8 décembre 2009
Cour de cassation
Pourvoi n° 08-21.017

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2009:CO01176

Titres et sommaires

IMPOTS ET TAXES - Redressement et vérifications (règles communes) - Visites domiciliaires (article L. 16 B du livre des procédures fiscales) - Compatibilité avec les articles 8 et 6, § 1, de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales

Les dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales (issues de la loi du 4 août 2008) ne contreviennent pas à celles des articles 8 et 6 § 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales


IMPOTS ET TAXES - Redressement et vérifications (règles communes) - Visites domiciliaires (article L. 16 B du livre des procédures fiscales) - Autorisation judiciaire - Conditions - Présomption de fraude - Appréciation souveraine

Par application de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, il appartient au juge qui autorise une visite domiciliaire d'analyser les éléments fournis par l'administration qu'il retient. Justifie légalement sa décision le premier président qui relève les faits résultant de ces éléments à partir desquels il apprécie souverainement l'existence d'une présomption de fraude, sans être tenu de s'expliquer sur les éléments qu'il écarte, ni de justifier autrement de la proportionnalité de la mesure qu'il confirme

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 décembre 2009




Rejet


Mme FAVRE, président



Arrêt n° 1176 FS-P+B+R+I

Pourvoi n° K 08-21.017










R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

1°/ M. [G] [S], domicilié 360 chemin de Récrédoz, 01220 Divonne-les-Bains,

2°/ la société Matex, société par actions simplifiée, dont le siège est 360 chemin de Récrédoz, 01220 Divonne-les-Bains,

contre l'ordonnance rendue le 10 novembre 2008 par le premier président de la cour d'appel de Lyon, dans le litige les opposant :

1°/ à la Direction nationale d'enquêtes fiscales, représentée par le directeur des services fiscaux, dont le siège est 6 bis rue Courtois, 93695 Pantin cedex,

2°/ à la Direction générale des finances publiques, représentée par le directeur des services fiscaux, dont le siège est 139 rue de Bercy, 75012 Paris,

3°/ à la Direction générale des finances publiques, représentée par le directeur général des finances pubiques, dont le siège est 139 rue de Bercy, 75012 Paris,

défenderesses à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 10 novembre 2009, où étaient présents : Mme Favre, président, Mme Bregeon, conseiller rapporteur, Mme Tric, conseiller doyen, Mme Betch, MM. Petit, Jenny, Mme Laporte, M. Le Dauphin, Mme Mandel, conseillers, Mme Beaudonnet, M. Sémériva, Mmes Farthouat-Danon, Michel-Amsellem, M. Salomon, Mme Maitrepierre, conseillers référendaires, M. Mollard, avocat général référendaire, Mme Molle-de Hédouville, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Bregeon, conseiller, les observations de la SCP Gadiou et Chevallier, avocat de M. [S] et de la société Matex, de Me Foussard, avocat de la Direction nationale d'enquêtes fiscales et la Direction générale des finances publiques, les conclusions de M. Mollard, avocat général référendaire, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le premier et le second moyens, réunis :

Attendu, selon l'ordonnance attaquée rendue par le premier président d'une cour d'appel (Lyon,10 novembre 2008), que, le 24 septembre 2008, le juge des libertés et de la détention du tribunal de grande instance de Bourg-en-Bresse a autorisé des agents de l'administration des impôts à effectuer une visite et une saisie de documents dans les locaux et dépendances susceptibles d'être occupés par la société Matex ou son président, M. [S], ou l'épouse de ce dernier, sis 360 chemin de Récrédoz à Divonne-les-Bains, en vue de rechercher la preuve de la fraude fiscale de la société Matex au titre de l'impôt sur les sociétés et la taxe sur la valeur ajoutée ;

Attendu que M. [S] et la société Matex font grief à l'ordonnance d'avoir confirmé la décision du premier juge, alors, selon le moyen :

1°/ que le premier président, qui s'est borné à énumérer les pièces produites par l'administration fiscale, relatives à l'existence de commissions en faveur de sociétés situées à l'étranger, aux recherches effectuées à cet égard et aux liens de ces sociétés avec le dirigeant social de la société Matex, et à affirmer l'existence d'une présomption de majoration de charges et de minoration du résultat imposable par le truchement de la facturation de ces commissions, sans procéder à aucune analyse concrète et précise des documents en cause, et sans procéder à aucune constatation de nature à faire présumer que lesdites commissions auraient pu être fictives, et par conséquence caractériser un agissement frauduleux, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ;

2°/ que le premier président qui n'a pas légalement justifié du caractère proportionné, au regard des éléments en sa possession, de la demande de visites domiciliaires et de saisies, et de l'atteinte portée aux droits de M. [S] et de la société Matex, a violé les dispositions de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

3°/ qu'en énonçant au soutien de sa décision que le seul visa des pièces à décharge aurait suffi à démontrer l'analyse de ces pièces, et à satisfaire à l'obligation de motivation du premier juge, sans procéder à aucune vérification précise et concrète des éléments produits à décharge en vue de contrôler l'existence de présomptions sérieuses de fraude fiscale, le premier président a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales ;

4°/ qu'en ne garantissant pas au contribuable un recours effectif à un tribunal, dans le respect du droit à un procès équitable, et en ne vérifiant pas de manière effective, précise et concrète le caractère proportionné de la procédure de visites et saisies domiciliaires au regard des éléments à décharge en possession de l'administration, le premier président a violé les articles 6 § 1 et 8 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Mais attendu, en premier lieu, que les dispositions de l'article L. 16 B du livre des procédures fiscales, qui organisent le droit de visite des agents de l'administration des impôts et le recours devant le premier président de la cour d'appel, assurent la conciliation du principe de la liberté individuelle ainsi que du droit d'obtenir un contrôle juridictionnel effectif de la décision prescrivant la visite avec les nécessités de la lutte contre la fraude fiscale, de sorte que l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée et du domicile est proportionnée au but légitime poursuivi ; qu'ainsi elles ne contreviennent pas à celles des articles 8 et 6 § 1 de la Convention européenne des droits de l'homme ;

Et attendu, en second lieu, que l'ordonnance se réfère, par motifs propres et adoptés, en les analysant, aux éléments fournis par l'administration qu'elle retient ; que le premier président, qui a relevé les faits en résultant à partir desquels il a souverainement apprécié l'existence d'une présomption de fraude, sans être tenu de s'expliquer sur les éléments qu'il écartait et sans avoir à justifier autrement de la proportionnalité de la mesure qu'il confirmait, a légalement justifié sa décision ;

D'où il suit que le moyen n'est fondé en aucune de ses branches ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne M. [S] et la société Matex aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette leur demande ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du huit décembre deux mille neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Gadiou et Chevallier, avocat aux Conseils, pour M. [S] et la société Matex.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à la décision attaquée d'AVOIR confirmé l'ordonnance du 24 septembre 2008 autorisant la Direction Nationale d'Enquêtes Fiscales à procéder aux visites et saisies de documents dans les locaux des exposants ;

AUX MOTIFS QUE la Société MATEX a pour activité le courtage, achats, ventes Import-Export de tout matériel électronique de produits manufacturés ; qu'elle a fait l'objet d'une procédure de vérification de comptabilité au titre de la période du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2006 ; que le juge des libertés et de la détention a examiné les pièces soumises à son appréciation (de la pièce 1 à 14-7) ; qu'il résulte de la pièce 2 que la Société MATEX a versé des commissions à des sociétés situées à l'étranger, sans contrat préalable, notamment à une société hongroise (Société RRP KFT) pour un taux de commissions s'élevant à 308 398,25 euros pour l'année 2000 et à 202 633 euros pour l'année 2006 soit un taux de commission de 35 % depuis 2004, alors qu'il était initialement de 12 % en 2000, et alors que le rôle de la société hongroise dans les transactions d'achat revente n'était pas clairement défini ; qu'il en va de même pour la Société britannique SHERLAN BROTHERS LTD dont le taux de commissions apparaissent élevées ; que le juge a relevé que les autres pièces démontraient aussi un niveau élevé des taux de commissions, des erreurs commises sur le calcul des commissions conduisant à des versements indus au profit de ces deux sociétés étrangères, validés par Monsieur [G] [S], Président de la SAS MATEX ; que la procédure du droit d'enquête engagée le 26 avril 2007 à l'encontre de la SAS MATEX qui a amené à procéder à l'examen par sondage de factures fournisseurs et clients (32 documents dont une liste a été établie) et à l'audition de Monsieur [S] qui a reconnu des erreurs dans la facturation (pièce n° 13-3) et dont la teneur des explications a été analysée, a été prise en considération par le juge pour motiver son ordonnance ; qu'il a également pris en considération les pièces concernant la demande d'assistance administrative auprès des autorités fiscales hongroises et celles concernant les recherches effectuées sur les bases de données internationales pour estimer qu'il existe un doute quant à la réalité des prestations réalisées par les Sociétés RRP KFT et SHERLAN BROTHERS LTD ; qu'il s'est enfin fondé sur les pièces 2, 3-1 à 7-3, 10, 13-3, 14-2, 14-3, pages 1, 3, 7, 8 et les pièces 14-2 et 14-4 pour en déduire que Monsieur [S] [G] était susceptible de détenir au domicile qu'il occupe conjointement avec son épouse des documents et supports d'informations relatives à la fraude présumée ; qu'il n'appartient pas au juge de la liberté et de la détention d'instruire l'affaire à charge et à décharge, mais seulement de vérifier de manière concrète, par appréciation des éléments d'information que l'Administration lui a fournis, que la demande d'autorisation est fondée sur des présomptions suffisantes de fraude fiscale ; qu'il appartient aux demandeurs de démontrer en quoi les pièces invoquées ou les éléments à décharge qui n'auraient pas été fournis auraient été de nature à remettre en cause l'appréciation du juge, ce qu'ils ne font pas et fondent leur demande sur un motif hypothétique ; que la pièce 2 critiquée est accompagnée des copies des courriers adressés en réponse au vérificateur ; que le juge a visé expressément ces réponses dans son ordonnance, ce qui démontre qu'il les a analysées ; que contrairement à ce qu'affirment les appelants, le premier a justifié l'autorisation de visite domiciliaire par 7 pages de motivation, démontrant qu'il a procédé à l'analyse précise des pièces soumises à son appréciation et fondant sa décision ; que la motivation du juge a permis de suivre, pièce pertinente par pièce pertinente, les raisons pour lesquelles il a ordonné la visite domiciliaire ; qu'il a ainsi satisfait à son obligation de motivation par l'analyse des éléments d'information fournis par l'Administration ; qu'il résulte de ce qui vient d'être décrit que le Juge des Libertés et de la Détention a motivé sa décision mettant en oeuvre le droit de visite et de saisies par le fait qu'il existe des présomptions que la Société MATEX procéderait à des majorations de charges et en conséquence à une minoration de son résultat imposable par le biais du règlement de factures de commissions litigieuses émises par des sociétés liées à son Président Monsieur [S], et ainsi à la passation d'écritures comptables irrégulières ; qu'ainsi cette société est présumée s'être soustraite et/ou se soustraire à l'établissement et au paiement de l'impôt sur les sociétés et de la taxe sur la valeur ajoutée, en se livrant à des achats ou à des ventes sans facture, en utilisant et en délivrant des factures ou des documents ne se rapportant pas à des opérations réelles, en omettant sciemment de passer ou de faire passer des écritures, ou en passant ou en faisant passer sciemment des écritures inexactes ou fictives dans des documents comptables dont la tenue est imposée par le Code Général des Impôts ; que le juge a suffisamment fait ressortir qu'il existe des liens de connexité étroits entre les différentes entreprises et Monsieur [S] ; que la visite domiciliaire a été ordonnée en raison notamment des fonctions de dirigeant exercées par Monsieur [S] dans la SAS MATEX, de sorte que les locaux que la SAS MATEX et Monsieur [S] occupent conjointement avec son épouse sont susceptibles de contenir des documents relatifs à la fraude présumée ; que la protection des garanties fondamentales résultant des articles 6 § 1 et 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme a été respectée ;


ALORS QUE le Premier Président, qui s'est borné à énumérer les pièces produites par l'Administration fiscale, relatives à l'existence de commissions en faveur de sociétés situées à l'étranger, aux recherches effectuées à cet égard et aux liens de ces sociétés avec le dirigeant social de la Société MATEX, et à affirmer l'existence d'une présomption de majoration de charges et de minoration du résultat imposable par le truchement de la facturation de ces commissions, sans procéder à aucune analyse concrète et précise des documents en cause, et sans procéder à aucune constatation de nature à faire présumer que lesdites commissions auraient pu être fictives, et par conséquence caractériser un agissement frauduleux, a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 16 B du Livre des Procédures Fiscales ;

ET ALORS QUE pour les mêmes raisons, le Premier Président qui n'a pas légalement justifié du caractère proportionné, au regard des éléments en sa possession, de la demande de visites domiciliaires et de saisies, et de l'atteinte portée aux droits des exposants, a violé les dispositions de l'article 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR confirmé l'ordonnance du 24 septembre 2008 autorisant la Direction Nationale d'Enquêtes Fiscales à procéder aux visites et saisies de documents dans les locaux des exposants ;

AUX MOTIFS QU'il n'appartient pas au juge de la liberté et de la détention d'instruire l'affaire à charge et à décharge, mais seulement de vérifier de manière concrète, par appréciation des éléments d'information que l'Administration lui a fournis, que la demande d'autorisation est fondée sur des présomptions suffisantes de fraude fiscale ; qu'il appartient aux demandeurs de démontrer en quoi les pièces invoquées ou les éléments à décharge qui n'auraient pas été fournis auraient été de nature à remettre en cause l'appréciation du juge, ce qu'ils ne font pas et fondent leur demande sur un motif hypothétique ; que la pièce 2 critiquée est accompagnée des copies des courriers adressés en réponse au vérificateur ; que le juge a visé expressément ces réponses dans son ordonnance, ce qui démontre qu'il les a analysées ; que contrairement à ce qu'affirment les appelants, le premier a justifié l'autorisation de visite domiciliaire par 7 pages de motivation, démontrant qu'il a procédé à l'analyse précise des pièces soumises à son appréciation et fondant sa décision ; que la motivation du juge a permis de suivre, pièce pertinente par pièce pertinente, les raisons pour lesquelles il a ordonné la visite domiciliaire ; qu'il a ainsi satisfait à son obligation de motivation par l'analyse des éléments d'information fournis par l'Administration ; qu'il résulte de ce qui vient d'être décrit que le Juge des Libertés et de la Détention a motivé sa décision mettant en oeuvre le droit de visite et de saisies par le fait qu'il existe des présomptions que la Société MATEX procéderait à des majorations de charges et en conséquence à une minoration de son résultat imposable par le biais du règlement de factures de commissions litigieuses émises par des sociétés liées à son Président Monsieur [S], et ainsi à la passation d'écritures comptables irrégulières ;

ET QUE la motivation du juge a permis de suivre, pièce pertinente par pièce pertinente, les raisons pour lesquelles le juge a ordonné la visite domiciliaire ; que la protection des garanties fondamentales résultant des articles 6 § 1 et 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme a été respectée ;

ALORS QU'en énonçant au soutien de sa décision que le seul visa des pièces à décharge aurait suffi à démontrer l'analyse de ces pièces, et à satisfaire à l'obligation de motivation du premier juge, sans procéder à aucune vérification précise et concrète des éléments produits à décharge en vue de contrôler l'existence de présomptions sérieuses de fraude fiscale, le Premier Président a privé sa décision de toute base légale au regard de l'article L. 16 B du Livre des Procédures Fiscales ;

ET ALORS AINSI QU'en ne garantissant pas au contribuable un recours effectif à un Tribunal, dans le respect du droit à un procès équitable, et en ne vérifiant pas de manière effective, précise et concrète le caractère proportionné de la procédure de visites et saisies domiciliaires au regard des éléments à décharge en possession de l'Administration, le Premier Président a violé les articles 6 § 1 et 8 de la Convention Européenne des Droits de l'Homme.

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