28 avril 2016
Cour d'appel de Douai
RG n° 15/02050

CHAMBRE 1 SECTION 1

Texte de la décision

République Française

Au nom du Peuple Français



COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 28/04/2016



***



N° de MINUTE : 276/2016

N° RG : 15/02050



Jugement (N° 13/04336)

rendu le 28 Octobre 2014

par le Tribunal de Grande Instance de LILLE



REF : BP/AMD





APPELANTE



IMMO CONSEILS INVESTISSEMENTS

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée par Maître Bernard FRANCHI, membre de la SCP DELEFORGE FRANCHI, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Maître Véronique DECUPERE-CORNIL, avocat au barreau de LILLE





INTIMÉE



SARL ADEMILU

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 2]



Représentée par Maître Matthieu DELHALLE, avocat au barreau de DOUAI

Assistée de Maître François CHANTRAINE, avocat au barreau de TARASCON





DÉBATS à l'audience publique du 29 Février 2016 tenue par Bruno POUPET magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la Cour dans son délibéré (article 786 du Code de Procédure Civile). Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe



GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine VERHAEGHE







COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ



Maurice ZAVARO, Président de chambre

Bruno POUPET, Conseiller

Hélène MORNET, Conseiller



ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 28 Avril 2016 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Maurice ZAVARO, Président et Delphine VERHAEGHE, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.




ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 08 février 2016



***



Suivant acte authentique du 5 juin 2009, la sarl Ademilu a acquis de la sarl Immo Conseils Investissements un immeuble de rapport à usage mixte situé [Adresse 3], comprenant un local commercial, trois chambres, dix appartements et un garage, moyennant 725.000 euros.



La sarl Immo Conseils Investissements a relevé appel d'un jugement contradictoire du 28 octobre 2014 par lequel le tribunal de grande instance de Lille a déclaré recevable l'action en réduction de prix engagée par la sarl Ademilu sur le fondement de la garantie des vices cachés, condamné la sarl Immo Conseils Investissements à payer à la sarl Ademilu les sommes de 95.680 euros au titre de la réduction du prix de vente, 47.500 euros à titre de dommages et intérêts et 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens et débouté les parties de leurs autres demandes.



Vu l'article 455 du code de procédure civile,




vu les conclusions de l'appelante déposées et notifiées par le réseau privé virtuel des avocats le 4 février 2016,



vu les conclusions déposées et notifiées par la sarl Ademilu par la même voie le 22 janvier 2016.




SUR CE



Attendu que l'article 1641 du code civil dispose que le vendeur est tenu de la garantie à raison des défauts cachés de la chose vendue qui la rendent impropre à l'usage auquel on la destine ou qui diminuent tellement cet usage que l'acheteur ne l'aurait pas acquise ou n'en aurait donné qu'un moindre prix s'il les avait connus ;

qu'en vertu de l'article 1644, l'acheteur a le choix de rendre la chose et de se faire restituer le prix [action rédhibitoire] ou de garder la chose et de se faire rendre une partie du prix [action estimatoire] ;

qu'aux termes de l'article 1645, si le vendeur connaissait les vices de la chose, il est tenu, outre la restitution du prix qu'il en a reçu, de tous les dommages et intérêts envers l'acheteur ;



attendu que l'article 1643 précise que le vendeur est tenu des vices cachés quand bien même il ne les aurait pas connus, à moins que, dans ce cas, il n'ait stipulé qu'il ne sera obligé à aucune garantie ;

qu'en l'espèce, le contrat de vente contient une clause de non garantie ;

qu'il est cependant constant que le vendeur professionnel est réputé avoir connu les vices de la chose ;

que le tribunal a donc pu juger à bon droit que la sarl Immo Conseils Investissements, qui exerce habituellement l'activité de marchand de biens, est un professionnel de l'immobilier, censé avoir connu les vices de l'immeuble s'il en existe, et ne peut opposer à l'intimée la clause de non garantie ;



qu'il appartient toutefois à la sarl Ademilu d'établir la preuve de l'existence de vices cachés ;

qu'elle fait état à ce titre :

- de ce que quatre des logements existant dans l'immeuble seraient impropres à la location comme n'étant pas conformes aux normes définies par le décret n° 2002-120 du 30 janvier 2002 et par le règlement sanitaire départemental en ce qui concerne l'ouverture sur l'extérieur et l'aération,

- de désordres affectant l'installation électrique et la rendant dangereuse ;



qu'il convient de rappeler, en ce qui concerne le caractère caché de défauts, que tout acquéreur doit faire preuve de l'attention et de la vigilance que l'on peut attendre d'un homme raisonnable et qu'il doit être tenu compte tant de la qualité de l'acquéreur que de la nature du bien ;

qu'en l'espèce, l'expert judiciaire désigné en référé préalablement à l'introduction de l'instance au fond souligne qu'il s'agit d'un immeuble de rapport important, présentant une grande vétusté, et d'une opération conséquente, que les vérifications de l'acquéreur se sont limitées lors de la visite à un seul constat visuel, qu'il aurait pu s'adjoindre un conseil technique, expert immobilier ou maître d'oeuvre indépendant ;

que cette observation est pertinente si l'on admet que le gérant de la société Ademilu, comme il le souligne, est un profane (chirurgien-dentiste) mais n'est pas non plus anodine quand on sait, comme en justifie l'appelante par un document de 2015, que ledit gérant est également le gérant depuis 2015 d'une sci Sophia dont l'activité est la location de biens immobiliers et a donc probablement un minimum d'expérience en matière d'achat immobilier ;



sur l'impropriété à l'habitation de certains des logements



attendu qu'en matière d'immeuble et particulièrement d'immeuble de rapport, il est concevable de considérer une telle impropriété, si elle résulte de circonstances non susceptibles d'être connues ou décelées par l'acheteur, comme un vice caché au sens de l'article 1641 précité ;



que la sarl Ademilu verse aux débats :

- une lettre de la caisse d'allocations familiales du 28 janvier 2010 l'informant de ce qu'il avait été constaté lors d'une visite du 25 janvier 2010 que le logement loué à M. [D] était indécent au regard du décret susvisé, faute de fenêtre avec ouvrant vertical donnant sur l'extérieur et à l'air libre, l'invitant à y remédier dans un délai de six mois et lui précisant que ce logement ne pouvait ouvrir droit à l'allocation 'logement',

- un courrier similaire du 23 juin 2011 relatif au logement loué à Mme [N] (n° 17),

- un courrier de l'association Ariane, gérant de tutelle de M. [D] (le locataire précité), indiquant que la caisse d'allocations familiales avait déjà adopté cette position au mois d'octobre 2008,

- une lettre du maire de [Localité 3] datée du 23 mars 2010 l'informant de ce qu'il avait demandé au préfet du Nord de prendre un arrêté déclarant les logements 14, 15 et 16 impropres à l'habitation, compte tenu de ce que ces logements ne disposaient, comme ouvrant vers l'extérieur, que d'un dôme situé au plafond dont il résultait 'une absence de vue horizontale et de lien avec l'extérieur, faits reconnus néfastes pour l'équilibre psychologique d'un être humain',

- un courrier du préfet du Nord daté du 24 juin 2010 l'informant de ce qu'il s'apprêtait à lui délivrer une mise en demeure (prévue par l'article L 1331-22 du code de la santé publique) de mettre fin à la situation susceptible de justifier une interdiction d'occupation des caves, sous-sols, combles, pièces dépourvues d'ouverture sur l'extérieur et autres locaux par nature impropres à l'habitation, et tenant à ce que ces logements ne disposent pour tout ouvrant d'un dôme, ce qui 'génère par défaut d'aération, de vue horizontale, d'éclairement et de lien avec l'extérieur un risque pour la santé des occupants tant au niveau physique que psychique',

- un courrier du service communal d'hygiène et de sécurité de [Localité 3] du 5 novembre 2010 lui confirmant que les trois logements étaient en l'état considérés comme insalubres et devaient être libérés de toute occupation le plus rapidement possible mais que les aménagements proposés par son architecte permettraient de 'palier à' (sic) cette situation ;



que pour autant, l'appelante conteste la réalité d'une non conformité des logements susvisés aux normes relatives à l'habitabilité ;



que sur ce point, la configuration des ouvertures des logements considérés n'est pas discutée de sorte que le rapport de l'expert, lequel avait pour mission d'examiner les 'désordres' de l'immeuble allégués par l'acquéreur mais n'a pas à dire le droit, n'apporte rien au débat ;



qu'il s'avère que la société Ademilu a fait exécuter des travaux permettant de remédier à l'insuffisance d'ouverture sur l'extérieur et d'aération des logements qui lui était dénoncée, sans estimer devoir contester les courriers susvisés émanant de la caisse d'allocations familiales, de la mairie et de la préfecture, étant observé qu'il n'est pas aisé de comprendre, à leur lecture, quelle autorité a pris quelle décision et si telle ou telle décision est exécutoire, susceptible ou non d'un recours et selon quelles modalités ; qu'il ressort en tout cas du courrier du préfet du Nord du 24 juin 2010 qu'il s'apprêtait seulement à lui délivrer la mise en demeure prévue par l'article L 1331-22 du code de la santé publique ;

que ledit article dispose que 'les caves, sous-sols, combles, pièces dépourvues d'ouverture sur l'extérieur et autres locaux ne peuvent être mis à disposition aux fins d'habitation, à titre gratuit ou onéreux ; [que] le représentant de l'Etat dans le département met en demeure la personne qui a mis de tels locaux à disposition de faire cesser cette situation dans un délai qu'il fixe' ;

que la qualification de 'pièce dépourvue d'ouverture sur l'extérieur' est souvent l'objet de débats ; qu'il est constant néanmoins qu'il est nécessaire que les ouvrants assurent un éclairement naturel suffisant (souvent décrit comme permettant par temps clair l'exercice d'activités normales de l'habitation sans le secours de la lumière artificielle), donnent à l'air libre, assurent un renouvellement de l'air satisfaisant, donnent sur l'extérieur, ce qui relève de l'appréciation souveraine des juges saisis de recours contre des décisions administratives relatives à ce sujet ;

qu'au cas présent, la société Immo Conseils Investissements verse aux débats deux courriers du maire de [Localité 3] adressés à son gérant qui méritent attention ;

qu'en effet, le premier, du 16 décembre 2008, soit six mois avant la vente, mentionne qu'il fait suite au constat de ce que les logements 14, 15 et 16 ne disposent comme ouverture sur l'extérieur que d'un dôme ouvrant situé au plafond de la pièce principale et précise ceci : 'Un contact téléphonique pris avec les services de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales a permis de savoir que cette situation est conforme avec les dispositions du règlement sanitaire départemental. Par conséquent, les locaux en question répondent à la définition de pièces habitables et donc aux critères d'attribution de l'allocation logement allouée par la caisse d'allocations familiales' ;

que le second, du 9 octobre 2015, rappelle et confirme le premier mais ajoute 'L'immeuble a ensuite été vendu et le service cité plus haut a été amené à contrôler de nouveau ces trois logements en 2009 dans le cadre de la demande d'allocation logement de la part des locataires. Or, entre temps, les services de l'Etat (Agence Régionale de Santé dorénavant) avaient appliqué une interprétation plus stricte de la législation en vigueur et notamment de l'article R 111-10 du code de la construction et de l'habitation, lequel prévoit que les pièces principales doivent être pourvues d'un ouvrant et d'une surface transparente donnant sur l'extérieur. Les services préfectoraux ont donc mis en demeure le nouveau propriétaire de les mettre en conformité avec la législation' ;

que dans ces conditions, le caractère indécent et inhabitable de quatre des logements au moment de la vente ne peut être retenu ni ce caractère considéré comme un vice caché, a fortiori un vice caché mais connu ou présumé connu du vendeur ;



sur les désordres affectant l'installation électrique



attendu que l'acquéreur d'un immeuble ancien ne peut considérer comme un vice le fait que l'installation électrique de celui-ci ne répond pas aux normes qui s'imposent aux constructions nouvelles en l'absence d'obligation de 'mise aux normes' ;

qu'en l'espèce, l'acte de vente contient une clause ainsi rédigée :

'Les locaux disposant d'une installation intérieure électrique de plus de quinze ans, le propriétaire a fait établir un état de celle-ci par Imm Control, répondant aux critères de l'article L 271-6 du code de la construction et de l'habitation, le 21 janvier 2009 et qui est demeuré ci-joint et annexé après mention.

Il en est extrait ce qui suit, littéralement rapporté :

concernant les appartements 1, 2, 3, 4, 5, 15, 16 :

L'installation intérieure d'électricité comporte une ou des anomalies qui devront faire l'objet d'un traitement.

Les anomalies concernent l'appareil général de commande et de protection et son accessibilité.

concernant les appartements 6, 12, 13 et 14 :

L'installation intérieure d'électricité comporte une ou des anomalies qui devront faire l'objet d'un traitement.

Les anomalies concernent :

- l'appareil général de commande et de protection et son accessibilité,

- la protection différentielle à l'origine de l'installation électrique et sa sensibilité appropriée aux conditions de mise à la terre.

concernant les appartements 11 et 18 :

L'installation intérieure d'électricité comporte une ou des anomalies qui devront faire l'objet d'un traitement.

Les anomalies concernent :

- l'appareil général de commande et de protection et son accessibilité,

- la protection différentielle à l'origine de l'installation électrique et sa sensibilité appropriée aux conditions de mise à la terre,

- l'adéquation de la liaison équipotentielle et de l'installation électrique aux conditions particulières des locaux contenant une baignoire ou une douche.

Son co-contractant reconnaît en avoir pris connaissance et déclare faire son affaire personnelle de son contenu.' ;







que la sarl Ademilu, dont les doléances ne se fondent que sur un constat non contradictoire réalisé par un huissier qui n'est pas un technicien en matière d'électricité, ne démontre pas l'existence de désordres affectant l'installation électrique distincts de ceux qui ont été relevés par l'état de celle-ci annexé à l'acte de vente et répondant à la définition des vices cachés résultant de l'article 1641 précité ;

***



attendu que les considérations qui précèdent excluent toute réticence dolosive de la part de la venderesse, invoquée à titre subsidiaire par l'intimée ;



attendu par conséquent qu'il y a lieu d'infirmer le jugement en toutes ses dispositions et de débouter la sarl Ademilu de ses prétentions ;



vu les articles 696 et 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS



LA COUR



infirme le jugement entrepris,



statuant à nouveau, déboute la sarl Ademilu de ses demandes,



la condamne à payer à la sarl Immo Conseils Investissements une indemnité de trois mille euros (3.000) par application de l'article 700 du code de procédure civile,



la condamne aux dépens de première instance et d'appel, en ce compris les frais d'expertise.







Le Greffier,Le Président,







Delphine VERHAEGHE.Maurice ZAVARO.

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