Audience de début d’année judiciaire - Octobre 1947

Rentrées solennelles

En 1947, l’audience solennelle de rentrée s’est tenue le 16 octobre, en présence de monsieur Vincent Auriol, Président de la République, monsieur Gaston Monnerville, Président du Conseil de la République, monsieur André Marie, garde des Sceaux, et monsieur Marius Moutet, ministre des Colonies.

 

Discours prononcés :

 

Discours de monsieur Paul Frette-Damicourt, procureur général près la Cour de cassation

Monsieur le Président de la République,

Madame,

Messieurs,

La présence à notre audience de rentrée de monsieur le Président de la République revêt cette traditionnelle cérémonie d’un caractère de solennité tout particulier.

Comment pourrais-je m’abstenir de saluer, en quelques très simples phrases, cette heureuse circonstance ?

Elle m’apparaît comme le meilleur et le plus précieux témoignage de l’attachement du chef de l’État à la notion de justice, de sa conviction que, sans une bonne organisation judiciaire, assurant à chacun le respect de ses droits, il ne peut y avoir, dans un pays libre, d’ordre, de confiance et de vertu.

Cette Justice, notre mission à nous, magistrats, c’est par une exacte application des lois, en nous inspirant fidèlement des intentions du législateur, de l’assurer de notre mieux à tous ceux qui abordent les prétoires.

Pour que rien ne vienne contrarier une tâche si délicate, le magistrat du Siège doit être assuré d’une totale indépendance morale et matérielle.

Nulle pression ne doit s’exercer sur lui.

Les préoccupations de la vie quotidienne doivent, autant que faire se peut, lui être épargnées.

Je m’en voudrais de m’attarder à des vérités dont les fondateurs et les dirigeants de la quatrième République sont pénétrés et qu’ils se sont attachés à réaliser par la création d’un nouvel organisme et par de louables efforts en vue de l’amélioration de la situation des magistrats.

Cependant, ce n’est qu’à l’expérience que se révéleront les mérites et les imperfections, s’il en existe, des institutions nouvelles qui régissent la magistrature.

Ayons confiance !

La bonne volonté, la vigilance, la perspicacité du législateur et du gouvernement républicain nous garantissent que les mises au point qui s’avéreraient nécessaires ne seront pas négligées.

Il est très délicat, pour tout citoyen, et peut-être plus encore pour un magistrat qui porte la parole en présence du Chef de l’Etat, de faire allusion à la personne même de ce dernier.

Cependant, quand ce chef de l’État a été de ceux qui, aux heures les plus tragiques de notre histoire, ont donné au pays un pur et si estimable exemple de patriotisme, me sera-t-il interdit de rappeler ce singulier mérite ?

Je ne le pense pas.

Aussi, avec un grand respect et une conviction profonde, je saluerai ici, au nom du Parquet général, le grand citoyen qui, à l’heure sombre, où chacun dut choisir, a vu clair et juste, qui a refusé de s’incliner devant les formes nouvelles de la tyrannie de l’extérieur et de l’intérieur, et qui, avec une foi admirable dans les destinées du pays, a pris une part si belle, si courageuse, comportant le risque de sa liberté et de sa vie, à notre délivrance.

Et notre fierté en ce jour, en cet instant, est encore accrue par la présence, à côté de monsieur le Président de la République, de monsieur le Président du Conseil de la République et de monsieur le ministre de la France d’Outre-mer : c’est la France tout entière qui est représentée à cette audience, comme elle l’est désormais au sein même de notre Cour.

Enfin nous avons le bonheur de voir parmi nous, notre chef respecté, monsieur le garde des Sceaux, ministre de la Justice.

Depuis 1940, année de la défaite et de l’humiliation, la magistrature française a traversé, comme les autres grands corps du pays, de dures vicissitudes et a souffert de cruelles épreuves, mais depuis l’heure bénie de la Libération, elle a eu cet heureux privilège de voir placer à sa tête des hommes distingués non seulement par leur science juridique, par leurs talents, par leur dévouement durant la paix, à la chose publique, mais aussi par leur réflexe patriotique lors de la débâcle, leur attitude courageuse sous l’occupation, et les souf­frances qu’ils ont héroïquement endurées pour la délivrance du pays.

C’est pourquoi, chaque année, quand le chef de la magistrature nous honore de sa présence à cette audience solennelle, c’est pour le procureur général, un devoir très doux de lui apporter un hommage sincère et ému.

C’est pourquoi, il m’est si agréable de saluer aujourd’hui, en la personne de monsieur André Marie, l’éloquent et savant avocat du barreau de Rouen, l’éminent parlementaire, et encore plus, le citoyen clairvoyant qui, lui non plus, n’a jamais désespéré du pays, qui a lutté au sein de la Résistance, qui a connu les affres et les horreurs de la déportation, et qui compte, titre suprême, parmi les glorieux rescapés de Buchenwald.

Et ces hommages, si insuffisants, rendus aux hautes personnalités dont la venue à cette audience est la preuve de l’estime et de la confiance qu’elles nous accordent, je donne la parole à monsieur l’avocat général Côme.

 

 

Discours de monsieur Maurice Côme, avocat général

Monsieur le Président de la République,

Monsieur le garde des Sceaux,

Monsieur le premier président,

Madame,

Messieurs,

En ce jour solennel de rentrée, nos regards se portent toujours avec émotion sur les places jadis occupées par nos collègues disparus. Nous avions coutume de travailler avec eux, de prendre leurs conseils. Les uns ne nous ont quittés qu’en raison de leur âge et il nous plaît de les revoir dans nos grandes assemblées ; des autres, il ne nous reste qu’un souvenir. Pour une dernière fois, notre affection veut les évoquer pour reculer en quelque manière la séparation définitive et pour chercher dans le rappel de leur existence l’enseignement que nous dictent leurs vertus.

Monsieur Jules Aubin

Issu d’une famille de planteurs établie aux Antilles depuis fort longtemps, c’est le 21 avril 1873 que monsieur le conseiller Jules Aubin naquit à La Pointe-à-Pitre. Son père, qui devait prendre sa retraite comme conseiller à la Cour d’appel de Paris, y exerçait les fonctions de procureur de la République et la confiance de ses concitoyens l’avait désigné pour un siège de conseiller général.

Travailleur assidu, il fit de remarquables études à la Faculté de droit de Bordeaux, où chaque année il moissonnait les lauriers, se voyant décerner de multiples récompenses : en première année, c’est le deuxième prix de Droit romain et le deuxième prix de Droit constitutionnel ; en deuxième année, il obtient le premier prix de Droit administratif et le deuxième prix de Droit civil ; en troisième année, non seulement il se voit décerner le premier prix de Droit civil et la deuxième mention de procédure civile de la Faculté de Bordeaux, mais encore il remporte le deuxième prix de Droit civil au concours général de licence ouvert entre toutes les facultés de l’État. Enfin, reçu docteur en Droit avec éloges, le 1er décembre 1897, il se voit, pour sa thèse, décerner la médaille de vermeil offerte par la ville de Bordeaux.

Alors qu’il préparait son doctorat, il se fit inscrire au stage du barreau de Bordeaux, où il connut des succès exceptionnels, tant à la Conférence du stage qu’à la barre, et le bâtonnier de l’époque, le père de l’un de nos anciens collègues, monsieur Chartrou, tout en constatant ces succès, rendait hommage à son assiduité exemplaire, à son zèle digne d’éloges et à son ardeur pour l’étude du Droit.

Après son doctorat, abandonnant les attraits de la barre, il se porta vers ce concours difficile qu’est l’agrégation où l’entraînaient ses goûts, sa tournure d’esprit, son amour du travail et l’étendue de ses connaissances générales et juridiques. Bien qu’ayant été admissible, n’ayant pu réussir, s’étant vu écarté non par manque de savoir, mais par la loi inexorable des concours qui oblige par comparaison, les jurys à écarter d’excellents candidats, monsieur Aubin suivit l’exemple de son père et de l’un de ses beaux-frères et s’orienta vers la magistrature.

Attaché à la Chancellerie, il fut nommé juge de 3ème classe à Montargis, le 7 juin 1904. Immédiatement il s’y fit remarquer. Dès l’année suivante, dans ses notes, son premier président le représentait comme un magistrat très instruit et très laborieux, ayant des connaissances juridiques très étendues, dont la valeur professionnelle, une fois l’expérience des affaires acquise, serait fort au-dessus de la moyenne, et son procureur général le notait comme un magistrat d’avenir. Vous savez de quelle façon, messieurs, l’avenir devait ratifier les jugements des premiers chefs de monsieur Aubin.

Mais bien que Montargis fut un séjour agréable et que la juste bienveillance de ses chefs lui fut acquise, et de quelle façon, monsieur Aubin, déjà marié et père de famille, n’avait qu’un désir, désir commun à bien de nos collègues, être nommé dans le grand ressort, dans le ressort de la Cour d’appel de Paris. Ses voeux devaient être plus qu’exaucés, puisque le 8 décembre 1906, il fut nommé rédacteur à la Chancellerie. Il s’installait alors à Paris qu’il ne devait plus quitter. Sous-chef de bureau en 1913, chef de bureau en 1919, il fut nommé juge au Tribunal de la Seine le 31 janvier 1921.

Spécialisé rapidement dans les affaires si délicates d’enregistrement, il sut se faire très vite apprécier et montrer l’étendue de son savoir juridique qui, déjà considérable lorsqu’il était à Montargis, n’avait fait que se développer, notamment lors de son séjour au 1er bureau de la Direction civile de la Chancellerie. Rapidement il fut affecté à la première chambre du Tribunal.

Il suivit alors la carrière normale : président de section, puis vice-président au Tribunal de la Seine, où il est affecté à la 2ème chambre, poste qui, par les spécialités qu’il comporte et l’importance des litiges qui lui sont soumis, ne peut être confié qu’à un Président de valeur éprouvée ; conseiller, puis vice-président de chambre et enfin président de chambre à la Cour d’appel de Paris, où il préside la 3ème chambre, l’une des plus lourdes et des difficiles. Concurremment avec ces fonc­tions, il occupe un poste à la Commission supérieure des loyers. Il y fait preuve d’un solide bon sens, d’une conception prompte, d’une critique aisée ; il élucide avec sûreté les questions les plus délicates.

C’est le 8 juillet 1933 que monsieur Aubin fut nommé conseiller à votre Cour.

Atteint par la limite d’âge le 21 avril 1943, admis à faire valoir ses droits à la retraite et nommé conseiller honoraire, il fut, en raison de ses services exceptionnels et de son savoir, rappelé à l’activité le jour même. Pendant près de onze années, il participa aux travaux de votre chambre civile.

S’imposant par l’étendue de ses connaissances juridiques et la sûreté de son jugement, juriste averti, là encore, il marqua fortement sa place.

C’était un vrai civiliste et ses études approfondies l’avaient formé à l’école du Droit privé dont il avait toujours gardé l’empreinte.

Il devait vous quitter de façon définitive le 30 mai 1944.

Avec lui, lorsqu’il était président, les délibérés ne se prolongeaient guère en bavardages familiers. Très réservé, assez froid, un peu distant même, monsieur Aubin cachait cependant, sous ces dehors, un coeur excellent, une grande bonté et beaucoup de sensibilité qui lui gagnèrent non seulement l’estime, mais toute l’affection de ses collègues. Quand il avait jugé quelqu’un et lui donnait son amitié, c’était de façon totale et absolue.

Il avait une haute idée de ses fonctions ; il estimait que la magistrature est un sacerdoce. Il voulait toujours connaître plus de droit, il ne cherchait qu’à pouvoir résoudre plus aisément, plus clairement, les problèmes délicats dont il avait connaissance. Que de fois ne l’avons-nous pas vu, à la bibliothèque, plongé dans la lecture des ouvrages qu’il était venu consulter, ou réfléchir longuement sur les questions qui lui étaient soumises.

Jusqu’à la fin, il continua sa collaboration aux « Annales de droit commercial » et aux « Pandectes françaises », collaboration dont les débuts remontaient au temps où il préparait son doctorat.

Le 5 février 1947, il s’éteignit entouré de sa femme et de son fils, avocat à la Cour d’appel de Paris, que je prie de trouver ici l’assurance de notre profond respect attristé.

Monsieur Luc, Auguste, Paul Marigny

Normand, monsieur Marigny l’était foncièrement. Grand, robuste et fort, d’une sagesse et d’une prudence avisées, au physique comme au moral, il possédait toutes les qualités de sa province natale, de cette terre de sapience, de ce pays de mesure qu’il chérissait tendrement.

Il appartenait à une vieille famille de bourgeoisie parisienne et normande ; l’un de ces ancêtres, libraire royal sous l’Ancien Régime, était apparenté à de vieilles familles luxembourgeoises. C’est à Sées, où son père était notaire, que le 8 juin 1872 naquit monsieur Marigny qui devait devenir votre collègue. Sa jeunesse s’écoula tranquille et sereine dans cette petite ville épiscopale, toute empreinte de cette abondance de richesses matérielles qui caractérise la Normandie, et toute baignée aussi dans cette atmosphère spirituelle et cléricale qui se dégage de cette ville que dominent un séminaire et une magnifique cathédrale, l’un des joyaux du patrimoine artistique de notre pays, que l’un de nos récents immortels, homme politique à la plume savante et disserte, a magnifié dans son livre sur la forêt normande.

Sées, que monsieur Marigny l’aimait sa ville natale ! Aussi y revenait-il le plus souvent possible ; au cours de sa vie, il passa tous ses moments de loisirs dans sa vieille maison de famille, au centre de la ville, au milieu d’un parc immense, bordant une vaste prairie qui lui permettait, en pleine ville, de se réjouir de la vue des plantureux herbages, richesse de la Normandie.

Lorsque vint l’heure des études supérieures, Normand, il ne pouvait que suivre les cours de la Faculté de droit de Caen.

C’est ce qu’il fit. Reçu docteur en Droit avec mention « Bien », en novembre 1898, il avait déjà donné des marques certaines de ses habitudes de travail, de la rectitude de son jugement, de la loyauté de son caractère.

C’est le 17 mars 1899 qu’il débuta dans la magistrature comme juge suppléant à Pont-l’Évêque ; peu après, il fut affecté en la même qualité au tribunal de Caen. Un an après, il est ainsi noté par son premier président :

« Monsieur Marigny est un bon magistrat, très instruit et très laborieux. Il a déjà rendu de grands services et paraît appelé à un bel avenir judiciaire ».

 

Des postes, hors des ressorts normands, lui sont offerts ; il les refuse voulant rester le plus près possible de sa ville natale. Enfin, le 16 juillet 1904, il est nommé substitut du procureur de la République à Bayeux, sur présentation de ses chefs de Cour qui le considèrent alors, non plus comme un bon magistrat, mais comme un brillant magistrat.

Préférant les travaux du Siège, le 26 mai 1905 il se faisait nommer juge à Vire. Chargé des fonctions de l’instruction, il devait s’y révéler comme un magistrat de grande valeur. Aussi, dès le 5 juin 1909, était-il nommé juge de 1ère classe à Rouen, un peu plus loin de Sées, certes, mais toujours dans sa Normandie natale. Là, il va être apprécié par monsieur le procureur Célice, qui fut des vôtres, messieurs, dans les termes suivants :

« Magistrat très consciencieux, d’un esprit vif, actif, ayant le jugement droit et l’intelligence des affaires, il est de ceux que l’on doit préférer à tous autres pour l’avancement au choix. Ses jugements sont rédigés avec soin et bien motivés ».

 

Ce jugement va être ratifié pleinement par les chefs de la Cour de Rouen qui le proposent pour l’avancement au grand choix.

C’est alors, le 15 janvier 1914, qu’il va quitter sa Normandie, appelé au secrétariat en chef du Parquet de la Cour d’appel de Paris. A ce poste de choix, redoutable par les respon­sabilités qu’il comporte, il voyait s’ouvrir devant lui les perspectives d’une carrière brillante et rapide.

Mais, le 2 août 1914, la mobilisation générale est décrétée, la guerre éclate. Monsieur Marigny rejoint le 77ème régiment territorial d’infanterie, en qualité de lieutenant et fait campagne avec cette unité jusqu’au 24 mars 1915, date à laquelle il est désigné comme adjoint à la direction du service automobile d’une armée.

Le 29 janvier 1917, promu capitaine, et affecté à la Xème armée, il la rejoint en Italie, est cité à l’ordre et fait chevalier de la Légion d’honneur ; enfin démobilisé, le 15 janvier 1919, il rejoint Paris où il prend effectivement possession du poste de juge à la Seine, auquel il a été nommé le 23 juillet 1918.

Il va alors suivre la carrière normale d’un magistrat parisien, gravissant un à un tous les échelons. Chargé de l’instruction, il se voit confier un cabinet de grande instruction ; il instruit les affaires qui lui sont confiées de façon très complète, avec autant de fermeté que de souci de justice. Chargé d’affaires délicates, il donne toujours toute satisfaction, cherchant toujours à mieux faire ; il va faire figure de grand juge d’instruction.

Après sept années d’instruction, il accède à la Cour d’appel de Paris, où il sera successivement conseiller, vice-président de chambre, puis président de chambre, désigné également pour présider le tribunal militaire permanent. Dans ces différents postes, aux audiences civiles, présidant la 3ème et la 6ème chambre, il donne la pleine mesure de ses connaissances juridiques fort étendues, de son jugement sûr et droit, de son intelligence prompte et vive. Aussi est-il toujours noté comme un excellent magistrat.

Ce n’est cependant que le 8 juillet 1938, à 66 ans, peu avant d’être atteint par la limite d’âge, que monsieur Marigny accéda à la Cour suprême terminant ainsi une carrière due à ses seuls mérites judiciaires.

A votre Cour, messieurs, il fut chargé d’une spécialité plutôt ingrate : l’application et la mise au point de la législation des loyers. A cette matière si délicate, il a imprimé la marque de son esprit juste et équilibré. Il a rendu des arrêts auxquels l’on doit revenir pour trouver, encore aujourd’hui, leurs solutions à des problèmes ardus.

Ainsi vie judiciaire toute de travail, de droiture et de loyauté. Dans le particulier, ceux d’entre vous qui l’on connu, savent combien il était de relations sûres et fidèles. Il avait des amis et les aimait. Son caractère était si conciliant qu’il n’avait même pas de rancune envers certains qui, cepen­dant, l’avait parfois desservi auprès des puissants du jour. Très cultivé, il aimait les beaux livres, les riches reliures, mais il les aimait, ses livres, non seulement en bibliophile éclairé, mais en lecteur averti qui entend tirer de sa librairie toute la substan­tifique moelle.

Aussi sa conversation était-elle des plus agréables et des plus nourries ; il avait la parole aisée, facile, élégante.

Atteint par la limite d’âge et nommé conseiller honoraire à votre Cour, le 2 juillet 1942, il se retira dans sa ville natale où il voulait revivre dans le cadre familier qu’il aimait tant. Mais quel crève-coeur, quel sentiment d’humiliation pour lui, le brillant officier d’une année victorieuse, d’être obligé de voir sa vieille maison familiale, à la suite d’une grande bataille perdue, souillée par la soldatesque allemande qui s’y vautrait au milieu de ses souvenirs les plus chers. Qu’il a dû, comme son frère, également officier de la guerre 1914-1918 et titulaire de la Légion d’honneur et de la Croix de guerre, ressentir cruellement cette humiliation ; mais aussi, combien et avec quelle ferveur, il a partagé tous nos espoirs en une victorieuse délivrance qu’il lui a été donné de voir. Il s’installa cependant à Sées, avec sa femme et son frère ; la mort de ce frère chéri, en 1943, le frappa d’un deuil cruel qu’il ne put jamais surmonter. Si ses facultés intellectuelles restèrent toujours aussi vives, sa santé cependant déclina, ses forces physiques diminuèrent et la mort le prit le 27 août 1946.

Que madame Marigny veuille bien trouver ici l’expression de nos sentiments affectueux et attristés.

Bien qu’elle se soit produite au seuil des vacances judiciaires, je ne veux pas passer sous silence la mort de monsieur l’avocat général Miniac, lui rendant aujourd’hui un simple hommage ; il appartiendra à celui de nos collègues qui me succédera l’an prochain à cette place, de fixer les traits de cet excellent magistrat.

Je ne saurais, non plus, avant de terminer, ne pas saluer la mémoire d’un de nos collègues qui, bien que n’étant pas rattaché par les liens de l’honorariat à votre Compagnie, lui a cependant apporté, pendant son activité, un lustre certain. Je veux parler d’un très grand magistrat, de monsieur le procureur général Lagarde.

La limite d’âge nous a fait perdre quatre de nos collègues, parmi les plus aimés et les plus estimés ; monsieur le président Grignon, messieurs les conseiller Depaule, Guérin et Vuchot.

Messieurs les avocats,

Nos deuils vous frappent, les vôtres sont les nôtres. Au cours de cette année judiciaire, vous avez dû perdre, malheureusement, tout espoir de voir revenir deux des vôtres. L’un, monsieur Jacques Henri-Simon, arrêté par les Allemands, a été vu pour dernière fois à Fresnes le 17 juillet 1944. L’autre, monsieur François Lyon-Caen, déporté en Allemagne, n’en est pas revenu.

Au cours d’une tourmente sans précédent dans l’histoire, ils n’ont pas hésité à assumer des risques terribles et à donner leurs vies pour leur pays. Que le sentiment du devoir accompli soit, s’il est possible, une atténuation au deuil de leurs familles.

Messieurs,

Des magistrats et avocats dont je viens d’évoquer le souvenir, chacun avait sa physionomie, son caractère et sa personnalité propres. Mais tous avaient un même trait de caractère : le culte du devoir.

J’ai l’honneur de requérir qu’il vous plaise de recevoir le serment de monsieur le président de l’Ordre et de messieurs les avocats présents à la barre et de me donner acte de l’exécution des formalités prescrites par l’article 71 de l’ordonnance du 15 janvier 1826.

Jeudi 16 octobre 1947

Cour de cassation

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