1 février 2012
Cour de cassation
Pourvoi n° 11-11.972

Troisième chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2012:C300149

Titres et sommaires

SOCIETE D'AMENAGEMENT FONCIER ET D'ETABLISSEMENT RURAL (SAFER) - Préemption - Exercice - Objet - Exclusion - Acquisition par un cohéritier sur licitation amiable - Adjudication par l'effet d'une clause de substitution - Absence d'influence

Peut se prévaloir de la priorité prévue à l'article L. 143-4 3° du code rural et de la pêche maritime et faire obstacle au droit de préemption de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural le cohéritier qui acquiert le bien de son auteur par l'effet d'une clause de substitution stipulée dans le cahier des charges d'une licitation amiable

Texte de la décision

CIV.3

CF



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 1er février 2012




Cassation


M. TERRIER, président



Arrêt n° 149 FS-P+B

Pourvoi n° R 11-11.972




R E P U B L I Q U E F R A N C A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par :

1°/ Mme [L] [S] épouse [H],

2°/ M. [E] [H],

tous deux domiciliés 63 route de Damas, 88270 Hennecourt,

contre l'arrêt rendu le 2 décembre 2010 par la cour d'appel de Nancy (1re chambre civile), dans le litige les opposant à la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de Lorraine, dont le siège est 9 rue de Vologne, BP 91009, 54521 Laxou cedex,

défenderesse à la cassation ;

Les demandeurs invoquent, à l'appui de leur pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 4 janvier 2012, où étaient présents : M. Terrier, président, M. Crevel, conseiller référendaire rapporteur, Mme Bellamy, conseiller doyen, Mmes Fossaert, Feydeau, MM. Fournier, Echappé, Parneix, conseillers, Mmes Manes-Roussel, Monge, Proust, Pic, conseillers référendaires, M. Laurent-Atthalin, avocat général, Mme Berdeaux, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Crevel, conseiller référendaire, les observations de la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat de M. et Mme [H], de la SCP Rocheteau et Uzan-Sarano, avocat de la SAFER de Lorraine, l'avis de M. Laurent-Atthalin, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Nancy, 2 décembre 2010), que Mme [S] a acquis par l'effet d'une clause ouvrant un droit de substitution aux coïndivisaires stipulée dans le cahier des charges d'une licitation amiable, un fonds rural ayant appartenu à ses parents ; que la société d'aménagement foncier et d'établissement rural de Lorraine (la SAFER) a déclaré exercer son droit de préemption ; que Mme [S] a agi en annulation de cette décision ;

Sur le moyen unique :

Vu l'article L. 143-4 3° du code rural et de la pêche maritime ;

Attendu qu'il résulte de ce texte que ne peuvent faire l'objet d'une préemption par les sociétés d'aménagement foncier et d'établissement rural les acquisitions effectuées par des cohéritiers sur licitation amiable ;

Attendu que, pour refuser à Mme [S] le bénéfice de ces dispositions, l'arrêt retient que la clause de substitution, de nature conventionnelle, ne peut primer le droit de préemption de la SAFER, d'ordre public, comme rappelé au dernier alinéa de ladite clause ;

Qu'en statuant ainsi, alors que l'exception apportée, au profit des cohéritiers, par la loi au droit de préemption de la SAFER est d'ordre public, la cour d'appel, qui a constaté que Mme [S], cohéritière des propriétaires du bien litigieux, l'avait acquis sur licitation amiable, a violé le texte susvisé ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, dans toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 2 décembre 2010, entre les parties, par la cour d'appel de Nancy ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Metz ;

Condamne la SAFER de Lorraine aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, condamne la SAFER de Lorraine à payer à M. et Mme [H] la somme de 2 500 euros ; rejette la demande de la SAFER de Lorraine ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, troisième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du premier février deux mille douze.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt

Moyen produit par la SCP Masse-Dessen et Thouvenin, avocat aux Conseils pour M. et Mme [H].

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir débouté une cohéritière (Mme [S] épouse [H], exposante), adjudicataire par substitution au dernier enchérisseur de parcelles agricoles, et son époux (M. [H], également exposant) de leur demande tendant à voir reconnaître qu'une SAFER (celle de Lorraine) n'avait pu exercer son droit de préemption sur lesdites parcelles ;

AUX MOTIFS QUE, ne l'ayant pas fait dans le délai de six mois suivant le moment où avait été rendu public l'exercice du droit de préemption, Mme [H], par application de l'article L. 143-13 du code rural, était irrecevable à critiquer à présent les motifs de préemption invoqués par la SAFER ; que, la clause de substitution, de nature conventionnelle, ne pouvant primer le droit de préemption de la SAFER, d'ordre public, ce que le notaire avait rappelé à juste titre dans le dernier alinéa de cette clause, c'était par des motifs pertinents que les premiers juges avaient refusé de faire bénéficier Mme [H] des dispositions de l'article L. 143-4 du code rural (arrêt attaqué, p. 4, 1er et 2 ème al.) ; que, dans le cahier des charges de la vente aux enchères publiques des immeubles dépendant de la succession [S] avait été inséré, à la demande expresse de Mme [S] épouse [H], un article 21 intitulé « DROIT DE SUBSTITUTION DES COINDIVISAIRES » qui stipulait que les coïndivisaires « pourront se substituer au dernier enchérisseur (...). Ce droit de substitution ne pourra faire obstacle à l'exercice des droits de préemption de la Commune de DOMEVRE-SURAVIERE et de la SAFER de LORRAINE » ; que, Mme [H] ayant décidé d'user du droit instauré par l'article 21 du cahier des charges, la SAFER de Lorraine avait ensuite exercé son droit de préemption sur les terrains ainsi acquis ; qu'invoquant les dispositions de l'article L. 143-4 du code rural qui prévoyait que ne pouvaient faire l'objet d'une préemption les acquisitions effectuées par des cohéritiers sur licitation amiable ou judiciaire, Mme [H] demandait que le droit de préemption
de la SAFER fût écarté ; que cependant l'article 21 précité ne permettait aux coindivisaires que de se substituer à l'adjudicataire aux mêmes conditions que celles fixées par l'adjudication ; que Mme [H], qui ne s'était pas directement portée adjudicataire en sa qualité de cohéritière mais avait pris la place de l'adjudicataire une fois l'adjudication réalisée, ne pouvait se prévaloir de l'article L. 143-4 du code rural destiné à protéger les seuls héritiers pris en cette qualité ; que, à titre surabondant, l'article 21 du cahier des charges précisait d'ailleurs, en son alinéa 2, que le droit de substitution des cohéritiers ne pourrait faire obstacle à l'exercice du droit de préemption de la SAFER ; qu'il n'y avait pas lieu de s'interroger sur la validité de cet alinéa, l'efficacité du droit de préemption de la SAFER résultant du mécanisme même du droit de substitution des cohéritiers et non de la mise en œuvre de cette stipulation contractuelle (jugement entrepris, p. 5) ;

ALORS QUE l'action en contestation d'une décision de préemption prise par une SAFER peut, lorsqu'elle met en cause le respect des objectifs légaux, être engagée jusqu'à l'expiration du délai de six mois à compter du jour où la décision de rétrocession, faisant suite à la décision de préemption, a été rendue publique ; qu'en énonçant que la cohéritière des parcelles objet de la préemption exercée par la SAFER était irrecevable à en critiquer les motifs dès l'expiration du délai de six mois suivant le jour où la décision de préemption avait été rendue publique, la cour d'appel a violé les articles L. 143-13 et L. 143-14 du code rural ;

ALORS QUE, en toute hypothèse, la décision de préemption prise par une SAFER peut être contestée en justice pendant un délai de six mois à compter du jour où cette décision a été rendue publique ; qu'en l'espèce, dès janvier 2007, l'exposante avait engagé en qualité de cohéritière et d'adjudicataire une action en contestation de la décision de préemption des parcelles litigieuses prise par la SAFER le 1er décembre 2006 ; qu'en la déclarant cependant irrecevable à critiquer les motifs de ladite décision, prétexte pris de l'expiration du délai de six mois suivant le moment où avait été rendu public l'exercice du droit de préemption, la cour d'appel a violé l'article L. 143-13 du code rural ;

ALORS QUE, en outre, les acquisitions effectuées par des cohéritiers sur licitation amiable ou judiciaire ne peuvent faire l'objet d'une préemption par une SAFER ; qu'en l'espèce, la cohéritière avait régulièrement effectué l'acquisition des biens litigieux vendus sur licitation judiciaire, par substitution à l'adjudicataire initial ; qu'en retenant cependant l'efficacité de la préemption de la SAFER exercée sur lesdits biens, à défaut pour la cohéritière de s'en être directement portée adjudicataire, la cour d'appel a ajouté aux dispositions légales une condition qu'elles ne comportent pas, en violation de l'article L. 143-4 du code rural.

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