17 novembre 2017
Cour d'appel de Paris
RG n° 17/06132

Pôle 6 - Chambre 1

Texte de la décision

Grosses délivrées REPUBLIQUE FRANCAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 6 - Chambre 1



ARRÊT DU 17 NOVEMBRE 2017



(n° , 7 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 17/06132



Décision déférée à la Cour : Ordonnance du 06 Mars 2017 -Tribunal de Grande Instance de PARIS - RG n° 17/51764





APPELANTE



Fédération FEDERATION NATIONALE DES INDUSTRIES CHIMIQUES (FNIC) CGT Agissant en la personne de son Secrétaire Général en exercice, domicilié audit siège en cette qualité



[Adresse 1]

[Adresse 1]



Représentée par Me Elsa GALAUP, avocat au barreau de PARIS, toque : P0028, avocat plaidant

Représentée par Me Christophe PACHALIS, avocat au barreau de PARIS, toque : K148, avocat postulant







INTIMÉES



SA SOLVAY TAVAUX

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020



SA SOLVAY FLUORES FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020



SARL CYTEC PROCESS MATERIALS

[Adresse 3]

[Adresse 3]



Représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020



SA RHODIA

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020



SAS RHODIA LABORATOIRE DU FUTUR

[Adresse 4]

[Adresse 4]



Représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020



SAS RHODIA OPERATIONS

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020



SA SOLVAY

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020



SA SOLVAY ENERGY SERVICES

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020



SA SOLVAY OPERATIONS FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020



SAS SOLVAY SPECIALTY POLYMERS FRANCE

[Adresse 2]

[Adresse 2]



Représentée par Me Aurélien LOUVET, avocat au barreau de PARIS, toque : K0020







COMPOSITION DE LA COUR :



L'affaire a été débattue le 13 octobre 2017, en audience publique, devant Madame Mariella LUXARDO, Présidente, chargée du rapport.



Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Madame Mariella LUXARDO, présidente

Madame Florence PERRET, conseillère

Monsieur Laurent BEDOUET, conseiller

qui en ont délibéré





Greffier, lors des débats : Mme Clémence UEHLI











ARRÊT :



- contradictoire

- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.

- signé par Mme Mariella LUXARDO, président et par Mme Martine JOANTAUZY, greffier présent lors du prononcé.




RAPPEL DES FAITS ET DE LA PROCÉDURE



Le 31 mai 2016, un accord a été signé entre les dix sociétés de l'unité économique et sociale Solvay France et les syndicats CFDT et CFE-CGC, portant sur la rénovation du dialogue social.



La Fédération FNIC-CGT a refusé de signer l'accord, contestant la licéïté de l'article 18-1 qui organise un mécanisme de prise en charge partielle des cotisations syndicales par l'employeur.



Le syndicat a saisi le juge des référés de Paris aux fins d'obtenir la suspension de l'exécution de l'article 18-1 de l'accord en invoquant un trouble manifestement illicite qu'il convenait de faire cesser.



Par ordonnance du 6 mars 2017, le juge des référés a rejeté l'ensemble des demandes des parties.



La Fédération FNIC-CGT a interjeté appel de cette décision.




Par conclusions du 12 avril 2017, elle demande à la cour de :



- infirmer l'ordonnance du 6 mars 2017,



statuant à nouveau,



- constater qu'il existe un trouble manifestement illicite qu'il convient de faire cesser,



En conséquence,



- ordonner la suspension de l'article 18-1 de l'accord du 31 mai 2016 sur la rénovation du dialogue social au sein de l'unité économique et sociale Solvay France sous astreinte,



- condamner in solidum les sociétés de l'UES au paiement de la somme de 6.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



Par conclusions du 29 mai 2017, les sociétés de l'UES Solvay demandent à la cour de :



- constater l'absence de trouble manifestement illicite,



En conséquence,



- confirmer l'ordonnance du 6 mars 2017,



- déclarer irrecevable l'action du FNIC en raison de l'assignation délivrée le 17 octobre 2016,



- débouter le FNIC-CGT de l'ensemble de ses demandes,



- condamner la Fédération FNIC-CGT au paiement de la somme de 15.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile.



La clôture a été prononcée le 6 octobre 2017.




MOTIFS DE L'ARRET



Sur la recevabilité de la demande de la Fédération Nationale FNIC-CGT



Il convient de relever que le moyen, figurant au dispositif des conclusions des sociétés intimées, fondé sur la nullité de l'assignation délivrée le 17 octobre 2016, n'est pas explicité dans le contenu des conclusions.



L'ordonnance du 6 mars 2017 mérite par suite la confirmation en ce qu'elle a estimé recevable la demande de la Fédération Nationale FNIC-CGT.



Sur le bien-fondé de la demande de la Fédération Nationale FNIC-CGT



En application de l'article 808 du code de procédure civile, dans tous les cas d'urgence, le président du tribunal de grande instance peut ordonner en référé toutes les mesures qui ne se heurtent à aucune contestation sérieuse ou que justifie l'existence d'un différend.



En application de l'article 809, alinéa 1er, le président peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire en référé les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent, soit pour prévenir un dommage imminent, soit pour faire cesser un trouble manifestement illicite.



En l'espèce, la compétence de la juridiction de référé est fondée sur l'existence d'un trouble manifestement illicite résultant de la possible atteinte à l'exercice d'une liberté fondamentale, susceptible d'être caractérisé par la clause contestée, intégrée à l'accord du 31 mai 2016 relatif à la rénovation du dialogue social au sein des sociétés composant l'UES Solvay France.



Le juge des référés est donc compétent pour examiner les griefs soulevés par la Fédération FNIC-CGT.



Le syndicat demande la suspension de l'article 18-1 de l'accord du 31 mai 2016, inséré à l'article 18 qui dispose :



'... Solvay souhaite renforcer la représentativité des organisations syndicales en favorisant une augmentation du nombre d'adhérents et en facilitant le renouvellement de leurs membres compte tenu des perspectives démographiques de départs des militants.



Pour cela, Solvay fait des adhésions le critère principal de financement des organisations syndicales représentatives et prend notamment en charge une partie des cotisations payées par les adhérents.



Article 18.1. Les cotisations syndicales :



Cette partie est constituée par le reste à charge des cotisations individuelles annuelles, une fois soustraite la partie fiscalement déductible de l'impôt sur le revenu. Afin de respecter l'anonymat des adhérents, le calcul de ces montants est effectué, pour chaque organisation syndicale, par un organisme extérieur indépendant à partir des informations concernant le nombre de membres et le montant de leurs cotisations de l'année civile. Au cours du trimestre suivant, Solvay verse ces montants à l'organisme extérieur indépendant qui les reverse ensuite à l'organisation syndicale, charge pour elle de rembourser chacun de ses adhérents. Le premier recensement est fait à la date de signature de cet accord.



La mise en place de ce dispositif s'accompagne de la suppression progressive sur une période de cinq ans, du paiement de la rémunération par Solvay de ses salariés mis à la disposition d'une organisation syndicale représentative au niveau de l'UES Solvay France (détachement limité à une personne par organisation syndicale).



Selon la Fédération FNIC-CGT, le dispositif est contraire à l'article L.2146-6 du code du travail qui interdit le paiement des cotisations syndicales par l'employeur à la place des salariés ; il constitue une discrimination syndicale d'une part à l'égard des salariés non syndiqués et d'autre part à l'égard de ceux qui adhèrent à une organisation syndicale représentative ; il est contraire à la collecte des données à caractère personnel interdite par la loi du 6 janvier 1978 et à l'article L.242-1 du code de la sécurité sociale en ne soumettant pas les sommes remboursées aux syndiqués, aux prélèvements sociaux obligatoires.



Les sociétés composant l'UES Solvay soutiennent en réplique que ce dispositif de financement de l'exercice de la négociation collective est licite et déjà mis en place dans d'autres entreprises ; que les sociétés ne paient pas les cotisations syndicales à la place des salariés puisqu'il est seulement prévu de verser une enveloppe globale annuelle à un organisme tiers indépendant ; que ce dispositif ne crée pas de discrimination dès lors que le critère de représentativité est un critère objectif matériellement vérifiable permettant de réserver le remboursement aux seules organisations représentatives ; que la discrimination à l'égard des salariés non syndiqués n'est pas caractérisée dès lors que seuls les salariés syndiqués jouent un rôle actif dans le développement du dialogue social ; qu'il n'existe pas d'atteinte à la loi du 6 janvier 1978 dès lors que les syndicats peuvent collecter les données à caractère personnel de leurs adhérents et qu'ils ne communiqueront pas ces données à l'organisme extérieur ; que les prélèvements obligatoires sont exclus puisque ces sommes ne sont pas versées en contrepartie d'un travail.



Il n'est pas contestable que le moyen portant sur le paiement des cotisations sociales, qui relève de la compétence de la juridiction de sécurité sociale, ne saurait faire obstacle à la mise en oeuvre d'un dispositif destiné à favoriser la négociation collective.



En outre, l'article L.2141-10 du code du travail prévoit la possibilité d'aménager par un accord collectif l'exercice du droit syndical dans un sens plus favorable que les dispositions légales.



Il est admis qu'un accord collectif puisse, en accordant un avantage financier non prévu par la loi, créer une différence de traitement entre les syndicats représentatifs, ou entre les syndicats représentatifs ou non représentatifs, dès lors que cette différence de traitement est justifiée par des raisons objectives matériellement vérifiables fondées sur l'influence de chaque syndicat.



Néanmoins, le dispositif mis en oeuvre par l'article 18-1 de l'accord du 31 mai 2016 présente plusieurs risques d'atteinte à la liberté syndicale des salariés et à la libre organisation des syndicats.



D'une part, le système de remboursement est basé sur un calcul annuel du montant des cotisations syndicales.



Ce dispositif est distinct de celui mis en oeuvre par les accords conclus au sein d'autres sociétés visées par l'UES Solvay, accords dans lesquels le financement est fondé sur l'audience des syndicats lors des dernières élections professionnelles, critère objectif fondé sur la participation des salariés au scrutin.



Dans le dispositif de l'article 18-1, le remboursement des cotisations permet à l'employeur d'obtenir une information directe et annuelle sur le nombre effectif des adhérents et donc sur le taux de syndicalisation au sein des sociétés, critère distinct de l'audience des syndicats.



Cette information est de nature à donner aux sociétés de l'UES une information supplémentaire, non prévue par la loi, sur le nombre des adhérents des syndicats, alors que les résultats des scrutins électoraux sont transparents et plus larges que le nombre de syndiqués.



En outre, les sociétés disposeront d'une information sur l'influence des syndicats tous les ans, ce qui risque d'avoir une incidence sur la négociation sociale, alors que les dispositions légales permettent de mesurer l'audience des syndicats tous les quatre ans.



Il existe donc par le biais de ce dispositif , un risque de mettre en oeuvre un contrôle de l'influence des organisations syndicales.



D'autre part, les termes de l'article 18-1 ne sont pas suffisamment précis sur le choix et le mode d'intervention de l'organisme extérieur, ce qui en soi est de nature à présenter un risque pour la communication des données à caractère personnel concernant les adhérents.



Le texte confie à un organisme extérieur le calcul du montant de la subvention devant être versée par l'employeur, et suppose que les syndicats communiquent des informations sur leurs adhérents à un organisme intermédiaire, qui est en relation avec l'employeur.



S'il est prévu de limiter cette communication au nombre d'adhérents, il existe néanmoins un risque de communication de données à caractère personnel qui n'est pas suffisamment encadré, alors qu'il n'est pas prévu l'information des adhérents qui devraient y consentir.



Au vu de l'ensemble de ces éléments, il convient de considérer que la contestation soulevée par la Fédération FNIC-CGT était légitime, contrairement à ce qui a été jugé par le premier juge.



L'ordonnance du 6 mars 2017 sera donc infirmée.



Sur les dépens et l'article 700 du code de procédure civile



Compte tenu de la solution du litige, les dépens seront supportés par les sociétés de l'UES Solvay qui devront verser à la Fédération FNIC-CGT la somme de 4.500 euros.



PAR CES MOTIFS :



La cour, statuant par arrêt contradictoire mis à disposition au greffe,



Confirme l'ordonnance du 6 mars 2017 en ce qu'elle a déclaré l'action recevable,



L'infirme sur le surplus,



Ordonne la suspension de l'article 18-1 de l'accord du 31 mai 2016 relatif à la rénovation du dialogue social au sein des sociétés composant l'UES Solvay France.



Condamne in solidum les sociétés de l'unité économique et sociale Solvay à payer à la Fédération FNIC-CGT la somme de 4.500 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile



Les condamne aux dépens.



Arrêt prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, lesparties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile et signé par Mme Mariella LUXARDO, présidente et Mme Martine JOANTAUZY, greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.



Le greffier, Le président,

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