8 mars 2017
Cour de cassation
Pourvoi n° 15-26.916

Chambre sociale - Formation de section

ECLI:FR:CCASS:2017:SO00450

Texte de la décision

SOC.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 8 mars 2017




Cassation


M. FROUIN, président



Arrêt n° 450 FS-D

Pourvoi n° S 15-26.916







R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par M. [S] [F], domicilié [Adresse 1],

contre l'arrêt rendu le 22 septembre 2015 par la cour d'appel de Riom (4e chambre civile (sociale)), dans le litige l'opposant à la société SNCF technicentre Auvergne-Nivernais, dont le siège est [Adresse 2],

défenderesse à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;


LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 31 janvier 2017, où étaient présents : M. Frouin, président, Mme Duvallet, conseiller référendaire rapporteur, Mme Lambremon, Mme Geerssen, MM. Chauvet, Maron, Déglise, Mme Farthouat-Danon, M. Betoulle, Mmes Slove, Basset, conseillers, Mmes Sabotier, Salomon, Depelley, M. Le Corre, Mmes Prache, Chamley-Coulet, conseillers référendaires, M. Petitprez, avocat général, Mme Becker, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Duvallet, conseiller référendaire, les observations de la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat de M. [F], de la SCP Monod, Colin et Stoclet, avocat de la société SNCF technicentre Auvergne-Nivernais, l'avis de M. Petitprez, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique :

Vu les articles R. 1455-5, R. 1455-6, L. 1132-2 et L. 2511-1 du code du travail ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué statuant en référé, qu'engagé par la SNCF à compter du 3 septembre 1983 en qualité d'agent professionnel logistique, M. [F] a participé à une grève les 16 et 19 juin 2014 ; que le 3 septembre 2014, il a fait l'objet d'une mise à pied disciplinaire de deux jours pour entrave au droit au travail du personnel non-gréviste ; qu'estimant cette sanction injustifiée, il a saisi la juridiction prud'homale en référé ;

Attendu que pour renvoyer le salarié à mieux se pourvoir, l'arrêt retient que celui-ci ne conteste pas sa présence parmi les grévistes ayant participé aux actions des 16 et 19 juin 2014 mais qu'il dément toute entrave à la liberté de travail des salariés non-grévistes, que l'employeur fait valoir que la présence au sein du Centre opérationnel Escale d'une trentaine de grévistes entravait la réalisation par les deux ou trois salariés de ce centre de leur mission de sécurité laquelle ne pouvait plus s'effectuer dans des conditions satisfaisantes, les agents étant placés dans un état d'anxiété et de stress élevé impropre à la réalisation des opérations de sécurité et que s'agissant de l'autre journée de grève, le salarié avait empêché par sa présence l'accès au bâtiment aux salariés non-grévistes, qu'au vu de ces éléments, il est nécessaire de porter une appréciation sur les conditions de l'exercice par le salarié de son droit de grève, qu'un tel examen excède les pouvoirs de la juridiction de référé et qu'en l'état de la procédure de référé, il n'apparaît pas que la sanction prononcée constitue un trouble manifestement illicite ;


Attendu, cependant, qu'il appartient au juge des référés, même en présence d'une contestation sérieuse, de mettre fin au trouble manifestement illicite que constitue toute sanction prononcée à l'encontre d'un salarié gréviste auquel une faute lourde ne peut être reprochée ;

Qu'en statuant comme elle l'a fait, alors qu'il lui appartenait de rechercher si le salarié avait commis une faute lourde, la cour d'appel a violé les textes susvisés ;

PAR CES MOTIFS :

CASSE ET ANNULE, en toutes ses dispositions, l'arrêt rendu le 22 septembre 2015, entre les parties, par la cour d'appel de Riom ; remet, en conséquence, la cause et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d'appel de Lyon ;

Condamne la SNCF Technicentre Auvergne-Nivernais aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande de la SNCF Technicentre Auvergne-Nivernais et condamne celle-ci à payer à M. [F] la somme de 1 000 euros ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'arrêt cassé ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du huit mars deux mille dix-sept.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Lyon-Caen et Thiriez, avocat aux Conseils, pour M. [F].

Il est fait grief à l'arrêt attaqué d'avoir infirmé l'ordonnance de référé et d'avoir, en conséquence, dit n'y avoir lieu à référé et renvoyé Monsieur [F] à se pourvoir devant la juridiction compétente au fond ;

Aux motifs que selon l'article R 1455-6 du Code du travail, la formation de référé peut toujours, même en présence d'une contestation sérieuse, prescrire les mesures conservatoires ou de remise en état qui s'imposent pour prévenir un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite ; que le trouble manifestement illicite s'entend de toute perturbation résultant d'un fait qui, directement ou indirectement, constitue une violation évidente de la règle de droit ; que Monsieur [F] estime que la mise à pied prononcée à son encontre constitue un trouble manifestement illicite au motif que la sanction est fondée sur l'exercice normal du droit de grève ; que cependant, s'il est certain que l'atteinte à l'exercice normal du droit de grève constitue un trouble manifestement illicite et que la formation de référé est compétente pour faire cesser un tel trouble, encore faut-il que le trouble invoqué soit manifestement illicite ; qu'en effet, si aucun salarié ne peut être sanctionné en raison de l'exercice normal du droit de grève, l'employeur est en droit de prononcer une sanction si l'exercice du droit de grève dégénère en abus ; qu'en l'espèce, la lettre de notification de la sanction est ainsi motivée : « Le 16 juin 2014, vous avez été identifié parmi les agents ayant envahi le Centre Opérationnel Escale de Clermont-Ferrand, entravant le droit au travail du personnel non-gréviste. Le 19 juin 2014, vous avez été identifié parmi les agents ayant envahi le bâtiment de la Direction Régionale située [Adresse 3], entravant le droit au travail du personnel gréviste » ; qu'il résulte des pièces produites que, le 16 juin 2014, une trentaine de manifestants a envahi le Centre Opérationnel Escale (COE) ; que selon le Responsable du Centre, « certains étaient assis par terre, d'autres sur les fauteuils des opérateurs. Ils encerclaient les locaux. Il n'y a pas eu de provocation de leur part. L'ambiance était silencieuse et aucun d'eux n'a empêché l'accès au COE. Néanmoins, l'envahissement du COE par une trentaine de personnes n'est pas une situation permettant de travailler sereinement et de réaliser avec assurance des opérations de sécurité telles : Etablissement de bulletins de freinage, prise en attachement sur un carnet de dépêche, mise en oeuvre de consignes sécurité… » ; que l'employeur produit un procès-verbal établi par huissier de justice par lequel ce dernier a constaté l'occupation du COE par des salariés nommément désignés parmi lesquels Monsieur [F] ; que selon un second procès-verbal, l'huissier de justice a également constaté, le 19 juin 2014, qu'à 5 heures le portail donnant accès au bâtiment de la Direction Régionale de la SNCF, [Adresse 3], est condamné par du fil de fer et que l'électricité a été coupée ; qu'il a également été constaté qu'à 6h15, un camion s'est garé devant le portail et que l'un des occupants a installé une chaîne et un cadenas sur le portail afin d'en bloquer l'accès ; qu'à 7h40, ce même camion, équipé de drapeaux de la CGT, a stationné devant le bâtiment ; que Monsieur [F] ne conteste pas qu'il était présent parmi les grévistes ayant participé aux actions des 16 et 19 juin 2014 mais qu'il conteste toute entrave à la liberté du travail ; qu'il produit des attestations de salariés ayant également participé à ces mouvements affirmant qu'ils n'ont empêché personne de travailler ; qu'or, l'employeur fait valoir que la présence au sein du COE d'une trentaine de grévistes entravait la réalisation par les deux ou trois salariés du Centre de leur mission de sécurité, laquelle ne pouvait plus s'effectuer dans des conditions satisfaisantes ; que le Directeur de l'époque affirme que, par cette présence, les agents ont été placés dans un état d'anxiété et de stress élevé impropre à la réalisation des opérations de sécurité ; que quant aux faits du 19 juin 2014, l'employeur reproche à Monsieur [F] d'avoir participé activement au piquet de grève qui a empêché par sa présence l'accès du bâtiment aux salariés non-grévistes et a entravé par conséquent la liberté de travail de ces derniers ; que compte tenu de ces éléments, il est nécessaire de porter une appréciation sur les conditions de l'exercice par Monsieur [F] de son droit de grève ; qu'or, un tel examen excède les pouvoirs de la juridiction de référé ; qu'en l'état de la procédure de référé, il n'apparaît pas que la sanction prononcée constitue un trouble manifestement illicite ; qu'il s'ensuit que la juridiction devait se déclarer incompétente ; que la décision sera donc réformée en ce qu'elle a condamné l'employeur au paiement de jours de mise à pied ainsi qu'à une provision sur dommages-intérêts pour sanction illicite et le salarié sera renvoyé à se pourvoir au fond, ainsi qu'il avisera ;

ALORS, D'UNE PART, QUE seule l'entrave clairement caractérisée du salarié gréviste à la liberté du travail des salariés non-grévistes est de nature à justifier une sanction disciplinaire et à exclure, par conséquence, l'existence d'un trouble manifestement illicite ; qu'en se fondant sur l'attestation du Responsable du Centre Opérationnel Escale à propos de la journée de grève du 16 juin 2014 pour juger « qu'il n'apparaît pas que la sanction prononcée constitue un trouble manifestement illicite », quand elle avait constaté que selon ce responsable, « il n'y a pas eu de provocation de leur part. L'ambiance était silencieuse et aucun d'eux n'a empêché l'accès au COE », ce dont il résultait que les salariés grévistes, dont Monsieur [F], n'avaient nullement entravé la liberté du travail des salariés non-grévistes le 16 juin 2014, la Cour d'appel n'a pas tiré les conséquences qui s'évinçaient de ses propres constatations, violant en conséquences les articles R 1455-6 du Code du travail, 7 du Préambule de la Constitution de 1958, L 1132-2 et L 2511-1 du Code du travail ;

ALORS, D'AUTRE PART, QUE les juges du fond ne peuvent accueillir ou rejeter les demandes dont ils sont saisis sans examiner tous les éléments de preuve qui leur sont fournis par les parties au soutien de leurs prétentions ; qu'en se fondant, d'une part, sur l'attestation du Responsable du COE ainsi que sur deux procès-verbaux de constats d'huissier produits aux débats par l'employeur, et, d'autre part, sur « les attestations de salariés ayant également participé à ces mouvements [de grève] affirmant qu'ils n'ont empêché personne de travailler » pour affirmer qu'« il est nécessaire de porter une appréciation sur les conditions de l'exercice par Monsieur [F] de son droit de grève » lors de la journée de grève du 16 juin 2014 et en déduire « qu'il n'apparait pas que la sanction prononcée constitue un trouble manifestement illicite » sans cependant examiner l'attestation, produite par l'exposant, de Monsieur [T], salarié non-gréviste travaillant au sein du COE le 16 juin 2004 et qui confirmait l'absence de toute entrave, par Monsieur [F], à la liberté de travail des salariés non-grévistes, de sorte que sa mise à pied disciplinaire constituait nécessairement un trouble manifestement illicite justifiant la compétence du juge des référés, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS, DE TROISIEME PART, QUE toute sanction disciplinaire notifiée à un salarié gréviste sans que soit établie une quelconque entrave à la liberté de travail des salariés non-grévistes cause nécessairement à ce dernier un trouble manifestement illicite qu'il appartient au juge des référés de faire cesser ; qu'en se fondant sur le procès-verbal de constat d'huissier du 16 juin 2014 pour affirmer « qu'il n'apparait pas que la sanction prononcée constitue un trouble manifestement illicite », quand ce procès-verbal n'avait fait état d'aucune entrave à la liberté du travail des salariés non-grévistes lors de la journée de grève du 16 juin 2014, la Cour d'appel a privé sa décision de toute base légale au regard des articles R 1455-6 du Code du travail, 7 du Préambule de la Constitution de 1958, L 1132-2 et L 2511-1 du Code du travail ;

ALORS, DE QUATRIEME PART, QU'après avoir rappelé que « Monsieur [S] [F] est un salarié élu au sein de la société », Monsieur [F] avait fait valoir, dans ses conclusions d'appel, que « selon une jurisprudence constante (…), la grève n'est pas de nature à interrompre l'exercice des mandats des représentants du personnel et laisse à ceux-ci la liberté de circuler dans l'établissement pour l'exécution de leurs missions.
Ainsi, ce salarié, de par son mandat, a le droit de circulation dans tous les bâtiments. Ceci ne peut lui être reproché » (p. 12) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire des conclusions qui lui étaient soumises, lequel excluait pourtant toute entrave par le salarié à la liberté du travail des salariés non-grévistes lors de la journée de grève du 16 juin 2014 et caractérisait ainsi l'existence d'un trouble manifestement illicite justifiant la compétence du juge des référés, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile ;

ALORS, DE CINQUIEME PART, QUE seule la participation personnelle et active d'un salarié gréviste à des actes d'entrave à la liberté du travail des salariés non-grévistes est de nature à justifier une sanction disciplinaire et à exclure, par voie de conséquence, la compétence du juge des référés pour ordonner son annulation ; qu'en affirmant que « l'huissier de justice a également constaté, le 19 juin 2014, qu'à 5 heures, le portail donnant accès au bâtiment de la Direction Régionale de la SNCF, [Adresse 3], est condamné par du fil de fer et que l'électricité a été coupée. Il a également été constaté qu'à 6h15, un camion s'est garé devant le portail et que l'un des occupants a installé une chaîne et un cadenas sur le portail afin d'en bloquer l'accès. A 7h40, ce même camion, équipé de drapeaux de la CGT, a stationné devant le bâtiment » pour juger « qu'il est nécessaire de porter une appréciation sur les conditions de l'exercice par Monsieur [F] de son droit de grève » lors de la journée de grève du 19 juin 2014 et en déduire ainsi « qu'il n'apparait pas que la sanction prononcée constitue un trouble manifestement illicite », quand le procès-verbal de constat d'huissier n'avait jamais mentionné Monsieur [F] lors de la journée du piquet de grève du 19 juin 2014, la Cour d'appel a statué par motifs inopérants, privant en conséquence sa décision de base légale au regard des articles R 1455-6 du Code du travail, 7 du Préambule de la Constitution de 1958, L 1132-2 et L 2511-1 du Code du travail ;

ALORS, ENFIN et subsidiairement, QU'après avoir relevé que « le motif de la sanction est également fondé sur la journée de grève du 19 juin 2014, [qu']il est reproché à Monsieur [S] [F] d'avoir été « identifié parmi les agents ayant envahi le bâtiment de la direction régionale située [Adresse 3], entravant le droit au travail du personnel non-gréviste [et qu']une nouvelle fois, cette sanction trouve son fondement sur le procès-verbal de constat d'huissier du 19 juin 2014 qui est versée aux débats », l'exposant avait insisté, dans ses conclusions d'appel, sur « l'absence de constat d'entrave par l'huissier de justice » dès lors qu'« à aucun moment il n'est fait état d'un fait fautif de la part de Monsieur [S] [F] » (p. 11) ; qu'en s'abstenant de répondre à ce chef péremptoire des conclusions qui lui étaient soumises, dont il résultait pourtant que l'entrave reprochée à l'exposant n'était pas caractérisée, de sorte que le juge des référés était compétent pour mettre fin au trouble manifestement illicite résultant de sa sanction disciplinaire, la Cour d'appel a violé l'article 455 du Code de procédure civile.

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