22 mars 2016
Cour d'appel de Paris
RG n° 15/06740

Pôle 6 - Chambre 3

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 3



ARRÊT DU 22 Mars 2016



(n° , 06 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/06740



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 27 Mai 2015 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de PARIS RG n° F14/09511





APPELANTE

Madame [J] [N] épouse [F]

[Adresse 1]

[Localité 1]

née le [Date naissance 1] 1980 à [Localité 2]

comparante en personne,

assistée de Me Claire SELLERIN-CLABASSI, avocat au barreau d'ESSONNE





INTIMÉE

SAS G.I.D.

[Adresse 2]

[Localité 3]

N° SIRET : 328 620 737 00036

représentée par Mme [O] [H] ÉPOUSE [Y] (Présidente) en vertu d'un pouvoir général

assistée de Me Gérard TAIEB, avocat au barreau de PARIS, toque : D0831 substitué par Me Thierry PIERRON, avocat au barreau de PARIS, toque : D0831





COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 25 Janvier 2016, en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Daniel FONTANAUD, Président

Madame Roselyne NEMOZ, Conseillère

Madame Laurence SINQUIN, Conseillère

qui en ont délibéré





Greffier : Mademoiselle Marjolaine MAUBERT, lors des débats





ARRÊT :



- contradictoire.

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

- signé par Monsieur Daniel FONTANAUD, Président et par Madame Marjolaine MAUBERT, Greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.






EXPOSÉ DU LITIGE



Madame [F] a été embauchée par la société GID le 6 avril 2009 en qualité d'assistante de copropriété, Niveau E3, position employée.



La convention collective applicable à la relation de travail est celle de l'immobilier. La société emploie plus de 10 salariés. Le salaire brut moyen de madame [F], incluant le 13ème mois, est de 2.737,75 euros.



En fin d'année 2012, madame [F] a été en congé maternité, suivi d'un congé parental de 3 mois, jusqu'en mai 2013.



Le 14 mars 2014, alors qu'elle était enceinte de son second enfant, madame [F] a été en arrêt de travail. Le 11 juillet 2014, elle a saisi le Conseil de Prud'hommes de Paris sollicitant la résiliation judiciaire de son contrat de travail et en paiement de diverses sommes, notamment pour harcèlement et discrimination.



Elle a été en congé maternité à compter du mois de septembre 2014, suivi d'un congé parental.



Par jugement du 27 mai 2015, notifié le 10 juin, le Conseil de Prud'hommes a débouté madame [F] de l'ensemble de ses demandes.



Le 2 juillet 2015, madame [F] a interjeté appel de cette décision.




Par conclusions visées par le greffe le 25 janvier 2016 au soutien de ses observations orales, et auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, madame [F] demande à la Cour de prononcer la résiliation judiciaire du contrat, de dire que cette résiliation a les effets d'un licenciement nul et de condamner la société GID à lui payer les sommes suivantes, avec intérêts au taux légal et anatocisme ;

- 20.000 euros à titre de dommages et intérêts au titre de la nullité,

- 5.000 euros pour préjudice moral,

- 2.738,42 euros pour défaut d'organisation de la visite médicale de reprise,

- 5.476,84 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et les congés payés afférents

- L'indemnité conventionnelle de licenciement à la date du prononcé de l'arrêt, en application de la convention collective de l'Immobilier,

- 913,52 euros 'à parfaire' à titre d'indemnité compensatrice de congés payés.



Elle a sollicité la remise de documents de fin de contrat sous astreinte et la condamnation de la société GID à lui payer 3.000 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.



Par conclusions visées par le greffe le 25 janvier 2016 au soutien de ses observations orales, et auxquelles il est expressément fait référence en ce qui concerne ses moyens, la société GID demande à la Cour de confirmer le jugement en toutes ses dispositions et de condamner madame [F] à lui payer 3.000 Euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.






MOTIFS



Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d'une gravité suffisante.



En l'espèce, madame [F] fait valoir qu'à son retour de congé parental, en juin 2013, elle a été mal accueillie par son supérieur, monsieur [Y], agacé qu'elle ait demandé à bénéficier des dispositions octroyées à ses autres collègues mères de famille, notamment un aménagement de son temps de travail pour poursuivre l'allaitement de son bébé ; que le 22 octobre 2013, monsieur [Y] lui a reproché, à tort, d'être démotivée ; qu'après avoir appris, en novembre 2013, qu'elle était de nouveau enceinte, elle a développé un syndrome d'anxiété ; qu'elle a rencontré à sa demande, le médecin du travail en janvier 2014 pour l'informer de sa situation et a refusé néanmoins d'être déclarée temporairement inapte ; que dès l'annonce de sa seconde grossesse, en janvier 2014, elle a été agressée par monsieur [Y], qu'elle a donc de nouveau été en arrêt de travail pour un syndrome anxieux ; qu'en mars 2014, alors qu'elle a s'était étonnée de ne pas recevoir d'augmentation, contrairement aux années précédentes, l'employeur justifiera cette décision par ses deux congés de maternité et le coût de son remplacement ; que des reproches lui ont été faits immédiatement de la part de sa supérieure hiérarchique, madame [Z], totalement injustifiés ; enfin, alors qu'elle était en arrêt maladie, elle va recevoir de l'employeur une lettre de justification de sa non augmentation sur des prétendus fautes et manquements qu'elle conteste et dont elle considère qu'il s'agit d'une sanction pécuniaire prohibée, prise en raison de son état de grossesse ;



Elle considère en conséquence, que la résiliation judiciaire fondée sur ces faits de harcèlement moral et de discrimination, est justifiée ;



En ce qui concerne d'abord le harcèlement moral invoqué, force est de constater que les agissements reprochés ne sont pas matériellement établis ; madame [F] se borne en effet à verser aux débats ses propres courriers accusant monsieur [Y] d'agressivité à son égard, sans que cette agressivité ne ressorte d'aucune autre pièce ; un échange de mail avec sa supérieure hiérarchique qui lui demande, de façon banale, de mettre à jour des procès-verbaux et fiches de suivi ; et enfin les attestations de monsieur [G] dont elle était adjointe, et d'une ancienne collaboratrice du cabinet, madame [V] selon lesquels le congé parental et la seconde grossesse avaient été mal reçus par la direction, mais ni l'un ni l'autre ne précisent comment, concrètement, se sont traduits cette animosité et ce déplaisir ; madame [F] explique elle-même qu'elle n'avait jamais envisagé de quitter son emploi, mais qu'elle était simplement peinée du départ de monsieur [G] ;



En revanche, s'il est exact qu'une augmentation de salaires n'est ni automatique ni obligatoire et qu'en priver un salarié ne constitue pas une sanction pécuniaire, il en va différemment s'il s'agit d'une mesure discriminatoire, qui consiste à traiter une personne de manière moins favorable que d'autres dans une situation comparable, notamment en matière de rémunération ;



En l'occurrence, il ressort des pièces produites par madame [F] que, selon un tableau intitulé 'salaires du mois de janvier 2014", signé du gérant, monsieur [H], il était prévue une augmentation de salaires au profit de madame [F] ; que dans un autre document du 27 janvier 2014, intitulé 'tableau de calcul des rémunérations au 1er janvier 2014", la plupart des salariés (15 sur un total de 17 présents au 1er janvier) devaient bénéficier d'augmentations s'échelonnant de 1,5% à 15%, y compris madame [F] à hauteur de 1,5% ; or il est n'est pas contesté par la société que madame [F] a annoncé sa seconde grossesse le 28 janvier et qu'elle n'a jamais bénéficié de cette augmentation ;



Il s'agit d'éléments de fait qui laissent supposer l'existence d'une discrimination, prohibée par les dispositions de l'article L 1132-1 du code du travail, selon lequel aucune personne ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en raison de son état de grossesse ;

Il incombe en conséquence à l'employeur de démontrer que sa décision de ne pas faire bénéficier madame [F] de cette augmentation annuelle était étrangère à son état de grossesse ;





La société GID fait d'abord valoir que les documents ci-dessus n'étaient pas définitifs, que monsieur [H] n'était pas seul décisionnaire, argumentation inopérante dès lors que la décision de ne pas augmenter madame [F] s'est bien concrétisée, et qu'elle a été prise par la direction, peu important que ce soit monsieur [H] seul ou après consultation de sa fille et de son gendre ;

Pour justifier sa décision, la société GID se fonde ensuite sur le courrier du 25 mars 2014 que monsieur [H] a adressé à madame [F] qui s'était plainte, lors d'un entretien du 11 mars, de n'avoir pas bénéficié de cette augmentation ; il formule tout une série de griefs à l'encontre de la salariée - démobilisation, attitude détachée, retards, bavardages manque de rigueur et d'implication - mais les pièces qui sont versées aux débats pour les étayer sont dépourvues de pertinence : il s'agit d'échanges de mails avec des copropriétaires qui sont tous postérieurs au mois de janvier et sans aucun rapport avec la copropriété citée par monsieur [H] dans son courrier ; en toute hypothèse, il est constant que madame [F] n'avait jamais fait l'objet du moindre reproche dans l'exécution de son travail et verse aux débats de multiples attestations qui soulignent sa compétence et son sérieux ;

L'employeur fait encore état, dans ce courrier d'une baisse du CA de la société, affirmation non étayée mais surtout inopérante dès lors que, ainsi qu'il a été vu ci-dessus, la plupart des salariés devaient être augmentés- au premier janvier 2014, pour certains jusqu'à 15%, et la preuve que, à l'instar de madame [F] ils ne l'ont pas été n'est pas rapportée ; en revanche, il est explicitement invoqué dans ce courrier le 'coût important (...) pour pallier au remplacement de vos absences' ;

La société ne justifiant pas, compte de ce qui précède, que la non augmentation du salaire de madame [F] était justifiée par des éléments objectifs, étrangers à son état de grossesse, la discrimination est caractérisée et le jugement sera infirmé sur ce point ;

Il ressort des certificats médicaux produits par madame [F] que le comportement discriminatoire de l'employeur pendant sa grossesse a généré un stress et une anxiété qui ont eu des répercussions sur sa santé ; ce préjudice sera justement réparé en lui allouant une somme de 1.500 Euros à titre de dommages et intérêts ;



Sur le manquement à l'obligation de Prévention de la discrimination et du harcèlement moral

Le harcèlement moral n'étant pas établi, le seul fait que madame [F] ait dénoncé les agissements de monsieur [Y] ne permet pas d'imputer à l'employeur une violation de son obligation de sécurité ;

Quant à la discrimination, madame [F] indique que l'employeur seul en est responsable si bien qu'elle ne peut lui faire le reprocher, parallèlement, de n'avoir pas pris de mesure pour prévenir ses propres agissements ;



Sur l'absence de visite médicale de reprise

En application des dispositions de l'article R 4624-22 du code du travail, l'employeur, après un congé maternité, doit organiser une visite médicale de reprise destinée à apprécier l'aptitude de la salariée à reprendre son emploi et éventuellement la nécessité de l'aménager ou de l'adapter, dans les 8 jours suivant la fin de l''arrêt de travail ; en l'espèce, il est constant que madame [F] n'a pas repris son travail après son premier congé maternité, ayant bénéficié d'un congé parental ; il convient, en conséquence, de la débouter de ce chef de demande ;



Sur la résiliation du contrat de travail

Les manquements de l'employeur susceptibles de justifier la résiliation judiciaire à ses torts doivent être d'une gravité telle qu'ils rendent impossible la poursuite du contrat de travail. La résiliation judiciaire aux torts de l'employeur produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.

En l'occurrence, madame [F] fait valoir que l'employeur s'est abstenu, lorsqu'elle est revenue de son congé maternité, de la faire bénéficier d'une visite de reprise, qu'elle a été victime de harcèlement et de discrimination ; les agissements de harcèlement ayant été écartés, reste la discrimination ; or à cet égard, il convient de constater que lorsque madame [F] s'en est plainte auprès de l'employeur en mars 2014 celui-ci, ainsi qu'il a été vu ci-dessus, a émis une série de reproches dans son courrier du 25 mars sans justifier d'aucun d'entre eux de façon pertinente ; ce courrier adressé à madame [F], qui était en état de grossesse, pour se blanchir d'une discrimination, était de nature à déstabiliser la salariée et à rendre impossible la poursuite de la relation de travail ;

Il convient, en conséquence, d'infirmer le jugement et de prononcer la résiliation judiciaire

du contrat de travail aux torts de l'employeur ;



Sur les conséquences de la résiliation judiciaire

La nullité du licenciement en cas de discrimination, prévue par les articles 1132-1 et 1132-4 du code du travail s'applique également à la résiliation judiciaire du contrat de travail lorsque, prononcée aux torts de l'employeur, elle produit les effets d'un licenciement ;

Madame [F] verse aux débats un courrier de demande de congé parental d'un an à compter 20 octobre 2014 et la société GID ne fait pas valoir qu'au jour du prononcé de la décision de la Cour, l'intéressée serait toujours en congé parental ; il convient en conséquence, de lui allouer la somme de 5.475,50 euros et les congés payés afférents à titre d'indemnité compensatrice de préavis ;

En vertu des dispositions de l'article 33 de la convention collective de l'immobilier, les salariés licenciés après 2 ans de présence reçoivent une indemnité de licenciement calculée sur la base du 1/4 du salaire global brut mensuel acquis à la date de cessation du contrat de travail, soit en l'espèce 4.786 euros ;

Compte tenu de l'ancienneté de madame [F] dans l'entreprise, il lui sera alloué une somme de 17.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du licenciement nul ;



Madame [F] justifie qu'à la date à laquelle elle a bénéficié de son congé parental, elle avait acquis 10 jours de congés payés ; il convient de lui allouer, à ce titre, une somme de 913,52 Euros qu'il n'y a pas lieu de 'parfaire' dès lors que les périodes de congé parental ne sont pas assimilées à du temps de travail effectif pour le calcul du droit à congés payés ;





PAR CES MOTIFS



La Cour, statuant publiquement et contradictoirement,



Confirme le jugement en ce qu'il a débouté madame [F] de sa demande de dommages et intérêts pour harcèlement moral et absence de visite médicale de reprise ;



L'infirme sur le surplus ;



Statuant à nouveau ;



Prononce la résiliation judiciaire du contrat de travail de madame [F] et dit qu'elle a les effets d'un licenciement nul ;



Condamne la société GID à payer à madame [F] les sommes suivantes :

- 5.475,50 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis et 547,55 euros pour les congés payés afférents,

- 4.786 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,

- 17.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice causé pour la rupture du contrat de travail,

- 913,52 euros à titre d'indemnité compensatrice de congés payés,

- 1.500 euros au titre du préjudice moral causé par la discrimination ;



Dit que les intérêts seront capitalisés dans les conditions prescrites par l'article 1154 du code civil ;



Déboute les parties de toutes leurs autres demandes plus amples ou contraires ;



Condamne la société GID à payer à madame [F] 2.000 euros en application des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;



Met les dépens à la charge de la société GID.





LE GREFFIER LE PRÉSIDENT

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