26 février 2020
Cour de cassation
Pourvoi n° 18-22.556

Chambre sociale - Formation de section

Publié au Bulletin - Publié au Rapport

ECLI:FR:CCASS:2020:SO00245

Titres et sommaires

TRAVAIL REGLEMENTATION, SANTE ET SECURITE - comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail - missions - etendue - cas - protection de la santé et de la sécurité des travailleurs - recours à un expert - travailleurs concernés - salariés temporaires d'une entreprise utilisatrice - action du comité de l'entreprise temporaire - conditions - détermination - portée

Il résulte de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable et de l'article L. 1251-21 du même code, interprétés à la lumière de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil du 12 juin 1989 concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail, une obligation pour ceux qui emploient des travailleurs de veiller à ce que leur droit à la santé et à la sécurité soit assuré, sous la vigilance des institutions représentatives du personnel ayant pour mission la prévention et la protection de la santé physique ou mentale et de la sécurité des travailleurs. S'agissant des salariés des entreprises de travail temporaire, si la responsabilité de la protection de leur santé et de leur sécurité est commune à l'employeur et à l'entreprise utilisatrice, ainsi que cela découle de l'article 8 de la directive 91/383/CEE du Conseil du 25 juin 1991 complétant les mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire, il incombe au premier chef à l'entreprise utilisatrice de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer cette protection en application de l'article L. 1251-21, 4°, du code du travail. Par conséquent, c'est au comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l'entreprise utilisatrice, en application de l'article 6 de la directive 91/383 précitée, qu'il appartient d'exercer une mission de vigilance à l'égard de l'ensemble des salariés de l'établissement placés sous l'autorité de l'employeur. Cependant, lorsque le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire constate que les salariés mis à disposition de l'entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel, au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable, sans que l'entreprise utilisatrice ne prenne de mesures, et sans que le CHSCT de l'entreprise utilisatrice ne fasse usage des droits qu'il tient dudit article, il peut, au titre de l'exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé afin d'étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d'y remédier

Texte de la décision

SOC.

FB



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 26 février 2020




Cassation partielle


M. CATHALA, président



Arrêt n° 245 FS-P+B+R+I

Pourvoi n° Q 18-22.556




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE SOCIALE, DU 26 FÉVRIER 2020

Le CHSCT IDF Manpower France, dont le siège est 13 rue Ernest Renan, 92723 Nanterre, a formé le pourvoi n° Q 18-22.556 contre l'ordonnance en la forme des référés rendue le 1er août 2018 par le président du tribunal de grande instance de Nanterre, dans le litige l'opposant à la société Manpower France, société par actions simplifiée, dont le siège est immeuble Eureka, 13 rue Ernest Renan, 92723 Nanterre cedex, défenderesse à la cassation.

La société Manpower France a formé un pourvoi incident contre le même arrêt.

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de Mme Pécaut-Rivolier, conseiller, les observations de la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat du CHSCT IDF Manpower France, de la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat de la société Manpower France, et l'avis de Mme Berriat, avocat général, après débats en l'audience publique du 22 janvier 2020 où étaient présents M. Cathala, président, Mme Pécaut-Rivolier, conseiller rapporteur, M. Huglo, conseiller doyen, M. Rinuy, Mmes Ott, Sommé, conseillers, Mmes Chamley-Coulet, Lanoue, MM. Joly, Le Masne de Chermont, conseillers référendaires, Mme Berriat, avocat général, et Mme Pontonnier, greffier de chambre.

la chambre sociale de la Cour de cassation, composée, en application de l'article R. 431-5 du code de l'organisation judiciaire, des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt ;

Faits et procédure

1.Selon l'ordonnance attaquée, (président du tribunal de grande instance de Nanterre, 1er août 2018), statuant en la forme des référés, le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail de la société Manpower France (le CHSCT) a voté, par délibération du 16 avril 2018, le recours à une expertise relative au risque grave encouru selon lui par les salariés intérimaires employés par la société Feedback (l'entreprise utilisatrice). La société Manpower France a contesté cette délibération devant le président du tribunal de grande instance et a, devant la Cour de cassation, posé une question prioritaire de constitutionnalité portant sur l'interprétation de l'article L. 4614-12 du code du travail.

2.Par décision du 5 juin 2019 (Soc., n° 18-22.556), la Cour de cassation a dit n'y avoir lieu à renvoyer la question au Conseil constitutionnel, en l'absence d'interprétation jurisprudentielle constante portant sur cette disposition.

Examen des moyens

Sur le moyen du pourvoi incident, ci-après annexé


3. En application de l'article 1014, alinéa 2, du code de procédure civile, il n'y a pas lieu de statuer par une décision spécialement motivée sur ce moyen, qui n'est pas de nature à entraîner la cassation.

Mais sur le moyen du pourvoi principal

Enoncé du moyen

4. Le CHSCT fait grief à l'ordonnance d'annuler la délibération du CHSCT désignant un expert pour risque grave alors « que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a pour mission de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure, de contribuer à l'amélioration des conditions de travail de ces salariés et de veiller à l'observation des prescriptions légales prises en ces matières ; que les conditions de travail des travailleurs temporaires, même lorsqu'ils sont exclusivement mis à disposition d'entreprises utilisatrices, dépendent aussi de l'entreprise de travail temporaire ; qu'il en résulte que le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire peut faire appel à un expert agréé, dans les conditions de l'article L. 4614-2 du code du travail, lorsqu'un risque grave est constaté dans l'établissement où les travailleurs temporaires sont mis à disposition ; qu'en retenant que le CHSCT de l'établissement Ile-de-France de la société Manpower France n'était pas compétent pour voter une expertise en raison d'un risque grave touchant les travailleurs temporaires mis à la disposition de la société Feedback, le tribunal de grande instance a violé les articles L. 4612-1 et L. 4614-12 du code du travail. »

Réponse de la Cour

Vu l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable et l'article L. 1251-21 du même code, interprétés à la lumière de l'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, de l'article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et de l'article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989, concernant la mise en oeuvre de mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé des travailleurs au travail :

5. L'alinéa 11 du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 ainsi que l'article 31, § 1, de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne garantissent le droit à la santé et à la sécurité de tout travailleur.

6.Selon l'article L. 1251-21-4° du même code, pendant la durée de la mission des travailleurs temporaires mis à sa disposition, l'entreprise utilisatrice est responsable de la santé et de la sécurité au travail.

7. L'article L. 4614-12 du code du travail, alors applicable, prévoit que le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé lorsqu'un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel est constaté dans l'établissement.

8. L'article 6, § 4, de la directive 89/391/CEE du Conseil, du 12 juin 1989 susvisée prévoit que, lorsque, dans un même lieu de travail, les travailleurs de plusieurs entreprises sont présents, les employeurs doivent coopérer à la mise en oeuvre des dispositions relatives à la sécurité, à l'hygiène et à la santé et, compte tenu de la nature des activités, coordonner leurs activités en vue de la protection et de la prévention des risques professionnels, s'informer mutuellement de ces risques et en informer leurs travailleurs respectifs et/ou leurs représentants.

9. Il en résulte une obligation pour ceux qui emploient des travailleurs de veiller à ce que leur droit à la santé et à la sécurité soit assuré, sous la vigilance des institutions représentatives du personnel ayant pour mission la prévention et la protection de la santé physique ou mentale et de la sécurité des travailleurs.

10. S'agissant des salariés des entreprises de travail temporaire, si la responsabilité de la protection de leur santé et de leur sécurité est commune à l'employeur et à l'entreprise utilisatrice, ainsi que cela découle de l'article 8 de la directive 91/383/CEE du Conseil, du 25 juin 1991, complétant les mesures visant à promouvoir l'amélioration de la sécurité et de la santé au travail des travailleurs ayant une relation de travail à durée déterminée ou une relation de travail intérimaire, il incombe au premier chef à l'entreprise utilisatrice de prendre toutes les dispositions nécessaires pour assurer cette protection en application de l'article L. 1251-21-4° du code du travail. Par conséquent, c'est au CHSCT de l'entreprise utilisatrice, en application de l'article 6 de la directive 91/383 précitée, qu'il appartient d'exercer une mission de vigilance à l'égard de l'ensemble des salariés de l'établissement placés sous l'autorité de l'employeur.

11. Cependant, lorsque le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire constate que les salariés mis à disposition de l'entreprise utilisatrice sont soumis à un risque grave et actuel, au sens de l'article L. 4614-12 du code du travail alors applicable, sans que l'entreprise utilisatrice ne prenne de mesures, et sans que le CHSCT de l'entreprise utilisatrice ne fasse usage des droits qu'il tient dudit article, il peut, au titre de l'exigence constitutionnelle du droit à la santé des travailleurs, faire appel à un expert agréé afin d'étudier la réalité du risque et les moyens éventuels d'y remédier.

12. Pour écarter la compétence du CHSCT de l'entreprise de travail temporaire pour désigner un expert au sein de l'entreprise utilisatrice, le président du tribunal de grande instance retient que les travailleurs temporaires ont vocation à être représentés par le CHSCT de la seule entreprise utilisatrice, et que dès lors le CHSCT de la société Manpower France n'est pas compétent pour décider d'une expertise.

13. En statuant ainsi, alors qu'il était invoqué l'existence d'un risque grave et actuel pour les travailleurs intérimaires ainsi que l'inaction de l'entreprise utilisatrice et de son CHSCT, ce qu'il lui appartenait de vérifier, l'entreprise utilisatrice devant être mise en cause, le tribunal de grande instance a violé les textes susvisés.

PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi incident ;

CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu'elle annule la délibération du CHSCT de la société Manpower France du 16 avril 2018 décidant de recourir à une expertise, l'ordonnance rendue le 1er août 2018, entre les parties, par le président du tribunal de grande instance de Nanterre, prise en la forme des référés ;

Remet, sur ce point, l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cette ordonnance et les renvoie devant le président du tribunal judiciaire de Paris ;

Condamne la société Manpower France aux dépens ;

En application de l'article L. 4614-13 du code du travail, condamne la société Manpower France à payer à la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy la somme de 3 500 euros TTC ;

Dit que sur les diligences du procureur général près la Cour de cassation, le présent arrêt sera transmis pour être transcrit en marge ou à la suite de l'ordonnance partiellement cassée ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre sociale, et prononcé par le président en son audience publique du vingt-six février deux mille vingt.

MOYENS ANNEXES au présent arrêt

Moyen produit au pourvoi principal par la SCP Thouvenin, Coudray et Grévy, avocat aux Conseils, pour le CHSCT IDF Manpower France.

Le moyen fait grief à l'ordonnance attaquée d'AVOIR annulé la délibération du 16 avril 2018 du CHSCT portant désignation d'un expert pour risque grave.

AUX MOTIFS QUE en application de l'article L. 1251-21-4 du code du travail, pendant la mission, l'entreprise utilisatrice est responsable des conditions d'exécution du travail en matière de santé et de sécurité ; que les obligations relatives à la médecine du travail restent à la charge de l'entreprise de travail temporaire ; qu'en l'espèce, le CHSCT fait valoir qu'il existe un risque grave pour les salariés intérimaires mis à la disposition de la société Feedback ; qu'or seule cette dernière société est responsable des conditions d'exécution de travail du personnel intérimaire ; que les salariés temporaires ont vocation à être représentés par le CHSCT de la seule entreprise utilisatrice ; que dès lors le CHSCT de la société MANPOWER n'est pas compétent pour voter une expertise en raison de l'existence d'un risque grave au sein de l'entreprise utilisatrice.

ALORS QUE le comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail a pour mission de contribuer à la protection de la santé physique et mentale et de la sécurité des travailleurs de l'établissement et de ceux mis à sa disposition par une entreprise extérieure, de contribuer à l'amélioration des conditions de travail de ces salariés et de veiller à l'observation des prescriptions légales prises en ces matières ; que les conditions de travail des travailleurs temporaires, même lorsqu'ils sont exclusivement mis à disposition d'entreprises utilisatrices, dépendent aussi de l'entreprise de travail temporaire ; qu'il en résulte que le CHSCT de l'entreprise de travail temporaire peut faire appel à un expert agréé, dans les conditions de l'article L. 4614-2 du code du travail, lorsqu'un risque grave est constaté dans l'établissement où les travailleurs temporaires sont mis à disposition ; qu'en retenant que le CHSCT de l'établissement Ile-de-France de la société Manpower France n'était pas compétent pour voter une expertise en raison d'un risque grave touchant les travailleurs temporaires mis à la disposition de la société Feedback, le tribunal de grande instance a violé les articles L. 4612-1 et L. 4614-12 du code du travail.

Moyen produit au pourvoi incident par la SCP Thouin-Palat et Boucard, avocat aux Conseils, pour la société Manpower France.

Il est fait grief à l'ordonnance attaquée d'avoir condamné la société Manpower à payer au CHSCT de la société Manpower la somme de 4.800 euros en application de l'article 4614-12 du code du travail ;

Aux motifs qu' « il n'est pas inéquitable de condamner la SAS Manpower à payer au CHSCT la somme de 4.800 € en application de l'article 4614-12 du code du travail dès lors qu'aucun abus n'est démontré » ;

Alors que l'article L. 4614-13 du code du travail, dans sa version issue de la loi du 14 juin 2013, tel qu'interprété par la jurisprudence selon laquelle l'employeur supporte le coût de l'expertise et les frais de la procédure de contestation éventuelle de cette expertise dès lors qu'aucun abus du CHSCT n'était établi, même si la délibération décidant cette expertise était annulée, a été abrogé par le Conseil constitutionnel par décision du 27 novembre 2015 à compter du 1er janvier 2017 ; qu'en condamnant la société Manpower à payer au CHSCT de la société Manpower la somme de 4.800 euros en application de « l'article L. 4614-12 » du code du travail, après avoir annulé la délibération du CHSCT de la société Manpower du 16 avril 2018 décidant de recourir à une expertise, le président du tribunal a violé les articles L. 4614-12 et L. 4614-13 du code du travail.

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