18 janvier 2018
Cour d'appel de Paris
RG n° 16/02315

Pôle 2 - Chambre 2

Texte de la décision

Grosses délivrées RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

aux parties le :AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS







COUR D'APPEL DE PARIS



Pôle 2 - Chambre 2



ARRÊT DU 18 JANVIER 2018



(n°2018 - , 8 pages)



Numéro d'inscription au répertoire général : 16/02315



Décision déférée à la Cour : Jugement du 26 Novembre 2015 -Tribunal de Grande Instance de Paris - RG n° 08/04103





APPELANTE



La SARL BRIMO DE LAROUSSILHE

N° SIRET : 542 077 151 00075

[Adresse 1]

[Localité 1]



Représentée par Me François TEYTAUD, avocat au barreau de PARIS, toque : J125

Assistée à l'audience de Me Emmanuel BROCHIER de l'AARPI DARROIS VILLEY MAILLOT BROCHIER, avocat au barreau de PARIS, toque : R170 et Me Julie PASTERNAK, avocat au barreau de PARIS, toque : R170







INTIMÉE



L'Etat représenté par Madame la Directrice de la Direction Nationale d'Interventions Domaniales, élisant domicile en ses bureaux

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 2]



Assisté à l'audience de Me Jean-François CANAT de la SCP UGGC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0261 et de Me Philippe HANSEN de la SCP UGGC AVOCATS, avocat au barreau de PARIS, toque : P0261







COMPOSITION DE LA COUR :



Mme Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre, ayant préalablement été entendue en son rapport dans les conditions de l'article 785 du code de procédure civile, l'affaire a été débattue le 30 novembre 2017, en audience publique, devant la cour composée de :



Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente de chambre

Madame Annick HECQ-CAUQUIL, conseillère

Madame Isabelle CHESNOT, conseillère



qui en ont délibéré



Greffière, lors des débats : Mme Fatima-Zohra AMARA



ARRÊT :

- contradictoire



- par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



- signé par Madame Marie-Hélène POINSEAUX, présidente et par Madame Fatima-Zohra AMARA, greffière présente lors du prononcé.






***************



Vu l'appel interjeté le 15 janvier 2016, par la SAS Brimo de Laroussilhe d'un jugement rendu le 26 novembre 2015 par le tribunal de grande instance de Paris, lequel, disant n'y avoir lieu à exécution provisoire, a :

* Déclaré irrecevable la fin de non-recevoir soulevée par la société Brimo de Laroussilhe tirée de la renonciation à agir de l'Etat, comme se heurtant à l'autorité de la chose jugée,

* déclaré recevable la fin de non-recevoir soulevée par la société Brimo de Laroussilhe tirée de la violation du principe de l'estoppel,

* débouté la société Brimo de Laroussilhe de la fin de non-recevoir tirée de la violation du principe de l'estoppel,

* déclaré M. le directeur par intérim de la Direction nationale d'interventions domaniales agissant au nom de l'Etat recevable en son action,

* ordonné à la société Brimo de Laroussilhe de restituer à l'Etat le fragment du jubé de la cathédrale de [Localité 3] dit le 'fragment à l'Aigle', dans les trois mois de la signification du présent jugement, sous peine d'astreinte, passé ce délai et pour une durée de six mois, d'un montant fixé provisoirement à la somme de 500 euros par jour de retard,

* déclaré irrecevable la demande d'indemnisation pour expropriation formée par la société Brimo de Laroussilhe,

* condamné M. le directeur par intérim de la Direction nationale d'interventions domaniales agissant au nom de l'Etat aux entiers dépens, qui comprendront les frais d'expertise,

* débouté M. le directeur par intérim de la Direction nationale d'interventions domaniales agissant au nom de l'Etat de sa demande de remboursement relative aux sommes avancées au titre des dépens,

* dit n'y avoir lieu de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;



Vu l'ordonnance de mise en état en date du 20 octobre 2016, ordonnant la jonction des procédures, rejetant l'exception d'incompétence et constatant l'irrecevabilité de la fin de non-recevoir tirée de la nullité de la demande reconventionnelle ;



Vu l'arrêt de cette chambre en date du 20 avril 2017, confirmant en toutes ses dispositions l'ordonnance de mise en état du 20 octobre 2016, condamnant l'Etat français représenté par la DNID à verser à la société Brimo de Laroussilhe la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et réservant les dépens de l'incident ;




Vu les dernières écritures notifiées par voie électronique le 3 novembre 2017, par lesquelles la société Brimo de Laroussilhe demande à la cour, au visa des articles 1382 ancien et 2276 du code civil, 9, 32-1 et 567 du code de procédure civile, R. 2331-9 du code général de la propriété des personnes publiques, outre divers Dire et Juger qui ne sont que la reprise de ses moyens, d'infirmer cette décision en ce qu'elle a fait droit aux demandes de l'Etat, de la confirmer en ce qu'elle a mis à la charge de l'Etat les frais d'expertise et les dépens, et de :

* Déclarer recevable sa demande reconventionnelle tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 2 407 414,56 euros, à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

* condamner l'Etat à lui payer une somme de 2 407 414,56 euros, à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive,

* rejeter toutes les demandes, fins et prétentions de l'Etat,

* condamner l'Etat à lui payer une somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens dont distraction au profit de Maître François Teytaud dans les conditions de l'article 699 du code de procédure civile ;



Vu les dernières écritures notifiées par voie électronique le 20 octobre 2017, aux termes desquelles l'État représenté par Mme la directrice de la Direction nationale d'interventions domaniales, au visa de l'article 1382 ancien du code civil et de la loi n°68-1250 du 31 décembre 1968, outre divers Dire et Juger qui ne sont que la reprise de ses moyens :

* soulève l'irrecevabilité de la demande d'indemnisation de la société Brimo de Laroussilhe,

* prie la cour de :

- la dire mal fondée,

- constater que la société Brimo de Laroussilhe a abandonné en appel ses moyens d'irrecevabilité tirés d'une soi-disante renonciation à agir de l'État et de l'estoppel ainsi que sa demande d'indemnisation pour expropriation,

- confirmer le jugement en ce qu'il a :

- Déclaré irrecevable la fin de non-recevoir soulevée par la société Brimo de

Laroussilhe tirée de la renonciation à agir de l'État,

- débouté la société Brimo de Laroussilhe de la fin de non-recevoir tirée de la violation du principe de l'estoppel,

- déclaré M. le Directeur de la DNID agissant au nom de l'État recevable en son action,

- ordonné à la société Brimo de Laroussilhe de restituer à l'État le fragment du

jubé de la cathédrale de [Localité 3] dit « le fragment à l'Aigle » sous peine d'astreinte de 500 euros par jour de retard passé trois mois suivant la signification du jugement à intervenir,

- déclaré irrecevable la demande d'indemnisation pour expropriation formée par la société Brimo de Laroussilhe,

- réformer le jugement en ce qu'il a condamné M. le directeur de la DNID aux entiers dépens, et statuant à nouveau,

- condamner la société Brimo de Laroussilhe aux entiers dépens, y compris aux frais d'expertise judiciaire,

- condamner en conséquence la société Brimo de Laroussilhe à rembourser à l'État la somme d'un montant de 33 634,23 euros avancée par ce dernier en paiement des honoraires de l'expert,

- débouter la société Brimo de Laroussilhe de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions,

- condamner la société Brimo de Laroussilhe à lui verser la somme de 30 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel ;






SUR CE, LA COUR,



Considérant que, pour un exposé complet des faits et de la procédure, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties ; qu'il convient de rappeler que :

* En 2002, la société Brimo de Laroussilhe a acquis une pierre sculptée longue de 1,63 mètre, pesant une centaine de kilos, désignée comme le fragment à l'Aigle, provenant du jubé gothique de la cathédrale de [Localité 3] détruit en 1763, correspondant à la partie supérieure d'un autre relief fragmentaire désigné comme le fragment à l'Ange, conservé dans le dépôt lapidaire de la cathédrale, les deux panneaux représentant l'Agneau divin ;

* le 26 mai 2003, la société Brimo de Laroussilhe a sollicité un certificat d'exportation du bien culturel auprès du ministère de la culture ;

* le 5 septembre 2003, le ministre de la culture et de la communication a refusé par arrêté de délivrer le certificat en raison du caractère de 'trésor national' du bien en cause ;

* par la suite, le ministère a envisagé d'acquérir auprès de la société Brimo de Laroussilhe ce relief et a fait une offre d'achat à un million d'euros ; plusieurs expertises ont été menées ;

* en fin de procédure amiable, au mois de décembre 2006,M. [R], expert désigné conjointement, a évalué la pierre sculptée à la somme de 7 millions d'euros ;

* le 12 février 2007, la direction de l'architecture et du patrimoine a fait savoir par courrier que le fragment du jubé appartenait au domaine public de l'État et a mis en demeure de le lui restituer ; la société Brimo de Laroussilhe, s'estimant propriétaire du bien, a refusé et a sollicité à nouveau la délivrance du certificat demandé en 2003 ;

* le 12 mars 2007, la direction de l'architecture et du patrimoine a affirmé à nouveau par lettre la propriété de l'État sur ce bien et refusé de délivrer le certificat d'exportation ;

* la société Brimo de Laroussilhe a saisi le tribunal administratif d'un recours à l'encontre de ce refus, lequel a ordonné un sursis à statuer dans l'attente de la décision à intervenir dans le présent litige ;

* le 14 mars 2008, Mme la directrice de la Direction nationale d'interventions domaniales (DNID) a fait assigner la société Brimo de Laroussilhe devant le tribunal de grande instance de Paris aux fins de voir reconnaître sa propriété sur le fragment litigieux et de voir ordonner sa restitution ;

* le 28 octobre 2010, le tribunal a déclaré l'action en revendication de l'Etat recevable et ordonné une expertise confiée à M. [J], essentiellement aux fins de donner un avis sur les possibilités que le fragment litigieux soit celui correspondant 'au bas relief formant la contrepartie du précédent et composé d'animaux symboliques' cité dans le rapport [W], de déterminer la date possible de distraction de l''uvre, et dans l'affirmative, de préciser celle-ci ;

* le 5 décembre 2013, le rapport a été déposé ;

* par conclusions signifiées le 9 mars 2015, le directeur par intérim de la Direction nationale d'interventions domaniales a, pour l'essentiel, maintenu ses demandes au motif qu'il était établi que le fragment du jubé était demeuré dans la cathédrale de [Localité 3] après la nationalisation des biens du clergé par l'Etat, demande dont la société Brimo de Laroussilhe a soulevé l'irrecevabilité et conclu au mal fondé ;

* le 26 novembre 2015 est intervenu le jugement dont appel ;

* le 29 juin 2017, le tribunal administratif de Paris a rejeté la nouvelle demande de sursis à statuer de la société Brimo de Laroussilhe, ainsi que son recours contre le refus de délivrance du certificat d'exportation, au motif que le fragment à l'Aigle appartenait au domaine public ;



Sur l'action en revendication :



Considérant que la société Brimo de Laroussilhe, rappelant que l'Etat a la charge de la preuve de la propriété imprescriptible revendiquée, laquelle dépend du sort du fragment à l'Aigle à la suite de la destruction du jubé de la cathédrale de [Localité 3] en 1763 et en particulier de sa date d'extraction de la cathédrale, demande qu'il soit jugé que ce fragment n'a pu intégrer le domaine public mobilier de l'Etat que s'il a été extrait après 1836 ;



Qu'elle soutient qu'il existe des incertitudes et doutes sur cette date de soustraction, qu'il n'est pas établi que l'extraction n'a pu intervenir qu'après 1836 et, qu'en l'état de ces incertitudes, l'Etat ne prouve pas que le fragment appartient au domaine public mobilier, ne renverse pas la présomption attachée à sa possession paisible, avec les effets de l'article 2276 du code civil, et alors même que l'Etat a fait l'aveu judiciaire d'une extraction antérieure à 1837 ;



Qu'à cet égard, elle rappelle les termes du jugement avant dire droit du 28 octobre 2010, relevant des divergences sur la date de distraction du fragment à l'Aigle, selon l'avis rendu par la Commission consultative des trésors nationaux le 3 septembre 2003, sans doute vers 1763, du rapport de M. [N] [G] en date du 13 juillet 2006, entre 1763 et 1837, ainsi que de l'Etat, ayant successivement exclu toute sortie après 1837, puis après 1848 ;



Qu'elle fait valoir que, s'il est établi par les opérations d'expertise que le fragment à l'Aigle faisait partie du jubé de la cathédrale de [Localité 3] lors de sa démolition en 1763, les constatations matérielles conduisent à penser, sans certitude, qu'il a pu être remployé dans le sol de la cathédrale de [Localité 3], et qu'il n'est pas démontré qu'il a été extrait en 1848 ou après 1836, d'autres dates d'extraction antérieures à 1836 étant possibles, l'expert affirmant une date probable de distraction de l''uvre, ou du moins, un créneau de datation, après avoir adopté d es positions divergentes au cours de ses travaux, entre 1848 et 1860 ou dès 1836, cette dernière hypothèse étant cependant très improbable ;



Qu'elle souligne la contradiction des interprétations du rapport de l'architecte [W], entre la position de l'Etat identifiant le fragment à l'Aigle comme un autre bas-relief formant la contrepartie du précédent et composé d'animaux symboliques et celle de l'expert, selon lequel cette référence vise un autre fragment de l'ancien jubé, le fragment au Lion, interprétation qu'elle approuve en raison de la mention d'animaux symboliques, figurant sur le fragment au Lion ;



Qu'elle conteste l'interprétation de l'expert, selon lequel l'ensemble formé par le fragment à l'Aigle et le fragment à l'Ange pourrait être visé, dans le rapport de [W], sous une autre mention, soit le bas-relief provenant d'un retable, rejetée par les deux parties comme ne s'appliquant qu'au seul fragment à l'Ange ;



Qu'elle reprend les comparaisons des fragments à l'Aigle, à l'Ange et au Lion, réalisées au cours de l'expertise, établissant que le revers du fragment à l'Aigle présente l'usure la plus importante, similaire à celle d'un petit fragment à l'aile découvert dans le sol de la cathédrale de [Localité 3] en 2008, mais conteste la conclusion d'un maintien du fragment à l'Aigle dans le sol de la cathédrale jusqu'en 1848, rendu plausible et même certain par cette usure, alors que la durée et les conditions nécessaires à l'obtention de cette usure demeurent inconnues ;



Qu'elle observe que les constations matérielles de l'expert établissent que les colles et les techniques de collages utilisées, sur les traces de la fracture verticale du fragment à l'Aigle, ne sont pas les mêmes que celles utilisées pour les fragments découverts par [W], présentant un badigeon blanc et des interventions de nature différentes, seul le fragment à l'Aigle comportant des traces, non d'outil mais d'une brosse métallique ou d'un outil à plusieurs dents fines ;



Qu'elle soutient l'impossibilité d'une sortie du fragment à l'Aigle de la cathédrale postérieurement à 1836, en raison de la surveillance exercée à compter de cette date sur la cathédrale, comme le soutenait l'Etat dans son assignation du 14 mars 2008, soit un aveu judiciaire au sens de l'article 1356 du code civil ;



Qu'elle en conclut qu'il est impossible de déterminer la date à laquelle le fragment à l'Aigle a été soustrait de la cathédrale de [Localité 3], qu'il n'est pas établi qu'il y soit demeuré jusqu'en 1836, date à partir de laquelle il aurait pu intégrer le domaine public mobilier, et demande l'infirmation du jugement, en l'absence de preuve de son appartenance au domaine public mobilier ;



Considérant que l'Etat représenté par la directrice de la DNID soutient rapporter la preuve de ce que le fragment est demeuré dans la cathédrale de [Localité 3] jusqu'en 1848 et au plus tôt jusqu'en 1836, et appartient au domaine public de l'État ;



Qu'il conteste à sa déclaration, selon laquelle le fragment à l'Aigle aurait été extrait du sol de la cathédrale avant 1836, dans son assignation, le caractère d'aveu judiciaire ;



Qu'il fait valoir les conclusions de l'expert, selon lequel le fragment à l'Aigle serait désigné dans le rapport de l'architecte [W] de 1848 comme provenant probablement d'un retable et n'a pu sortir de la cathédrale avant 1848 ou l'incendie de 1836 ;



Que, reconnaissant que la charge de la preuve de l'appartenance du fragment au domaine public lui incombe, il souligne l'absence d'incidence sur l'issue du litige de la date exacte de sortie du fragment de la cathédrale, dès lors que cette date est postérieure à l'année 1836 ;



Qu'il fait valoir que, selon les conclusions de l'expert, les constatations matérielles ont montré que le fragment à l'Aigle a été remployé dans le sol de la cathédrale de [Localité 3] en guise de pavement, dans la tradition canonique de l'enfouissement et de l'interdiction de sortie des églises des pierres consacrées, n'a fait l'objet que de cet unique enfouissement, de très longue durée comme le prouvent les traces d'usure de l'extrados et présente des modes de conservation et de recollage, réalisés à une époque où existait un intérêt pour la conservation archéologique de ce type de bien, excluant les années 1791 et 1792 ;



Qu'il rappelle que les constatations matérielles de l'expert portant sur le mortier de scellement retrouvé sur le fragment à l'Aigle, sa grande fracture, sa découpe, son recollage et sa restauration, ainsi que l'usure de l'extrados du fragment lui ont permis de conclure que le fragment n'a été utilisé qu'une seule fois en dalle de sol de la cathédrale pour en être extrait à une période où un intérêt pour ce type de bien était né, ce qui exclut comme date possible d'extraction les différentes périodes de travaux antérieures à 1836, l'expert favorisant néanmoins une sortie en 1848, date des fouilles réalisées par [W] ;



Qu'il conclut que le fragment, appartenant au domaine public de l'Etat, est inaliénable et imprescriptible, empêchant toute action possessoire et toute aliénation, en l'absence de décision de déclassement, et demande que sa restitution soit ordonnée, sous astreinte ;



Considérant qu'aux termes de l'article 1315 alinéa 1 devenu 1353 du code civil, Celui qui réclame l'exécution d'une obligation doit la prouver ;



Considérant que l'expert, au motif qu'entre1791 et 1836 les reliefs étaient considérés comme des matériaux de construction, a rappelé qu'à compter de 1836, une attention particulière a été portée aux vestiges du jubé de la cathédrale de [Localité 3], en raison de l'intérêt historique et artistique éveillé à cette période ;



Que les parties s'accordent sur l'année 1836, comme date de l'apparition d'un intérêt pour les vestiges gothiques, à compter de laquelle l'extraction du fragment de la cathédrale, appartenant au domaine public de l'Etat, entraînait son intégration au domaine public mobilier ; que la preuve doit en conséquence être rapportée, non de cette extraction, mais de la présence du fragment dans la cathédrale, à une date postérieure à 1836 ;



Considérant que, sur l'aveu judiciaire invoqué par la société Brimo de Laroussilhe, selon l'article 1356 devenu 1383-2 du code civil, L'aveu judiciaire est la déclaration que fait en justice la partie ou son représentant spécialement mandaté.

Il fait foi contre celui qui l'a fait.

Il ne peut être divisé contre son auteur.

Il est irrévocable, sauf en cas d'erreur de fait ;



Que la date d'extraction du fragment à l'Aigle de la cathédrale de [Localité 3] est un élément de fait que l'État a présenté au soutien de sa demande, en considération des analyses et recherches disponibles à cette date, par la suite écartées au fil des expertises, et ne constituait pas la reconnaissance d'un droit au profit de la société Brimo de Laroussilhe ;



Considérant qu'il n'est pas contesté qu'en 1763, le jubé de la cathédrale de [Localité 3] a été démantelé, que de 1786 à 1787, le ch'ur des chanoines a été dépavé pour être recouvert de marbre, réfection poursuivie en 1791, que le 4 juin 1836, la cathédrale a été partiellement incendiée, sinistre amenant la reprise d'une partie de son dallage en 1837 et la découverte de deux bas-reliefs, les mages devant Hérode et la Nativité, provenant du jubé, sans que soit réalisé un inventaire exhaustif des vestiges découverts ; qu'en 1847 et1848, l'architecte [W] a été chargé par le ministre d'une mission dans le cadre de la rédaction d'une monographie de la cathédrale, a obtenu l'autorisation de procéder à des fouilles autour du ch'ur afin de retrouver d'autres éléments du jubé et a déposé l'intégralité du dallage devant l'entrée principale et une partie devant l'entrée latérale nord et devant l'entrée sud ; que ces travaux ont révélé l'existence de six bas-reliefs, retournés et servant de dalles, parmi lesquels un bas-relief provenant probablement d'un retable et un bas-relief formant la contrepartie du précédent et composé d'animaux symboliques.



Que dans le cours de la procédure d'acquisition du fragment à l'Aigle par l'Etat, une expertise a été diligentée par M.M. [M] et [I], dont le rapport, remis le 25 mai 2006, affirme que le fragment a été remployé dans le pavage de la cathédrale et précise qu'il s'agit de deux grands reliefs avec des ronds, qui ont été excavés en 1848, dont l'un se joint exactement à l'autre, formant une section complète de la frise ronde, l'iconographie de la partie supérieure étant parfaitement complétée par le fragment inférieur, les deux bas-reliefs ayant été coupés exactement de la même manière, en haut à droite et en bas à gauche, indiquant ainsi que les deux bas reliefs ont été utilisés pour le pavement de la cathédrale, taillés pour rentrer dans les espaces dans lesquels ils ont été insérés ;

Que l'expert judiciaire, M. [J], reprend cette constatation en indiquant que les deux fragments, composant la 'Majesté de l'Agneau', ont fait l'objet d'une seule et unique découpe, avec l'utilisation d'une même technique de découpe, de retaille et d'ajustement des deux dalles, à l'Ange et à l'Aigle, un calepinage semblable de la dalle à l'Ange et de la dalle à l'Aigle, et les mêmes traces d'outil sur les deux fragments pour les placer dans le pavement de sol ;



Que M. [J] décrit la présence d'un seul mortier de scellement dans le lit de pose du pavement et dans les creux des sculptures des fragments du jubé, soit les fragments à l'ange, au lion, à l'aile et à l'aigle, constatations rejoignant celles, antérieures, des experts M.M. [X] et [C], d'une usure importante du revers du fragment à l'Aigle qui démontre un scellement long dans le temps, postérieur au décret de nationalisation des biens du clergé par l'État, le fragment à l'Aigle étant le plus usé, en raison soit du passage sur un axe plus fréquenté que les autres dalles, soit parce que la dalle était placée sur un lieu de piétinement due aux pratiques religieuses type dévotion populaire ; Il en conclut que l'usure du revers du « Fragment à l'Aigle » est un élément important qui permet de considérer comme plausible (et même certain) un maintien de cette pierre dans le sol de la cathédrale de [Localité 3] jusqu'en 1848, c'est-à-dire près de 85 ans (60 ans si on retient l'hypothèse de M. [N] [G]) et il considère qu'un maintien sur une durée plus réduite n'aurait pas permis d'atteindre cette usure ;



Qu'il conclut que le fragment à l'Aigle a fait l'objet d'un seul et unique enfouissement, un second emploi étant exclu, et ce dans le sol de la cathédrale, où il y est resté un temps très long au regard de l'usure de l'extrados, soit le côté lisse de la pierre ; que le fragment à l'Aigle correspond au bas-relief indiqué par [W] comme étant probablement un retable, lors de son extraction en 1848, ou éventuellement après l'incendie de 1836 en cas de distraction frauduleuse après l'incendie de la cathédrale ; que le relief au lion fait probablement la contrepartie du précédent, tel que présenté par [W] ;



Considérant qu'il résulte de ces constatations que le fragment à l'Ange, extrait en 1848, et le fragment à l'Aigle constituaient un unique bas-relief du jubé de la cathédrale de [Localité 3], démonté en 1763 ; que le fragment à l'Aigle a été enfoui à une seule reprise et a servi de dalle, ainsi qu'en témoigne l'usure de l'extrados, supérieure à celle des reliefs découverts en 1848 et similaire au relief à l'Aile extrait en 2008 ; qu'ainsi, il est établi que le fragment à l'Aigle correspond à un fragment du relief extrait en 1848 par l'architecte [W] et décrit par celui-ci comme le bas-relief provenant d'un retable ;



Qu'il s'ensuit que le fragment à l'Aigle, extrait en 1848 du sol de la cathédrale, a intégré à cette date le domaine public mobilier ; que l'action en revendication de l'Etat étant bien fondée, le jugement ordonnant sa restitution sous astreinte sera confirmé ;



Sur les autres demandes :



Considérant qu'il résulte du sens de l'arrêt que la société Brimo de Laroussilhe sera déboutée de sa demande reconventionnelle tendant à la condamnation de l'Etat à lui payer une somme de 2 407 414,56 euros, à parfaire, à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive ;



Considérant que, par infirmation du jugement, la société Brimo de Laroussilhe, qui succombe, supportera la charge des dépens et sera condamnée à payer à l'Etat la somme de 33 634,23 euros avancée en paiement des honoraires taxés de l'expert ; qu'il n'est pas inéquitable de laisser à chacune des parties la charge de ses frais irrépétibles ;





PAR CES MOTIFS



Statuant publiquement et contradictoirement,



Confirme le jugement déféré, sauf en sa disposition relative à la charge des dépens et au rejet de la demande de l'Etat de remboursement des honoraires de l'expert ;





Statuant à nouveau sur ce point,



Condamne la société Brimo de Laroussilhe aux entiers dépens de l'instance ;



Condamne la société Brimo de Laroussilhe à payer à l'Etat représenté par la Direction nationale d'interventions domaniales la somme de 33 634,23 euros ;



Y ajoutant,



Rejette les demandes formées au fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;



Rejette toutes autres demandes contraires à la motivation.



Prononcé par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.









LA GREFFIÈRELA PRÉSIDENTE

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