31 janvier 2019
Cour de cassation
Pourvoi n° 17-31.535

Deuxième chambre civile - Formation restreinte hors RNSM/NA

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2019:C200145

Titres et sommaires

MESURES D'INSTRUCTION - Sauvegarde de la preuve avant tout procès - Mesure admissible - Définition - Détermination - Portée

Lorsqu'une mesure d'instruction, ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, est circonscrite aux faits litigieux dont pourrait dépendre la solution du litige et, par conséquent, légalement admissible, le consentement préalable du requis à la remise des documents n'a pas être recherché

MESURES D'INSTRUCTION - Sauvegarde de la preuve avant tout procès - Mesure admissible - Destinataire - Consentement préalable du requis - Nécessité (non)

Texte de la décision

CIV. 2

CH.B

COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 31 janvier 2019

Rejet

Mme FLISE, président

Arrêt n° 145 F-P+B

Pourvoi n° D 17-31.535



R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, DEUXIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société RV A..., société par actions simplifiée unipersonnelle, dont le siège est [...], contre l'arrêt rendu le 5 octobre 2017 par la cour d'appel de Versailles (14e chambre), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Roulin séchoirs, société par actions simplifiée, dont le siège est [...],

2°/ à M. Guy X..., domicilié [...], pris en qualité de commissaire à l'exécution du plan de la société Roulin séchoirs,

3°/ à la société PJA, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...], prise en qualité de mandataire judiciaire de la société Roulin séchoirs, défendeurs à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, en l'audience publique du 19 décembre 2018, où étaient présentes : Mme Flise, président, Mme Y..., conseiller référendaire rapporteur, Mme Brouard-Gallet, conseiller doyen, Mme Mainardi, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Y..., conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de la société RV A..., de la SCP Gaschignard, avocat de la société Roulin séchoirs et de M. X..., ès qualités, l'avis de Mme Z..., avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Donne acte à la société RV A... du désistement de son pourvoi en ce qu'il est dirigé contre la société PJA en qualité de mandataire judiciaire de la société Roulin séchoirs ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 5 octobre 2017), que se plaignant de manoeuvres déloyales de débauchage de salariés et d'un détournement de son savoir-faire par la société RV A..., la société Roulin séchoirs a saisi le président du tribunal de commerce à fin de voir désigner un huissier de justice pour effectuer diverses mesures sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile ; que cette requête ayant été accueillie, la société RV A... a assigné la société Roulin séchoirs devant le juge des référés pour obtenir la rétractation de l'ordonnance ;

Sur le moyen unique, pris en sa seconde branche :

Attendu que la société RV A... fait grief à l'arrêt de rejeter la demande en rétractation, alors, selon le moyen, que la mesure ordonnée in futurum ne peut être de caractère coercitif ; que la société RV A... faisait valoir que l'ordonnance entreprise n'obligeait pas l'huissier de justice à solliciter préalablement la remise spontanée des documents et à obtenir le consentement du requis et, ce faisant, avait institué une mesure de quasi-perquisition en permettant d'imposer la collecte de documents sans obtenir le consentement du requis ; qu'en se bornant, pour écarter ce moyen, à retenir que la mesure d'instruction critiquée était circonscrite aux faits litigieux et avait autorisé de surcroît l'huissier de justice à prendre copie de documents identifiés "ou à s'en faire remettre copie", sans constater qu'elle avait imposé à ce dernier d'obtenir le consentement du requis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile ;

Mais attendu qu'ayant relevé que les mesures d'instruction, quelle qu'ait pu être leur étendue, étaient circonscrites aux faits litigieux, décrits dans la requête, dont pourrait dépendre la solution du litige, ce dont il résultait qu'elles ne s'analysaient pas en une mesure générale d'investigation et étaient légalement admissibles au sens de l'article 145 du code de procédure civile, la cour d'appel, qui n'avait pas à rechercher si le requis avait préalablement consenti à la remise des documents, a légalement justifié sa décision ;

Et attendu qu'il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur le moyen annexé, pris en sa première branche, qui n'est manifestement pas de nature à entraîner la cassation ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société RV A... aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer à la société Roulin séchoirs et à M. X..., en qualité de commissaire à l'exécution du plan de cette dernière, la somme globale de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, deuxième chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du trente et un janvier deux mille dix-neuf.

MOYEN ANNEXE au présent arrêt.

Moyen produit par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour la société RVA... .

Le moyen reproche à l'arrêt attaqué d'avoir rejeté la demande formée par l'auteur prétendu d'actes de concurrence déloyale (la société RV A... , l'exposante) aux fins de rétractation d'une ordonnance sur requête du 19 février 2016 ;

AUX MOTIFS QUE la société RV A... faisait valoir que tant la motivation de l'ordonnance que celle de la requête pour justifier du recours à une mesure non contradictoire ne satisfaisaient pas aux exigences de la Cour de cassation ; qu'elle s'abstenait toutefois de préciser en quoi les motivations étaient insuffisantes pour satisfaire au critère exigé, faisant néanmoins grief à l'ordonnance d'avoir refusé la rétractation à raison d'un risque de dissimulation d'informations ; que les circonstances justifiant qu'il fut dérogé au principe de la contradiction devaient être caractérisées dans la requête ou l'ordonnance ; que l'ordonnance visait la requête et les pièces et énonçait au titre des circonstances justifiant une dérogation au principe de la contradiction : « en particulier le fait que la mesure d'instruction a(vait) plus de chance d'être efficace si elle (était) réalisée sans que la société RV A... et la société Mothu en (fussent) averties préalablement, s'agissant de documents et correspondances, quel que (fût) le support, facilement transportable, et à l'effet de préserver au maximum leur intégrité et compte tenu de la proximité géographique des deux sociétés » ; que la requête faisait état de soupçons de la société Roulin Séchoirs du détournement de son savoir-faire industriel, technique et commercial par son ancien salarié, M. A..., qui avait implanté sa société à une vingtaine de kilomètres de son ancien employeur, de la possibilité de retrouver au siège des sociétés RV A... et Mothu des documents et fichiers lui appartenant et exploités au nom de la société RV A... ainsi que des éléments de preuve sur le débauchage de ses salariés, insistant sur la nécessité de procéder de manière non contradictoire, « au risque sinon que les défendeurs utilis(assent) le temps d'une procédure habituelle de référé pour dissimuler l'ensemble des informations précédemment identifiées » permettant de démontrer les agissements déloyaux de la société RV A... et de son dirigeant ; qu'il était notamment démontré, à travers la consultation du site internet de la société RV A... et le constat d'huissier dressé le 11 décembre 2015 par Maître B... , que ladite société procédait à une présentation trompeuse de son activité en s'appropriant l'expérience de la société Mothu, spécialisée en serrurerie et métallerie et implantée à la même adresse, qu'elle présentait des photographies de produits appartenant à la société Roulin Séchoirs et utilisait un code couleur vert mis au point par cette dernière, la couleur étant identifiée « vert roulin », qu'elle seule utilisait dans son secteur d'activité, que dans la présentation de son équipe figuraient plusieurs de ses anciens salariés ou des salariés de l'un de ses sous-traitants habituels, la société Mekanord ; que ces circonstances particulières, étayées par les pièces produites au soutien de la requête, justifiaient la dérogation au principe de la contradiction, s'agissant d'actes visant à détourner les ressources matérielles et humaines de la société Roulin Séchoirs, que seules des mesures d'investigation réalisées sans que la partie adverse n'en fut avertie étaient susceptibles de révéler, y compris dans leur ampleur, eu égard à la nature même des documents ayant vocation à être appréhendés (email, dossiers et fichiers informatiques
) qui rendaient leur dissimulation et/ou leur destruction très aisée et rapide à mettre en oeuvre ; que les mesures d'instruction réclamées, quelle qu'eût pu être leur étendue, étant circonscrites aux faits litigieux décrits dans la requête dont pourrait dépendre la solution du litige, l'ordonnance ayant autorisé de surcroît l'huissier de justice à prendre copie des documents identifiés « ou à s'en faire remettre copie » ; que la mission confiée à l'huissier de justice était en effet limitée à la recherche d'informations concernant le débauchage de salariés de la société requérante, la commande de peinture correspondant au code couleur mis au point par la société Roulin Séchoirs et l'utilisation de documents et fichiers appartenant à la société requérante en vue de leur exploitation commerciale ; que la mesure d'instruction ne s'analysait donc pas en une mesure générale d'investigation excédant les prévisions de l'article 145 du code de procédure civile ;

ALORS QUE, d'une part, le juge de la rétractation est tenu de caractériser les circonstances particulières susceptibles de justifier une dérogation au principe de la contradiction ; qu'en se bornant à relever la nécessité de procéder de manière non contradictoire pour éviter la disparition de documents et l'annonce d'une action future en concurrence déloyale ainsi que les simples soupçons de détournement de son savoir-faire allégués sans aucune justification par la prétendue victime, la cour d'appel, qui n'a pas caractérisé les circonstances particulières justifiant une dérogation au principe de la contradiction, a violé les articles 496 et 497 du code de procédure civile ;

ALORS QUE, d'autre part, la mesure ordonnée in futurum ne peut être de caractère coercitif ; que l'exposante faisait valoir (v. ses concl. déposées le 16 mai 2017, pp. 8 et 9) que l'ordonnance entreprise n'obligeait pas l'huissier à solliciter préalablement la remise spontanée des documents et à obtenir le consentement du requis et, ce faisant, avait institué une mesure de quasi-perquisition en permettant d'imposer la collecte de documents sans obtenir le consentement du requis ; qu'en se bornant, pour écarter ce moyen, à retenir que la mesure d'instruction critiquée était circonscrite aux faits litigieux et avait autorisé de surcroît l'huissier de justice à prendre copie de documents identifiés « ou à s'en faire remettre copie », sans constater qu'elle avait imposé à ce dernier d'obtenir le consentement du requis, la cour d'appel a privé sa décision de base légale au regard de l'article 145 du code de procédure civile.

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