14 septembre 2017
Cour d'appel de Douai
RG n° 16/04430

CHAMBRE 1 SECTION 1

Texte de la décision

République Française

Au nom du Peuple Français





COUR D'APPEL DE DOUAI



CHAMBRE 1 SECTION 1



ARRÊT DU 14/09/2017





***





N° de MINUTE : 501/2017

N° RG : 16/04430



Jugement (N° 13/02326)

rendu le 21 juin 2016 par le tribunal de grande instance de Béthune







APPELANTE



Humanis Prévoyance venant aux droits de Capaves Prévoyance

prise en la personne de ses représentants légaux

ayant son siège social [Adresse 1]

[Localité 1]



représentée par Me Xavier Brunet, membre de la SELARL Brunet Campagne Gobbers, avocat au barreau de Béthune

assistée de Me Antoine Sappin, membre du cabinet CAPSTAN LMS, avocat au barreau de Paris, substitué à l'audience par Me Audrey Belmont, avocat au barreau de Paris





INTIMÉE



L'Association Hospitalière Nord Artois Clinique (AHNAC)

prise en la personne de son représentant statutaire

ayant son siège social [Adresse 2]

[Localité 2]



représentée par Me Bernard Franchi, membre de la SCP Deleforge Franchi, avocat au barreau de Douai

assistée de Me Thomas Buffin, avocat au barreau de Lille





DÉBATS à l'audience publique du 19 juin 2017 tenue par Bruno Poupet magistrat chargé d'instruire le dossier qui, après rapport oral de l'affaire, a entendu seul les plaidoiries, les conseils des parties ne s'y étant pas opposés et qui en a rendu compte à la cour dans son délibéré (article 786 du code de procédure civile).

Les parties ont été avisées à l'issue des débats que l'arrêt serait prononcé par sa mise à disposition au greffe



GREFFIER LORS DES DÉBATS : Delphine Verhaeghe







COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DÉLIBÉRÉ



Maurice Zavaro, président de chambre

Bruno Poupet, conseiller

Emmanuelle Boutié, conseiller



ARRÊT CONTRADICTOIRE prononcé publiquement par mise à disposition au greffe le 14 septembre 2017 (date indiquée à l'issue des débats) et signé par Maurice Zavaro, président et Delphine Verhaeghe, greffier, auquel la minute a été remise par le magistrat signataire.



ORDONNANCE DE CLÔTURE DU : 31 mai 2017



***



Humanis Prévoyance (ci-après Humanis) est une institution de prévoyance dont la mission est de garantir les prestations complémentaires en cas d'incapacité de travail, d'invalidité ou de décès pour le personnel d'entreprises privées ou d'organismes, collectivités et établissements publics adhérents.





L'association hospitalière Nord Artois (AHNAC) regroupe des établissements sanitaires et médico-sociaux situés dans la région des Hauts de France.





L'AHNAC a souscrit le 20 décembre 2007 auprès d'Humanis un contrat de prévoyance complémentaire visant à garantir collectivement les membres de son personnel contre les risques incapacité, invalidité et décès et leurs conjoints et enfants à charge contre les risques décès, invalidité permanente et totale.

Ce contrat, ayant pris effet le 1er janvier 2008, était renouvelable le 1er janvier de chaque année par tacite reconduction sauf dénonciation par l'une des parties deux mois avant son terme.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 22 septembre 2010, l'AHNAC a informé Humanis de sa décision de résilier le contrat au 31 décembre 2010.





Par acte du 18 juin 2013, Humanis a assigné l'AHNAC devant le tribunal de grande instance de Béthune afin de la voir condamner, au visa des articles 7, 7-1 et 31 de la loi du 31 décembre 1989, à lui verser les sommes de :

- 483 406 euros à titre d'indemnité de résiliation avec intérêts à compter de la mise en demeure du 20 novembre 2012,

- 30 000 euros à titre de dommages et intérêts pour résistance abusive,

- 5 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

L'AHNAC s'est opposée à ces demandes.





Par jugement contradictoire du 21 juin 2016, le tribunal a débouté Humanis de ses demandes et l'a condamnée aux dépens et au paiement à l'AHNAC de 2 500 euros à titre d'indemnité pour frais irrépétibles.





Humanis, ayant relevé appel de ce jugement, en sollicite l'infirmation et renouvelle ses demandes.





L'AHNAC conclut à la confirmation du jugement et à la condamnation de l'appelante à lui verser une indemnité complémentaire de 8 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.






Le litige porte principalement sur l'interprétation de l'article 31 de la loi du 31 décembre 1989 dont dépend l'exigibilité au cas présent d'une indemnité de résiliation et subsidiairement sur le montant de cette indemnité et plus précisément le nombre et les situations respectives des bénéficiaires de prestations pris en considération pour son calcul.






Vu les dernières conclusions de l'appelante en date du 16 mai 2016 et celles de l'intimée notifiées le 26 mai 2017.






SUR CE





Sur le principe de l'exigibilité de l'indemnité de résiliation





Les articles 7 et 7-1 de la loi n° 89-1009 du 31 décembre 1989 instituent l'obligation pour l'organisme assureur de maintenir, nonobstant la résiliation ou le non renouvellement du contrat de prévoyance :

- le versement des prestations de prévoyance nées ou acquises à la date de résiliation au niveau atteint à la date d'effet de la résiliation,

- la garantie décès des salariés en incapacité ou en invalidité à la date de la résiliation en cas de survenance du décès au cours de la période d'incapacité ou d'invalidité.

Ils prévoient que les organismes assureurs sont tenus de provisionner les sommes de nature à leur permettre d'assurer le maintien des garanties.



Humanis est ainsi tenue :

- de continuer à garantir, malgré la résiliation du contrat de prévoyance, les salariés de l'AHNAC en arrêt de travail ou en invalidité (ainsi que le conjoint en invalidité permanente et totale) au 31 décembre 2010 dès lors que le fait générateur de la garantie s'est produit entre le 1er janvier 2008 et le 31 décembre 2010,

- de constituer des provisions suffisantes pour lui permettre de maintenir les garanties de prévoyance au-delà de la résiliation du contrat de prévoyance de l'AHNAC.



Or, le recul de deux années de l'âge légal de départ à la retraite par la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 a entraîné l'allongement de la durée de maintien des garanties précitées à la charge des organismes assureurs, non pris en compte, lors de la souscription du contrat, dans le calcul des cotisations.



La loi du 9 novembre 2010 a en conséquence pris des dispositions, insérées dans un article 31 ajouté à la loi susvisée du 31 décembre 2009, pour permettre aux organismes assureurs de constituer les provisions nécessaires pour couvrir l'allongement de la durée de maintien des garanties au titre des contrats conclus avant la date de promulgation de la loi (9 novembre 2010).

Ces dispositions sont les suivantes :

' Les organismes mentionnés à l'article 1er peuvent répartir les effets de l'article 18 de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 portant réforme des retraites sur le niveau des provisions prévues en application de l'article 7 et de l'article 7-1 de la présente loi au titre des contrats, conventions ou bulletins d'adhésion conclus au plus tard à la date de promulgation de la loi n° 2010-1330 du 9 novembre 2010 précitée, sur une période de six ans au plus à compter des comptes établis au titre de l'exercice 2010.

A la clôture des comptes de l'exercice 2010, le niveau des provisions ne peut être inférieur à celui qui résulterait d'un provisionnement intégral des engagements jusqu'à l'âge mentionné à l'article L. 351-1 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur au 1er janvier 2010, ainsi que, pour les assurés de la génération 1951, d'un provisionnement intégral des engagements correspondants jusqu'à l'âge prévu au même article pour cette génération.

A compter de la clôture des comptes de l'exercice 2011, le niveau des provisions doit être constitué au moins linéairement.

En cas de résiliation ou de non-renouvellement d'un contrat, d'une convention ou d'un bulletin d'adhésion pendant la période transitoire mentionnée au premier alinéa, l'organisme assureur poursuit le versement des prestations immédiates ou différées, acquises ou nées au jour de la résiliation ou du non-renouvellement ; dans ce cas, une indemnité de résiliation, égale à la différence entre le montant des provisions techniques permettant de couvrir intégralement les engagements en application de l'article 7 et le montant des provisions techniques effectivement constituées en application des trois premiers alinéas du présent I, au titre des incapacités et invalidités en cours à la date de cessation du contrat, de la convention ou du bulletin d'adhésion, est due par le souscripteur.

Toutefois, cette indemnité n'est pas exigible si l'organisme assureur ne poursuit pas le maintien de cette couverture alors qu'un nouveau contrat, une nouvelle convention ou un nouveau bulletin d'adhésion est souscrit en remplacement du précédent et prévoit la reprise intégrale, par le nouvel organisme assureur, des engagements relatifs au maintien de la garantie incapacité de travail-invalidité du contrat, de la convention ou du bulletin d'adhésion initial ; dans ce cas, la contre-valeur des provisions effectivement constituées au titre du maintien de cette garantie est transférée au nouvel organisme assureur'.



Pour s'opposer en son principe à l'indemnité de résiliation demandée par Humanis, l'AHNAC fait valoir :

- que, les comptes établis au titre de l'exercice 2010 ne pouvant l'être qu'à l'expiration de l'exercice, la période transitoire mentionnée au premier alinéa est de six ans à compter du 1er janvier 2011,

- que par conséquent, la résiliation du contrat liant les parties, le 22 septembre 2010, avant la promulgation de la loi, n'est pas intervenue pendant la période transitoire et que l'indemnité de résiliation prévue par l'alinéa 4 n'est pas due,

- que de surcroît, la nouvelle convention qu'elle a conclue avec Swiss Life prévoit la reprise intégrale des engagements d'Humanis relatifs au maintien de la garantie.



Le tribunal a écarté d'emblée et à juste titre le troisième argument de l'AHNAC, qui devrait être le premier puisqu'il rendrait l'examen des deux autres inutiles s'il était fondé, en constatant, comme le relève l'appelante, que la convention conclue par l'AHNAC avec Swiss Life prévoit que le nouvel assureur prend en charge seulement la revalorisation des prestations considérées qui, elles, continuent à être servies par Humanis au niveau atteint à la date de résiliation de son contrat.



Par ailleurs, le premier alinéa de l'article 31 précité, en disposant que la période de six ans sur laquelle les organismes assureurs peuvent répartir les effets de l'article 18 de la loi du 9 novembre 2010 sur le niveau des provisions prévues en application de l'article 7 et de l'article 7-1 de ladite loi court 'à compter des comptes établis au titre de l'année 2010" et non à compter de l'établissement des comptes établis au titre de l'année 2010, intègre ces comptes, de sorte que la période transitoire concerne les comptes de 2010 à 2015 inclus.

Les alinéa 2 et 3 complètent d'ailleurs l'alinéa 1 en apportant des précisions, à propos de cette période, sur les provisions des années 2010 et 2011.

L'Autorité des Normes Comptables a établi le 3 février 2011 une recommandation n° 2011-01 relative à l'application de l'article 31 précité par laquelle elle recommande notamment l'annexion à ses comptes de diverses informations lorsque l'assureur décide de bénéficier des dispositions de la loi en matière d'étalement 'à compter de l'exercice 2010".

L'Institut [Établissement 1], par un avis technique n° 2011-02 de janvier 2011, expose également que la période transitoire commence en 2010 et se termine au 31 décembre 2015 et qu'en conséquence, l'indemnité de résiliation est due pour toute résiliation effectuée en 2010 à effet au 31 décembre 2010.

L'AHNAC ne produit aucun avis contraire émanant de quelqu'autorité, de la doctrine ou de la jurisprudence ni ne justifie d'une pratique habituellement différente par les organismes de prévoyance et leurs cocontractants.

La résiliation du contrat Humanis/AHNAC, qui, au demeurant, a été notifiée le 22 septembre 2010 compte tenu du préavis prévu mais n'a été effective que le 31 décembre 2010, est donc bien intervenue après la promulgation de la loi (9 novembre 2010) et pendant la période transitoire.

Il en résulte que l'indemnité de résiliation prévue par l'alinéa 4 est due en l'absence de reprise par Swiss Life des engagements d'Humanis dont il est question.



Il y a donc lieu d'infirmer le jugement sur ce point.





Sur le quantum de l'indemnité de résiliation





En vertu de l'article 31 précité, rappelons-le, l'indemnité de résiliation est 'égale à la différence entre le montant des provisions techniques permettant de couvrir intégralement les engagements en application de l'article 7 et le montant des provisions techniques effectivement constituées en application des trois premiers alinéas du présent I, au titre des incapacités et invalidités en cours à la date de cessation du contrat, de la convention ou du bulletin d'adhésion'.



Humanis verse notamment aux débats une liste de salariés de l'AHNAC en arrêt de travail (incapacité, invalidité) au 31 décembre 2010 et, pour chacun d'eux, le montant des provisions constituées à cette date, le montant des provisions à constituer pour tenir compte de l'allongement de la durée de maintien des garanties calculé en fonction de paramètres techniques également produits, la différence correspondant à l'indemnité de résiliation.



L'AHNAC ne discute pas le mode de calcul de l'indemnité de résiliation mais le nombre et l'identité des salariés ayant donné lieu à ce calcul.



Humanis affirme avoir établi sa liste notamment à partir des informations fournies par l'AHNAC pendant l'exécution du contrat.

En réponse à l'une des objections de l'AHNAC, elle fait valoir à juste titre que la circonstance que certains salariés aient pu, après la résiliation du contrat de prévoyance, reprendre leur travail, quitter l'AHNAC, voire décéder, est indifférente dès lors que l'indemnité de résiliation est exigible en fonction des personnes en incapacité ou en invalidité à la date de cessation du contrat.



Or, l'AHNAC elle-même produit (pièce 11) une 'situation' de ses salariés en incapacité ou invalidité au 31 décembre 2010.





La majeure partie des noms figurant sur la liste d'Humanis figurent sur la liste de l'AHNAC.



Humanis se dit prête à déduire du montant de l'indemnité réclamée la part correspondant à cinq salariés qui ne figurent pas sur la liste de l'AHNAC qui déclare qu'ils n'ont jamais fait partie de ses effectifs ([I], [B], [V], [R], [F]) et une salariée ([N] [T]) qui se refuserait à constituer un dossier de prévoyance, soit au total 9 613 euros.



La cour constate que deux autres noms de la liste d'Humanis ne figurent pas sur la liste de l'AHNAC ([Localité 3], [G]) et, en l'absence de justifications dans un sens ou dans l'autre, il convient de déduire également la part d'indemnité calculée pour eux (1 246 + 282, soit 1 528 euros).



Par ailleurs, quatre personnes communes aux deux listes figurent deux fois sur la liste d'Humanis avec la mention 'incapacité' dans un cas et la mention 'invalidité' dans l'autre, et des chiffres différents, alors qu'elles ne pouvaient a priori se trouver que sous un régime au 31 décembre 2010 : [X] [N](-[C]), [W] [D](-[M]), [E] [U], [X] ([L])-[Z]. Leur appartenance aux effectifs de l'AHNAC permet de les prendre en considération mais, en l'absence d'explication, il convient de ne retenir pour chacune d'elle que l'indemnité la plus faible et donc de déduire 37.012 euros de l'indemnité réclamée.



Dans ces conditions, il convient de faire droit à la demande d'Humanis à concurrence de 435 253 euros, avec intérêts au taux légal à compter de la mise en demeure du 20 novembre 2012.





Sur les autres demandes



Le rejet de son argumentation, au terme d'un débat contradictoire nourri, ne suffit pas à caractériser une résistance abusive de l'AHNAC qui n'est pas autrement démontrée, de sorte que la demande de dommages et intérêts de ce chef ne peut qu'être rejetée.





L'article 696 du code de procédure civile dispose que la partie perdante est condamnée aux dépens.

Il serait inéquitable, vu l'article 700 du même code, de laisser à l'appelante la charge intégrale de ses frais irrépétibles.



PAR CES MOTIFS



La cour



infirme le jugement frappé d'appel,



condamne l'association hospitalière Nord Artois (AHNAC) à payer à Humanis Prévoyance quatre cent trente-cinq mille deux cent cinquante-trois euros (435.253) avec intérêts au taux légal à compter du 20 novembre 2012,



déboute Humanis Prévoyance de sa demande de dommages et intérêts pour résistance abusive,





déboute l'association hospitalière Nord Artois (AHNAC) de ses demandes,



la condamne aux dépens de première instance et d'appel et au paiement à Humanis Prévoyance d'une indemnité de cinq mille euros par application de l'article 700 du code de procédure civile.







Le greffier,Le président,







Delphine Verhaeghe.Maurice Zavaro.

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