20 novembre 2019
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-25.107

Première chambre civile - Formation de section

Publié au Bulletin

ECLI:FR:CCASS:2019:C100966

Titres et sommaires

ETRANGER - Mesures d'éloignement - Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire - Placement en rétention - Droits de l'étranger placé en rétention - Exercice - Effectivité - Assistance d'un avocat - Désignation d'un avocat choisi - Refus par l'officier de police judiciaire d'informer l'avocat choisi - Effets - Détermination

Il résulte de l'article 63-3-1 du code de procédure pénale que l'officier de police judiciaire doit informer de sa désignation l'avocat choisi par la personne placée en garde à vue. Le refus d'informer l'avocat choisi porte nécessairement atteinte aux droits de la personne concernée au sens de l'article L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile

ETRANGER - Mesures d'éloignement - Rétention dans des locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire - Procédure - Nullité - Cas - Atteinte aux droits de l'étranger placé en rétention - Caractérisation - Refus d'informer l'avocat désigné

Texte de la décision

CIV. 1

MY1



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 20 novembre 2019




Cassation partielle sans renvoi


Mme BATUT, président



Arrêt n° 966 FS-P+B+I

Pourvoi n° N 18-25.107

Aide juridictionnelle totale en demande
au profit de M. P....
Admission du bureau d'aide juridictionnelle
près la Cour de cassation
en date du 16 octobre 2018.




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


LA COUR DE CASSATION, PREMIÈRE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Statuant sur le pourvoi formé par M. G... P..., domicilié chez M. T... A..., [...],

contre l'ordonnance rendue le 28 mai 2018 par premier président de la cour d'appel de Paris (pôle 2, chambre 11), dans le litige l'opposant :

1°/ au procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris, domicilié en son parquet, [...],

2°/ au procureur général près la cour d'appel de Paris, domicilié en son parquet général, [...],

3°/ au préfet de Police, domicilié [...],

défendeurs à la cassation ;

Le demandeur invoque, à l'appui de son pourvoi, les deux moyens de cassation annexés au présent arrêt ;

Vu la communication faite au procureur général ;

LA COUR, composée conformément à l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 15 octobre 2019, où étaient présents : Mme Batut, président, Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire rapporteur, Mme Auroy, conseiller doyen, MM. Hascher, Vigneau, Mme Bozzi, M. Acquaviva, Mme Poinseaux, conseillers, Mmes Mouty-Tardieu, Le Cotty, Gargoullaud, Azar, M. Buat-Ménard, conseillers référendaires, M. Sassoust, avocat général, Mme Berthomier, greffier de chambre ;

Sur le rapport de Mme Feydeau-Thieffry, conseiller référendaire, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat de M. P..., l'avis de M. Sassoust, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Faits et procédure

1. Selon l'ordonnance attaquée, rendue par le premier président d'une cour d'appel (Paris, 28 mai 2018), et les pièces de la procédure, M. P..., de nationalité algérienne, condamné à une peine d'interdiction du territoire français à titre définitif, a, le 22 mai 2018, fait l'objet d'un contrôle d'identité suivi d'une garde à vue pour diverses infractions. Le 23 mai 2018, le préfet de police de Paris lui a notifié son placement en rétention.

2. Le juge des libertés et de la détention a été saisi par M. P... d'une contestation de la décision de placement en rétention et par le préfet d'une demande de prolongation de cette mesure.

Examen des moyens

Sur le premier moyen

Enoncé du moyen

3. M. P... fait grief à l'ordonnance de prolonger sa rétention, alors que « toute personne placée en garde à vue doit pouvoir, à tout moment, bénéficier de l'assistance d'un avocat choisi par elle-même, peu important qu'elle ait déclaré ensuite renoncer à l'assistance d'un avocat ; que l'officier de police judiciaire est tenu d'informer l'avocat choisi par l'intéressé et le refus d'informer l'avocat choisi porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ; qu'en déclarant que l'intéressé ne démontrait pas avoir subi d'atteinte à ses droits après avoir pourtant constaté que l'avocat choisi par lui n'avait pas été informé de son choix, la juridiction du premier président a violé les articles 63-3-1 du code de procédure pénale, L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 6, § 1, de la convention de sauvegarde des libertés fondamentales ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 63-3-1 du code de procédure pénale et L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile :

4. Il résulte du premier de ces textes que l'officier de police judiciaire doit informer de sa désignation l'avocat choisi par la personne placée en garde à vue. Le refus d'informer l'avocat choisi porte nécessairement atteinte aux droits de la personne concernée au sens du second.

5. Pour prolonger la rétention administrative de M. P..., après avoir constaté que celui-ci a sollicité au cours de sa garde à vue l'assistance de M. X... et, à défaut, n'a pas souhaité le bénéfice d'un avocat commis d'office, l'ordonnance relève que, si aucune pièce ne permet d'attester que l'avocat choisi a été sollicité, il ressort de la procédure qu'une demande d'avocat a été faite auprès du bâtonnier, sans tardiveté, et que l'avocat commis d'office a été présent lors de l'audition de M. P..., sans que ni l'un ni l'autre n'émettent la moindre réserve ou observation sur le défaut d'avis à M. X... lors, tant de cette audition, que de la prolongation de la garde à vue, au moment de laquelle l'intéressé a déclaré ne pas désirer l'assistance d'un avocat. Elle en déduit que celui-ci ne démontre pas, comme requis à l'article L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, avoir subi d'atteinte à ses droits et que le moyen tiré de la violation du droit d'être assisté par un avocat choisi doit être écarté.

6. En statuant ainsi, le premier président a violé les textes susvisés.

Sur le second moyen

Enoncé du moyen

7. M. P... fait grief à l'ordonnance de déclarer irrecevable le moyen tendant à contester l'arrêté de placement en rétention administrative alors que « le moyen pris par le défendeur de la nullité de l'acte juridique sur lequel se fonde le demandeur constitue non pas une exception de procédure mais une défense au fond qui peut être invoquée en tout état de cause, si bien que le moyen concernant l'exercice des droits de l'étranger dont le juge doit s'assurer, notamment la nullité de l'acte de placement en rétention administrative, ne constitue pas une exception de procédure au sens des articles 73 et 74 du code de procédure civile et peut être présenté pour la première fois en cause d'appel ; qu'en décidant le contraire, la juridiction du premier président a violé ensemble les articles 73 et 74 du code de procédure civile ainsi que l'article L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile ».

Réponse de la Cour

Vu les articles 72 et 563 du code de procédure civile :

8. Pour déclarer irrecevable le moyen tiré d'une erreur de droit affectant l'arrêté de placement en rétention administrative, l'ordonnance retient qu'il s'agit d'une exception de procédure qui aurait dû être soulevée avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

9. En statuant ainsi, alors que la contestation constituait non pas une exception de procédure mais une défense au fond, pouvant être invoquée en tout état de cause et même pour la première fois en appel, le premier président a violé les textes susvisés.

Portée et conséquences de la cassation

10. Après avis donné aux parties, conformément à l'article 1015 du code de procédure civile, il est fait application des articles L. 411-3, alinéa 1, du code de l'organisation judiciaire et 627 du code de procédure civile.

11. Les délais légaux étant expirés, il ne reste plus rien à juger.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

CASSE ET ANNULE, sauf en ce qu'elle rejette le moyen tiré de la nullité de l'ordonnance et l'absence de double degré de juridiction, l'ordonnance rendue le 28 mai 2018 par le premier président de la cour d'appel de Paris ;

DIT n'y avoir lieu à renvoi ;

Rejette la demande formée en application de l'article 700 du code de procédure civile ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de la ordonnance partiellement cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du vingt novembre deux mille dix-neuf.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyens produits par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour M. P....

PREMIER MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir rejeté le moyen tiré de la nullité de l'ordonnance du juge des libertés invoqué par un ressortissant étranger (M. P..., l'exposant) en l'absence de double degré de juridiction et d'avoir prescrit la prolongation de la rétention administrative dont celui-ci faisait l'objet ;

AUX MOTIFS QUE, sur le moyen tiré de la violation du droit d'être assisté par un avocat choisi, il résultait de la procédure que l'intéressé avait été contrôlé le 22 mai 2018 à 2h20, interpellé à 2h25, ramené au service, sa notification de garde à vue et des droits afférents avait été effectuée de 2h52 à 3h11, que l'intéressé avait sollicité le bénéfice d'un examen médical, de l'avis à proche et l'assistance de Me V... X... et, à défaut, n'avait pas souhaité le bénéfice d'un avocat commis d'office ; qu'aucune pièce de la procédure ne permettait d'attester que Me X... avait été sollicité ; que, cependant, après demande d'avocat auprès du bâtonnier à 3 h 22, soit, sans tardiveté, Me Q... avait été désigné et était présent lors de l'audition du 22 mai 2018 à 14h34, sans que ni M. P... ni le conseil commis d'office n'aient émis la moindre réserve ni observation sur le défaut d'avis à Me X... et sur la saisine du bâtonnier pour qu'un conseil commis d'office fût désigné, non plus que lors de la prolongation de garde à vue, l'intéressé ayant déclaré le 22 mai 2018 à 21h30 : « pour le moment, je ne désire pas bénéficier de l'assistance d'un avocat dès le début de cette mesure de prolongation » ; que dès lors, il s'en déduisait qu'au visa de l'article L. 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, l'intéressé ne démontrait pas avoir subi d'atteinte à ses droits ;

ALORS QUE toute personne placée en garde à vue doit pouvoir, à tout moment, bénéficier de l'assistance d'un avocat choisi par elle-même, peu important qu'elle ait déclaré ensuite renoncer à l'assistance d'un avocat ; que l'officier de police judiciaire est tenu d'informer l'avocat choisi par l'intéressé et le refus d'informer l'avocat choisi porte nécessairement atteinte aux intérêts de la personne concernée ; qu'en déclarant que l'intéressé ne démontrait pas avoir subi d'atteinte à ses droits après avoir pourtant constaté que l'avocat choisi par lui n'avait pas été informé de son choix, la juridiction du premier président a violé les articles 63-3-1 du code de procédure pénale, L 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et 6 § 1 de la convention européenne de sauvegarde des libertés fondamentales.

SECOND MOYEN DE CASSATION

Le moyen reproche à l'ordonnance infirmative attaquée d'avoir déclaré irrecevable le moyen invoqué par un ressortissant étranger (M. P..., l'exposant) contestant l'arrêté de placement en rétention administrative ;

AUX MOTIFS QUE, sur la contestation d'arrêté de placement en rétention et, plus précisément, sur le moyen tiré d'une erreur de droit, la cour constatait que le moyen était irrecevable au regard des dispositions de l'article 74 du code de procédure civile comme constituant une exception de procédure qui n'avait pas été présentée avant toute défense au fond et fin de non-recevoir devant le premier juge ;

ALORS QUE le moyen pris par le défendeur de la nullité de l'acte juridique sur lequel se fonde le demandeur constitue non pas une exception de procédure mais une défense au fond qui peut être invoquée en tout état de cause, si bien que le moyen concernant l'exercice des droits de l'étranger dont le juge doit s'assurer, notamment la nullité de l'acte de placement en rétention administrative, ne constitue pas une exception de procédure au sens des articles 73 et 74 du code de procédure civile et peut être présenté pour la première fois en cause d'appel ; qu'en décidant le contraire, la juridiction du premier président a violé ensemble les articles 73 et 74 du code de procédure civile ainsi que l'article L 552-13 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

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