Audience de début d’année judiciaire - Octobre 1973

Rentrées solennelles

En 1973, l’audience solennelle de rentrée s’est tenue le 2 octobre, en présence de monsieur Jean Taittinger, garde des Sceaux, ministre de la Justice.

 

Discours prononcés :

 

Discours de monsieur le premier président Maurice Aydalot

Monsieur le garde des Sceaux,

 

Vous assistez pour la première fois à l’audience solennelle qui consa­cre, pour notre juridiction, l’entrée dans une nouvelle année judiciaire. La Cour de cassation vous souhaite une déférente bienvenue et vous assure qu’elle continuera, dans le travail et dans la réflexion, à maintenir à son plus haut niveau le prestige que nos devanciers ont mérité pour elle, dans le pays et hors de nos frontières.

Pour la première fois..., mais déjà vous nous connaissez, monsieur le garde des Sceaux, par les contacts que vous avez pris personnellement avec monsieur le Procureur général et moi-même, par l’accueil que vous avez bien voulu réserver à notre bureau, par l’intérêt que vous avez porté aux problèmes dont nous avons eu, les uns et les autres, l’opportunité de vous entretenir. A vrai dire, nous n’avons pas, en l’état, de problèmes spécifiques. Nos besoins sont essentiellement des besoins de moyens et ils s’inscrivent tout naturellement dans le programme d’ensemble que vous vous êtes fixé pour doter la justice des moyens, en personnels de toutes natures et en équipements, qui lui sont indispensables pour assu­rer convenablement son service.

Parce que le service de la justice est un et indivisible, parce que, du plus modeste tribunal d’instance jusqu’à la Cour suprême, la voie est droite, continue, sans détours, nous avons accueilli avec satisfaction, et pour vous gratitude, les perspectives budgétaires du prochain exercice. Mais nous savons bien que le vote des dépenses publiques et l’obtention des crédits, s’ils commandent les solutions, ne les apportent pas tout de suite. Il faut des mois ou des années pour construire un établissement pénitentiaire, ou pour restaurer un tribunal. Il faut plus de temps encore pour pourvoir les postes créés. Le président du conseil d’administration de l’Ecole nationale de la magistrature voudrait bien, monsieur le garde des Sceaux, vous apporter la solution miracle qui vous permettrait tout ensemble de résorber le déficit et de faire face aux créations d’emplois.

Hélas, depuis longtemps déjà, il n’y a plus de miracles et les palliatifs sont le plus souvent dérisoires. Pour assurer une « soudure » difficile, pour achever, avant qu’il soit trop tard, la traversée du désert, il faudra, monsieur le garde des Sceaux, un peu de volonté, nous savons que cette volonté vous anime, et, à tous les degrés de l’administration de la justice, beaucoup de bonne volonté. Pour ce qui nous concerne, nous vous assurons de la nôtre.

Pour méditer sur la justice, pour s’interroger sur son état présent, pour préparer son avenir, bon nombre de magistrats n’ont attendu ni les professions de foi fracassantes, ni les confidences complaisantes, ni les slogans vengeurs, ni les face à face orageux, ni les déclarations percu­tantes. Juges de la transition, écartelés entre un monde qui marche à grands pas et une institution qui, pendant un siècle et demi, n’avait guère bougé, nous avons ressenti, nous aussi, tout l’inconfort et l’irréa­lisme de notre position. Entre la loi qui vieillit et la vie qui s’avance la marge de manoeuvre du juge est étroite et sa démarche d’autant plus difficile qu’elle est trop souvent entravée par les obstacles et les traquenards d’une procédure, dont l’archaïsme, soigneusement entretenu par ses desservants, finissait par faire scandale. A différentes reprises, par la parole ou par la plume, j’ai demandé à tous les hommes de justice de prendre conscience des exigences du quotidien et des perspectives du lendemain. Le Temps n’attend pas ceux qui s’attardent en tournant obsti­nément la tête en arrière. C’est de face qu’il faut embrasser l’horizon. « On n’évite pas l’avenir », disait Oscar Wilde.

Un rajeunissement législatif important, un premier débroussaillage du maquis de la procédure qu’il convient de poursuivre, un éclairage nou­veau des problèmes de la délinquance qui doit être replacée dans son contexte actuel, une prise de conscience des problèmes de l’après-jugement, une amélioration continue et accrue des moyens matériels, tout cet ensemble devrait donner quelque confiance et permettre quelque espérance.

Et pourtant, pourquoi le nier ou feindre de l’ignorer, l’inquiétude demeure dans notre âme.

Le corps judiciaire a été marqué pendant longtemps par une homo­généité assez dense pour donner de lui une image de marque. Sans doute, de temps à autre, des courants le traversaient, qui provoquaient quelques remous, mais qui ne perçaient pas l’intimité de notre état. Quelques-uns d’entre nous, parfois, ramaient à contre-courant, mais ils avaient la sagesse, l’honnêteté, la discrétion de maintenir leur tentative dans les limites qui leur paraissaient compatibles avec la dignité de nos fonctions. Ils pen­saient qu’on peut être réformiste sans jeter l’anathème et que, si l’on veut être efficace, il convient d’abord d’être raisonnable. Ils pensaient aussi que les relèves doivent s’opérer sans cassure, dans un progrès continu.

Et voici qu’une nouvelle relève est venue, qui a du mal à tempérer ses impatiences. Nous l’attendions avec ferveur, car elle est le sang nou­veau. Nous l’attendions avec au coeur une bouffée de chaleur et des réserves d’affection, car elle est notre relève. Et ses manifestations nous surprennent, nous attristent et parfois nous font frémir.

Cette image de marque qu’à travers la diversité de nos tempéraments et de nos comportements nous nous étions efforcés de maintenir, cette unité du corps que nous considérions comme notre bien le plus précieux, seraient-elles condamnées à disparaître dans la confusion des tables rondes, des colloques ou des interviews ?

Je ne pourrais m’y résigner sans déchirement.

Permettez-moi, monsieur le garde des Sceaux, mes chers collègues (et ce n’est pas seulement à vous qui m’écoutez que je m’adresse, mais je voudrais que mon propos soit entendu de tous les magistrats), permettez-moi de tenter un effort pour dissiper ce malaise.

Je ne prononcerai pas de condamnation, car il n’y a pas à condamner, mais à réfléchir et à comprendre. Oui, à comprendre, à se comprendre, ajouterai-je plus familièrement. Il n’est rien d’aussi ridicule, d’aussi déce­vant, d’aussi nocif qu’une querelle des Anciens et des Modernes... et il n’est rien qui date autant !

Alors, mes chers collègues, commençons par comprendre nos cadets. Parce qu’ils sont jeunes, ils sont l’image de la jeunesse et ne nous étonnons pas, ne nous offusquons pas si leur jeunesse n’est plus tout à fait à l’image de la nôtre.

Exigeants et purs, méfiants et généreux, craignant d’être dupes, dupes des mots, des faux-semblants ou des compromis, dupes des situations acquises ou des réputations toutes faites, dupes des sentiments ou des bonnes consciences, dupes des bien-pensants ou des faiseurs de mots, ils s’interrogent, plus sans doute que nous ne l’avons fait nous-mêmes, parce qu’ils veulent un monde meilleur, une justice meilleure, plus acces­sible à tous, mieux comprise de tous, une justice plus efficace.

Il nous appartient de les comprendre, dans leurs desseins et dans leurs certitudes, dans leurs espérances et dans leur absolu, dans leur faim et leur soif d’une vraie justice et, si l’un ou l’autre d’entre eux nous donnait l’occasion de le juger trop présomptueux, il nous appartiendrait alors de nous souvenir du mot terrible de Goethe vieillissant : « Lorsque m’irrite la présomption des jeunes, le monde leur appartient déjà. »

Alors, mes collègues, si nous voulons nous comprendre les uns les autres, faisons le premier pas vers eux et demandons-nous si l’image que nous leur offrons ne comporte pas quelques ombres.

N’avions-nous pas cédé quelquefois au mirage d’un triomphalisme qui serait dérisoire ? Triomphalisme qui ne serait en réalité qu’une dévia­tion de la très haute idée qu’à juste titre nous nous sommes faite de notre fonction, triomphalisme diffus, qui se retrouve aussi bien dans l’archi­tecture de nos palais, dans la décoration de nos prétoires, dans l’ordonnan­cement de nos cérémonies, dans l’archaïsme, et quelquefois l’ésotérisme de notre langage, que dans notre répugnance à admettre les réserves ou à supporter les critiques qui peuvent nous être adressées. La justice, elle aussi, doit être toujours militante, souffrante parfois, mais elle ne gagne jamais, elle non plus, à chercher à être triomphante.

Les jeunes magistrats ne font pas mystère de se plaindre de ce qu’ils ont convenu d’appeler, reprenant une formule qui a eu quelque succès dans un autre domaine, « la pesanteur de la hiérarchie ». Certes, chaque fois que l’occasion m’a été donnée d’en parler avec quelques-uns d’entre eux, je n’ai pas manqué de leur faire observer que cette pesanteur n’était qu’un faux problème, le vrai problème, qui connaît une autre dimension, étant de savoir si le corps des magistrats doit ou ne doit pas comporter une hiérarchie. Je déborderais de mon propos en m’aventurant dans cette discussion et j’en reviens au grief qui nous est fait d’avoir rendu la hié­rarchie pesante. Je me suis interrogé sans complaisance et je crois pouvoir dire, au bénéfice d’une expérience professionnelle qui m’a permis de connaître successivement la position que l’on dit étouffée et la position que l’on qualifie de dominante, que la prétendue pesanteur de la hiérarchie est un mot, sinon un mythe, mais qu’un effort devrait être entrepris pour l’alléger d’une certaine raideur. Héritiers d’une longue tradition, nous avons continué à pratiquer ce que nos devanciers appelaient les bonnes manières, sans peut-être nous rendre compte que chaque époque a ses bonnes manières qui ne sont plus tout à fait celles de l’âge précédent. Peut-être abusons-nous des formulations exagérément respectueuses qui s’alourdissent en suivant la progression des fonctions, du rappel incessant des titres professionnels, en oubliant que, prises au pied de la lettre, ces habitudes qui nous sont familières donnent une incontestable raideur aux rapports humains. Que les magistrats n’oublient jamais non plus qu’à l’image de ce qui est, à la Cour de cassation, une règle d’or, le chef d’une juridiction ou d’une formation collégiale doit respecter, religieusement, l’opinion exprimée par la majorité de ses collègues, quelles que soient les différences d’âge, de grade ou d’expérience acquise au bénéfice de l’ancienneté des services... Primus peut-être, mais inter pares.

Ce n’est pas à une nuit du 4 août que je convie les magistrats, mais à une plus grande souplesse, à une plus grande chaleur, à un plus grand respect de la personnalité de chacun de leurs collègues.

Il nous est également reproché de sombrer trop aisément dans les délices du juridisme. Ici encore il convient de clarifier les idées et de bien préciser les termes. Le magistrat est avant tout, j’aurai l’occasion d’y revenir, le gardien de la loi. Il ne peut ni jouer, ni tricher avec elle. Pour éviter l’injustice, sa marge de manoeuvre, je l’ai déjà dit, est étroite. Il interprète le texte, s’il y a lieu, il l’applique à la situation qui lui est soumise et en tire les conséquences. Mais il doit éviter de se laisser prendre au piège - ou de céder à la facilité qui lui serait offerte - de s’abriter derrière les arguties ou les faux-semblants d’un juridisme purement intellectuel, de faire du procès un jeu de l’esprit tout ensemble subtil et cruel. Il ne doit jamais oublier que, si la loi est fixe, les situa­tions économiques et sociales sont mouvantes. C’est dans cette appréciation seulement que réside sa liberté de manoeuvre. Elle est très mesurée, la plupart du temps fort mince. Mais il ne doit pas la négliger, car c’est là le point de rencontre du droit et de l’équité.

Ce rappel de notions élémentaires, mais ce sont les notions les plus élémentaires qui doivent être le plus souvent rappelées, m’a fourni une transition au moment où je vais me tourner vers nos jeunes collègues, car, après tout, les délices empoisonnées du juridisme ne sont pas affaire de générations. Nous y sommes tous exposés et quiconque peut y suc­comber.

Vous voulez assurer un meilleur service de la justice - et vous avez raison. Vous voulez que la justice soit plus proche de l’homme - et vous avez raison. Vous voulez qu’elle soit plus égale pour tous, qu’elle brise les privilèges de la fortune, les liens de subordination qui entravent les relations du salarié et de la société qui l’emploie - et vous avez raison.

Mais tous ces nobles sentiments ne sont le privilège de personne ni le label d’une génération. Ils nous ont animés quand nous avons choisi d’être des juges et ils continuent à nous guider.

Si vous pensez que, pour atteindre cet idéal, tous les moyens peuvent être utilisés par le magistrat, permettez-moi de vous dire que vous êtes dans l’erreur.

D’abord il y a la loi, qui est à la fois un garde-fou et un butoir. Vous appliquerez la loi, parce qu’en démocratie elle est la règle suprême. Vous l’appliquerez au nom du peuple français et c’est le même peuple français qui a donné au législateur le pouvoir de la faire, de l’abroger, ou de la modifier. La loi nouvelle peut poser des cas de conscience. Chacun de nous doit les résoudre, intimement. A diverses périodes de notre his­toire des magistrats se sont trouvés affrontés à de tels cas de conscience. La loi a paru insupportable à certains. Ils sont partis, parce que leur conscience le leur commandait. Voilà la règle, brutale et simple. Sans doute nous est-il permis de suggérer des modifications ou des initiatives législatives. Mais pas par tous les moyens. Quand il s’agit de revendiquer ou de défendre notre indépendance, nous invoquons la séparation des pouvoirs. Mais ce principe n’est pas à sens unique. S’il veut que son indépendance ne soit pas remise en cause, le judiciaire ne doit pas s’immis­cer dans le législatif. La seule voie qui lui est ouverte réside dans les suggestions que, dans le rapport annuel de la Cour de cassation, nous pouvons présenter au garde des Sceaux et nous n’y manquons pas.

Au surplus une prise de position publique contre la loi priverait le juge de ce capital irremplaçable d’impartialité et de neutralité qui fait sa force. Lorsque le plaideur se présente devant son juge, il doit être assuré que la loi sera appliquée, pour lui ou contre lui, mais sans restric­tions ni arrière-pensée. Si le juge a proclamé son hostilité à la loi, le plaideur sera tenté de le récuser. Alors, ce sera la fin de la justice.

Je dis cela gravement, parce que je voudrais qu’on y prenne garde.

Je voudrais maintenant aborder une dernière question, qui, si elle n’est pas éclaircie, risque de provoquer une cassure au sein du corps judi­ciaire et d’altérer cette image de marque à laquelle je me suis déjà référé.

On parle souvent de l’obligation de réserve à laquelle les magistrats sont tenus et certains de nos collègues y voient comme un carcan, comme une intolérable sujétion qui nous livrerait à l’arbitraire, nous priverait d’un droit fondamental, le droit de libre expression, et ferait de nous des citoyens diminués.

Il convient d’observer dès l’abord que nous sommes soumis à un certain nombre d’obligations statutaires qui prévoient à la fois des incom­patibilités, des interdictions et des restrictions. Incompatibilité avec l’exer­cice de mandats parlementaires et au Conseil économique, et mise en disponibilité d’office si le conjoint exerce l’un de ces mandats, incompatibilité avec l’exercice de mandats de conseiller général ou municipal dans le ressort de la juridiction à laquelle appartient le magistrat - interdiction de toute délibération politique, de toute manifestation d’hosti­lité au principe ou à la forme du gouvernement de la République ainsi que de toute démonstration de nature politique incompatible avec la réserve (nous y voilà !) que leur imposent leurs fonctions, interdiction de toute action concertée de nature à arrêter ou entraver le fonctionnement des juridictions - enfin, restriction en ce que tout manquement aux devoirs de son état, à l’honneur, à la délicatesse ou à la dignité constitue une faute disciplinaire.

Monsieur le procureur général Touffait a consacré une étude très poussée à ces obligations statutaires et il montre comment elles s’inscrivent dans la tradition constitutionnelle et dans la ligne de la jurisprudence adminis­trative.

Personne, je pense, ne peut contester la réalité de ces entraves qui privent le magistrat de l’exercice de certains droits. Ad legem ferendam, il est toujours possible de souhaiter que ces barrières soient levées. Mais ceci est un autre problème.

Reste l’essentiel : l’obligation de réserve.

Sans doute serait-il plus satisfaisant pour l’esprit si cette notion de réserve pouvait être exactement précisée. Mais toute définition énumé­rative serait forcément incomplète et, partant, dangereuse. Nous connaissons bien le sophisme de certains arguments a contrario : tout ce qui n’est pas exclu est permis, donc... Au surplus, la réserve est avant tout une qualité qui pousse à agir avec prudence, avec discrétion, et qui met en garde contre tout excès. Elle s’apparente étroitement à cette délicatesse à laquelle nous convie le statut de la magistrature. Délicatesse ? Finesse d’appréciation, sensibilité scrupuleuse à l’égard de tout ce qui pourrait choquer. La réserve, la délicatesse sont moins des comportements précis, des attitudes catégoriques qu’un état d’esprit, je pourrais dire un état d’âme. Elles sont exclusives de la violence de certaines prises de position et de l’injustice qui est le corollaire de certaines outrances de langage. Elles sont exclusives aussi de la participation à certaines manifestations qui se déroulent sous le signe d’un engagement qui est antinomique de la neutralité du juge.

Nous devons mériter la confiance du peuple français, de tout le peuple français, si nous voulons assurer à notre justice cette crédibilité sans laquelle nous ne construirions que sur du sable. Or, la confiance suppose le respect, respect de l’institution et respect des hommes qui l’animent. Nous devons, tous, avoir à coeur de maintenir, d’assurer, chacun de nous dans sa sphère et à sa manière, la respectabilité de notre état. Et je reprends, mot pour mot, ce que je disais il y a quelques mois aux auditeurs de justice lors de l’inauguration des nouveaux locaux de l’Ecole nationale de la magistrature : Le mot peut faire sourire la jeunesse, car la jeunesse, et singulièrement celle de notre temps, fait volontiers profession d’irrespect. Cependant, je dis, et nettement, respectabilité. Mais entendons-nous bien. Il ne s’agit pas d’une respectabilité d’apparat, d’une sorte de respectabilité purement formelle, qui plongerait seulement ses racines dans le lourd appareil de nos manifestations solennelles, dans nos pourpres et dans nos hermines, dans les dorures de nos grand-cham­bres, dans la formulation souveraine de nos décisions, ni même dans l’affirmation pieusement renouvelée que nous sommes le troisième pouvoir. Dans mon esprit, il s’agit de tout autre chose. Le peuple français, quoi qu’on en ait dit, croit en la justice. Il ne demande qu’à croire en ses juges. Mais lui aussi se fait une certaine idée de la justice et des juges et même en l’an deux mille il se fera la même idée de la justice. Et cette idée est à base de respect. Le peuple français ne croirait plus en la justice le jour où il ne la respecterait plus. Cette respectabilité repose sur quelques notions élémentaires et se traduit par quelques mots très simples du plus vieux langage des hommes de notre terre et de notre sang : la mesure, la délicatesse, l’usage. C’est le prix de la confiance. Il est immuable. Les juges devront toujours le payer, intégralement.

J’ai beaucoup parlé d’image de marque. Ne superposons pas une nouvelle image à l’ancienne. Efforçons-nous au contraire, tous ensemble et toutes générations confondues, à améliorer cette image. Vous ne pourriez y parvenir, mes jeunes collègues, par une rupture brutale avec le passé. Je vous livre André Gide, qui n’était pourtant suspect ni de conformisme exagéré, ni de fidélité exemplaire à son milieu social, ni de soumission passive à la respectabilité : « Le présent serait plein de tous les avenirs, si le passé n’y projetait déjà une histoire ».

 

Oui, améliorons tous ensemble notre image de marque. Il n’est qu’un seul moyen, nous pencher, avec un soin accru, vers l’homme, l’homme que nous avons à protéger contre les puissances, contre les nuisances, contre la machine, contre ses semblables, contre lui-même parfois.

Avec nous, après nous, les jeunes magistrats doivent continuer le combat pour l’homme, même si les malheurs des temps voulaient que ce soit un combat sans espoir.

 

 

 

Discours de monsieur l’avocat général Pierre Boutemail

 

Monsieur le garde des Sceaux,

Monsieur le premier président,

Monsieur le procureur général,

Messieurs les présidents,

Monsieur le premier avocat général,

Mesdames,

Messieurs,

 

Nous commençons l’année judiciaire dans le sérieux et la gravité du souvenir et quel acte de modestie doit être le nôtre à la pensée de ceux qui ont assuré sans faillir la continuité de vos plus nobles traditions.

Ainsi, dans la tristesse de ces instants et dans le recueillement néces­saire avant la reprise de nos travaux, pouvons-nous quand même, et grâce à eux, penser avec Barrès que :

« l’Espérance a été posée sur nos tombes ».

Monsieur Henri BRUNHES

 

Monsieur le conseiller Louis-Marie-Henri Brunhes était né à Clermont-Ferrand, le 24 mai 1908.

Cadet d’une famille de quatre enfants, il devait, deux ans plus tard, perdre son père, professeur à la faculté des sciences et directeur de l’obser­vatoire du Puy-de-Dôme.

Son aïeul paternel avait été doyen de la faculté des sciences de Dijon. Deux de ses oncles étaient de hauts dignitaires de l’Eglise, Mgr Petit de Julleville, cardinal archevêque de Rouen et Mgr Brunhes, évêque de Montpellier. Un autre de ses oncles, professeur de géographie humaine au Collège de France, dont les oeuvres ont eu un grand retentissement était membre de l’Institut.

Il semblait que le jeune bachelier de seize ans, dont les brillantes études à Paris avaient déjà révélé la prometteuse précocité, n’avait qu’à choisir ; or c’est le droit qu’il préféra en allant se faire inscrire à Dijon où il retrouvait un oncle, bâtonnier de l’Ordre des avocats. A dix-neuf ans, il est licencié et la faculté lui a décerné huit de ses prix.

En 1932, il soutient sa thèse sur : l’imprudence devant la loi pénale, mention très bien, éloge spécial...

Nous le retrouvons avocat stagiaire, assurant le secrétariat de son oncle, avant d’être attaché au parquet géné­ral de Dijon.

Reçu premier à l’examen d’entrée dans la magistrature, il est nommé d’emblée substitut du procureur de la République de Chalon-sur-Saône où il se fait aussitôt apprécier par son esprit clair et méthodique, son caractère droit et ferme.

Avant d’arriver à Paris, la carrière d’Henri Brunhes a été tout entière consacrée au ministère public.

De sa course judiciaire à Lure, Dieppe et surtout Rouen où il devait être tour à tour substitut, substitut général et avocat général avant d’être nommé procureur de la République dans les grands et difficiles parquets de Tunis et de Nice, je ne retiendrai pour leur éloquence que la subs­tance des éloges qui lui furent prodigués : « Esprit lumineux, pénétrant, voyant vite et juste, discret, plein de finesse, empressé, généreux, d’humeur égale et d’une modestie charmante. Son langage d’une élégante simplicité ajoute encore à sa rare distinction » et ses chefs successifs se plaisent à le qualifier de magistrat d’élite.

Mais depuis longtemps déjà, Henri Brunhes rêvait de passer au Siège.

Il obtint satisfaction et devint très vite l’un des conseillers les plus complets et les plus appréciés de la cour d’appel de Paris.

Moins de quatre ans après, Henri Brunhes est nommé président de chambre et sa réussite est telle que dans un temps minimum, le 13 fé­vrier 1963, il accède à votre cour où il siègera à la chambre commerciale.

Il va y donner toute sa mesure.

Son intelligence subtile, sa parfaite connaissance des textes et de la jurisprudence, lui permettent avec une étonnante facilité de trouver la solution juste. Par la richesse de sa dialectique il n’a pas de peine à faire prévaloir son point de vue et celui-ci s’impose très vite comme allant de soi.

Nommé au Conseil supérieur de la magistrature le 31 janvier 1967 il y sera lui-même, scrupuleux, faisant preuve de caractère, autant que de bonté.

Ainsi tout semblait sourire au conseiller Brunhes, officier de la Légion d’honneur depuis le 29 décembre 1962.

De son mariage parfaitement heureux, il avait sept enfants, honneur de son foyer. Il habitait Rouen, sa ville de prédilection.

Il y arrivait le soir, calme, apaisé. Sa journée avait été bien remplie. Il avait laissé ses soucis, s’il en avait eu, en se recueillant dans l’église toute proche, l’église Saint-Romain. Car notre collègue était pieux, sincè­rement, simplement, profondément.

Il puisait dans sa foi force et courage et cet homme de caractère allait en avoir besoin, quand il ressentit pour la première fois les progrès insi­dieux d’un mal dont il connaissait toute la gravité.

Son intransigeante conscience ne lui permettait pas les demi-mesures. Le 26 mai 1971, il sollicitait sa mise en congé spécial, mais avec une volonté qui force l’admiration, il devait encore pendant un an participer aux travaux du Conseil supérieur de la magistrature, y usant ses dernières forces.

Il a regardé la mort en face.

Elle est venue le frapper le 31 juillet 1972.

Il était au milieu des siens. Il s’est éteint dans la paix et la sérénité du Juste sans avoir connu le beau succès de l’un de ses fils, reçu au dernier examen professionnel d’entrée dans la magistrature.

Ses obsèques, simples et dignes comme il l’avait désiré, ont été célébrées, en présence de monsieur le garde des Sceaux, dans cette église Saint-Romain à laquelle il était si attaché, et, dans son homélie, le prêtre, son ami de quinze ans, exprimait la pensée de tous quand il s’écriait :

« Aussi bien à la maison, à l’église, à l’hôpital... père de famille, chrétien, magistrat et malade, je n’ai connu qu’un seul homme toujours souriant, accueillant, fidèle au meilleur sens du terme. Un homme heu­reux de vivre et voulant vivre cette vie merveilleuse que Dieu nous a donnée ».

 

Que notre sympathie attristée trouve, dans son expression, le respec­tueux témoignage que nous offrons à la douleur des siens.

Monsieur Charles CHABRIER

 

Rendre hommage à nos collègues disparus, essayer de les comprendre pour mieux cerner ce que comporte d’essentiel leur personnalité conduit tout naturellement à se pencher sur soi-même et j’imagine qu’il en fut ainsi pour l’avocat général à la Cour de cassation Charles-Régis-Louis Chabrier quand, en 1939, il préparait ce qu’on appelait alors le discours de rentrée.

Né à Vichy le 15 janvier 1880, après ses études secondaires, c’est à Poitiers qu’il avait passé ses examens de licence et de doctorat en droit y soutenant, en 1907, une thèse sur la tutelle des enfants naturels autres que les pupilles de l’Assistance publique.

 

Les fonctions judiciaires lui plaisent.

Notre collègue s’initia dans divers parquets de province et il resta fidèle à l’exercice de l’action publique jusqu’à son accession parmi vous.

Son départ à la retraite depuis plus de vingt-deux ans fait que rares sont ceux qui ont eu le privilège de bien le connaître mais on me l’a dépeint comme un homme courtois, bienveillant, distingué, de parfaite éducation et beaucoup de bon sens, dont la modestie égalait l’indéniable mérite.

C’est le 6 décembre 1938 qu’il est nommé avocat général à votre cour.

Parmi vous, il devait encore ajouter à la réputation qui l’avait précédé. Ses qualités trouveront leur plein épanouissement tant au parquet qu’au siège, quand, sur sa demande, il devint conseiller à la chambre commer­ciale.

Spécialiste des questions d’enregistrement et de droit maritime, il s’y fit remarquer par les plus solides qualités de jugement, de finesse juridique, de labeur et de courtois dévouement.

Charles Chabrier était officier de la Légion d’honneur.

Monsieur le président honoraire Chabrier a pu pendant longtemps jouir des loisirs de la retraite.

Les premières années furent heureuses.

Avec son épouse, il partageait son temps entre le grand appartement de la rue de Longchamp à Paris et la vieille maison d’aspect un peu sévère mais au parc magnifique, qu’il possédait à Descartes en Indre-et-Loire, aux confins de la Touraine et du Haut-Poitou.

Mais les deuils et l’éloignement des siens vinrent assombrir ses dernières années. Sa santé s’altéra et il connut la profonde mélancolie d’un homme malade et seul.

L’adversité révèle la personnalité et Charles Chabrier fit front mais il n’est pas de résistance morale, si forte soit-elle, qui n’épuise à la longue les caractères les mieux trempés.

Il s’est éteint doucement le 15 février 1973.

Monsieur le président de chambre honoraire Charles Chabrier était dans sa quatre-vingt-quatorzième année.

Inclinons-nous avec respect devant sa mémoire.

Monsieur René MILHAC

 

Monsieur le conseiller honoraire Milhac cachait un caractère aimable et bienveillant sous des apparences réservées qu’il devait peut-être à sa naissance dans nos marches de l’Est.

Juste et bon envers tous, heureux d’être naturellement obligeant, tel était René Milhac dont on m’a dépeint à l’envi la courtoisie et l’éga­lité d’humeur.

Ses études de droit brillamment terminées en 1913, diplômé de l’Ecole libre des sciences politiques, il se sent attiré vers la magistrature mais le stage d’attaché qu’il commence alors au parquet de la Seine sera brutalement interrompu en 1914 par les hostilités.

Il revient à Paris en 1919, décoré de la croix de Guerre méritée à la suite d’une élogieuse citation à l’ordre de la division.

René Milhac avait 31 ans.

La requête qu’il dépose en octobre 1919 est immédiatement agréée, le voici magistrat.

Sa carrière a commencé comme tant d’autres en province, à Angers, Poitiers, Auxerre en passant par les haltes classiques du ressort de Paris. Il est substitut à Corbeil, Melun, Reims, Versailles, à la Seine à la sec­tion financière, substitut général puis avocat général le 15 octobre 1944.

En 1949 il est accueilli à votre chambre criminelle par le président Donat-Guigue précédemment procureur général à Paris dont, pendant près de quatre ans, il avait été le secrétaire général, faisant apprécier dans ces délicates fonctions ses qualités d’ordre et de méthode, son sens aigu des réalités, son entier dévouement. Il y a siégé pendant dix années, rapporteur scrupuleux et efficace, attentif au délibéré, apportant dans ses avis la note, originale et sage, qui peut orienter la décision.

Monsieur le conseiller honoraire Milhac était officier de la Légion d’honneur.

Il a conservé jusqu’à la fin de sa vie une vigueur intellectuelle peu commune et une verdeur physique enviable qui lui ont permis d’assumer pendant plus de onze ans la charge de membre du bureau d’Assistance judiciaire près la Cour de cassation aux côtés du président Maurice Hersent.

Là encore notre collègue a donné la mesure de ce qu’en lui était l’homme, avec son élégante courtoisie et son sens élevé des obligations du juge à l’égard des plus pitoyables de ses semblables.

Par décret du 7 décembre 1971, monsieur le conseiller honoraire René Milhac était promu commandeur de l’Ordre national du Mérite et en lui remettant les insignes de cette haute distinction, monsieur le premier président Aydalot pouvait lui dire : « Votre mérite singulier a été d’avoir fait un peu plus que ce que vous commandaient vos devoirs d’état ».

 

Tel a été le magistrat. Les souvenirs qui s’attachent à l’homme sont aussi prenants.

Certes René Milhac était né dans les Ardennes mais toute sa famille paternelle était issue de Sarlat-en-Périgord. C’est là, dans cette ville musée, qu’il passait ses vacances jusqu’au jour où il vint installer sa maison des champs à Beynac, étrange petit village perché sur la falaise abrupte domi­nant la boucle de la vallée de la Dordogne, ravissante, incroyable vieille demeure couverte de lauzes, adossée tout contre l’imposant château fort, avec son double donjon, ses tours et ses échauguettes, d’où la vue s’évade vers de lointains horizons.

Monsieur le conseiller honoraire Milhac s’est éteint le 2 novembre 1972 à l’âge de quatre-vingt-quatre ans, entouré des soins les plus affectueux et les plus attentifs de son épouse et de ses trois enfants qui voudront bien trouver ici l’hommage de nos regrets sincèrement attristés.

Monsieur Jean LECHARNY

 

En juin 1972, à une audience de la commission d’indemnisation, j’apprenais que le conseiller doyen de la troisième chambre civile, Jean Lecharny, avait eu un malaise à la gare Saint-Lazare alors qu’il descendait du train de Versailles.

Un peu d’inquiétude pour tous car il n’était aucun de ses collègues qui ne fût son ami, mais les nouvelles se firent plus rassurantes. Il était allé en Normandie se reposer chez son fils, avoué à la Cour d’appel, et ce furent les vacances en ces premiers grands jours de l’été.

A la rentrée, c’est avec consternation que j’ai su qu’il était décédé, le 12 août, à Boismont en terre lorraine, petite patrie de son épouse.

...Ainsi, nous ne verrons plus la silhouette familière, légèrement voûtée, de ce collègue au regard profond laissant deviner une intelligence compréhensive, bienveillante et généreuse.

...Jean-Henri Lecharny, parisien de Paris et de vieille lignée, y était né le 19 décembre 1903.

Son père, agrégé de l’Université, était professeur de philosophie et sous-directeur du collège Sainte-Barbe. Licencié en droit, diplômé d’études supérieures, lauréat de la Faculté, Jean Lecharny, en 1929, est attaché titulaire au ministère de la Justice, puis toute sa carrière se déroulera dans le ressort de Paris où il se fera très vite une réputation bien établie qui lui ouvrira la grande voie de l’instruction à Etampes, Corbeil, Pontoise, Versailles, et enfin Paris, où il gravira tous les échelons jusqu’à la consé­cration que constitue l’accession à votre cour, après avoir été douze ans juge d’instruction au tribunal de la Seine puis conseiller, avant de présider la première chambre de la Cour d’appel.

Jean Lecharny n’avait cessé de mériter les appréciations les plus flatteuses.

A la section financière du Parquet de la Seine, son sens de la mesure, sa parfaite probité d’esprit lui avaient permis d’éviter les écueils des procédures les plus délicates dont certaines sont encore dans toutes les mémoires.

L’instruction de ses dossiers pouvait être donnée en exemple et le plus bel éloge que l’on ait pu faire de ce parfait magistrat, je le trouve dans cette appréciation des chefs du tribunal de la Seine dont l’un est parmi nous, alors que Jean Lecharny allait les quitter : « On peut sans forcer les termes, écrivent-ils, dire de ce magistrat instructeur, qui pratique depuis vingt ans l’information judiciaire, qu’il s’identifie si parfaitement à ses fonctions qu’il est pour tous : le juge d’instruction ».

Ses collègues avaient fait de lui leur conscience en l’envoyant siéger comme membre suppléant au Conseil supérieur de la magistrature.

A la Cour d’appel, sa science juridique, et son dévouement sont unanimement appréciés et son expérience lui confère une compétence indiscutable.

Je ne rappellerai pas le concours éminent qu’il a rendu à la chambre sociale puis à votre troisième chambre civile dont il était devenu le doyen aimé et écouté, y acquérant une situation prépondérante par son labeur et la sûreté de son jugement.

Monsieur le conseiller doyen Jean Lecharny était officier de la Légion d’honneur.

Les vertus civiques et morales de Jean Lecharny étaient à la mesure de ses vertus professionnelles.

Homme de bien, équilibré, pondéré, modeste et tolérant, tels étaient les traits dominants de son caractère.

Tout au cours de sa carrière, ses qualités profondes et attirantes lui ont valu des amis qui lui sont restés aussi fidèles qu’il l’avait été lui-même car sa vie était placée sous le signe de la fidélité.

Nombreux sont ceux d’entre eux qui parmi vous, ayant accédé aux plus hautes charges, se recueillent et pensent avec moi à celui auquel les lient tant de souvenirs heureux de jeunesse ou de maturité.

...C’est sur les bancs de la faculté de droit que Jean Lecharny avait connu celle à qui il devait donner son nom, le 27 novembre 1928.

Pour sa plus grande joie, son foyer allait s’orner de onze enfants, six garçons et cinq filles, qui, tous, ont Marie parmi leurs prénoms.

C’était une famille unie, pleine de vie, joyeuse, à l’accueil chaleureux, dont le cercle s’ouvrait naturellement et en toute simplicité, à l’ami qui passait ou avait besoin d’un soutien.

Bien des efforts, des privations sans doute, mais le résultat était atteint. Les enfants élevés librement, suivant leurs aspirations, réussis­saient dans leurs voies respectives, et l’existence familiale s’écoulait active et heureuse, rue Henri-Simon à Versailles.

Le jardin avec la petite tonnelle où il venait méditer et la bibliothèque où il se retrouvait au milieu de ses livres étaient, pour Jean Lecharny à l’existence si pleine, ses lieux de prédilection.

Il se sentait attiré vers certains auteurs tels Max Jacob, Huysmans, Thomas Mann, Claudel peut-être parce que plus que d’autres ils avaient trouvé tardivement leur chemin de Damas. Mais sa part de rêve, c’était Verlaine et surtout Mallarmé.

Pour se tenir informé, il parcourait de nombreuses revues littéraires et, à la fin de sa vie, il se passionnait pour les études bibliques tout en relisant La jeune Parque de Valéry ou les oeuvres de Teilhard de Chardin.

Car la foi de Jean Lecharny était profonde. Elle irradiait tout son être. Il était indifférent au verbe. Pour lui, seul l’acte comptait.

Aussi tolérant qu’il était sincèrement croyant, il avait une grande liberté d’esprit. Il cherchait toujours à étayer davantage son intime certi­tude de l’existence de Dieu. Il n’affirmait jamais orgueilleusement sa foi. Il ne s’efforçait pas de convaincre, sinon par l’exemple qu’il offrait.

Il cherchait la Vérité où elle se trouvait car, m’a-t-on assuré, il était, comme tous les grands croyants, enclin parfois à une certaine inquiétude tant la foi la plus sincère est toujours mouvante.

Consciemment ou inconsciemment, monsieur le conseiller doyen Jean Le­charny s’était de tout temps préparé à la mort. Elle lui fut fidèle au matin du 12 août 1972. Il l’attendait.

Il repose, comme il l’a voulu, à Boismont, dans la calme sérénité d’un petit cimetière de campagne.

Le 7 octobre 1972, l’église Saint-Symphorien à Versailles était trop petite pour accueillir la foule de ses amis et de ses collègues venus assister à la messe de requiem célébrée par le R.P. Riquet, frère de lait de Jean Lecharny, et exprimer aux siens la part sincère que tous prenaient à leur deuil.

Puisse le souvenir d’une vie aussi belle, aussi digne, apaiser le déses­poir d’une famille toute à la douleur.

C’est en pensant à un homme comme lui que Maurice Genevoix a écrit :

« Je l’admirais pour sa culture, pour sa richesse intérieure qui savait unir, dans une constante ouverture d’esprit et de coeur, la solidité et la lucidité du jugement à la hauteur de vue du chrétien ».

Monsieur René-Auguste DALLANT

Le 3 novembre 1897 à Auzances, discrète localité du département de la Creuse, naissait René, Auguste Dallant.

Une carrière judiciaire aux phases contrastées devait le conduire à votre chambre commerciale le 17 juillet 1957.

Celui que vous avez connu si plein de vie avait eu une jeunesse difficile, enfant délicat, se pliant mal aux servitudes de l’internat, mais réussissant admirablement dans ses études. Bachelier ès lettres en 1916, licencié en droit en 1919, il est reçu à vingt-quatre ans, en mai 1922, à l’examen professionnel d’entrée dans la magistrature.

Le Parquet général de Limoges réclame le jeune attaché qui au cours de son stage a su se faire apprécier et une brillante carrière l’amènera en quinze ans au poste envié de substitut au Parquet de la Seine après avoir tenu la plume et porté la parole à Rodez, Guéret, Pontoise, Chartres et Epernay.

En 1939, René Dallant, qui a été dispensé de ses obligations mili­taires, est substitut à la première chambre du tribunal civil de la Seine.

Il y est chargé du service des séquestres des biens ennemis créé au lendemain des hostilités.

Commence alors la noire période de l’occupation.

L’estime particulière dans laquelle le tient le garde des Sceaux de l’époque fait de lui un directeur du personnel.

Ce juriste n’était pas fait pour occuper un poste que les circonstances rendaient difficile.

 

Après la libération il s’inscrit au barreau de Guéret.

Le 20 décembre 1950, il remonte sur le siège de premier président de la Cour d’appel de Chambéry, qu’il avait déjà occupé, avec éclat et dignité, dès 1943.

Les arrêts rendus sous sa présidence faisaient autorité et, comme il aimait et cultivait le droit, il ajoutait à ses activités des travaux juri­diques appréciés dans les recueils de jurisprudence.

Le 24 février 1957, il prend place parmi vous.

Conseiller à la chambre commerciale il s’adapte à cette nouvelle discipline et conquiert très vite l’estime de son président et celle de ses collègues.

Ce sont eux qui m’ont vanté sa gentillesse, son sens de l’humour, la qualité de son travail et l’art qu’il déployait pour rendre attrayantes les affaires pourtant austères qui lui étaient dévolues : les baux commer­ciaux et la concurrence déloyale, son aptitude à élever le débat, à remonter aux sources, se complaisant à retrouver dans le droit romain où il excel­lait, les origines de la règle de droit ou l’explication de l’espèce.

Le 22 novembre 1968, admis à faire valoir ses droits à la retraite, il est nommé conseiller honoraire.

René Dallant était officier de la Légion d’honneur.

Alors commence pour lui une nouvelle phase de son existence.

Il avait le talent de dépouiller les notions les plus abstraites de leur complexité pour leur rendre leur simplicité, leur clarté et le goût de trans­mettre, avec facilité et éclat, les connaissances acquises ; de revivre le droit pour le rendre plus accessible.

Trois certificats de doctorat suivis d’une thèse sur la notion de préposé dans l’article 1384 du Code civil lui avaient, à l’aube de sa carrière, inspiré le désir d’enseigner.

Sa mise à la retraite est concomitante de la création de la faculté de droit de Reims. D’enthousiasme il accepte d’y professer le droit com­mercial et le droit civil.

Ses cours très vivants, sont assidûment suivis. Il aimait la jeunesse et savait s’en faire aimer.

Ses étudiants tout naturellement se confiaient à lui.

Ainsi entouré, compris, vénéré, René Dallant retrouvait un nouveau souffle.

S’il partait de Paris fatigué, il revenait de Reims reposé, détendu, heureux et c’était pour s’occuper des « Amitiés Limousines » dont il était le dévoué président, conseillant, aidant, facilitant tous ceux, et ils étaient nombreux, qui avaient besoin de lui.

Il y avait chez notre collègue un véritable culte de la vie.

Il aimait, lui, dont la santé était sans défaillance, à évoquer la longévité des siens, la vitalité de sa famille.

Et pourtant, les Temps approchaient...

Le début de la présente année le voyait décliner.

Sans doute en avait-il conscience, mais, René Dallant était un homme fort, nul ne l’a entendu se plaindre.

Le 5 avril, il avait plus de soixante-seize ans, il revenait de Reims, c’était son dernier cours...

Il eut une première hémorragie suivie d’une plus grave à l’hôpital Saint-Antoine où on l’avait transporté.

Malgré la diligence des soins dont il fut entouré, le 7 avril, son combat contre la mort se terminait.

Ses obsèques eurent lieu le 11 avril 1973 en l’église Notre-Dame de Grâce à Passy et, comme il le désirait, il repose à Guéret, dans le caveau de famille.

Parmi toutes les couronnes, témoignages des regrets qu’il laissait, la plus émouvante, celle qu’il aurait sans doute la plus appréciée, lui avait spontanément été offerte par ses étudiants de quatrième année de la faculté de droit de Reims.

Je m’incline avec respect devant la douleur des siens et je prie Madame René Dallant et ses enfants, avec une pensée particulière pour son fils Pierre, qui est des nôtres, de croire à la grande part que la Cour prend à leur peine.

Monsieur Raymond BOULBES

 

C’était hier, me semble-t-il, que monsieur le conseiller Raymond Boulbes participait encore aux audiences de votre deuxième chambre civile, y apportant sa puissance de travail, son sens de l’équité et son désir de rechercher tout ce qui peut ménager l’homme en assurant la nécessaire application de la loi.

Droiture de l’esprit, honnêteté intellectuelle, extrême courtoisie, tout ceci faisait de Raymond Boulbes, un collègue discret, aimable et sûr.

Ses yeux profonds au regard droit jetaient un éclat de loyauté sur son masque énergique et son débit, qui semblait rouler dans le fond de sa gorge, les galets de son Midi natal, marquait cet homme naturellement réservé de l’empreinte lumineuse de ce beau pays de Narbonne où il était né le 5 août 1907.

Ses parents, membres de l’enseignement, lui firent suivre les cours du collège local avant de l’envoyer à la faculté de Montpellier, où ce fils unique, élevé avec fermeté et amour, devait leur donner toutes les satis­factions qu’ils pouvaient en attendre.

Il y menait de front, avec un égal bonheur, ses études de lettres et de droit.

Doublement licencié en 1928 avec de multiples mentions, il soutient en 1930 une thèse remarquée sur la nature juridique de l’action civile, qui, avec le diplôme de docteur en droit, lui vaut et les éloges du jury et le prix de thèse de la faculté.

Dans les semaines qui suivirent la fin de son service militaire, il est reçu à l’examen professionnel d’entrée dans la magistrature et son clas­sement lui permet d’être nommé attaché titulaire au ministère de la Justice, le 3 juin 1931.

Affecté au bureau du Sceau, il y a pris tous ses grades jusqu’à sa nomination comme conseiller à la Cour d’appel de Paris, le 29 décem­bre 1954, alors qu’il était sous-directeur des Affaires civiles.

Il a marqué son passage par des travaux qui ont fait date, sur la nationalité.

Principal auteur du code qui en traite, il a écrit en 1956 un ouvrage sur : Le droit français de la nationalité, toujours consulté.

Notre collègue se donnait avec joie et bonheur à ses nouvelles tâches.

A la quatrième chambre de la cour, il se familiarisa avec les affaires de propriété industrielle et les brevets d’invention, mais c’est à la pre­mière chambre supplémentaire, où il fut affecté en 1958, qu’il retrouva les questions de nationalité et aussi celles touchant la filiation et l’arbi­trage, auxquelles il porta tout de suite le plus vif intérêt.

Il y affirma son autorité en faisant fonction de président pendant deux ans, avant d’y être titularisé le 23 juillet 1963.

Les arrêts rendus sous sa présidence étaient d’une écriture claire, vigoureuse et concise.

Ses travaux de doctrine notamment à la Semaine juridique étaient unanimement appréciés.

De telles qualités professionnelles devaient tout naturellement trouver leur consécration dans sa nomination à votre cour qui intervint le 4 septembre 1968 et vous vous souvenez de la part importante qu’il a prise à vos travaux en y apportant tout son coeur et toute sa volonté.

Monsieur le conseiller Boulbes était officier de la Légion d’honneur.

S’il est vrai que la fonction n’absorbe pas nécessairement l’homme, du moins le modèle-t-elle dans la mesure où il s’y attache et s’y incorpore.

Un de ses amis de toujours me disait : « Raymond Boulbes a réalisé de façon parfaite la courbe de son existence... »

 

Sa famille, ses fonctions, la Bretagne et la Normandie, ses pays d’élection, ont partagé sa vie.

Une famille étroitement unie, six beaux enfants, quatre filles et deux garçons, une épouse admirable de dévouement. Monsieur le conseiller Boulbes vivait parfaitement heureux à Versailles où il se reposait de son travail par de longues promenades dans le parc ou par l’audition de quelques disques. L’été, les plaisirs de la mer à Trégastel puis à Quetreville-sur-Sienne, ou ceux de la montagne dans les Pyrénées, partageaient ses loisirs et ceux de sa famille.

Mais je ne serais pas complet si je ne rappelais combien notre collè­gue était sincèrement pieux, d’une foi totale nullement contraignante qui, tous les ans, à son heure, dans la solitude qu’il aimait, lui faisait entreprendre à pied, sur les traces de Péguy, le pèlerinage de Chartres.

Les événements allaient nous surprendre par leur implacable brus­querie. Peu avant Pâques, chacun fut étonné de ne plus voir le conseiller Boulbes.

Nous espérions le retrouver après les vacances.

Lui-même l’avait fait savoir étant persuadé que le séjour qu’il allait effectuer en Corrèze allait lui rendre ses forces déclinantes.

Ce fut son dernier voyage...

Des semaines... des jours et des nuits alternés de plus d’angoisse que d’espoir, et la mort est venue le prendre le 3 juin dernier.

Sa mort aura été pour nous un profond déchirement.

A Madame Raymond Boulbes qui avait si bien compris son âme, et à tous les siens, nous adressons nos condoléances émues et l’expression de nos douloureux regrets.

 

Monsieur Jean-Baptiste CANONNE

 

C’est avec les premiers rayons d’un soleil estival que nous est parvenue la nouvelle combien attristante du décès de monsieur le conseiller hono­raire Jean-Baptiste Canonne.

Vous devinerez mon émotion, quand vous saurez qu’il fut mon chef pendant des années, à la première division du Parquet de la Seine. L’homme était si bienveillant, si compréhensif, si attentif à tout, que l’on ne pouvait qu’entrer dans son amitié.

Certes je n’ignorais pas ses graves ennuis de santé.

Déjà en 1971, il avait songé à bénéficier du congé spécial, mais son attachement à ses fonctions l’avait retenu, malheureusement pour peu de temps car, l’année suivante, des symptômes plus sérieux se manifestaient.

Nous avons vu son visage se creuser. L’inquiétude se lisait dans son regard et son pitoyable sourire de grand malade n’était plus le sourire épanoui que nous avions connu.

Bien avant la limite d’âge, il dut solliciter sa mise à la retraite. Elle lui fut accordée avec l’honorariat. Alors il disposa de tout ce qui lui rappelait sa vie professionnelle : robe rouge, robe noire, mortier, il les dispersa comme s’il avait voulu continuer à servir en la personne de ceux de ses amis les plus intimes auxquels il les destinait. Je me souviens de sa dernière visite, en mars, je crois. Sa haute taille se voûtait. Son teint perdait ses couleurs. Ses traits se parcheminaient. Il n’était plus qu’une ombre, l’ombre de lui-même, et pourtant il exposait avec courage les différentes interventions qu’il était à la veille de subir, et c’est avec un apparent optimisme qu’il en préjugeait favorablement le résultat, tant il est vrai que l’espoir au coeur de l’homme vit de chétive pâture. Je ne devais plus le revoir.

Pourtant il m’appartient maintenant de vous dire qui il était. Mon propos ne peut être qu’incomplet...

Le seul éloge valable, digne de lui est le grand souvenir que nous en conservons...

Jean-Baptiste Canonne était né le 23 août 1904 dans le Pas-de-Calais, à Béthune, d’où sa mère était originaire. Son père, officier de carrière breveté d’état-major, était lui natif du département du Nord.

Les années passent et ce fut la Grande Guerre. Elle allait se termi­ner et le jour où la joie explosait, faisant suite à l’espoir, fut pour la famille Canonne un jour de deuil car par une tragique fatalité, le 11 novem­bre 1918, le colonel Canonne mourait pour la France, suprême sacrifice de celui qui ayant déjà perdu un oeil à la bataille de la Marne avait cependant refusé de s’éloigner de la ligne de feu.

Madame Canonne et ses enfants s’étaient réfugiés à Paris. Elle ne voulut pas revenir dans le Nord ravagé et meurtri. L’un de ses fils nécessitant certains soins, la résidence de Pau lui fut conseillée et c’est dans la capi­tale du Béarn qu’elle devait définitivement se fixer.

Jean-Baptiste Canonne compta, comme ses frères, parmi les plus brillants élèves du collège de l’Immaculée Conception.

Bachelier, c’est à Toulouse que notre collègue fit ses études de droit.

Licencié et diplômé de l’Institut de criminologie, il vint à Paris préparer ses certificats d’études supérieures qui le conduisirent après bien des années de recherches et de réflexion, tant il aimait le travail sérieux et soigné, à soutenir, en 1943, une thèse qui fit date sur : La destruction des titres en droit pénal.

Il semble que la vocation de Jean-Baptiste Canonne se soit révélée au cours de ses études.

Attaché stagiaire au ministère de la Justice, reçu brillamment à l’examen professionnel d’entrée dans la magistrature ; au retour du service militaire, il revint à la Chancellerie comme attaché titulaire après avoir été quelques mois juge suppléant au tribunal civil de Pontoise.

Le graphique de sa carrière, presque toute consacrée au ressort de Paris, est d’une grande sobriété. Substitut à Senlis, à Troyes et à Melun, puis procureur de la République à Fontainebleau ; en quatre étapes et en moins de trois lustres, il gagne le Parquet du tribunal de la Seine.

La rapidité de son ascension et la qualité des fonctions qui lui furent confiées parlent d’elles-mêmes. Aucun service si lourd ou si délicat qu’il fût, n’a été au-dessus de ses mérites.

A peine nommé substitut adjoint, en novembre 1940, il assure, avec habileté et tact, l’intérim du secrétariat général du parquet.

Ses rares qualités comme substitut, chef de la 5e section, lui font ensuite confier le poste spécialement délicat de substitut du service central où sa réussite est totale.

En 1951, le président Edgar Faure, alors garde des Sceaux, en fait son chef de cabinet. Le temps s’écoule et nous retrouvons le substitut général Canonne, délégué dans les fonctions de procureur de la Répu­blique adjoint du tribunal de la Seine.

Il y sera titularisé en 1953 et pendant neuf années, comme chef de la première division, notre ami fut, pour les procureurs de la République qui se succédèrent, le plus précieux des collaborateurs.

Chacun se plaisait à louer son attachement à ses fonctions, la sûreté de ses informations, la probité de son jugement, son dévouement total, sa disponibilité exemplaire à l’exercice de sa profession.

En 1961, la Cour d’appel l’accueillit.

Pendant deux ans il fut attaché à la première Chambre où il s’affirma par la clarté et la précision de ses conclusions, sa culture, sa compétence et l’humanité de ses sentiments.

Le 9 avril 1963 l’avocat général Canonne accédait à votre cour, à la chambre criminelle, où il sut très vite s’imposer par son travail métho­dique et la sagesse des solutions longuement pesées et mûries qu’il proposait.

Jean-Baptiste Canonne était heureux de vivre dans ce milieu qu’il aimait. A la bibliothèque, un de ses lieux de prédilection dans ce grand palais qui était un peu son univers, on le retrouvait presque toujours à la même place, accueillant, prêt à venir en aide.

Et arrivaient les vacances... Notre collègue pensait .que l’on ne pou­vait être mieux qu’en France... Il partageait son temps entre une cure qu’il faisait régulièrement à Bagnoles-de-l’Orne, son appartement de Cannes et surtout l’agréable maison de son épouse à Saint-Pierre-lès-Nemours, au jardin fleuri sur les bords du canal, où il vivait dans un décor qu’il aimait, entouré de beaux meubles anciens, d’estampes de prix, de faïences rares, se livrant, dans le calme et la tranquillité, à la lecture.

Ainsi vécut, comme un sage, Jean-Baptiste Canonne.

En 1972, il ressentit les approches du mal qui devait l’emporter. Près d’une année de souffrances et la mort vint au rendez-vous, le 20 juin 1973.

Monsieur le conseiller honoraire Canonne était officier de la Légion d’honneur.

A sa veuve, à son frère, nous offrons le témoignage attristé que celui qu’ils pleurent n’a laissé que des amis, que des regrets.

Monsieur Jacques BAULET

 

Cela aurait été pour moi un privilège que de pouvoir retracer la belle carrière de monsieur le conseiller honoraire Jacques Baulet, ravi à l’affec­tion des siens, le 13 mars 1973, mais notre collègue a souhaité que son éloge funèbre ne soit pas prononcé.

Je m’incline devant sa volonté.

Qu’il me soit pourtant permis de dire que monsieur le conseiller Baulet emporte les regrets unanimes de tous ceux qui l’ont connu.

Que ses frères et toute sa famille trouvent ici l’expression de nos condoléances sincères et de nos sentiments attristés.

Monsieur François MARNEUR

 

...J’aurais voulu aussi pouvoir évoquer la personnalité si attachante de monsieur le conseiller honoraire François Marneur, qui nous a quittés le 13 juin 1973, mais il a également souhaité que sa mémoire ne soit pas évoquée.

Admis à la retraite le 2 avril 1958, notre collègue avait, depuis, vécu à Saint-Cloud près de sa fille.

Nous l’assurons ainsi que toute sa famille de la part que nous prenons à leur pénible épreuve et nous leur présentons, avec nos condoléances, l’expression de nos regrets.

Monsieur André GAVALDA

 

« Oser - vouloir - savoir - se taire »

Ces infinitifs gravés dans la pierre de la villa du docteur Axel Munthe à Anacapri, qui sonnent comme des impératifs, n’auraient pas, je le pense du moins, laissé indifférent monsieur le premier avocat général Gavalda, qui s’est éteint le 13 novembre 1972.

Ils me semblent lui convenir, être à sa mesure.

Toute sa vie il avait osé, il avait su, il avait voulu et cet homme, qui durant vingt ans nous charma par son éloquence si multiple, découvrit, l’âge venu, que le verbe devait céder la place à la pensée et il sut se taire.

La méditation dans le silence et le recueillement voilà quel allait être son nouveau devenir. Il croyait avec Pascal dont il faisait sa nourriture quotidienne que « la vertu d’un homme ne doit pas se mesurer par ses effets mais par son ordinaire » et il ne se sentait plus guère d’attirance pour ce « remuement de joie » que condamnait Port-Royal.

Plus humblement, moi aussi, je dois me taire car André Gavalda avait manifesté le désir, fidèlement transmis par les siens, que sa mort ne vienne pas troubler le grand silence qu’il s’était imposé.

J’ai cependant pleinement conscience de ne pas transgresser ses volontés en renouvelant au nom de tous, à madame Gavalda, l’expression de nos condoléances émues et de rappeler à son fils, monsieur le professeur Christian Gavalda, que s’il lui a laissé un grand nom, monsieur le premier avocat général André Gavalda nous a laissé, à nous, un grand souvenir.

Monsieur Jean MAYOUX

La Cour n’a pas été seulement frappée en la personne de ses magis­trats, elle a eu également à déplorer la perte de monsieur Jean-Henri Mayoux, né à Bourges le 16 juillet 1904, secrétaire-greffier en chef qui a succombé le 21 mai 1973 à une longue maladie.

Bien peu se souviennent sans doute que Jean Mayoux avait été vingt-trois ans greffier en chef du tribunal de première instance de Pont-Audemer et que c’est la suppression de cette juridiction en 1959 qui fit de lui l’agent comptable de votre cour en qualité de chef de secrétariat, mais tous se rappellent sa compétence, son extrême courtoisie et son dévouement de tous les instants à tous comme à chacun.

Sa droiture, son habilité et son expérience triomphaient toujours des mille difficultés que pose le poste d’administration qu’il occupait.

Il y fit preuve d’un talent exceptionnel d’organisateur.

En juillet 1971, atteint par la limite d’âge, l’honorariat lui fut conféré et son départ laissa des regrets unanimes, car il ne comptait que des amis.

Jean-Henri Mayoux était chevalier de la Légion d’honneur.

Nous assurons madame Mayoux et sa famille de la part que nous prenons à leur grande peine.

Telles ont été, messieurs, les lourdes pertes éprouvées par la Cour pendant l’année judiciaire.

Une nouvelle tristesse est venue s’y ajouter.

Le 2 août dernier s’éteignait à son tour, monsieur le conseiller honoraire Edouard Grimoult-Dubar.

Suivant l’usage le souvenir de ce collègue sera rappelé à la prochaine audience solennelle consacrée à nos morts.

Sans rien anticiper, je n’en veux pas moins exprimer à la famille de monsieur le conseiller honoraire Grimoult-Dubar, nos sentiments de profonde et douloureuse sympathie.

 

Messieurs les avocats aux Conseils,

 

S’il est des traditions qui comme tant de choses humaines subissent les injures du temps, il ne saurait en être ainsi de celle qui veut que, comme mes devanciers mais avec non moins de ferveur, je vous offre aujourd’hui le témoignage de la haute estime dans laquelle vous tient la Cour et de l’unanime sympathie dont elle vous entoure.

Ces sentiments, nés de votre précieuse collaboration à notre oeuvre commune, se fondent sur une confiance mutuelle à laquelle nous attachons tous tant de prix.

Ils tiennent à l’excellence de vos travaux.

Nous savons la constance de l’effort que vous vous imposez pour élaborer vos mémoires et vos plaidoiries, harmonieuses synthèses entre le talent de l’expression et la science approfondie de la loi et de la juris­prudence.

Ils reposent sur une réciproque courtoisie qui fait l’agrément de nos relations.

Ils nous font enfin participer à vos deuils aussi bien qu’à vos joies.

Si nous sommes heureux de féliciter chaleureusement Me Jean Tetreau qui fut votre premier syndic et votre président en exercice, Me François Cail, dont la haute conscience et la droiture sont unanimement appréciées, l’un et l’autre récemment promus officiers de la Légion d’honneur, nous savons aussi que le destin ne vous a pas épargnés.

Cette année, vous avez eu la grande tristesse de perdre monsieur l’avocat honoraire Georges Masson dont le long exercice professionnel peut être donné en exemple et l’un de vos anciens et très éminents présidents, Me Roger de Segogne que vous considérez comme ayant été l’un de ceux qui vous ont le mieux représentés.

L’un et l’autre avaient la profonde estime de la Cour qui s’associe avec émotion à vos regrets.

Nous prions Me Bertrand de Segogne, digne continuateur parmi vous des vertus de son grand-père et de son père, d’agréer l’expression de nos condoléances sincères.

Monsieur le premier président,

Messieurs les présidents,

Mesdames,

Messieurs,

 

Pour monsieur le Procureur général, j’ai l’honneur de requérir qu’il plaise à la Cour de recevoir le serment de monsieur le président de l’Ordre et de messieurs les avocats présents à la barre, de me donner acte de l’accomplis­sement des formalités prévues à l’article 71 de l’ordonnance du 15 jan­vier 1826, et ordonner l’ouverture des travaux de l’année judiciaire.

Mardi 2 octobre 1973

Cour de cassation

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