13 juin 2019
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-10.688

Chambre commerciale financière et économique - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2019:CO00559

Titres et sommaires

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Prévention des difficultés - Procédure de conciliation ou de mandat ad hoc - Débat d'intérêt général - Exception - Faute - Publication d'informations soumises à la confidentialité par l'article L. 611-15 du code de commerce

En imposant un devoir de confidentialité à toutes les personnes appelées à une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc ou qui, par leurs fonctions, en ont connaissance, l'article L. 611-15 du code de commerce a posé le principe de la confidentialité des informations relatives à ces procédures, qui se justifie par la nécessité de protéger, notamment, les droits et libertés des entreprises qui y recourent. L'effectivité de ce principe ne serait pas assurée si ce texte ne conduisait pas à ériger en faute la divulgation, par des organes de presse, hormis dans l'hypothèse d'un débat d'intérêt général, des informations ainsi protégées. Si des restrictions ne peuvent être apportées à la liberté d'expression qu'à condition d'être prévues par des dispositions légales précises, accessibles et prévisibles, ne peut utilement invoquer l'imprévisibilité de la restriction concernant la diffusion par un journaliste ou un organe de presse des informations relatives à une procédure de conciliation la société qui ne pouvait ignorer qu'elle publiait des informations protégées car relatives à une telle procédure et que, ce faisant, elle risquait de causer un grave préjudice aux sociétés concernées et d'engager ainsi sa responsabilité civile. La réparation fondée sur les dispositions de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, devant être à la mesure du préjudice subi, ne peut être disproportionnée. Ne sont pas justifiées par un débat sur des questions d'intérêt général et ne contribuent pas à la nécessité d'en informer le public les informations relatives à une procédure de conciliation, précises et chiffrées, portant sur le contenu même des négociations en cours et leur avancée, lesquelles intéressent, non le public en général, mais les cocontractants et partenaires des sociétés en recherche de protection

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Prévention des difficultés - Procédure de conciliation - Informations relatives à une procédure de conciliation - Diffusion par un journaliste ou un organe de presse - Liberté d'expression - Restriction - Imprévisibilité (non)

RESPONSABILITE DELICTUELLE OU QUASI DELICTUELLE - Dommage - Réparation - Indemnité - Montant - Fixation - Eléments à prendre en considération - Proportionnalité de la sanction aux enjeux (non)

ENTREPRISE EN DIFFICULTE (LOI DU 26 JUILLET 2005) - Prévention des difficultés - Procédure de conciliation - Devoir de confidentialité - Contenu des négociations et de leur avancée - Informations précises et chiffrées - Absence d'information du public sur une question d'intérêt général

Texte de la décision

COMM.

CH.B



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 13 juin 2019




Rejet


Mme MOUILLARD, président



Arrêt n° 559 FS-P+B

Pourvoi n° Q 18-10.688






R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par la société Mergermarket Limited, dont le siège est [...], en son établissement [...],

contre l'arrêt rendu le 14 septembre 2017 par la cour d'appel de Versailles (13e chambre ), dans le litige l'opposant :

1°/ à la société Consolis, société par actions simplifiée, dont le siège est [...],

2°/ à la société Vbi Verenigde Bouwprodukten Industrie BV, société de droit néerlandais, dont le siège est [...],

3°/ à la société Consolis holding, société par actions simplifiée,

4°/ à la société Bonna Sabla, société anonyme,

5°/ à la société Bonna Sabla, société en nom collectif,

6°/ à la société Sateba système Vagneux, société anonyme,

ayant toutes quatre leur siège [...], [...],

7°/ à la société Consolis Oy AB, société de droit finlandais, dont le siège est [...],

8°/ à la société Parma Oy AB, société de droit finlandais, dont le siège est [...],

9°/ à la société Spenncon AS, société de droit norvégien, dont le siège est [...],

10°/ à la société Consolis Netherlands BV, société de droit néerlandais, dont le siège est [...],

11°/ à la société FHB, société d'exercice libéral à responsabilité limitée, dont le siège est [...], prise en la personne de Mme E... F...,

défenderesses à la cassation ;

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, les trois moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 14 mai 2019, où étaient présents : Mme Mouillard, président, Mme Vallansan, conseiller rapporteur, M. Rémery, conseiller doyen, M. Remeniéras, Mmes Graff-Daudret, Vaissette, Bélaval, Fontaine, conseillers, Mme Schmidt, M. Guerlot, Mmes Barbot, Brahic-Lambrey, M. Blanc, Mme Kass-Danno, conseillers référendaires, Mme Henry, avocat général, M. Graveline, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Vallansan, conseiller, les observations de la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat de la société Mergermarket Limited, de la SCP Boré, Salve de Bruneton et Mégret, avocat des sociétés Consolis, Consolis holding, Consolis Netherlands BV, Consolis Oy AB, Parma Oy AB, Sateba système Vagneux, Spenncon AS, Vbi Verenigde Bouwprodukten Industrie BV, Bonna Sabla SA et Bonna Sabla SNC, de la SCP Boulloche, avocat de la société FHB, l'avis de Mme Henry, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Attendu, selon l'arrêt attaqué (Versailles, 14 septembre 2017), que par ordonnances des 11 juillet et 26 septembre 2012, la société FHB a été désignée mandataire ad hoc puis conciliateur des sociétés du groupe Consolis sur le fondement des articles L. 611-3 et L. 611-5 du code de commerce ; que par plusieurs articles publiés en ligne sur son site Debtwire, spécialisé dans le suivi de l'endettement des entreprises et consultable par abonnement, la société Mergermarket Limited (la société Mergermarket) a rendu compte de l'évolution des procédures en cours et exposé les négociations engagées avec les créanciers des sociétés du groupe, citant des données chiffrées sur la situation financière des sociétés ; que les 23 et 24 octobre 2012, plusieurs sociétés du groupe ainsi que le conciliateur ont assigné la société Mergermarket devant le juge des référés pour obtenir le retrait de l'ensemble des articles contenant des informations confidentielles les concernant, ainsi que l'interdiction de publier d'autres articles ; que le juge des référés ayant fait droit à leur demande, elles ont ensuite assigné la société Mergermarket en indemnisation des préjudices subis du fait de la publication des articles litigieux ;

Sur le premier moyen :

Attendu que la société Mergermarket fait grief à l'arrêt de retenir sa responsabilité et de la condamner à payer aux sociétés du groupe des dommages-intérêts alors, selon le moyen, que la déclaration de non conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 611-15 du code de commerce telles qu'interprétées par la Cour de cassation, en tant qu'elles permettent d'engager la responsabilité civile extracontractuelle d'un organe de presse pour avoir diffusé une information relevant de l'obligation de confidentialité qui n'est pourtant prévue par ce texte qu'à l'égard des seules personnes qui participent au mandat ad hoc ou à la procédure de conciliation, privera la décision attaquée de son fondement légal ;

Mais attendu que la Cour de cassation ayant, par un arrêt n° 949 FS-D du 4 octobre 2018, dit n'y avoir lieu de renvoyer au Conseil constitutionnel la question prioritaire de constitutionnalité relative à l'article L. 611-15 du code de commerce, le moyen est sans portée ;

Sur le deuxième moyen :

Attendu que la société Mergermarket fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°/ que des restrictions ne peuvent être apportées à la liberté d'expression que si elles sont prévues par la loi ; que n'est pas prévue par l'article L. 611-15 du code de commerce, lequel impose une obligation de confidentialité aux personnes appelées à une procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par leurs fonctions, en ont connaissance, ni par aucune autre disposition légale, l'interdiction faite à un tiers à ce mandat ou à cette procédure, notamment un journaliste ou un organe de presse, de révéler au public une information relevant de cette obligation de confidentialité sous peine d'engager sa responsabilité civile et d'être appelé à indemniser les conséquences dommageables de la rupture de cette obligation de confidentialité ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a méconnu l'article L. 611-15 précité et l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que des restrictions ne peuvent être apportées à la liberté d'expression que si elles sont prévues par des dispositions légales précises, accessibles et prévisibles ; que les dispositions de l'article L. 611-15 du code de commerce, même éclairées par les travaux parlementaires ayant précédé leur adoption, ne permettaient aucunement de prévoir, à la date des publications litigieuses, que les informations relatives à une procédure de conciliation seraient par nature confidentielles et que leur diffusion par un journaliste ou par un organe de presse pourrait constituer une faute civile susceptible d'engager la responsabilité civile de ces derniers ; qu'en faisant application de cette disposition, la cour d'appel a méconnu l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'en s'abstenant de répondre au moyen pris de ce que la restriction à la liberté d'expression que constitue l'engagement de la responsabilité civile de l'organe de presse en cas de diffusion d'une information relevant de l'obligation de confidentialité prévue par l'article L. 611-15 du code de commerce n'était pas applicable au litige en raison de son imprévisibilité à la date des publications litigieuses, la cour d'appel a méconnu l'article 455 du code de procédure civile ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'en imposant un devoir de confidentialité à toutes les personnes appelées à une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc ou qui, par leurs fonctions, en ont connaissance, l'article L. 611-15 du code de commerce a posé le principe de la confidentialité des informations relatives à ces procédures, qui se justifie par la nécessité de protéger, notamment, les droits et libertés des entreprises qui y recourent ; que l'effectivité de ce principe ne serait pas assurée si ce texte ne conduisait pas à ériger en faute la divulgation, par des organes de presse, hormis dans l'hypothèse d'un débat d'intérêt général, des informations ainsi protégées ; que c'est donc à bon droit que la cour d'appel a retenu que la faute reprochée à la société Mergermarket procédait de la méconnaissance du texte précité ;

Et attendu, en second lieu, qu'ayant retenu que la société Mergermarket ne pouvait ignorer qu'elle publiait des informations protégées et que, ce faisant, elle risquait de causer un grave préjudice aux sociétés du groupe Consolis et, ainsi, d'engager sa responsabilité civile, la cour d'appel a justement écarté le grief pris de l'imprévisibilité de la règle légale ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

Et sur le troisième moyen :

Attendu que la société Mergermarket fait le même grief à l'arrêt alors, selon le moyen :

1°/ que si le caractère confidentiel des procédures de prévention des difficultés des entreprises imposé, notamment, par l'article L. 611-15 du code de commerce, fait obstacle à la diffusion par voie de presse d'informations s'y rapportant, c'est à la condition que cette diffusion ne contribue pas à la nécessité d'informer le public sur une question d'intérêt général ; que relèvent d'un débat d'intérêt général les difficultés rencontrées au lendemain de la crise financière de 2008 par les entreprises ayant fait l'objet de LBO (leveraged buy-out, soit achat avec effet de levier) hautement spéculatifs pour restructurer leurs dettes et contribuent à ce débat les informations précises et chiffrées concernant les négociations au cours d'une procédure amiable, dont la presse avait déjà fait écho, d'un important groupe de sociétés dont les difficultés en ce domaine étaient connues ; qu'en déniant aux informations relatives à ces négociations toute contribution à ce débat d'intérêt général, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a méconnu les articles L. 611-15 du code de commerce et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

2°/ que si le caractère confidentiel des procédures de prévention des difficultés des entreprises imposé, notamment, par l'article L. 611-15 du code de commerce, fait obstacle à la diffusion par voie de presse d'informations s'y rapportant, c'est à la condition que cette diffusion ne contribue pas à la nécessité d'informer le public sur une question d'intérêt général ; qu'il n'est pas nécessaire, pour contribuer à un débat sur une question d'intérêt général, que la publication soit dédiée à cette question ou en traite directement et explicitement le sujet, dès lors que les informations diffusées s'y rapportent et sont utiles à sa compréhension ; qu'en exigeant que la publication traite de la question d'intérêt général relative à la résistance des LBO à la crise et aux difficultés que certaines entreprises acquises par ce procédé peuvent rencontrer là où il suffisait que les informations, précises et chiffrées relatives au contenu des négociations en cours contribuent au débat relatif à cette question, la cour d'appel a méconnu les articles L. 611-15 du code de commerce et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'une publication de presse est susceptible de contribuer à un débat sur une question d'intérêt général au regard du contenu et du contexte de cette question et des informations qui s'y rapportent, indépendamment du nombre et de la qualité de ses destinataires et de l'utilité que certains peuvent y trouver pour la protection de leurs intérêts personnels ; qu'en tenant pour exclusive de toute contribution à un débat relatif à une question d'intérêt général la circonstance que les informations avaient été publiées dans une presse spécialisée dont certains lecteurs étaient concernés par les sociétés faisant l'objet de la procédure de conciliation, et non par un large public, la cour d'appel a méconnu les articles L. 611-15 du code de commerce et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

4°/ que la liberté d'information vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent y compris celles qui, en matière financière, peuvent avoir des répercussions négatives sur les intérêts des entreprises ; qu'en tenant pour exclusive de toute contribution à un débat relatif à une question d'intérêt général la circonstance que la diffusion des informations avait compromis le cours normal et l'efficacité de la procédure et avait porté une atteinte à la liberté d'entreprise et au droit de prendre les mesures nécessaires à la pérennité d'une entreprise et de bénéficier de procédures de prévention, la cour d'appel a méconnu les articles L. 611-15 du code de commerce et 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

5°/ qu'une condamnation à verser des dommages-intérêts à raison de la publication d'informations par nature confidentielle ne peut être prononcée que dans la mesure où elle constitue une restriction nécessaire, dans une société démocratique, à la poursuite de l'un des buts légitimes énumérés par l'article 10 § 2 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'appréciation du caractère nécessaire de cette restriction doit tenir compte, non seulement de la nature des intérêts en présence, parmi lesquels le droit du public à l'information sur une question d'intérêt général et l'intérêt d'assurer à certaines informations une confidentialité absolue, mais également le comportement du journaliste, notamment la manière dont il est entré en possession des informations et la forme des publications en litige, ainsi que la proportionnalité de la sanction prononcée ; qu'en se bornant à constater que la publication des informations n'était pas justifiée par un débat sur des questions d'intérêt général, sans tenir compte du comportement de l'organe de presse et du montant des condamnations, qui s'est élevé à la somme totale de 175 854,09 euros pour les seuls dommages-intérêts, la cour d'appel a méconnu l'article 10 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Mais attendu, en premier lieu, qu'aux termes de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer ; que cette réparation, devant être à la mesure du préjudice subi, ne peut être disproportionnée ; qu'ayant retenu qu'en divulguant des informations qu'elle savait couvertes par la confidentialité sans que cette divulgation soit justifiée par la nécessité d'informer le public sur une question d'intérêt général, la société Mergermarket avait commis une faute à l'origine d'un préjudice, c'est dans l'exercice de son pouvoir souverain et sans avoir à effectuer la recherche invoquée par la cinquième branche que la cour d'appel a évalué le montant de la réparation propre à indemniser ce préjudice ;

Et attendu, en second lieu, que l'arrêt retient que si la question de la résistance des opérations d'achat avec effet de levier (LBO) à la crise et les difficultés que des sociétés ainsi financées peuvent connaître relève d'un débat d'intérêt général, dont plusieurs journaux s'étaient déjà fait l'écho, mais en se contentant d'informations générales, n'informant le public que de l'existence de procédures en cours, tel n'est pas le cas des informations dont la publication est reprochée au site Debtwire, qui sont précises et chiffrées et portent sur le contenu même des négociations en cours et leur avancée, ces informations intéressant, non le public en général, mais les cocontractants et partenaires de ces sociétés en recherche de protection ;
que de ces constatations et appréciations, la cour d'appel a pu déduire que les informations divulguées n'étaient pas justifiées par un débat sur des questions d'intérêt général et ne contribuaient pas à la nécessité d'en informer le public ;

D'où il suit que le moyen n'est pas fondé ;

PAR CES MOTIFS :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Mergermarket Limited aux dépens ;

Vu l'article 700 du code de procédure civile, rejette sa demande et la condamne à payer la somme de 3 000 euros à la société FHB et la somme globale de 3 000 euros aux sociétés Consolis, Consolis holding, Consolis Netherlands BV, Consolis Oy AB, Parma Oy AB, Sateba système Vagneux, Spenncon AS, Vbi Verenigde Bouwprodukten Industrie BV, Bonna Sabla SA et Bonna Sabla SNC ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du treize juin deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt.

Moyens produits par la SCP Sevaux et Mathonnet, avocat aux Conseils, pour la société Mergermarket Limited.

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les publications faites par la société Mergermarket sur le site Debtwire le 26 juillet, 9 août, 25 septembre et 17 octobre 2012 sont fautives en ce qu'elles auraient méconnu la confidentialité attachée aux négociations dans le cadre des procédures de mandat ad hoc et de conciliation ouvertes à la demande des sociétés du groupe Consolis, d'avoir condamné la société Mergermarket Limited à verser, à titre de dommages et intérêts, aux sociétés Parma OY ab, Spenncon AS et VBI Verenigde Bouwprodukten Industrie BV la somme globale de 18 242,49 euros au titre de la réduction du crédit fournisseurs, aux sociétés Bonna Sabla SNC, Bonna Sabla SA et Sateba Système Vagneux SA la somme globale de 138 395,19 euros au titre de la réduction de la trésorerie disponible du fait de l'émission de cautions et, au titre coût du report des échéances d'intérêts de septembre et octobre 2012, à la société Consolis Holding la somme de 30 650,70 euros, à la société Consolis SAS la somme de 87 774,04 euros, à la société Consolis Sabla SA la somme de 16 571,74 euros, à la société Consolis OY la somme de 12 183,04 euros, à la société Consolis Netherlands la somme de 26 104 euros et à la société Consolis Spenncon la somme de 2 264,57 euros, et d'avoir condamné sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile la société Mergermarket Limited à verser la somme de globale de 15 000 euros aux sociétés précitées, et celle de 10 000 euros à la SELARL FHB ;

Aux motifs que la liberté d'expression et d'information par voie de presse garantie par l'article 10 de la CEDH peut être restreinte lorsque la mesure, proportionnée au but poursuivi, est nécessaire à la protection des droits d'autrui ; que peut en conséquence être fautive une divulgation d'informations confidentielles, non justifiée par le devoir d'information sur une question d'intérêt général, et portant atteinte aux droits d'autrui ; que l'article L.611-15 du code de commerce instaure à la charge de « toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions en a connaissance », une obligation de confidentialité ; que cette confidentialité a pour finalité la protection de la personne qui fait appel à cette procédure, pour lui permettre de maintenir son crédit auprès de ses différents partenaires, prêteurs, clients ou fournisseurs et de négocier avec les personnes appelées à la procédure, mais également la protection de toutes les parties à la négociation, pour interdire, par exemple, l'utilisation ultérieure des propositions faites de part et d'autre en cas d'échec éventuel de ces négociations, ou l'imputation publique de l'échec à telle ou telle partie à la négociation ou tout autre usage nocif aux droits d'autrui qui pourrait être fait des informations divulguées à cette occasion ; qu'elle a également pour finalité d'assurer le succès de la procédure initiée et de prévenir la défaillance de l'entreprise ; qu'il peut donc être déduit de l'article L. 611-15 précité que les informations échangées au cours d'une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc ont un caractère confidentiel qui peut conférer un caractère fautif à leur divulgation lorsque son auteur, qui n'en est pas destinataire et ne peut les tenir que des participants à la négociation, n'ignore pas que ceux-ci sont tenus à la confidentialité ; que le groupe Consolis et la SELARL FHB reprochent à la société Mergermarket la publication d'articles parus le 18 et le 26 juillet 2012, le 9 août, le 7 septembre puis le 17 octobre 2012, ce dernier malgré la mise en demeure adressée par maître F... le 4 octobre 2012 ; qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'articles sur un sujet d'intérêt général tel que la résistance des LBO à la crise et les difficultés que des sociétés ainsi financées peuvent connaître, ni d'articles faisant seulement état de la mise sous mandat ad hoc de ces sociétés, qui avait déjà été annoncée auparavant par d'autres revues ; que les informations dont la publication est reprochée au site Debtwire sont précises et chiffrées et portent sur le contenu même des négociations en cours et leur avancée, que le site n'a pu obtenir que de sources ayant participé aux opérations dans le cadre du mandat ad hoc et à ce titre tenues à une obligation de confidentialité ; que les articles parus dans les Echos du 26 juillet 2012, s'ils font état des difficultés de Consolis, se contentent d'informations très générales, évoquant la précédente restructuration de 2011 et le ralentissement de l'activité mais également le fait que le groupe « réussit à stabiliser son résultat sur un an » ; que LCD Daily expose en juillet 2012 la demande de mandat ad hoc mais ne donne des informations que sur la précédente négociation de 2011 ; qu'il en est de même de l'article de Capitalstrucure du 17 juillet 2012 qui ne révèle pas le contenu des négociations en cours ; qu'il apparaît au contraire que les articles litigieux du site Debtwire des 6 juillet, 9 août, 7 septembre et 25 septembre 2012 font état non seulement de la situation du groupe Consolis, mais également des données chiffrées précises sur les propositions faites aux créanciers, l'état des discussions en cours et les difficultés concrètes auxquelles la société doit faire face ainsi que sur les efforts consentis par les créanciers et les délais de grâce obtenus, avant même l'aboutissement des pourparlers ; que, même s'ils ne transmettent pas ces informations en utilisant des supports confidentiels, ces articles n'en divulguent pas moins des informations confidentielles, s'appuyant sur des données non publiques, provenant nécessairement des participants aux négociations tenus par cette obligation de confidentialité ; que la publication de ces informations a été faite dans une presse spécialisée suivie par les acteurs économiques susceptibles d'être concernés par la situation des sociétés du groupe Consolis et non à un large public ; que la société Mergermarket ne peut se prévaloir de ce que « les difficultés économiques étaient déjà connues de la presse spécialisée depuis 2010 » ; qu'en effet, bien au-delà de la simple information sur les difficultés du groupe à honorer ses échéances, ces articles révèlent l'état des négociations en cours, qui, pour intéresser les cocontractants non conviés à la négociation, n'en compromettent pas moins le cours normal et l'efficacité de la procédure et portent une atteinte à la liberté d'entreprendre et de prendre les mesures nécessaires à la pérennité de l'entreprise et au droit de bénéficier de procédure de préventions dont la confidentialité imposée par la loi est indispensable à la bonne fin ; qu'elle ne peut non plus se prévaloir de ce que ces informations seraient justifiées par un débat sur des questions d'intérêt général, et garantirait le droit du public à recevoir ces informations, s'agissant des informations précises ci-dessus rappelées, intéressant non pas le public en général mais les cocontractants et partenaires de ces sociétés en recherche de protection ; que sans pouvoir être assimilés à des « personnes appelées à la procédure de conciliation ou au mandat ad hoc » ou à « une personne tenue par ces fonctions à la confidentialité », les tiers et parmi eux les organes de presse qui divulguent en connaissance de cause de telles informations confidentielles par nature commettent une faute susceptible d'engager leur responsabilité ; que tel est le cas en l'espèce, les informations publiées ayant entravé le cours des négociations comme l'a rappelé à plusieurs reprises maître E... F... ;

Alors que la déclaration de non conformité à la Constitution des dispositions de l'article L. 611-15 du code de commerce telles qu'interprétées par la Cour de cassation, en tant qu'elles permettent d'engager la responsabilité civile extracontractuelle d'un organe de presse pour avoir diffusé une information relevant de l'obligation de confidentialité qui n'est pourtant prévue par ce texte qu'à l'égard des seules personnes qui participent au mandat ad hoc ou à la procédure de conciliation, privera la décision attaquée de son fondement légal.

DEUXIEME MOYEN DE CASSATION (SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les publications faites par la société Mergermarket sur le site Debtwire le 26 juillet, 9 août, 25 septembre et 17 octobre 2012 sont fautives en ce qu'elles auraient méconnu la confidentialité attachée aux négociations dans le cadre des procédures de mandat ad hoc et de conciliation ouvertes à la demande des sociétés du groupe Consolis, d'avoir condamné la société Mergermarket Limited à verser, à titre de dommages et intérêts, aux sociétés Parma OY ab, Spenncon AS et VBI Verenigde Bouwprodukten Industrie BV la somme globale de 18 242,49 euros au titre de la réduction du crédit fournisseurs, aux sociétés Bonna Sabla SNC, Bonna Sabla SA et Sateba Système Vagneux SA la somme globale de 138 395,19 euros au titre de la réduction de la trésorerie disponible du fait de l'émission de cautions et, au titre coût du report des échéances d'intérêts de septembre et octobre 2012, à la société Consolis Holding la somme de 30 650,70 euros, à la société Consolis SAS la somme de 87 774,04 euros, à la société Consolis Sabla SA la somme de 16 571,74 euros, à la société Consolis OY la somme de 12 183,04 euros, à la société Consolis Netherlands la somme de 26 104 euros et à la société Consolis Spenncon la somme de 2 264,57 euros, et d'avoir condamné sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile la société Mergermarket Limited à verser la somme de globale de 15 000 euros aux sociétés précitées, et celle de 10 000 euros à la SELARL FHB ;

Aux motifs que la liberté d'expression et d'information par voie de presse garantie par l'article 10 de la CEDH peut être restreinte lorsque la mesure, proportionnée au but poursuivi, est nécessaire à la protection des droits d'autrui ; que peut en conséquence être fautive une divulgation d'informations confidentielles, non justifiée par le devoir d'information sur une question d'intérêt général, et portant atteinte aux droits d'autrui ; que l'article L.611-15 du code de commerce instaure à la charge de « toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions en a connaissance », une obligation de confidentialité ; que cette confidentialité a pour finalité la protection de la personne qui fait appel à cette procédure, pour lui permettre de maintenir son crédit auprès de ses différents partenaires, prêteurs, clients ou fournisseurs et de négocier avec les personnes appelées à la procédure, mais également la protection de toutes les parties à la négociation, pour interdire, par exemple, l'utilisation ultérieure des propositions faites de part et d'autre en cas d'échec éventuel de ces négociations, ou l'imputation publique de l'échec à telle ou telle partie à la négociation ou tout autre usage nocif aux droits d'autrui qui pourrait être fait des informations divulguées à cette occasion ; qu'elle a également pour finalité d'assurer le succès de la procédure initiée et de prévenir la défaillance de l'entreprise ; qu'il peut donc être déduit de l'article L. 611-15 précité que les informations échangées au cours d'une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc ont un caractère confidentiel qui peut conférer un caractère fautif à leur divulgation lorsque son auteur, qui n'en est pas destinataire et ne peut les tenir que des participants à la négociation, n'ignore pas que ceux-ci sont tenus à la confidentialité ; que le groupe Consolis et la SELARL FHB reprochent à la société Mergermarket la publication d'articles parus le 18 et le 26 juillet 2012, le 9 août, le 7 septembre puis le 17 octobre 2012, ce dernier malgré la mise en demeure adressée par maître F... le 4 octobre 2012 ; qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'articles sur un sujet d'intérêt général tel que la résistance des LBO à la crise et les difficultés que des sociétés ainsi financées peuvent connaître, ni d'articles faisant seulement état de la mise sous mandat ad hoc de ces sociétés, qui avait déjà été annoncée auparavant par d'autres revues ; que les informations dont la publication est reprochée au site Debtwire sont précises et chiffrées et portent sur le contenu même des négociations en cours et leur avancée, que le site n'a pu obtenir que de sources ayant participé aux opérations dans le cadre du mandat ad hoc et à ce titre tenues à une obligation de confidentialité ; que les articles parus dans les Echos du 26 juillet 2012, s'ils font état des difficultés de Consolis, se contentent d'informations très générales, évoquant la précédente restructuration de 2011 et le ralentissement de l'activité mais également le fait que le groupe « réussit à stabiliser son résultat sur un an » ; que LCD Daily expose en juillet 2012 la demande de mandat ad hoc mais ne donne des informations que sur la précédente négociation de 2011 ; qu'il en est de même de l'article de Capitalstrucure du 17 juillet 2012 qui ne révèle pas le contenu des négociations en cours ; qu'il apparaît au contraire que les articles litigieux du site Debtwire des 6 juillet, 9 août, 7 septembre et 25 septembre 2012 font état non seulement de la situation du groupe Consolis, mais également des données chiffrées précises sur les propositions faites aux créanciers, l'état des discussions en cours et les difficultés concrètes auxquelles la société doit faire face ainsi que sur les efforts consentis par les créanciers et les délais de grâce obtenus, avant même l'aboutissement des pourparlers ; que, même s'ils ne transmettent pas ces informations en utilisant des supports confidentiels, ces articles n'en divulguent pas moins des informations confidentielles, s'appuyant sur des données non publiques, provenant nécessairement des participants aux négociations tenus par cette obligation de confidentialité ; que la publication de ces informations a été faite dans une presse spécialisée suivie par les acteurs économiques susceptibles d'être concernés par la situation des sociétés du groupe Consolis et non à un large public ; que la société Mergermarket ne peut se prévaloir de ce que « les difficultés économiques étaient déjà connues de la presse spécialisée depuis 2010 » ; qu'en effet, bien au-delà de la simple information sur les difficultés du groupe à honorer ses échéances, ces articles révèlent l'état des négociations en cours, qui, pour intéresser les cocontractants non conviés à la négociation, n'en compromettent pas moins le cours normal et l'efficacité de la procédure et portent une atteinte à la liberté d'entreprendre et de prendre les mesures nécessaires à la pérennité de l'entreprise et au droit de bénéficier de procédure de préventions dont la confidentialité imposée par la loi est indispensable à la bonne fin ; qu'elle ne peut non plus se prévaloir de ce que ces informations seraient justifiées par un débat sur des questions d'intérêt général, et garantirait le droit du public à recevoir ces informations, s'agissant des informations précises ci-dessus rappelées, intéressant non pas le public en général mais les cocontractants et partenaires de ces sociétés en recherche de protection ; que sans pouvoir être assimilés à des « personnes appelées à la procédure de conciliation ou au mandat ad hoc » ou à « une personne tenue par ces fonctions à la confidentialité », les tiers et parmi eux les organes de presse qui divulguent en connaissance de cause de telles informations confidentielles par nature commettent une faute susceptible d'engager leur responsabilité ; que tel est le cas en l'espèce, les informations publiées ayant entravé le cours des négociations comme l'a rappelé à plusieurs reprises maître E... F... ;

Alors que des restrictions ne peuvent être apportées à la liberté d'expression que si elles sont prévues par la loi ; que n'est pas prévue par l'article L. 611-15 du code de commerce, lequel impose une obligation de confidentialité aux personnes appelées à une procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par leurs fonctions, en ont connaissance, ni par aucune autre disposition légale, l'interdiction faite à un tiers à ce mandat ou à cette procédure, notamment un journaliste ou un organe de presse, de révéler au public une information relevant de cette obligation de confidentialité sous peine d'engager sa responsabilité civile et d'être appelé à indemniser les conséquences dommageables de la rupture de cette obligation de confidentialité ; qu'en retenant le contraire, la cour d'appel a méconnu l'article L. 611-15 précité et l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Alors, subsidiairement, que des restrictions ne peuvent être apportées à la liberté d'expression que si elles sont prévues par des dispositions légales précises, accessibles et prévisibles ; que les dispositions de l'article L. 611-15 du code de commerce, même éclairées par les travaux parlementaires ayant précédé leur adoption, ne permettaient aucunement de prévoir, à la date des publications litigieuses, que les informations relatives à une procédure de conciliation seraient par nature confidentielles et que leur diffusion par un journaliste ou par un organe de presse pourrait constituer une faute civile susceptible d'engager la responsabilité civile de ces derniers ; qu'en faisant application de cette disposition, la cour d'appel a méconnu l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Alors, très subsidiairement, qu'en s'abstenant de répondre au moyen pris de ce que la restriction à la liberté d'expression que constitue l'engagement de la responsabilité civile de l'organe de presse en cas de diffusion d'une information relevant de l'obligation de confidentialité prévue par l'article L. 611-15 du code de commerce n'était pas applicable au litige en raison de son imprévisibilité à la date des publications litigieuses (conclusions d'appel de l'exposante, p. 28), la cour d'appel a méconnu l'article 455 du code de procédure civile.

TROISIEME MOYEN DE CASSATION (TRES SUBSIDIAIRE)

Il est fait grief à l'arrêt infirmatif attaqué d'avoir dit que les publications faites par la société Mergermarket sur le site Debtwire le 26 juillet, 9 août, 25 septembre et 17 octobre 2012 sont fautives en ce qu'elles auraient méconnu la confidentialité attachée aux négociations dans le cadre des procédures de mandat ad hoc et de conciliation ouvertes à la demande des sociétés du groupe Consolis, d'avoir condamné la société Mergermarket Limited à verser, à titre de dommages et intérêts, aux sociétés Parma OY ab, Spenncon AS et VBI Verenigde Bouwprodukten Industrie BV la somme globale de 18 242,49 euros au titre de la réduction du crédit fournisseurs, aux sociétés Bonna Sabla SNC, Bonna Sabla SA et Sateba Système Vagneux SA la somme globale de 138 395,19 euros au titre de la réduction de la trésorerie disponible du fait de l'émission de cautions et, au titre coût du report des échéances d'intérêts de septembre et octobre 2012, à la société Consolis Holding la somme de 30 650,70 euros, à la société Consolis SAS la somme de 87 774,04 euros, à la société Consolis Sabla SA la somme de 16 571,74 euros, à la société Consolis OY la somme de 12 183,04 euros, à la société Consolis Netherlands la somme de 26 104 euros et à la société Consolis Spenncon la somme de 2 264,57 euros, et d'avoir condamné sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile la société Mergermarket Limited à verser la somme de globale de 15 000 euros aux sociétés précitées, et celle de 10 000 euros à la SELARL FHB ;

Aux motifs que la liberté d'expression et d'information par voie de presse garantie par l'article 10 de la CEDH peut être restreinte lorsque la mesure, proportionnée au but poursuivi, est nécessaire à la protection des droits d'autrui ; que peut en conséquence être fautive une divulgation d'informations confidentielles, non justifiée par le devoir d'information sur une question d'intérêt général, et portant atteinte aux droits d'autrui ; que l'article L.611-15 du code de commerce instaure à la charge de « toute personne qui est appelée à la procédure de conciliation ou à un mandat ad hoc ou qui, par ses fonctions en a connaissance », une obligation de confidentialité ; que cette confidentialité a pour finalité la protection de la personne qui fait appel à cette procédure, pour lui permettre de maintenir son crédit auprès de ses différents partenaires, prêteurs, clients ou fournisseurs et de négocier avec les personnes appelées à la procédure, mais également la protection de toutes les parties à la négociation, pour interdire, par exemple, l'utilisation ultérieure des propositions faites de part et d'autre en cas d'échec éventuel de ces négociations, ou l'imputation publique de l'échec à telle ou telle partie à la négociation ou tout autre usage nocif aux droits d'autrui qui pourrait être fait des informations divulguées à cette occasion ; qu'elle a également pour finalité d'assurer le succès de la procédure initiée et de prévenir la défaillance de l'entreprise ; qu'il peut donc être déduit de l'article L. 611-15 précité que les informations échangées au cours d'une procédure de conciliation ou de mandat ad hoc ont un caractère confidentiel qui peut conférer un caractère fautif à leur divulgation lorsque son auteur, qui n'en est pas destinataire et ne peut les tenir que des participants à la négociation, n'ignore pas que ceux-ci sont tenus à la confidentialité ; que le groupe Consolis et la SELARL FHB reprochent à la société Mergermarket la publication d'articles parus le 18 et le 26 juillet 2012, le 9 août, le 7 septembre puis le 17 octobre 2012, ce dernier malgré la mise en demeure adressée par maître F... le 4 octobre 2012 ; qu'il ne s'agit pas en l'espèce d'articles sur un sujet d'intérêt général tel que la résistance des LBO à la crise et les difficultés que des sociétés ainsi financées peuvent connaître, ni d'articles faisant seulement état de la mise sous mandat ad hoc de ces sociétés, qui avait déjà été annoncée auparavant par d'autres revues ; que les informations dont la publication est reprochée au site Debtwire sont précises et chiffrées et portent sur le contenu même des négociations en cours et leur avancée, que le site n'a pu obtenir que de sources ayant participé aux opérations dans le cadre du mandat ad hoc et à ce titre tenues à une obligation de confidentialité ; que les articles parus dans les Echos du 26 juillet 2012, s'ils font état des difficultés de Consolis, se contentent d'informations très générales, évoquant la précédente restructuration de 2011 et le ralentissement de l'activité mais également le fait que le groupe « réussit à stabiliser son résultat sur un an » ; que LCD Daily expose en juillet 2012 la demande de mandat ad hoc mais ne donne des informations que sur la précédente négociation de 2011 ; qu'il en est de même de l'article de Capitalstrucure du 17 juillet 2012 qui ne révèle pas le contenu des négociations en cours ; qu'il apparaît au contraire que les articles litigieux du site Debtwire des 6 juillet, 9 août, 7 septembre et 25 septembre 2012 font état non seulement de la situation du groupe Consolis, mais également des données chiffrées précises sur les propositions faites aux créanciers, l'état des discussions en cours et les difficultés concrètes auxquelles la société doit faire face ainsi que sur les efforts consentis par les créanciers et les délais de grâce obtenus, avant même l'aboutissement des pourparlers ; que, même s'ils ne transmettent pas ces informations en utilisant des supports confidentiels, ces articles n'en divulguent pas moins des informations confidentielles, s'appuyant sur des données non publiques, provenant nécessairement des participants aux négociations tenus par cette obligation de confidentialité ; que la publication de ces informations a été faite dans une presse spécialisée suivie par les acteurs économiques susceptibles d'être concernés par la situation des sociétés du groupe Consolis et non à un large public ; que la société Mergermarket ne peut se prévaloir de ce que « les difficultés économiques étaient déjà connues de la presse spécialisée depuis 2010 » ; qu'en effet, bien au-delà de la simple information sur les difficultés du groupe à honorer ses échéances, ces articles révèlent l'état des négociations en cours, qui, pour intéresser les cocontractants non conviés à la négociation, n'en compromettent pas moins le cours normal et l'efficacité de la procédure et portent une atteinte à la liberté d'entreprendre et de prendre les mesures nécessaires à la pérennité de l'entreprise et au droit de bénéficier de procédure de préventions dont la confidentialité imposée par la loi est indispensable à la bonne fin ; qu'elle ne peut non plus se prévaloir de ce que ces informations seraient justifiées par un débat sur des questions d'intérêt général, et garantirait le droit du public à recevoir ces informations, s'agissant des informations précises ci-dessus rappelées, intéressant non pas le public en général mais les cocontractants et partenaires de ces sociétés en recherche de protection ; que sans pouvoir être assimilés à des « personnes appelées à la procédure de conciliation ou au mandat ad hoc » ou à « une personne tenue par ces fonctions à la confidentialité », les tiers et parmi eux les organes de presse qui divulguent en connaissance de cause de telles informations confidentielles par nature commettent une faute susceptible d'engager leur responsabilité ; que tel est le cas en l'espèce, les informations publiées ayant entravé le cours des négociations comme l'a rappelé à plusieurs reprises maître E... F... ;

Alors d'une part que si le caractère confidentiel des procédures de prévention des difficultés des entreprises imposé, notamment, par l'article L. 611-15 du code de commerce, fait obstacle à la diffusion par voie de presse d'informations s'y rapportant, c'est à la condition que cette diffusion ne contribue pas à la nécessité d'informer le public sur une question d'intérêt général ; que relèvent d'un débat d'intérêt général les difficultés rencontrées au lendemain de la crise financière de 2008 par les entreprises ayant fait l'objet de LBO (leveraged buy-out, soit achat avec effet de levier) hautement spéculatifs pour restructurer leurs dettes et contribuent à ce débat les informations précises et chiffrées concernant les négociations au cours d'une procédure amiable, dont la presse avait déjà fait écho, d'un important groupe de sociétés dont les difficultés en ce domaine étaient connues ; qu'en déniant aux informations relatives à ces négociations toute contribution à ce débat d'intérêt général, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses propres constatations et a méconnu les articles L. 611-15 du code de commerce et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Alors d'autre part que si le caractère confidentiel des procédures de prévention des difficultés des entreprises imposé, notamment, par l'article L. 611-15 du code de commerce, fait obstacle à la diffusion par voie de presse d'informations s'y rapportant, c'est à la condition que cette diffusion ne contribue pas à la nécessité d'informer le public sur une question d'intérêt général ; qu'il n'est pas nécessaire, pour contribuer à un débat sur une question d'intérêt général, que la publication soit dédiée à cette question ou en traite directement et explicitement le sujet, dès lors que les informations diffusées s'y rapportent et sont utiles à sa compréhension ; qu'en exigeant que la publication traite de la question d'intérêt général relative à la résistance des LBO à la crise et aux difficultés que certaines entreprises acquises par ce procédé peuvent rencontrer là où il suffisait que les informations, précises et chiffrées relatives au contenu des négociations en cours contribuent au débat relatif à cette question, la cour d'appel a méconnu les articles L. 611-15 du code de commerce et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Alors en outre qu'une publication de presse est susceptible de contribuer à un débat sur une question d'intérêt général au regard du contenu et du contexte de cette question et des informations qui s'y rapportent, indépendamment du nombre et de la qualité de ses destinataires et de l'utilité que certains peuvent y trouver pour la protection de leurs intérêts personnels ; qu'en tenant pour exclusive de toute contribution à un débat relatif à une question d'intérêt général la circonstance que les informations avaient été publiées dans une presse spécialisée dont certains lecteurs étaient concernés par les sociétés faisant l'objet de la procédure de conciliation, et non par un large public, la cour d'appel a méconnu les articles L. 611-15 du code de commerce et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Alors encore que la liberté d'information vaut non seulement pour les informations ou idées accueillies avec faveur ou considérées comme inoffensives ou indifférentes, mais aussi pour celles qui heurtent, choquent ou inquiètent y compris celles qui, en matière financière, peuvent avoir des répercussions négatives sur les intérêts des entreprises ; qu'en tenant pour exclusive de toute contribution à un débat relatif à une question d'intérêt général la circonstance que la diffusion des informations avait compromis le cours normal et l'efficacité de la procédure et avait porté une atteinte à la liberté d'entreprise et au droit de prendre les mesures nécessaires à la pérennité d'une entreprise et de bénéficier de procédures de prévention, la cour d'appel a méconnu les articles L. 611-15 du code de commerce et 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ;

Alors enfin qu'une condamnation à verser des dommages et intérêts à raison de la publication d'informations par nature confidentielle ne peut être prononcée que dans la mesure où elle constitue une restriction nécessaire, dans une société démocratique, à la poursuite de l'un des buts légitimes énumérés par l'article 10 §2 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales ; que l'appréciation du caractère nécessaire de cette restriction doit tenir compte, non seulement de la nature des intérêts en présence, parmi lesquels le droit du public à l'information sur une question d'intérêt général et l'intérêt d'assurer à certaines informations une confidentialité absolue, mais également le comportement du journaliste, notamment la manière dont il est entré en possession des informations et la forme des publications en litige, ainsi que la proportionnalité de la sanction prononcée ; qu'en se bornant à constater que la publication des informations n'était pas justifiée par un débat sur des questions d'intérêt général, sans tenir compte du comportement de l'organe de presse et du montant des condamnations, qui s'est élevé à la somme totale de 175.854,09 euros pour les seuls dommages et intérêts, la cour d'appel a méconnu l'article 10 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales.

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