20 octobre 2016
Cour d'appel de Paris
RG n° 15/04481

Pôle 6 - Chambre 12

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS

Pôle 6 - Chambre 12



ARRÊT DU 20 Octobre 2016

(n° , 1 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : S 15/04481



Décision déférée à la Cour : jugement rendu le 05 Mars 2015 par le Tribunal des Affaires de Sécurité Sociale de Paris RG n° 13-04273





APPELANTE

Organisme CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE DE PARIS

[Adresse 1]

[Adresse 1]

représentée par Me Florence KATO, avocat au barreau de PARIS, toque : D1901



INTIMES

Monsieur [W] [Y]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

comparant en personne, assisté de Me Georges SITBON, avocat au barreau de PARIS, toque : P0198



SARL MANUVIL

[Adresse 3]

[Adresse 3]

défaillante





Monsieur le Ministre chargé de la sécurité sociale

[Adresse 4]

[Adresse 4]

avisé - non comparant







COMPOSITION DE LA COUR :



En application des dispositions de l'article 945-1 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 23 juin 2016 , en audience publique, les parties ne s'y étant pas opposées, devant Monsieur Luc LEBLANC, et Madame Marie Odile FABRE DEVILLERS, Conseillers, chargés de rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Bernadette VAN RUYMBEKE, Présidente

Monsieur Luc LEBLANC , Conseiller

Madame Marie Odile FABRE DEVILLERS , Conseillère



qui en ont délibéré



Greffier : Madame Frédérique LOUVIGNÉ, lors des débats











ARRÊT :

- réputé contradictoire

- prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Monsieur Luc LEBLANC, Conseiller faisant fonction de Président, et par Madame Anne-Charlotte COS, Greffier, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



La Cour statue sur l'appel régulièrement interjeté par la caisse primaire d'assurance maladie de Paris d'un jugement rendu le 5 mars 2015 par le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris dans un litige l'opposant à M. [Y] en présence de la société en liquidation Manuvil représentée par un administrateur ad hoc ;




Les faits, la procédure, les prétentions des parties :



Les faits de la cause ont été exactement exposés dans la décision déférée à laquelle il est fait expressément référence à cet égard ;



Il suffit de rappeler que M. [Y] a été employé par la société Manuvil en qualité de chef d'atelier de 1970 à 1086 ; qu'il a établi, le 19 mars 2004, une déclaration de maladie professionnelle en raison d'une amylose bronchique ; que l'origine professionnelle de cette maladie a été reconnue par un jugement en date du 11 octobre 2010 ; que l'intéressé a ensuite engagé une procédure en reconnaissance de la faute inexcusable de son employeur ; que, par jugement du 13 février 2014, le tribunal a reconnu l'existence d'une telle faute, majoré la rente de la victime et ordonné une expertise médicale sur les différents préjudices allégués.



Par jugement du 5 mars 2015, le tribunal des affaires de sécurité sociale de Paris a déclaré irrecevable la demande d'indemnisation du préjudice d'anxiété et accordé à M. [Y] les indemnités suivantes :

- 100 000 € au titre des souffrances physiques et morales,

- 15 000 € au titre du préjudice esthétique,

- 10 000 € au titre du préjudice sexuel,

- 15 000 € au titre du préjudice d'agrément,

- 57 960 € au titre du déficit fonctionnel temporaire,

- 18 246,73 € au titre des dépenses d'aménagement du logement



Le jugement indique que ces sommes seront versées directement par la caisse qui devra en obtenir le remboursement auprès de l'employeur.



Avant dire droit sur les conséquences de la transplantation pratiquée sur la victime, le tribunal a ordonné un complément d'expertise au sujet des conséquences de cette transplantation et sur l'existence éventuelle d'un préjudice permanent exceptionnel ou de souffrances consécutives à cette opération.



La caisse primaire d'assurance maladie de Paris fait déposer et soutenir oralement par son conseil des conclusions tendant à infirmer le jugement en ce qu'il remet en cause la date de consolidation fixée par le médecin-conseil, indemnise trop largement le déficit fonctionnel ainsi que les souffrances endurées et ordonne un complément d'expertise. Elle demande à la cour de juger que la consolidation de l'état de santé de M. [Y] a été définitivement fixée au 8 janvier 2009, de limiter l'indemnisation du déficit fonctionnel temporaire à la somme de 23 786 €, de ramener à de plus justes proportions la réparation des souffrances et d'écarter la mesure de complément d'expertise ordonnée par les premiers juges, de débouter la victime de sa demande au titre d'un préjudice permanent exceptionnel et enfin de déclarer irrecevables les demandes formulées pour la première fois en cause d'appel par M. [Y].





Au soutien de son appel, elle rappelle d'abord que la fixation de la date de consolidation relève des prérogatives exclusives du médecin-conseil et reproche au jugement d'avoir retenu une date plus tardive en raison de la transplantation bipulmonaire réalisée en 2013. Elle fait observer que la date du 8 janvier 2009 n'avait pas été contestée en temps utile par M. [Y] et que ce dernier n'a déclaré aucune rechute. Elle relève également que si cette date était reportée comme l'a décidé le tribunal, M. [Y] devrait rembourser les arrérages de rente perçus depuis la consolidation de janvier 2009. Sur le déficit fonctionnel temporaire, elle en demande la réévaluation en tenant compte d'une consolidation à la date du 8 janvier 2009. En tout état de cause, elle s'oppose à l'ensemble des demandes nouvelles formulées par M. [Y] à l'occasion de la procédure d'appel.



M. [Y] conclut à l'irrecevabilité de l'appel de la caisse dans la mesure où elle n'a pas formé de recours contre la décision du 13 février 2014 remettant en cause la date de consolidation fixée par le médecin-conseil. Si la cour décidait de se prononcer sur le fond, il demande la confirmation des dispositions du jugement contestées par la caisse et développe des conclusions d'appel incident pour voir fixer la date de consolidation au 6 mars 2003, lui accorder une rente à compter de cette date sur la base de 40 317 €, augmenter le montant de son indemnisation aux sommes suivantes, sauf à nommer un expert pour établir les sommes qui lui sont dues :



- 250 000 € pour les souffrances endurées ou 400 000 € si le préjudice d'anxiété devait être inclus dans ce poste de préjudice,

- 150 000 € pour le préjudice spécifique d'anxiété,

- 150 000 € pour le préjudice esthétique,

- 150 000 € pour le préjudice d'agrément,

- 100 000 € pour le préjudice sexuel,

-230 950 € pour la tierce personne temporaire,

- 41 856 € ou subsidiairement 19 856 € pour la majoration annuelle tierce-personne.

- 111 152 € pour le déficit fonctionnel temporaire,

- 52 570 € pour les frais d'aménagement du véhicule,

- 36 493 € pour les frais d'aménagement du domicile,

- 200 000 € pour le préjudice permanent exceptionnel,

- 330 000 € pour le préjudice professionnel,

- 624 259 € pour le préjudice immobilier,

- 259 281 € pour le préjudice locatif

- 200 000 € en remboursement de la prestation compensatoire,

- 733 826 € au titre de la perte de possibilité de promotion professionnelle, perte de retraite et licenciement,

- un nouveau droit à tierce-personne

- 44 769,65 € au titre des frais de santé restant à sa charge et en remboursement des frais médicaux avancés,

- 450 € au titre des frais d'ergothérapeute



Il demande en outre le paiement d'un arriéré de juin 2012 à juin 2016 soit 117 845 € ou subsidiairement 27 979 €, le calcul de la rente sur la base de ses revenus 1994 réactualisés à compter du 3 mars 2003 au 8 janvier 2009 ainsi que des indemnités journalières chiffrées à 500 400 € ou 266 800 € et des dommages-intérêts inhérents à la reconnaissance tardive de la maladie professionnelle d'un montant de 1 413 341 € ainsi qu'une indemnité de 300 000 € en réparation des entraves et manquements de la caisse.



Enfin, il conclut à la condamnation de la société Manuvil et de la caisse à lui verser la somme de 28 000 € au titre de l'article 700 du code procédure civile ainsi qu'aux dépens



Bien qu'informé de l'audience du 23 juin 2016, l'administrateur ad hoc de la société Manuvil ne s'est pas présenté et a indiqué s'en remettre à la sagesse de la cour.





Il est fait référence aux écritures ainsi déposées de part et d'autre pour un plus ample exposé des moyens proposés par les parties au soutien de leurs prétentions ;






Motifs :





Sur la contestation de la recevabilité de l'appel interjeté par la caisse :



Considérant que M. [Y] conteste le recours formé par la caisse primaire au sujet de la date de consolidation de son état de santé au motif que cette question aurait été définitivement tranchée par le jugement du 13 février 2014 qui est aujourd'hui irrévocable ;



Considérant cependant que la seule question de fond tranchée par le jugement précité était celle de faute inexcusable de l'employeur ; qu'en revanche, le tribunal ne s'était pas encore définitivement prononcé sur la question de savoir si la date de consolidation fixée par le médecin-conseil au 8 janvier 2009 devait être reportée à une date ultérieure et la mission confiée à l'expert sur ce point ne peut s'analyser comme une décision du tribunal ;



Considérant que l'appel de la caisse est donc bien recevable ;



Sur la date de consolidation et le complément d'expertise :



Considérant que la consolidation de l'état de santé de la victime d'une maladie professionnelle est fixée par le médecin-conseil de la caisse et si cette date est contestée par l'assuré, une mesure d'expertise technique est mise en oeuvre pour vérifier la consolidation éventuellement suivie d'un recours ;



Considérant que c'est donc à juste titre que la caisse primaire reproche aux premiers juges de retenir une date de consolidation de l'état de santé de M. [Y] différente de celle du 8 janvier 2009 alors même que l'intéressé n'avait pas contesté cette date en temps utile, ni invoqué une rechute ;



Considérant que le jugement sera donc réformé en ce qu'il ordonne un complément d'expertise pour fixer une nouvelle date de consolidation en raison de la transplantation bipulmonaire subi par M. [Y] ainsi que les préjudices éventuels en résultant ;



Sur l'évaluation des préjudices allégués par M. [Y] sur le fondement de la faute inexcusable :



Considérant que la caisse conteste uniquement le montant des sommes allouées au titre du déficit fonctionnel temporaire et des souffrances endurées ;



Considérant que sur le premier chef de préjudice, l'expert a évalué le déficit fonctionnel à 50 % de janvier 1995 au 14 janvier 2002 et à 70 % au-delà de cette date ;



Considérant que sur la base d'une indemnité mensuelle de 200 € pour la première période et de 300 € pour la seconde, comme l'ont retenu à bon droit les premiers juges en dépit des plus amples demandes de M. [Y], la réparation du déficit fonctionnel temporaire qui couvre uniquement la période antérieure à la consolidation intervenue le 8 janvier 2009, ressort à 8400 € pour le déficit de 50 % et à 15 386 € pour le déficit de 70 % ;



Qu'il convient donc de ramener l'indemnisation de ce chef de préjudice à la somme totale de 23 786 € ;







Considérant ensuite que l'expert a chiffré à 6/7 les souffrances endurées par M. [Y] en raison de l'ancienneté de sa maladie, de la lourdeur des traitements et de l'importance des contraintes et effets secondaires subis par l'intéressé ;



Considérant que la somme retenue par les premiers juges pour indemniser ce poste du préjudice dépasse cependant les sommes habituellement allouées pour des souffrances tout aussi graves ;



Qu'il y a donc lieu de réduire également l'indemnisation allouée à ce titre à la somme de 70 000 € ;



Considérant ensuite que l'intéressé conteste chacune des indemnisations allouées au titre des préjudices esthétique, sexuel, d'agrément, et d'aménagement du logement ;



Considérant toutefois que les sommes fixées correspondent exactement à l'étendue des préjudices allégués et il n'y a aucune raison de revenir sur les indemnités fixées par les premiers juges ;



Considérant que c'est également à juste titre qu'ils ont débouté M. [Y] de sa demande d'indemnisation d'un préjudice spécifique d'anxiété après avoir observé que sa pathologie était déjà prise en charge ; qu'au surplus, son préjudice moral était pris en compte avec les souffrances endurées faisant déjà l'objet d'une indemnisation ;



Considérant que l'indemnisation de l'assistance tierce personne avant consolidation a été écartée à raison car l'intéressé ne justifie pas d'un tel besoin avant janvier 2009, étant observé qu'une majoration au titre de la tierce personne lui a été attribuée à compter du 1er mars 2012 seulement ;



Considérant que les frais d'aménagement du véhicule ont également été exclus de l'indemnisation en raison de l'impossibilité absolue pour l'intéressé de conduire un véhicule ;



Considérant qu'enfin, le préjudice permanent exceptionnel dont fait état M. [Y] n'est caractérisé par aucun élément probant et les premiers juges ont déjà remarqué que l'expert avait répondu négativement à la question relative à l'existence d'un tel préjudice ;



Considérant qu'en cause d'appel, M. [Y] présente de nouvelles demandes d'indemnisation sur le fondement de la faute inexcusable au titre du préjudice professionnel ;



Considérant cependant, outre le fait que ces demandes n'ont pas été soumises aux premiers juges et sont comme telles irrecevables, les unes visent à compenser le déclassement professionnel ou un préjudice économique, notamment la perte de retraite, déjà réparés par la rente majorée ou à indemniser un préjudice de carrière sans qu'il soit justifié de chance sérieuse de promotion, les autres sont complètement étrangères à la faute inexcusable de l'employeur puisqu'il est demandé par exemple le remboursement d'une prestation compensatoire, l'indemnisation d'un préjudice locatif et celle d'un préjudice immobilier de plus de 600 000 € ;



Considérant aussi que le remboursement des frais de santé est déjà couvert par le livre IV du code de la sécurité sociale et ne peut faire l'objet d'une plus ample indemnisation sur le fondement de la faute inexcusable ;



Que l'ensemble de ces demandes sera purement et simplement rejeté ;









Sur les autres indemnitaires présentées à l'encontre de la caisse :



Considérant que l'intéressé demande à ce titre des indemnisations en raison des entraves et manquements de la caisse et de la reconnaissance tardive de sa maladie professionnelle ;



Qu'il s'agit de demandes nouvelles non présentées aux premiers juges et comme telles irrecevables ;



Considérant qu'il en va de même de la demande tendant à voir fixer la date de consolidation à la date du 6 mars 2003, de celle modifiant le montant de la rente ou celui de la majoration tierce personne, de celle contestant la date de déclaration de sa maladie professionnelle et de celle faisant état arriéré d'indemnités de juin 2012 à juin 2016 ;



Que ces différentes demandes seront toutes rejetées comme irrecevables ;



Considérant qu'au regard de la situation respective des parties, il n'y a pas lieu de faire application en l'espèce des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;



Considérant que la procédure en matière de sécurité sociale est gratuite et sans frais ; qu'elle ne donne pas lieu à dépens ;





PAR CES MOTIFS



La cour,



- Rejette la fin de non-recevoir de l'appel soulevée par M. [Y] ;



- Déclare la caisse primaire d'assurance maladie de Paris recevable et bien fondée en son appel ;



- Déclare M. [Y] recevable mais mal fondé en son appel incident ;



- Confirme le jugement en ses dispositions relatives à l'indemnisation des préjudices esthétique, sexuel, d'agrément et de frais d'aménagement de logement et en ce qu'il rejette les demandes présentées au titre du préjudice d'anxiété, des frais d'aménagement de véhicule et de tierce assistante temporaire ;



- L'infirme dans ses évaluations des préjudices résultant des souffrances endurées et du déficit fonctionnel temporaire et en ce qu'il ordonne un complément d'expertise ;



Statuant à nouveau de ces chefs :



- Limite l'indemnisation des souffrances physiques et morales endurées par M. [Y] à la somme de 70 000 € et celle de son déficit fonctionnel temporaire à 23 786 € ;



- Rappelle que la date de consolidation de l'état de santé de M. [Y] a été définitivement fixée au 8 janvier 2009 ;



- Dit n'y avoir lieu à complément d'expertise sur ce point ou sur l'existence d'un préjudice permanent exceptionnel ;



- Rejette la demande d'indemnisation présentée au titre d'un préjudice exceptionnel permanent ;









- Rejette les demandes d'indemnisation présentées par M. [Y] au titre du préjudice professionnel, de la perte de retraite, de la perte de chance de promotion professionnelle, d'un préjudice immobilier, d'un préjudice locatif et du remboursement de la prestation compensatoire ainsi que celles relatives aux frais de santé et d'ergothérapeute ;



- Déclare irrecevables les nouvelles prétentions de M. [Y] visant à avancer au 6 mars 2003 la date de consolidation de son état de santé, modifier la date de reconnaissance de la maladie professionnelle, modifier le montant de sa rente ou celle de la majoration tierce personne, lui allouer un arriéré d'indemnités pour la période de juin 2012 à juin 2015, les indemnités journalières évaluées à 500 400 € ou 266 880 € ainsi que des dommages-intérêts pour entraves et manquements ou en raison de la reconnaissance tardive de sa maladie ;



- Rejette toutes autres prétentions ;



- Déboute M. [Y] de sa demande d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;



- Dit n'y avoir lieu de statuer sur les dépens ;





Le Greffier Le Président

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