.

Enfin, tous les documents produits par la société pour justifier de l'impossibilité de reclassement datent de l'année 2015, soit deux ans après le licenciement de monsieur [I], ce qui ne permet pas de considérer que l'employeur avait, au moment du licenciement, engagé une véritable recherche en ce sens.



En conséquence, le licenciement sera jugé sans cause réelle et sérieuse et le jugement infirmé de ce chef.



sur les demandes pécuniaires



Les deux parties s'accordent sur une rémunération mensuelle brute de 9522 euros, figurant sur la fiche de paie de juillet 2013.



S'agissant de l'ancienneté de monsieur [I], aux termes de l'article L1234-11 du Code du travail 'les circonstances entraînant la suspension du contrat de travail, en vertu soit de dispositions légales, soit d'une convention ou d'un accord collectif de travail, soit de stipulations contractuelles, soit d'usages, ne rompent pas l'ancienneté du salarié appréciée pour la détermination du droit à l'indemnité de licenciement ; toutefois, la période de suspension n'entre pas en compte pour la détermination de la durée d'ancienneté exigée pour bénéficier de ces dispositions'.



Comme soulevé à juste titre par l'employeur, le contrat de travail de M. [I] a été suspendu pendant l'exercice de ses mandats sociaux (du 17 juin 1991 au 21 mai 2013) puis pendant ses arrêts pour maladie (du 17 mai 2013 au 18 juillet 2013) et son ancienneté s'élevait donc à :

-9 mois et demi du 1er septembre 1990 au 16 juin 1991,

-1 mois du 18 juillet 2013 au 17 août 2013,

soit un total de 10 mois et demi.



Monsieur [I] peut prétendre en premier lieu au paiement du préavis contractuel de 6 mois qui ne lui avait pas été versé du fait de son inaptitude non professionnelle mais dont la société est redevable du fait de l'absence de cause réelle et sérieuse au licenciement, soit la somme de 57.132 euros et les congés payés afférents.



En second lieu, en application de l'article L1235-5 alinéa 1 et 2 du code du travail, la société employant moins de 11 salariés, monsieur [I] peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi, lequel comprend la perte de points de retraite.



Le salarié a exposé à l'audience avoir liquidé ses droits à la retraite après son licenciement.

En raison de son ancienneté (10 mois et demi), de son âge lors du licenciement et du montant de la rémunération qui lui était versée, la cour dispose des éléments suffisants pour lui allouer la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts.



Sur la demande reconventionnelle de remboursement de l'indemnité de licenciement



Aux termes de l'article L1234-9 du Code du travail 'le salarié titulaire d'un contrat de travail à durée indéterminée, licencié alors qu'il compte une année d'ancienneté ininterrompue au service du même employeur, a droit, sauf en cas de faute grave, à une indemnité de licenciement'. L'article 37 de la convention collective du commerce de gros prévoit la même ancienneté minimale de 1 an pour que le salarié puisse bénéficier d'une indemnité de licenciement.



En l'espèce, l'ancienneté de monsieur [I] ne lui ouvrait pas droit à une indemnité de licenciement et il a donc perçu à tort la somme de 100.781,05 euros calculée sur 22 ans et 11 mois qu'il devra restituer à la société [C] FRANCE.





SUR LA DEMANDE DE RAPPEL DE SALAIRE



Monsieur [I] soutient qu'en application de la convention collective du commerce de gros (article 6 de l'avenant 24), à partir de 10 ans de présence dans l'entreprise le cadre bénéficie d'une garantie de salaire de 5 mois à 100% et qu'en conséquence, il est bien fondé à obtenir un rappel de salaire sur sa période d'arrêt maladie.



La cour ayant reconnu l'absence de cumul des fonctions salariales avec le mandat social, l'ancienneté de monsieur [I] dans l'entreprise devient inférieure à 10 ans, ce qui ne lui ouvre pas droit au maintien de salaire susvisé, étant en outre rappelé que la première visite de reprise mettant fin à la période de suspension liée à la maladie, le salarié ne pouvait plus bénéficier du régime juridique applicable en ce cas.



SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES



La société [C] FRANCE succombant à titre principal sera tenue aux dépens de première instance et d'appel, déboutée de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile et condamnée à payer à ce titre à monsieur [I] la somme de 3000 euros.





PAR CES MOTIFS



La COUR, statuant par arrêt contradictoire :



INFIRME le jugement du 8 juillet 2014 du Conseil de Prud'hommes d'Argenteuil sauf en ce qu'il a débouté monsieur [I] de ses demandes de dommages-intérêts pour préjudice moral et de rappel de salaire ;



Statuant à nouveau :



DIT que le licenciement de monsieur [Y] [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse;



CONDAMNE la société [C] France à verser à monsieur [Y] [I] les sommes suivantes :



57.132 euros au titre de l'indemnité compensatrice de préavis et 5713,20 euros de congés payés afférents ;



10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement abusif ;



Y ajoutant :



CONSTATE que le contrat de travail de monsieur [I] a été suspendu entre le 17 juin 1991 et le 21 mai 2013 du fait de l'exercice de son mandat social ;



REJETTE la demande de nullité du licenciement et les demandes subséquentes ;



CONDAMNE monsieur [I] à restituer à la société [C] FRANCE la somme de 100.781,05 euros indûment perçue, avec intérêts au taux légal à compter du 12 septembre 2013;



ORDONNE la compensation entre les créances réciproques des parties ;



CONDAMNE la société [C] France à verser à monsieur [Y] [I] la somme de

3000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile ;



REJETTE la demande qu'elle avait formée sur le même fondement :



CONDAMNE la société [C] France aux entiers dépens de première instance et d'appel.



Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile, et signé par Mme Michèle COLIN président, et par Mme Brigitte BEUREL, greffier.





LE GREFFIER LE PRESIDENT

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