27 septembre 2018
Cour d'appel de Versailles
RG n° 17/02375

21e chambre

Texte de la décision

COUR D'APPEL

DE

VERSAILLES











21e chambre



ARRET N°



CONTRADICTOIRE



DU 27 SEPTEMBRE 2018



N° RG 17/02375



AFFAIRE :



Slim X...





C/



SA RISK & CO Constitution aux lieu et place de la SELARL LAUBEUF & Associés pour la SA RISK & CO,









Décision déférée à la cour: Jugement rendu le 28 Janvier 2016 par le Conseil de Prud'hommes - Formation paritaire de NANTERRE

Section : Encadrement

N° RG : 13/03498







Copies exécutoires et certifiées conformes délivrées à :



Me Arthur Y...

Me Florence Z...



le :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



LE VINGT SEPT SEPTEMBRE DEUX MILLE DIX HUIT,

La cour d'appel de VERSAILLES, a rendu l'arrêt suivant dans l'affaire entre:



Monsieur Slim X...

[...]

représenté par Me Arthur Y..., avocat au barreau de PARIS, vestiaire : J069 - N° du dossier X...





APPELANT

****************

SA RISK & CO Constitution aux lieu et place de la SELARL LAUBEUF & Associés pour la SA RISK & CO,

[...]

représentée par Me Florence Z..., avocat au barreau de PARIS





INTIMEE

****************





Composition de la cour :



L'affaire a été débattue le 25 Juin 2018, en audience publique, devant la cour composée de :



Monsieur Philippe FLORES, Président,

Madame Florence MICHON, Conseiller,

Madame Bérénice HUMBOURG, Conseiller,



qui en ont délibéré,



Greffier, lors des débats : Madame Christine LECLERC





M. Slim X... a été engagé en novembre 2011 en qualité de consultant sûreté, statut cadre, par la société Risk & Co. Le contrat prévoyait une rémunération de 400 euros par jour travaillé comprenant toutes indemnités dues, liées au contrat de travail, y compris les congés payés. Cette rémunération se décomposait de la façon suivante : 200 euros nets correspondant au salaire de base, 86 euros nets correspondant à la prime de risque, 114 euros nets correspondant à l'indemnité d'expatriation.



L'entreprise, qui assure des prestations de services dans le domaine de la sécurité et de la défense à des gouvernements, organisations internationales ou entreprises privées, emploie plus de dix salariés, relève de la convention collective des entreprises de prévention et de sécurité.



Le 25 juillet 2013, M. X... a été convoqué à un entretien préalable, fixé au 9 août 2013, et mis à pied à titre conservatoire. Il a été licencié pour faute grave le 13 août 2013 dans les termes suivants :



« «Nous avons eu l'opportunité d'une nouvelle mission que nous vous avons proposée aussitôt le 13 juin 2013, lors d'un entretien qui s'est déroulé à notre siège, avec Monsieur D..., Directeur des Opérations et Madame A..., gestionnaire Administration du personnel et paye.

Votre profil correspondait exactement à la demande de notre client et il était en parfaite adéquation avec la mission. Par ailleurs, vous étiez le seul de l'entreprise à pouvoir l'exercer, ce que vous saviez pertinemment.

Lors de cet entretien vous avez fait preuve de réserve car il s'agissait d'une mission au Yémen, pays dans lequel vous étiez soi-disant menacé. Pourtant la mission devait se dérouler à Sanaa et non à Baljaf ville distante de plus de 400 kilomètres, et cela faisait plus d'un an que vous aviez quitté le pays. Par ailleurs, votre poste n'était pas exposé puisqu'il s'agissait d'organiser des accompagnements dans le cadre de déplacements de civils « américains ». De plus, ainsi que nous vous l'avons très clairement précisé, votre nouvelle mission consistait en de la supervision et de l'organisation, sans exposition directe sur le terrain.

Dans votre courrier recommandé du 13 juin 2013, faisant suite à cet entretien, vous avez fait état d'une menace diffuse dans tout le pays. Pourtant, en tant que consultant sûreté, votre métier consiste à vous rendre dans des pays dont la situation géopolitique est instable, il s'agit là de notre c'ur de métier. Plus d'un quart de nos effectifs sont d'ailleurs positionné en Yémen, quand l'autre majorité se trouve au Nigéria.

Vous aviez été engagé par notre Société le 16 novembre 2011 en qualité de Consultant Sûreté et avez effectué une première mission au Yémen pour notre client, la société Total. A cette fin, par mail du 4 novembre 2011, vous avez fait valoir « la situation dans le pays concerné et votre exposition à « un facteur de risque très élevé », pour négocier votre rémunération qui incluait une prime de risque.

Vous aviez prétendu, en juin 2012 être la victime de « menaces de mort » au Yémen qui n'ont pas été constatées par votre supérieur hiérarchique auquel vous avez indiqué souhaiter retourner en France.

Vous aviez volontairement mis fin à votre mission en nous contraignant à procéder à votre remplacement d'urgence au Yémen. Pourtant, aucun de vos collègues ou remplaçant n'a fait état par la suite de quelconques menaces personnelles.

En fait il apparaît clairement, comme nous venons de le découvrir, que le client vous a demandé de quitter le projet, sans discussion, car la qualité de vos services au Yémen était très insuffisante. Vous avez « habillé » ensuite cet arrêt de mission par le client par une soi-disante menace dont vous auriez été la victime et nous vous avons cru. Nous découvrons aujourd'hui que vous nous avez menti sur les raisons de votre départ précipité, Ce faisant, votre mensonge nous a complètement discrédité auprès de ce nouveau client.

Ceci a eu des conséquences préjudiciables pour Risk & Co. En effet, cet état de fait a été porté à la connaissance du client auquel nous avions proposé votre candidature dans le cadre de cette nouvelle mission. Ce dernier s'est renseigné auprès du client chez lequel vous étiez précédemment en mission et a obtenu un avis très défavorable sur votre profil. Non seulement nous avons perdu l'appel d'offre, mais en plus, la qualité de la candidature proposée nous a été reprochée et a jeté le discrédit sur la réputation de notre entreprise.

Par ailleurs, lors de cet entretien du 13 juin 2013, nous vous avions expliqué qu 'il s'agissait d'organiser des accompagnements dans le cadre de déplacements de civils américains. Aussi avions-nous souligné que votre apparence pouvait être un frein pour notre client Nous vous avions fait la remarque verbalement à la suite de votre candidature non retenue par deux fois depuis votre retour. Le 13 juin, vous vous êtes emporté en nous donnant l 'ordre de vous repositionner avec votre apparence actuelle et en nous indiquant que c 'était aux clients de s'adapter à vous et non l'inverse. Pourtant, vous saviez pertinemment que votre barbe, taillée d'une manière volontairement très signifiante aux doubles plans religieux et politique, ne pouvait qu 'être comprise que comme une provocation par notre client, et comme susceptible de compromettre la sécurité de son équipe et de vos collègues sur place. Le 2 juillet 2013, lorsque notre client nous a fait part de son refus de votre candidature il nous a précisé, comme nous le craignions, que votre apparence était l'une des raisons majeures de son rejet de votre candidature.

Concernant votre apparence physique vous n 'acceptez aucune observation, ni aucun conseil sur le sujet, pourtant, vous êtes consultant sûreté et encore une fois, à ce titre votre présentation neutre et adaptée doit vous permettre de vous fondre dans votre environnement de travail et non pas d'attirer le regard sur vous. Nous respectons tout à fait les raisons privées qui vous motivent dans votre choix, mais vos choix rendent impossibles votre repositionnement. Contrairement à ce que vous nous avez indiqué votre présentation actuelle marque une évolution sensible de votre apparence par rapport aux photos remises lors de votre embauche. Sur l'ensemble des consultants, nous n 'avons jamais été confrontés à un tel problème de repositionnement, quel que soit le pays dans lequel la mission se déroule.

Nous avons tout mis en 'uvre pour vous proposer une nouvelle mission, le 13 juin, mais vous avez fait preuve d'une mauvaise volonté évidente pour nous accompagner et favoriser votre repositionnement voire d'une provocation évidente en n'écoutant pas nos conseils et en nous donnant des photos volontairement provocatrices.

Enfin, vos menaces à peine voilées au cours de votre entretien préalable de décrédibiliser notre société au moyen de réseaux français et étrangers dans lesquels vous nous avez dit disposer de relais, n'est pas de nature à nous ébranler dans notre décision mais bien au contraire confirme l'impossibilité de votre maintien même temporaire dans l'entreprise ».



Par requête du 26 novembre 2013, M. X... a saisi le conseil de prud'hommes de Nanterre pour contester la rupture de son contrat de travail. Il a demandé au conseil de :

- constater que la lettre de licenciement lui fait reproche de porter une barbe ;

- constater que la société n'a fourni aucune mission après son retour du Yémen malgré ses nombreuses demandes ;

- constater qu'il a subi une forme d'harcèlement moral qui a conduit à la détérioration de sa santé ;

en conséquence :

à titre principal :

- dire et juger que son licenciement est nul,

en conséquence,

- ordonner sa réintégration sur le fondement des articles L. 1224 - 4 et l 1224 - 5 du code du travail sous astreinte de 250 euros par jour de retard à compter du 8eme jour suivant la notification ou signification de la présente décision ;

- condamner la société Risk & Co à payer, à titre de provision, la somme de 65 050 euros net en réparation de son préjudice financier ;

- constater que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse ;

en conséquence,

- condamner la société Risk & Co à lui payer les sommes de 9 150 euros nets à titre de l'indemnité de préavis, 915 euros nets à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, 1 220 euros au titre de l'indemnité de licenciement, 36 600 euros nets à titre de dommages et intérêts ;

en tout état de cause :

- condamner la société Risk & co à lui payer les sommes de 11 284,26 euros en réparation du préjudice financier lié à la mauvaise déclaration adressée à Pôle emploi, 3 050 euros pour remise tardive de l'attestation Pôle emploi, 2 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir, par application de l'article 515 du code de procédure civile,

- condamner la société aux entiers dépens, y compris les éventuels frais.



La société Risk § Co a conclu au rejet des demandes.



Par jugement rendu le 28 janvier 2016, le conseil (section encadrement) a :

- dit que le licenciement de M. X... a une cause réelle et sérieuse,

- débouté M. X... de la totalité de ses demandes,

- condamné M. X... aux éventuels dépens.



Le 12 février 2016, M. X... a relevé appel de cette décision.



Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, M. X... demande à la cour de :

- constater que la lettre de licenciement lui fait reproche de porter une barbe ;

- constater que la société ne lui a fourni aucune mission après son retour du Yémen malgré ses nombreuses demandes ;

- constater qu'il a subi une forme d'harcèlement moral qui a conduit à la détérioration de sa santé ;

en conséquence :

- infirmer en tous points le jugement déféré ;

et statuant à nouveau :

à titre principal :

- dire et juger que son licenciement est nul,

en conséquence,

- ordonner sa réintégration sur le fondement des articles L. 1224 - 4 et L. 1224 - 5 du code du travail sous astreinte de 250 euros par jour de retard à compter du 8eme jour suivant la notification ou signification de la présente décision ;

- condamner la société Risk & Co à payer, à titre de provision, la somme de 146 400 euros net en réparation de son préjudice financier ;

- condamner la société à lui payer les sommes de 5 000 euros en réparation du préjudice moral, 1 967,74 euros au titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire, 196,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, 1 023,68 euros indûment retirée sur son salaire du mois de juin 2013 ;

à titre subsidiaire :

- constater que son licenciement ne repose sur aucune cause réelle et sérieuse ;

en conséquence,

- condamner la société Risk & Co à lui payer les sommes de 9 150 euros nets à titre de l'indemnité de préavis, 915 euros nets à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, 1 220 euros au titre de l'indemnité de licenciement, 36 600 euros nets à titre de dommages et intérêts, 1 967,74 euros au titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire, 196,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, 1023,68euros indûment retirée sur son salaire du mois de juin 2013 ;

à titre infiniment subsidiaire

- constater que le licenciement ne repose sur aucune faute grave ;

en conséquence,

- condamner la société Risk & Co à lui payer les sommes de 9 150 euros nets à titre de l'indemnité de préavis, 915 euros nets à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis, 1 220 euros au titre de l'indemnité de licenciement, 1 967,74 euros au titre de rappel de salaire pour la mise à pied conservatoire, 196,77 euros au titre de l'indemnité compensatrice de congés payés, 1 023,68 euros indûment retirée sur son salaire du mois de juin 2013 ;

en tout état de cause :

- condamner la société Risk & Co à lui payer les sommes de 11 284,26 euros en réparation du préjudice financier lié à la mauvaise déclaration adressée à Pôle emploi, 3 050 euros pour remise tardive de l'attestation pole emploi, 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner la société aux entiers dépens, y compris les éventuels frais.



Par conclusions écrites et soutenues oralement à l'audience, la société Risk & Co demande à la cour de :

- confirmer en toutes ses dispositions le jugement déféré,

en conséquence,

- débouter M. X... de l'ensemble de ses demandes, moyens et prétentions,

- condamner M. X... à lui verser la somme de 3 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner M. X... aux dépens de l'instance.



Pour plus ample exposé des moyens et prétentions des parties, la cour renvoie aux conclusions déposées et soutenues à l'audience, conformément à l'article 455 du code de procédure civile.



Motifs de la décision



Sur la discrimination



Le salarié considère que le licenciement est fondé sur un motif discriminatoire car, sous le couvert de plusieurs motifs, la lettre de licenciement fait expressément référence à sa barbe, qui, selon l'employeur a un caractère religieux. Le salarié en déduit que le licenciement est nul.



La société soutient que le licenciement du salarié est fondé sur deux griefs objectifs constituant une violation de ses obligations contractuelles et rendant impossible son maintien même temporaire dans l'entreprise, d'une part, le grave mensonge sur la véritable raison de la fin de sa première mission au Yémen, à savoir la qualité médiocre de son travail, qui a causé un préjudice à son employeur, d'autre part, l'impossibilité de repositionner le salarié sur une mission du fait du refus du salarié de revenir à une apparence plus neutre dans l'exercice de son activité professionnelle. En effet, après avoir soumis à un client le profil de M. X... en vue d'une seconde mission au Yémen, la société indique avoir été informée que la décision de refus résultait de la mauvaise qualité des prestations fournies précédemment par le salarié, qui s'était démotivé au cours de cette mission. La société indique que dans ses conditions il avait été convenu entre le salarié et le client d'arrêter la mission et que le salarié avait masqué cette réalité pendant plus d'un an en prétextant des menaces dont il n'a jamais apporté la preuve. L'employeur souligne que le comportement du salarié lui a causé préjudice. La société Risk § Co ajoute que le salarié n'a pas été licencié en raison de son apparence physique mais du fait de l'impossibilité de le repositionner sur une nouvelle mission. La société précise que la barbe de M. X... n'est en rien une problématique religieuse mais uniquement une problématique de sécurité. Or, l'aspect de cette barbe est de nature à poser difficulté du fait de son appréhension locale dans des circonstances particulières. La conduite des missions dans certains pays oblige Risk § Co à respecter des règles de nature à assurer la sécurité de ses consultants et clients. En outre l'entreprise doit également respecter les codes de conduite des clients de Risk § Co, lesquels prennent des engagements quant au respect des coutumes et traditions des pays où ils interviennent. La société considère qu'elle a apporté une restriction à la liberté de M. X..., mais que cette restriction était justifiée et proportionnée au regard tant de sa mission que du contexte de cette mission. Elle considère que le fait pour le salarié de ne pas avoir accepté de revenir à l'apparence neutre qui était la sienne lors de son embauche justifiait son licenciement. L'employeur affirme n'avoir jamais eu d'attitude discriminante dans un quelconque domaine, ni vis-à-vis d'une quelconque religion et qu'aucun acte discriminatoire ne peut lui être reproché.



Il résulte des dispositions de l'article L.1132-1 du code du travail qu'aucun salarié ne peut faire l'objet d'une mesure discriminatoire, directe ou indirecte, en matière de rémunération, de mesures d'intéressement ou de distribution d'actions, de formation, de reclassement, d'affectation, de qualification, de classification, de promotion professionnelle, de mutation ou de renouvellement de contrat en raison de son apparence physique. En application de l'article L. 1134-1du code du travail, lorsque le salarié présente des éléments de fait constituant selon lui une discrimination directe ou indirecte, il appartient au juge d'apprécier si ces éléments dans leur ensemble laissent supposer l'existence d'une telle discrimination et, dans l'affirmative, il incombe à l'employeur de prouver que ses décisions sont justifiées par des éléments objectifs étrangers à toute discrimination.



La Cour de justice de l'Union européenne, par arrêt du 14 mars 2017 (CJUE, Asma B..., aff. C-188/15), a dit pour droit : "L'article 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que la volonté d'un employeur de tenir compte des souhaits d'un client de ne plus voir les services dudit employeur assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de cette disposition". Par arrêt du même jour (CJUE, 14 mars 2017, G4S Secure Solutions, C-157/15), la Cour de justice a dit pour droit: "L'article 2, § 2, sous a), de la directive 2000/78/CE du Conseil, du 27 novembre 2000, portant création d'un cadre général en faveur de l'égalité de traitement en matière d'emploi et de travail, doit être interprété en ce sens que l'interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d'une règle interne d'une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de cette directive. En revanche, une telle règle interne d'une entreprise privée est susceptible de constituer une discrimination indirecte au sens de l'article 2, § 2, sous b), de la directive 2000/78/CE s'il est établi que l'obligation en apparence neutre qu'elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données, à moins qu'elle ne soit objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l'employeur, dans ses relations avec ses clients, d'une politique de neutralité politique, philosophique ainsi que religieuse, et que les moyens de réaliser cet objectif ne soient appropriés et nécessaires, ce qu'il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier". La Cour de justice a précisé, dans les motifs de cette dernière décision (§ 43), s'agissant du refus d'une salariée de renoncer au port du foulard islamique dans l'exercice de ses activités professionnelles auprès de clients de l'employeur, qu'il appartient à la juridiction nationale de vérifier si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise, et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il eût été possible à l'employeur, face à un tel refus, de lui proposer un poste de travail n'impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement.



Il résulte des articles L. 1121-1, L. 1132-1 et L. 1133-1 du code du travail, mettant en oeuvre en droit interne les dispositions des articles 2, § 2, et 4, § 1, de la directive 2000/78/CE du Conseil du 27 novembre 2000, que les restrictions à la liberté religieuse doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir, répondre à une exigence professionnelle essentielle et déterminante et proportionnées au but recherché. Aux termes de l'article L. 1321-3, 2°, du code du travail, le règlement intérieur ne peut contenir des dispositions apportant aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives des restrictions qui ne seraient pas justifiées par la nature de la tâche à accomplir ni proportionnées au but recherché.



L'employeur, investi de la mission de faire respecter au sein de la communauté de travail l'ensemble des libertés et droits fondamentaux de chaque salarié, peut prévoir dans le règlement intérieur de l'entreprise ou dans une note de service soumise aux mêmes dispositions que le règlement intérieur, en application de l'article L. 1321-5 du code du travail, une clause de neutralité interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, dès lors que cette clause générale et indifférenciée n'est appliquée qu'aux salariés se trouvant en contact avec les clients. En présence du refus d'un salarié de se conformer à une telle clause dans l'exercice de ses activités professionnelles auprès des clients de l'entreprise, il appartient à l'employeur de rechercher si, tout en tenant compte des contraintes inhérentes à l'entreprise et sans que celle-ci ait à subir une charge supplémentaire, il lui est possible de proposer au salarié un poste de travail n'impliquant pas de contact visuel avec ces clients, plutôt que de procéder à son licenciement.



L'employeur explique que le salarié a été licencié pour faute grave en raison de son mensonge sur sa précédente mission et de l'impossibilité de le réaffecter sur une mission eu égard à sa volonté de ne pas revenir à une apparence plus neutre. Plus particulièrement, dans la lettre de licenciement l'employeur reproche au salarié de porter une 'barbe, taillée d'une manière volontairement très signifiante aux doubles plans religieux et politique qui ne pouvait être comprise que comme une provocation par [le] client et comme susceptible de compromettre la sécurité de son équipe et de vos collègues sur place'. Même s'il est invoqué des contraintes de sécurité, le grief repose sur les convictions politiques et religieuses exprimées au travers du port de la barbe, port qui ne serait pas suffisamment neutre au regard des exigences que l'employeur prête à la mission qu'il envisageait de confier au salarié.



Si les demandes d'un client portant sur le port d'une barbe pouvant être connotée de façon religieuse ne sauraient, par elles-mêmes, être considérées comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de la directive n° 2000/78/CE, les exigences de sécurité du personnel et des clients de l'entreprise peuvent justifier des restrictions aux droits des personnes et aux libertés individuelles et collectives, et, par suite permettent à l'employeur d'imposer une apparence neutre lorsque celle-ci est rendue nécessaire afin de prévenir un danger objectif. Toutefois, l'employeur ne produit aucun règlement intérieur ni aucune note de service précisant la nature des restrictions qu'il entend imposer en raison des impératifs de sécurité qu'il invoque. Par ailleurs, s'il considère la façon dont le salarié portait sa barbe comme une provocation politique et religieuse, l'employeur ne précise ni la justification objective de cette appréciation, ni quelle façon de tailler la barbe aurait été admissible au regard des impératifs de sécurité avancés.



Le code de conduite de la société Total ou la charte des valeurs de la société Areva produits par la société Risk § Co, ne sauraient ni suppléer à l'absence de règlement intérieur ou de note de service relative aux atteintes aux libertés des salariés opérées par l'employeur et qui seraient justifiées par des impératifs de sécurité. Les photographies de soldats yéménites glabres ou moustachus, ou les conseils donnés par le ministère des affaires étrangères aux voyageurs et précisant en cinq pages les conditions d'un voyage au Yémen (risque d'enlèvement, piraterie maritime, risques spécifiques, transports sans escorte déconseillés, entrée, séjour, santé, us et coutumes, législation locale), ne permettent pas d'établir de risques spécifiques liés au port de la barbe dans le cadre de l'exécution de la mission au Yémen ni de justifier les exigences spécifiques de l'employeur en la matière.



L'employeur ne justifie pas davantage du contenu des exigences de ses clients. En effet, la lettre de licenciement fait mention de ce que le 2 juillet 2013, le client de l'entreprise aurait confirmé le refus de la candidature de M. X... en précisant que son apparence en était l'une des raisons majeures. L'employeur produit effectivement un mail rédigé en anglais et daté du 2 juillet 2013 adressé à M. D..., et dont les éléments d'identification de l'auteur ont été caviardés. Selon la traduction en français produite par l'employeur de ce mail rédigé en anglais, le rejet de la candidature de M. X... est ainsi motivée :

'1/ le profil inapproprié du candidat ne correspondait pas aux attentes du client, celui-ci étant à la recherche d'un profil décent.

2/ après des recherches auprès de la direction de nos partenaires, plus particulièrement YLNG, il a été découvert des états de services nettement insuffisants, ainsi que des avis controversés sur votre client'.

Les termes anglais 'decent profile' utilisés dans le mail peuvent également être traduits par profil convenable ou honnête. Toutefois, ces qualificatifs sont particulièrement imprécis et rien, dans cette expression, comme dans le reste du mail, ne permet de retenir que le rejet de la candidature est fondé sur le port de la barbe, ni les contraintes de sécurité qui seraient affectées en raison de celle-ci.



Dans un échange de mail du 15 juillet 2013 entre M. C... et M. D..., tous deux salariés de la société Risk § co, il est indiqué que le salarié avait menti sur sa prestation au Yémen et que les photos données pour joindre à sa candidature pour le nouveau poste avaient été perçues comme une vraie provocation par le client. Mais là encore, l'employeur ne précise pas la nature exacte de ce que le client a ressenti comme une provocation et n'établit pas que les ressentis du client reposeraient sur des éléments objectifs de sécurité de nature à constituer une justification à une atteinte proportionnée aux libertés du salarié.



Il en découle que le licenciement repose, au moins pour partie, sur des motifs pris de ce que l'employeur considère comme l'expression par M. X... de ses convictions politiques ou religieuses au travers du port de sa barbe. Le caractère discriminatoire de ce motif frappe la lettre de licenciement de nullité, conformément à l'article L. 1132-4 du code du travail, sans qu'il y ait lieu d'examiner les autres motifs invoqués pour justifier cette mesure. Le licenciement est donc nul et la réintégration du salarié doit être ordonnée dans les conditions prévues au dispositif. Le jugement du conseil de prud'hommes sera infirmé en conséquence.



Il n'apparaît pas en l'état nécessaire d'assortir d'une astreinte la réintégration du salarié.



Sur les conséquences de la nullité du licenciement :



Le salarié soutient que du fait de la nullité de son licenciement il doit non seulement être réintégré, mais également être indemnisé des conséquences dommageables de son licenciement. Soutenant être dans l'impossibilité de chiffrer le montant exact du préjudice il sollicite l'allocation d'une provision d'un montant de 146 400 euros correspondant à quarante-huit mois de salaire net mensuel de base. Il réclame également la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral et le paiement du salaire correspondant à la mise à pied conservatoire.



Contestant l'existence de toute discrimination, l'employeur a conclu au débouté des demandes du salarié.

Du fait de la nullité du licenciement, le salarié est en droit d'obtenir la réparation du préjudice qui en résulte et à percevoir à ce titre les salaires qui auraient dû lui être versés depuis son licenciement jusqu'à sa réintégration. L'employeur ne demandant pas la déduction de sommes qui auraient été perçues par le salarié à titre de revenu de remplacement ou de salaire, il sera fait droit à la demande de provision sur la base du salaire net de base de 3050 euros. L'employeur doit donc être condamné à une provision de 146 400 euros nets à valoir sur le préjudice subi par le salarié.



Le salarié ne démontre pas l'existence d'un préjudice moral distinct du préjudice financier déjà réparé ci-dessus. Cette demande sera donc rejetée.



En raison de la nullité du licenciement, la mise à pied conservatoire est injustifiée et le salarié est en droit de réclamer le règlement du salaire correspondant. L'employeur doit donc être condamné au paiement de la somme de 1 967,74 euros. En revanche, le contrat de travail prévoyant que la rémunération nette du salarié comprend toutes les indemnités dues, liées au contrat de travail, y compris les congés payés, il n'y a pas lieu d'ajouter à cette somme une indemnité de congés payés.



Sur la retenue sur salaire :



Le salarié affirme qu'à la suite d'une consultation de son passeport constitutive d'une atteinte à sa vie privée, l'employeur a considéré qu'il s'était absenté du 22 mai au 1er juin 2013 et lui avait infligé une avertissement assorti d'une sanction pécuniaire. M. X... conteste cette sanction et dénonce l'usage détourné dont a fait l'objet le passeport par l'analyse de l'ensemble des visas et tampons figurant sur celui-ci. Il affirme qu'il était en période d'intermission, toujours joignable et à disposition de l'entreprise quel que soit le lieu où il se trouvait et nullement assigné à résidence ou d'astreinte. Il réclame le paiement de cette retenue opérée sur son salaire.



L'employeur indique avoir découvert, en photocopiant le passeport du salarié que celui-ci était parti à l'étranger en omettant de poser des jours de congés et de l'en informer. Considérant qu'il n'était pas à sa disposition durant cette période, il a procédé à une retenue de salaire correspondante.



Le salarié a remis son passeport à l'employeur pour que celui-ci procède à la copie des pages relatives à son identité et contenant sa photographie. A cette occasion, l'employeur a pris connaissance des pages portant mention des visas et constaté que le salarié s'était rendu à l'étranger, sans avoir demandé de congés. Le passeport a été remis de façon volontaire par le salarié et l'employeur a la possibilité de vérifier l'intégralité de ce document officiel afin de s'assurer que le salarié est en règle. Une telle vérification concerne également les visas déjà détenus, certains états pouvant s'en prévaloir pour refuser l'accès à leur territoire. L'employeur n'a donc pas obtenu de façon déloyale et en portant atteinte à la vie privée de M. X... l'information relative à son voyage à l'étranger du 22 mai au 1er juin 2013.



Le salarié qui, sans l'accord de la société Risk § Co, s'est rendu en Arabie Séoudite durant cette période n'était pas à la disposition de son employeur et en mesure de répondre à ses éventuelles demandes. La retenue sur salaire opérée ne constitue pas une sanction pécuniaire appliquée en sus de l'avertissement qui lui a été infligé pour ces faits, mais la conséquence de ce qu'il ne pouvait être payé du salaire correspondant à une prestation de travail qu'il ne se mettait pas en mesure d'exécuter.



Cette demande doit être rejetée.



Sur les dommages-intérêts relatifs à la remise de l'attestation Pôle emploi :



Le salarié affirme que l'attestation Pôle emploi était erronée, puisqu'elle faisait mention du salaire net et non du salaire brut, et lui a été remise avec retard. Il réclame réparation du préjudice qui lui a été ainsi causé.



L'employeur affirme que l'attestation Pôle emploi était parfaitement rédigée et qu'elle portait mention du salaire qui, en raison du contrat de travail international, était égal au salaire net. Il conclut au débouté.



Dans la mesure où la cour a retenu la nullité du licenciement et ordonné la réintégration du salarié, la délivrance d'une attestation Pôle emploi est devenue sans objet, de sorte qu'aucun préjudice ne peut être invoqué du fait de son caractère inexact ou de sa remise tardive. Cette demande sera donc rejetée.



Sur les frais irrépétibles :



Il paraît inéquitable de laisser à la charge de l'appelant l'intégralité des sommes avancées par lui et non comprises dans les dépens. Il lui sera alloué la somme de 3 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS



La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire,



Confirme le jugement du conseil de prud'hommes de Nanterre rendu le 28 janvier 2016 mais seulement en ce qu'il a débouté M. X... de ses demandes au titre du caractère inexact et tardif de l'attestation Pôle emploi,



Infirme ce jugement pour le surplus,



Statuant de nouveau et y ajoutant,



Prononce la nullité du licenciement de M. X...,



Ordonne la réintégration de M. X... dans le délai de trente jours suivant la notification du présent arrêt,



Condamne la société Risk § Co à payer à M. X... :

- la somme de 146 400 euros nets à titre de provision à valoir sur son préjudice,

- la somme de 1 967,74 euros nets au titre du salaire correspondant à la mise à pied conservatoire,



Déboute M. X... de ses autres demandes,



Condamne la société Risk §Co à payer à M. X... la somme de 3 000 euros en vertu de l'article 700 du code de procédure civile et à régler les dépens de première instance et d'appel.





Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la cour, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.



Signé par Monsieur Philippe FLORES, Président et par Madame AUBERT, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.





Le GREFFIER,Le PRESIDENT,

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