Audience de début d’année judiciaire - Octobre 1937

En 1937, l’audience solennelle de rentrée s’est tenue le 16 octobre.

Rentrées solennelles

Discours prononcés :

Discours de monsieur Pierre Siramy,

avocat général

L’évolution des lois et la coutume

Monsieur le premier président,

Monsieur le procureur général,

Messieurs,

Dans son savant discours, prononcé à votre audience de rentrée du 16 octobre 1931, monsieur l’avocat général Durand évoquait le profit que pouvait retirer le législateur, des expériences de la jurisprudence. Il ajoutait : « La loi supporte mal d’être jetée en éclaireur, convaincue, le lendemain, de légèreté ou d’erreur, et contrainte à des retraites sans prestige ».

Me plaçant à un point de vue un peu différent, mais analogue et complétant peut-être sa pensée, je voudrais souligner, aidé de certains enseignements de l’histoire, que la loi devait aussi ne progresser qu’éclairée par la coutume.

Si, en effet, la législation industrielle et sociale ne peut s’isoler des événements économiques, essentiellement mouvants, et si, à raison de son caractère, elle reçoit opportunément sa directe impulsion des institutions politiques, la législation civile, au contraire, est tenue de rester en harmonie avec les moeurs les plus stables de la nation.

Il y a bien longtemps déjà qu’Horace, dans l’une de ses odes, écrivait ce vers célèbre et toujours vrai : « Quid leges, sine moribus, vanae proficiunt ? ». Et l’expérience, nous le verrons, a toujours confirmé que le législateur accomplissait une oeuvre vaine et sans lendemain, lorsqu’il promulguait trop hâtivement des lois qui contrariaient des traditions respectées, plongeant leurs racines dans un lointain passé. Car ces traditions ont surgi, disait le professeur Boistel « des entrailles mêmes du peuple ; et parce qu’elles s’appuient sur l’accord de tous les membres de la communauté, leur force est presque invincible ».

 

Comment s’étonner de cette permanente vénération pour des coutumes solides, dont l’ensemble a si longtemps constitué le droit civil français, quand on sait la quotidienne tyrannie des « usages », en des domaines beaucoup plus modestes ? N’est-ce pas Malherbe qui disait, parait-il, à Henri IV : « Quelque absolu que vous soyez, vous ne sauriez, Sire, ni abolir, ni établir un mot, si l’usage ne l’autorise ». Et, pour ne citer qu’un autre trait, vous vous souvenez que maître Joseph Aubarrée, commentant à ses confrères, dans la salle des Pas-Perdus, la pénible aventure de Crainquebille, concluait ironiquement : « En se conformant à la coutume, on passera toujours pour un honnête homme ; on appelle gens de bien, ceux qui font comme les autres ».

 

Les lois civiles doivent donc le moins possible, s’écarter des mœurs ; elles les suivent, les dirigent, ou les consacrent. Le droit privé, en effet, est intimement lié à tous les actes de l’existence ; ses concepts sont la pierre angulaire du foyer ; ils règlent le statut de la famille et de la propriété, la gestion du patrimoine, l’ordre des successions, et la matière des contrats. C’est dire qu’ils régissent tous les rapports des hommes, dans l’organisation et la continuité de la vie familiale et sociale. Chacun les conçoit et les applique d’instinct, parce qu’il en est imbu, dès sa naissance, par une longue tradition ancestrale. Par suite, il est aisé d’en déduire qu’on ne peut sagement et utilement réformer le droit civil, qu’à la condition de ne pas trop violemment heurter l’esprit et l’inclination de la coutume.

Les gouvernements peuvent se succéder ; des transformations sociales peuvent même brusquement résulter de certaines révolutions ; les assises profondes sur lesquelles le temps a lentement édifié le statut civil des membres de la Société, sont rarement arrachées et emportées par les orages de la vie politique. On a donc pu justement dire que le droit d’un peuple était un « produit historique » et non pas un produit arbitraire ou accidentel, à la merci de la fantaisie du législateur. « Les bonnes lois, s’écriait le tribun Faure, sont les fruits tardifs de l’expérience » ; et Portalis ajoutait cette forte parole : « L’essentiel est d’imprimer aux institutions nouvelles ce caractère de permanence et de stabilité, qui puisse leur garantir de devenir anciennes ».

« Il appartient au législateur, a écrit Montesquieu, de suivre l’esprit de la nation, car nous ne faisons rien de mieux que ce que nous faisons librement, et suivant notre génie naturel... Il ne faut pas tout corriger... qu’on nous laisse comme nous sommes ; on n’aurait pas davantage tiré parti d’un Athénien vif et gai en l’ennuyant, que d’un Lacédémonien taciturne en le divertissant ». De même, Portalis, obligé de lutter souvent contre ceux qui, exaltés par la grande oeuvre de la Révolution, voulaient tout détruire pour tout reconstruire, ne cessait d’exprimer, sous des formes différentes et toujours séduisantes, sa même pensée dominante : « Une nouveauté hardie n’est souvent qu’une erreur brillante... Un législateur ne peut isoler le présent du passé, et l’avenir du présent, car un peuple ne cesse jamais, jusqu’à un certain point, de se ressembler à lui-même... Les lois doivent être préparées lentement et avec maturité. Il faut qu’elles soient indiquées par l’expérience... Il faut être sobre de nouveautés, parce que s’il est possible, dans une institution nouvelle, de calculer les avantages que la théorie nous offre, il ne l’est point de connaître les inconvénients que la pratique seule peut découvrir... Les Codes des peuples se font avec le temps, mais à proprement parler, on ne les fait pas ».

Et s’adressant aux adversaires, qui, au souvenir d’un récent passé, redoutaient l’empiétement des tribunaux sur le domaine législatif, et souhaitaient que la loi descendit dans l’examen des cas les plus particuliers, il disait encore fort justement : « ... Il ne faut pas tout régler par les lois... Il y avait des juges avant qu’il n’y eût des lois. C’est la Jurisprudence qui fournit les matériaux de la législation... Ne raisonnons pas comme si les législateurs étaient des dieux, et comme si les juges n’étaient même pas des hommes... ».

Dissertant sur ce même sujet, avec son expérience d’historien de la « Cité antique », Fustel de Coulanges a pu conclure : « S’il est quelquefois possible à l’homme de changer brusquement ses institutions politiques, il ne peut changer son droit privé et ses lois qu’avec lenteur et par degré. C’est ce que prouve l’histoire du droit romain, comme celle du droit athénien ».

 

Un voyage à Athènes paraissait tout proche aux orateurs du siècle dernier, qui se proposaient, à l’envi, et en exemple, les modèles de l’antiquité classique. On l’accomplissait presque rituellement à toutes les tribunes. Une telle excursion oratoire nous apparaît aujourd’hui moins opportune et peut-être un peu démodée.

On se rappelle le respect religieux qu’avait pour ses lois, le peuple athénien. Il savait que cette vénération était la condition principale de l’existence durable d’une démocratie. Aussi ne doit-on guère s’étonner de sa méfiance pour les innovations législatives, et de la sévérité curieuse des précautions qu’il prenait pour les empêcher ou les contenir.

Quand, à l’ombre du temple d’Athénée, le peuple avait pris place sur les bancs de pierre de l’amphithéâtre, sous la plus belle voûte du plus beau ciel, un orateur invoquait la protection des dieux sur la cité « Puisse, disait-il, l’avis du plus sage prévaloir. Soit maudit celui qui donnerait de mauvais conseils et prétendrait changer les décrets et les lois ». Alors, on apportait à l’assemblée les projets qu’avait préparés le Sénat, aidé des thesmothètes. Sur des sièges élevés, dominant symboliquement le peuple réuni, étaient assis sept magistrats qu’on appelait les gardiens des lois. Si celles-ci étaient inutilement attaquées, ils avaient le pouvoir d’interrompre l’orateur et de dissoudre l’assemblée. Quand il s’agissait d’abroger une loi, pour lui en substituer une nouvelle, des avocats d’office étaient, avec un souci vigilant, préposés à sa défense. On les choisissait souvent parmi les plus célèbres, et Démosthène lui-même, fut plusieurs fois appelé à cet honneur. Les Athéniens aimaient l’éloquence, et ils écoutaient leurs orateurs avec déférence. Ils leur donnaient un beau nom, dont le lustre a disparu ; c’était celui de démagogues, c’est-à-dire de conducteurs de la cité. Deux votes étaient ensuite nécessaires, l’un pour abolir la loi ancienne, et l’autre pour adopter celle qui devait la remplacer. Mais ces votes n’étaient point définitifs, car dans le cours de l’année, tout citoyen, sous le risque d’une pénalité au cas d’échec, avait la faculté d’attaquer les auteurs de la loi votée. On avait voulu, par là, dit un historien, permettre au peuple de se détourner d’un engouement passager pour une innovation dont le temps avait montré les dangers. Il fallait donc quelque courage pour s’improviser législateur et braver le péril d’un tel reniement, qui comportait des sanctions pénales et morales. Le peuple était indulgent pour luimême, il se jugeait sans péché ; mais il se vengeait de ses erreurs sur ceux qui, pour lui plaire, avaient été ses guides complaisants ou imprévoyants.

Ne soyons pas trop surpris de cette superstitieuse déférence à la loi ; elle puisait tout son sens dans le sentiment religieux. La loi était sainte ; lui désobéir était un sacrilège. Au défilé des Thermopyles, Léonidas avait gravé ces mots fameux, qui symbolisaient cette soumission héroïque à ses ordres : « Passant, va dire à Sparte que nous sommes morts ici pour obéir à ses lois ».

 

Quand, plus tard, la philosophie voudra discuter les principes qui avaient, jusque-là, gouverné les cités, elle se heurtera inévitablement à la résistance du peuple, courbé devant la puissance de la tradition. Socrate fut condamnée à périr parce qu’il avait voulu, trop tôt, placer la morale et la vérité au-dessus de la coutume. Après lui, Platon pourra enseigner que la tradition doit s’effacer devant la raison, qui doit seule inspirer les lois. Aristote, enfin, n’hésitera pas à proclamer à son tour, que les institutions doivent évoluer, et qu’il faut rechercher, non pas tant à se conformer aux coutumes des ancêtres, qu’aux enseignements de la conscience humaine. Le droit évoluera en changeant lentement, et en suivant les moeurs nouvelles. Solon, dit-on, avait souhaité que ses lois durassent cent ans ; elles avaient duré beaucoup plus.

Je ne dirai qu’un mot de cette même lente évolution du droit romain. Il se transforma, lui aussi, par étapes, restant toujours en harmonie avec les modifications de l’état social, et la puissance accrue de la plèbe. Comme les Athéniens, les Romains ont eu le culte de la loi. On a souvent dit qu’encore au temps de Cicéron, chaque citoyen devait savoir réciter la loi des XII tables, « ut carmen necessarium ». Il l’apprenait ainsi comme un texte sacré, sans doute, sans la comprendre ; le professeur Girard disait qu’un homme du peuple romain eut été aussi embarrassé pour appliquer cette loi qu’un homme du peuple d’aujourd’hui pour user d’une table de logarithme. Mais, la plus remarquable innovation fut cette bienfaisante création du droit prétorien, qui eut le génie de s’assouplir aux besoins de l’équité et à des moeurs adoucies.

Par cette sage transformation progressive, le droit romain, si dur à l’origine, a mérité cette appellation flatteuse qui devint sienne : « la raison écrite ».

 

Il constitua longtemps, dans une partie de la France, la législation de droit commun, tout en devenant en pays coutumier, une législation supplétive. Il plaisait aux praticiens à cause de sa supériorité scientifique. Cependant, dès le XVIème siècle, la rédaction des coutumes fut ordonnée, et elle arrêta ses progrès. De plus en plus, dans notre vieille France, c’est la coutume, désormais rédigée, qui va l’emporter. La maxime : coutume passe droit, est symptomatique de cet attachement populaire aux usages incontestés. L’enseignement du droit romain va surtout se réfugier en Allemagne et dans les Pays-Bas.

Il est très curieux de rappeler la façon, presque démocratique, dont furent rédigées nos coutumes ; elle témoigne de cette volonté unanime, des provinces françaises, de ne point laisser l’autorité royale, pourtant si puissante, attenter à l’ensemble de ces usages qui constituaient le droit coutumier. Dans chaque baillage, en effet, le projet de rédaction était soumis aux délégués des trois ordres. Cette assemblée le discutait longuement, l’approuvait ou le rejetait. Le roi, par ses représentants, n’intervenait, que comme arbitre, en cas de désaccord irréductible, entre elle et le projet. C’est ainsi que Guy Coquille, contemporain de ces rédactions, écrivait ces lignes fort intéressantes : « ...La première naissance de ce droit civil est la volonté des Etats de province. Le roi, en autorisant et confirmant les coutumes, y attribue la vie extérieurement... Mais, en fait, c’est le peuple qui fait loi... ». Il fallait donc que la monarchie eût profondément senti cette puissance de la coutume, pour qu’elle en vint à abdiquer toute forte initiative, et toute véritable volonté législative, devant ces assemblées provinciales.

De même, aux Etats de Blois, en 1576, un voeu en faveur d’une claire rédaction des coutumes avait été déposé. La noblesse ne s’y associa que sous la condition que « coutumes ne pourraient être changées ou altérées, sans le consentement des habitants ».

 

On a rappelé encore, à ce sujet, la pittoresque grève, qu’en 1602, décrétèrent les avocats au Parlement de Paris, à l’occasion de l’application à leur ordre, d’un certain article 161 de l’ordonnance de Blois, fixant leurs honoraires. Il était bienséant que de tels auxiliaires de la justice donnassent à leur grève un prétexte de légalité. Et un historien signale que pour légitimer leur refus collectif de paraître à la barre, les avocats exposaient que cet article litigieux de l’ordonnance royale avait été édicté sans le consentement des Etats. Ils le considéraient, dès lors, juridiquement, comme étant sans valeur légale. La signature du roi lui-même leur semblait insuffisante pour abolir un usage.

Ainsi rédigées, les coutumes restaient diverses selon les provinces. On en changeait en voyageant, a-t-on dit, aussi souvent que de chevaux. Il est significatif que jamais, malgré les plus louables efforts, il ne pût être établi, dans notre France unifiée, un Code uniforme du droit coutumier. Les obstacles venaient des traditions locales ; chaque province tenait a ses usages comme à un privilège. La moindre tentative de réforme dressait contre elle la volonté populaire unanime. On a aussi écrit que les praticiens et les Parlements ne désiraient point cette unification. Celui qui pratique la loi, a dit un auteur, n’est généralement pas désireux de réformes ; l’habitude le familiarise avec elle, et « il cesse d’apercevoir jusqu’à ses difformités les plus saillantes ». Portalis déclara même, un jour, avec quelque fine malice, que les juristes n’aiment pas beaucoup les changements, parce que toute modification vient contrarier ce qu’ils ont si laborieusement appris, et si longuement pratiqué.

C’est sous Louis XI qu’apparaît déjà, nettement formulé, le voeu royal de l’unification des coutumes. Comines a écrit à cette occasion : « Le roi désirait fort que, en ce royaume, l’on usât d’une coutume et d’un poids et d’une mesure, et que toutes les coutumes fussent mises en français, en un beau livre, pour éviter les cautelles et pilleries des avocats ». Mais tous les essais restèrent vains.

Un avocat au Parlement, Auzanet, collaborateur du premier président de Lamoignon à l’oeuvre de la codification de certaines règles non fixées par les coutumes, écrivait à un ami en 1669, sous le règne de l’absolu Louis XIV : « ...Croire que l’on puisse faire une loi générale pour tous les pays de coutumes et de droit écrit, il ne faut point songer d’y parvenir ; car outre que plusieurs provinces se sont données à la France, à la charge et condition de les maintenir dans l’usage de leurs lois, auxquels traités on ne doit pas porter atteinte, les habitants de chaque baillage, sénéchaussée et gouvernement, sont persuadés que les lois et usages sur lesquels ils ont vécu jusqu’à présent, sont meilleurs que les autres... Et à supposer qu’il y eut quelque chose à réformer, cela doit être fait, en particulier, dans chaque baillage, du consentement et dans l’assemblée des trois Etats, avec la permission et sous l’autorité du roi... ».

 

On connaît encore les tentatives de d’Aguesseau et ses célèbres ordonnances. Ce grand jurisconsulte n’a pu longtemps nourrir l’illusion qui lui fut chère, de créer un droit unique français. « Desseins trop vastes, écrivait-il un jour, et qu’on ne pourra exécuter que par parties ».

D’une correspondance qu’il avait engagée avec un grand rêveur, l’abbé de Saint-Pierre, qui lui voulait enseigner la façon de faire des lois, et aussi « l’usage qu’on en doit faire lorsqu’elles sont faites », d’Aguesseau avait retenu cette phrase de l’abbé : « ... Il est à propos de n’amener les meilleures lois que peu à peu, par degrés, et à l’aide des conjonctures ». Il la commentait en disant : « ... Il a a raison, car tout changement est dangereux, et c’est une grande présomption que celle de ceux qui ne craignent jamais d’innover ». Finalement, d’Aguesseau dut se convaincre qu’il ne parviendrait jamais à donner une loi uniforme sur toutes matières, et « qu’une des premières règles de la politique était de n’entreprendre que les choses possibles ». « Qu’importe, après tout, disait-il, qu’il y ait quelque variété, conforme aux moeurs de chaque province, sur certains détails dont chacun peut s’instruire en lisant la coutume, pourvu qu’il y ait de bonnes lois sur les choses les plus générales, et sur ce qui est le plus essentiel pour l’ordre public ».

 

Et cependant cette oeuvre d’unification qui aboutira seulement avec le Code civil, après les efforts de plusieurs générations et le lent travail du temps, était ardemment souhaitée par les meilleurs esprits. A la veille de la Révolution, le procureur général Joly de Fleury en avait, lui aussi, désiré la réalisation. Faisant allusion aux vacances non comblées de divers offices, qui n’avaient pas trouvé de titulaires, et à quelque décadence du corps judiciaire, il croyait en découvrir les causes à la fois dans certaine diminution du prestige des fonctions judiciaires et dans l’étude difficile de lois trop différentes et trop multiples. Il écrivait « Il faudrait rendre l’étude facile par la simplicité et l’uniformité d’une loi qui fût à la portée de tout le monde... Il n’est pas extraordinaire qu’il n’y ait ni désir de s’avancer dans la Robe, ni étude, ni émulation, ni science ». Ce procureur général était sans doute aussi un chef indulgent, puisqu’il imputait à la complexité des lois, l’insuffisante culture des gens de robe et le dédain qui naissait pour ces fonctions.

Ainsi cette résistance opiniâtre de la nation à toute unité de législation vérifiait l’exactitude historique de cette parole de Montesquieu : « Les peuples sont très attachés à leurs coutumes ; les leur ôter violemment serait les rendre malheureux ».

Mais la Révolution survient. Un rapide aperçu de certaines dispositions de cette législation nouvelle qui, selon une expression célèbre, ressemblera « à des piliers flottants sur une mer orageuse », va nous démontrer, par quelques exemples, que toute loi, si elle s’éloigne trop de la coutume, pour être l’expression des passions d’un instant, conduit fatalement à des résultats décevants.

Le XVIIIème siècle avait été le siècle de la philosophie. Les Philosophes, généreux et chimériques, eurent cette naïve illusion que d’excellentes lois devaient obligatoirement créer une société idéale, juste et fraternelle. Ils se faisaient une image trop belle de la nature humaine. Helvetius avait dit : « C’est le bon législateur qui fait le bon citoyen... Les vices d’un peuple sont cachés dans sa législation. C’est là qu’il faut fouiller pour arracher la racine de ses vices ». Diderot avait proclamé : « Si les lois sont bonnes, les moeurs sont bonnes ». A ceux qui faisaient à Rousseau certaines objections sur la témérité de ses conceptions irréalisables, il répondait : « Proposez ce qui est faisable, ne cesse-t-on de me répéter. C’est comme si l’on me disait : « Proposez de faire ce qu’on fait, ou du moins, proposez quelque bien qui s’allie avec le mal existant »

Aussi, dans le bouleversement social créé par la Révolution, les législateurs, croyant qu’à une société nouvelle il fallait une législation intégralement nouvelle, piétinèrent, avec imprudence, le respect si profond de la nation pour ses traditions. Ils ne penseront qu’à innover, jusque dans le domaine intime de la constitution de la famille. Ils voulaient effacer, avec l’ancien régime politique disparu, les lois civiles qui gouvernaient depuis des siècles les relations des Français. On se souvient que Camille Desmoulins, notamment, disait avec quelque légèreté : « Il ne faut pas conserver plus longtemps la puissance maritale, création des gouvernements despotiques, car il importe de faire aimer la Révolution par les femmes ». Sur ce même sujet, Portalis répliquera, au contraire, un peu plus tard, avec plus de réalisme et de vérité : « Chaque famille doit avoir son gouvernement. La puissance maritale et la puissance paternelle sont des institutions républicaines. C’est surtout chez les peuples libres que le pouvoir du mari et des pères a été respecté. Dans les monarchies absolues, le pouvoir qui veut vous asservir cherche à affaiblir tous les autres. Dans les Républiques, par contre, on fortifie la puissance domestique pour pouvoir, sans danger, adoucir la magistrature politique ».

 

Pour apporter à mon trop vaste sujet les limites nécessaires, je veux seulement, et brièvement, rappeler, puisque je viens d’évoquer le statut de la famille, ce que fut et ce que devint cette législation nouvelle, visant le mariage et le divorce, la situation des enfants naturels et le régime successoral.

A l’ancienne conception, religieuse et traditionnelle, du mariage indissoluble, la législation intermédiaire avait d’abord substitué, en 1791, l’idée nouvelle du mariage civil. On prétend qu’un léger incident hâta le vote de cette loi sur le mariage, tant il est vrai, comme l’écrira un jour Bonaparte, « qu’un rien décide souvent des plus grandes choses ». Le curé de Saint-Sulpice, en effet, avait, en juillet 1794, refusé de célébrer le mariage de l’acteur Talma à raison de sa profession de comédien. Talma avait adressé à l’Assemblée constituante une noble protestation, où il concluait : « J’ai fait choix d’une compagne, les règles canoniques refusent à un comédien le sacrement du mariage avant d’avoir obtenu sa renonciation à son état. J’aurais pu, sans doute, faire une renonciation, et reprendre le lendemain mon état, mais je préfère m’abandonner avec confiance à votre Justice… ».

 

Certes, pour satisfaire au besoin persistant chez le peuple d’un certain symbolisme, extériorisé dans des solennités imposantes, qui ravissent l’imagination, des fêtes furent organisées. On créa même la fête des Epoux, qui était l’une des sept fêtes nationales et qui devait, se dérouler dans un cadre de verdure et de poésie, sous des voûtes de feuillage... Mais la réalité fut inférieure à ces espérances. Chacun se souvient du tableau célèbre et désenchanté que, quelques années plus tard, Lareveillère-Lepaux a fait d’un mariage auquel il avait assisté. Je ne rappelle que ces quelques lignes : « Je n’ai jamais rien vu qui m’ait choqué à ce point... un appel successif de chaque couple, la prononciation, en quatre mots, de je ne sais quelle formule, et voilà 20, 30 mariages terminés. Point de cérémonies, point de discours, point de chants, point d’emblèmes. Il faut convenir que tout cela n’est pas bien propre à donner l’idée d’un engagement sacré ; et pour peu qu’on se sente quelque penchant à la légèreté, on doit se faire peu de scrupule d’échapper à un lien auquel la législation ne paraît pas attacher d’importance... ».

 

Le divorce avait été établi en septembre 1792. C’était le divorce non seulement par consentement mutuel, mais encore pour simple incompatibilité d’humeur alléguée par un seul époux. Cette faculté, disait le décret, résultait de la liberté individuelle ; et l’autorité publique n’intervenait que pour l’enregistrement pur et simple de la volonté des parties. Aussi les abus ne tardèrent guère à émouvoir l’opinion publique et les législateurs eux-mêmes. D’après Glasson, dans les trois premiers mois de 1793, le nombre des divorces à Paris égala celui des mariages. En

l’an VI, il le dépassa. Les foyers se disloquaient, la moralité s’affaissait. Les pétitions marquant une réaction générale affluaient auprès des pouvoirs publics ; elles demandaient, au moins, la révision de la loi et la suppression du motif unilatéral d’incompatibilité. Le député Favard, au Conseil des Cinq-Cents, exposait qu’un jeune homme de 18 ans avait divorcé pour épouser sa grand’tante, âgée de 82 ans, se faire donner sa fortune par contrat, et revenir ensuite épouser à nouveau sa jeune et première femme. Siméon disait, devant la même assemblée, que cette facilité trop séduisante du divorce, créait « une sorte de polygamie et de prostitution ». Le professeur Olivier Martin, qui a dépouillé avec patience de nombreux documents aux Archives nationales, cite, parmi tant d’autres, une longue lettre du 3 messidor an III, émanant d’un citoyen Arnold et adressée au Comité de Salut public, qui l’approuva. On y lit, par exemple : « ... La législation contient beaucoup de lois dictées par la passion et les circonstances. Il serait à propos de les éplucher, notamnment celle du divorce. Pères de la Patrie, ne souffrez pas l’injustice... Dernièrement, un commissaire arrive dans une campagne, il aperçoit une gentille villageoise ; il l’épouse. Lui ayant attrapé 40.000 fr. d’assignats, il la quitte enceinte, et va retrouver sa femme à Paris. Un drôle en est à sa 14ème femme, et il en changera, dit-il, autant que de chemises ».

 

Le 16 brumaire an VI, le député Leclerc, devant le Conseil des Cinq-Cents, lut un rapport, où il concluait qu’une loi civile, quelque excellente qu’elle soit, ne prévaudrait jamais contre des moeurs corrompues. Il fallait donc, d’abord, restaurer les moeurs. Il proposait de rendre plus solennelle la formalité des mariages, qui seraient célébrés le « decadi », dans les églises, transformées en « temples républicains », « au chant des hymnes, avec des discours de morale, des lectures instructives, des danses et jeux publics ». Au contraire, disait-il, et par opposition, les divorces seront enregistrés le « quintidi », parce que c’est le jour le plus éloigné de ceux qui sont consacrés aux mariages ; cette cérémonie devrait être environnée d’un morne silence. Elle aurait légalement lieu dans le temple républicain, « car il était moral de présenter comme dernier obstacle, aux époux voulant divorcer, l’aspect du lieu même où, en des temps plus heureux ils avaient pris la République et l’Eternel à témoin de l’inviolabilité de leurs serments ».

 

Ainsi, le divorce accordé avec une si dangereuse facilité, au nom de la liberté individuelle, avait ruiné la famille. Dans cette société nouvelle et éblouie, l’absence des indispensables disciplines avait conduit à un débordement des moeurs et à une indiscutable perversion. Le député Delville dira, à la tribune des Cinq-Cents : « On a introduit en France un marché de chair humaine ». Et un rapport du commissaire Picquemard, du 5 prairial an VI, contient cette phrase : « Il est impossible de se faire une idée de la dissolution et de la dépravation publiques ». Les auteurs de la loi avaient été animés de généreuses intentions. Ils avaient cru que la bonté et la fraternité domineraient un monde nouveau, et que, selon l’expression du général Aubert-Aubayet, député à l’Assemblée législative, la seule possibilité de divorcer en ôterait à jamais l’envie, car, disait-il, on supporte plus facilement ses peines, quand on est le maître de les faire finir.

Le Code civil conservera le principe de la loi du divorce, mais il l’amendera sévèrement, et dans les conditions heureuses que l’on sait, arrêtant ainsi, comme on l’a écrit : « un torrent d’immoralité ».

 

La même erreur, au nom d’un séduisant idéalisme, sera commise par les mêmes législateurs, en ce qui concerne les enfants naturels. Le décret du 9 brumaire an II les assimilait aux enfants légitimes. Les enfants adultérins eux-mêmes obtenaient des droits égaux au tiers de la part d’un enfant légitime. Enfin, la loi rétroagissait au 14 juillet 1789, date de la nouvelle ère sociale, et ils pouvaient faire procéder à un nouveau partage des successions déjà partagées. Cette rétroactivité, dictée par le mysticisme d’une ère nouvelle, conduira aux troubles que l’on devine ; elle constituait une faute, et sera abolie le 26 prairial an IV.

J’emprunte encore à monsieur le professeur Olivier Martin cette citation pittoresque d’une lettre du Maire de Montbard, adressée le 7 juin 1793 au Comité de Législation : « il m’est né un enfant naturel... C’est un superbe garçon, quoique je sois dans ma 65ème année. Si je vis, il sera un excellent républicain. J’ai lieu d’espérer qu’il aura la portion de mon hérédité, comme mes quatre enfants de mon mariage, dits légitimes... ». Et ce fut Cambacérès lui-même qui voulut bien lui répondre : « Je félicite, écrivait-il, le jeune citoyen, qui vous doit le jour, de n’être plus la victime de nos vieilles erreurs et de nos atroces préjugés ».

 

Le même auteur cite, à titre de curiosité, un projet de décret, transmis à la Convention par le citoyen Meunier, en cette époque d’enthousiasme déréglé, et dont je n’indique que l’article premier : « Toutes les distinctions inhumaines d’enfants illégitimes, bâtards simples, adultérins, incestueux, enfants trouvés, enfants de la Pitié, sont et demeurent supprimées. Tous les enfants sont naturels, légitimes et enfants de la Patrie ».

Là aussi, une vive réaction de l’opinion va presque immédiatement se manifester contre cette législation qui sacrifiait trop la famille. Dans un rapport que fit Siméon à l’Assemblée des Cinq-Cents, on lit ces phrases : « Depuis longtemps, de justes réclamations se sont élevées contre ces lois qui, pour corriger la dureté du droit ancien, ont été injustes elles-mémes envers les mères de famille, leurs époux et les enfants de leur union légitime ».

 

On dut revenir en arrière. La rétroactivité, si critiquée et qui avait créé de lourdes perturbations, fut, je l’ai dit, abolie sans opposition. Le Code civil, d’abord, et des lois ultérieures, ensuite, s’efforceront, vous le savez, à une sage transaction entre le droit ancien, trop inhumain, et la loi de brumaire an II, trop inquiétante pour la structure et l’avenir de la famille.

Quant à notre ancien régime successoral, il comportait assurément, la nécessité de modifications essentielles destinées à l’adapter au nouvel ordre politique et social. La loi de nivôse an II qui, selon l’expression pittoresque d’un vieil auteur, « labourera profondément le sol coutumier de la vieille France », eut le mérite heureux d’établir l’égalité dans les partages, mais commit encore la grave erreur d’ordonner la rétroactivité. Les orateurs, qui poussèrent à cette mesure manquèrent de sagesse et de modération. Barrère disait à la Convention : « qu’il fallait effacer l’empreinte dégoûtante du royalisme qui infectait le régime des successions ». Un autre conventionnel, Garrau, s’écriait : « qu’on eût sans doute gagné à échanger la plupart de nos lois successorales contre celles des Esthoniens, qui divisaient, la succession du défunt en lots, que parents et amis se disputaient à la course ». Il y avait assurément quelque exagération dans ces paroles car, durant des siècles, la nation s’était habituée, sans se plaindre, aux règles imposées par les coutumes. La loi de nivôse, dont certains principes sont excellents et ont été conservés par le Code civil, poursuivait un but à la fois politique et social. Sous l’idée du partage égal, elle tendait surtout à l’égalisation des fortunes, en vue de l’égalisation entre les citoyens. Elle soulignait ce dessein, en restreignant à la fois le droit de tester et celui de recevoir des libéralités. Mais ce fut sa rétroactivité qui souleva les plus vives protestations. Mirabeau avait bien dit déjà, cependant, dans le discours qui fut lu une heure après sa mort, dans le silence d’une générale affliction : « que nulle puissance humaine, ni surhumaine, ne pourrait légitimer un effet rétroactif ». Le législateur, toutefois, crut indispensable d’affirmer cette idée qu’une époque nouvelle avait réellement commencé le 14 juillet 1789. Il voulut qu’à partir de cette date, il ne restât plus rien du passé. Cette application rétroactive, qui détruisait des situations acquises, et faisait remettre en partage, dans une ambiance de haineux appétits, des successions déjà distribuées, souleva une intense émotion. De nombreuses pétitions, demandant l’abrogation de cette injuste disposition, parvinrent à la Convention. pour ne citer, d’après Gustave Aron, que les plus pondérées et les plus raisonnables, je noterai seulement celle du Conseil général de Saint-Hilaire (Vienne) déclarant « que cette étrange disposition avait jeté le trouble dans les familles, et que son abolition comblera les voeux des 5/6ème de la nation ». Voici encore celle des citoyens de Villeneuve-sur-Lot (Lot-et-Garonne) qui priaient « que l’effet rétroactif d’une loi ne vînt pas troubler les fastes de la République, et que celui donné à la loi de nivôse disparût à jamais, le surplus de cette loi étant seulement soumis à un examen sévère pour y être fait telle modification que la justice et une saine politique pourraient commander ».

 

Et c’est ainsi que la loi du 3 vendémiaire an IV abolit, rétroactivement, à son tour, les actes faits en exécution des dispositions légales du 5 brumaire et 17 nivôse.

Ainsi apparut nettement le danger de légiférer sous la domination des passions. Le tribun Andrieu avait peut-être quelque raison de dire avec ironie : « En France, on ne sait guère s’arrêter à propos. Nous sommes tourmentés de la maladie des extrêmes. Chacune de nos révolutions a été suivie d’excès dans le sens contraire aux excès précédents ; et comme on a toujours voulu changer, on a cru mieux faire chaque fois qu’on a fait autrement ».

 

Vous êtes, messieurs, par vos fonctions, les suprêmes gardiens de la loi, dont je viens de rappeler qu’elle fut toujours mieux observée, quand elle s’harmonisait mieux avec l’état des moeurs et des traditions. En un temps où chacun, au nom de sa raison ou de son intérêt, s’arroge, un peu trop hardiment parfois, la faculté de la discuter, et où elle ne plane peut-être plus sur les relations des hommes avec la même impérieuse majesté, vous avez la noble mission de veiller à sa stricte application. Vous savez qu’il n’y a pas de paix possible, dans la famille et dans la société, sans le respect du droit et des contrats. « Toute loi, concluait un jour Portalis, suppose un peuple qui l’observe et qui lui obéisse ».

 

En enseignant avec sérénité cette nécessaire obéissance, et en interprétant, avec le seul souci de la vérité, la volonté du législateur, vous ne cessez de poursuivre cette oeuvre admirable de jurisprudence qui est le complément de la loi, et qui atteste l’étendue si variée de votre science juridique. Votre labeur est grand, et on peut affirmer que dans aucune des juridictions que vous contrôlez, on ne pratique une telle continuité dans le plus lourd effort. « Toute obligation, même la plus douce, pèse au jeune âge », disait en son temps, le médecin de campagne Benassis. Il faut avoir expérimenté une vie pour reconnaître, ajoutait- il, la nécessité d’un joug et celle du travail ».

 

Aussi, vous retournant, parfois, vers ceux qui, au seuil de la carrière, se sentiraient déjà rebutés par la sévérité de la tâche ou l’amertume des premiers échecs, vous avez acquis le privilège de leur pouvoir répéter, avec autorité, cette belle parole du vieux Rétif de la Bretonne à son fils, alors roturier et laboureur comme lui : « Il faut travailler, et s’en trouver honoré ; le droit d’être inutile est un pauvre droit ».

Messieurs,

Avant la reprise de vos travaux, une longue tradition qui nous tient au coeur, veut que nous inclinions notre pensée affectueuse et attristée, vers nos malheureux collègues que la mort est venue arracher à leur siège ou à la tranquillité de leur retraite.

Monsieur Paul André

Quand on apprit la mort de monsieur le premier président Paul André, tous les magistrats qui l’avaient connu et admiré, et aussi tous les autres qui, ne l’ayant jamais approché, lut gardaient une reconnaissance infinie du lustre qu’il avait su jeter sur la magistrature française, eurent le coeur douloureusement étreint.

Quelle grandeur et quelle misère dans sa magnifique destinée ! Homme du monde accompli, grand magistrat, membre de l’Institut, marchant avec autorité sur une route dont les épines semblaient s’écarter, entouré d’une déférente et unanime affection, il s’était, dans un concert d’éloges, à peine assis dans le plus haut fauteuil de la magistrature, qu’un mal implacable le guettait et l’assaillait. Il devait l’obliger bientôt à résigner volontairement des fonctions qui avaient réalisé le plus beau rêve et à quitter, le coeur brisé, ce Palais qu’il avait tant aimé. Ce mal devait le tourmenter atrocement durant huit années, comme s’il était tragiquement exact que, toujours, sur le chemin de la vie, aussi fleuris qu’en soient les abords, doivent se dresser, quelque jour, et quelque part, les sévères stations d’un calvaire.

Le Dr Joseph-Prosper André, son père, était médecin à Mars-la-Tour et député républicain de la Moselle. La guerre de 1870, et l’annexion qui la suivit, l’arrachèrent à sa terre lorraine. Ce père dont l’âme vibrait de patriotisme, et qui, pour éclairer le gouvernement de la Défense nationale sur les mouvements des troupes allemandes et sur l’attitude de l’armée de Metz, avait plusieurs fois risqué sa vie, était l’un des signataires de la dramatique protestation, lue le 17 février 1871, à l’Assemblée nationale, dans l’accablement général. Vous vous rappelez ce cri sublime de douleur et de foi : « ...L’Alsace et la Lorraine ne veulent pas étre aliénées... ». Cet appel déchirant signifiait au monde « l’immuable volonté de l’Alsace et de la Lorraine de demeurer françaises... ». Monsieur Paul André avait alors 13 ans, et l’on devine bien qu’un aussi poignant événement historique ne s’effaça jamais de sa jeune mémoire. Son père ayant été nommé préfet, il devint son chef de cabinet, et s’initia ainsi à la pratique de l’administration.

Docteur en droit, licencié ès-lettres, il fut nommé très vite substitut à Montfort et Saint-Malo, puis procureur de la République à Saint-Malo et Vannes. Il était déjà unanimement noté comme un magistrat d’élite, à la fois très travailleur et très intelligent, remarquablement doué, orateur d’audience et parfait administrateur, unissant le tact et la prudence à une fermeté pleine de douceur et de sagesse. Son procureur général écrivait un jour : « Sa jeunesse s’allie à une maturité précoce, exempte de pédantisme. Il possède la fraîcheur de l’une et les robustes qualités de l’autre… ».

 

Au cours de cette avance méritée vers une destinée toujours plus radieuse, que chacun lui prédisait, il se maria à une femme particulièrement distinguée, qui devait rester toujours pour lui une admirable compagne, et qui ne put lui survivre au-delà de quelques mois.

Jules Simon fut l’un des témoins de ce mariage heureux.

A 37 ans, Paul André est nommé avocat général à Rouen, et bientôt ensuite procureur de la République au tribunal de cette ville. Il continue à attester toujours mieux ses qualités professionnelles et ses vertus privées. Il y est noté comme un « administrateur incomparable » et un magistrat « ayant une supériorité professionnelle indiscutable ». Les sympathies s’offrent à lui, comme si elles étaient irrésistiblement attirées. Son chef écrit même cette phrase, assez particulière : « Son caractère est le plus loyal et le plus sûr que j’aie jamais rencontré dans ma carrière... ».

 

Alors, à 48 ans, il est nommé procureur général à Angers. L’historien Mignet a dit : « Il ne suffit pas d’être grand homme ; il faut avoir aussi l’occasion de le paraître ». Il ne suffit donc pas d’être procureur général dans une agréable Cour de province, pour que naisse, chez ceux que la nature a bien doués, l’occasion d’affirmer cette valeur décisive qui les impose à la direction des grands services. Il faut venir à Paris, sur cette scène difficile d’un plus grand théâtre, où les uns se brisent, mais où les autres se grandissent. Et, sur sa demande, monsieur Paul André fut nommé président de chambre à la Cour d’appel de Paris. Il n’y resta que peu de temps, car la Chancellerie lui confia la Direction criminelle.

Dans l’un de ses charmants discours, monsieur le procureur général Paul Matter définissait, un jour, les difficultés et la beauté de la tâche d’un véritable directeur, « S’il est au personnel, disait-il, il lui est beaucoup demandé, et il ne peut que petitement donner ; il doit calmer les impatiences exagérées, encourager les jeunes talents, consoler les malchanceux, associer fermeté et bienveillance. Et s’il est à la tête d’une direction technique, il lui faut préparer des projets de lois, les suivre au Parlement, préparer les mesures d’exécution, rédiger les circulaires, surveiller jugements et arrêts, entretenir une correspondance volumineuse avec les procureurs généraux ».

Monsieur le directeur Paul André, avec sa belle intelligence, et sa maîtrise, s’acquitta si judicieusement de cette mission que, rapidement encore, il fut nommé conseiller à la Cour de cassation.

Il siégea, avec sa coutumière distinction, à. votre chambre des requêtes. Il y mit si nettement en évidence sa culture et ses aptitudes, que nul autre, en 1917, ne parut mieux désigné que lui pour aller occuper le beau siège du premier président de la Cour d’appel.

C’est là, surtout, que monsieur Paul André a donné sa magnifique mesure, dans le total épanouissement de sa séduisante personnalité. Il y fut un administrateur remarquable, avec son autorité accrue et sa souple énergie. Je n’en citerai qu’un exemple. Avec une promptitude et une sûreté étonnantes, il organisa, à peine installé, dans tous les arrondissements de Paris et de son ressort, ces commissions arbitrales des loyers, sur lesquelles devait reposer la paix des relations entre propriétaires et locataires. Il fut aussi, à l’audience, un premier président de grande classe, avec sa science et son impeccable bon sens. Je n’oublierai pas que son cabinet était largement ouvert à tous ; il l’était notamment aux jeunes magistrats, venant avec timidité et confiance chercher auprès de lui des conseils ou des encouragemerts. Il les recevait toujours avec la plus accueillante bonté.

Et quand monsieur le premier président Sarrut, ce juriste dont on a justement dit que « le culte du droit fut la passion de toute sa vie », a été atteint par la limite d’âge, ce fut tout naturellement que monsieur Paul André a été désigné pour lui succéder.

Monsieur le procureur générai Lescouvé qui l’accueillit avec vous, traduisait vos sentiments unanimes en lui disant avec une éloquence émue : « Venez donc, monsieur le premier président, venez continuer et agrandir votre tâche, sans autre préoccupation que de vous ressembler à vous-même ».

 

Monsieur Paul André laissa, avec simplicité, parler son coeur sensible, et vous a dit sa joie de vous retrouver.

Et montrant aussitôt son souci d’une sage administration de la justice, il vous a précisé comment il comprenait le rôle de l’illustre compagnie qu’il allait diriger.

« Des solutions tirées, par stricte déduction, du seul raisonnement, s’écriait-il, peuvent heurter l’équité et même la simple raison... La conclusion que je veux tirer, ajoutait-il encore, c’est que la grave mesure que représente l’annulation d’une décision de justice ne doit être prise que pour une violation réelle du droit... ».

 

Il disait aussi que « la sécurité des citoyens réclame non seulement la justice dans les lois, mais aussi dans leur mise en pratique », et il citait cette phrase de Saint-Evremond, écrite en Hollande : « Il est doux de vivre dans un pays où les lois mettent à couvert de la volonté des hommes, et où, pour être sûrs de tout, nous n’avons qu’à être sûrs de nous-mêmes ».

 

I.a Fortune avait conduit, sans effort, monsieur Paul André jusqu’à votre tête ; elle l’avait aussi guidé jusqu’au Palais de l’Institut, où s’assied l’élite intellectuelle de la Nation. Il y siégeait à la section de législation et de jurisprudence. Il y était dignement à sa place. La haute tenue de ses arrêts et sa notoriété l’avaient désigné au grand choix de ses collègues, qui l’élurent sans concurrent, tous les autres candidats s’étant effacés devant lui. La Fortune est femme ; et si, parfois, dit-on, elle a certains changeants caprices, elle ne tend cependant sa jolie main si désirée qu’à ceux dont elle a distingué le mérite, et qu’elle a jugés dignes de sa faveur.

C’est là, au milieu de vous, que deux ans plus tard, la maladie venait accabler cet homme heureux, dont le caractère affable et loyal n’avait jamais suscité ni l’envie, ni la haine.

Aussitôt, il songea qu’il n’était point sage de se maintenir sur les sommets, si le coeur était vacillant, et si les forces étaient usées. Il avait trop passionnément aimé ses fonctions pour ne pas redouter d’en voir ternir le prestige, sur la cime où il avait accédé, s’il ne les devait plus servir avec le même éclat, malgré la même foi.

Alors, cinq années avant la limite d’âge, il demanda sa mise à la retraite. Et, pour la première fois, peut-être, courbant sa haute taille sous les coups du destin, il s’éloigna définitivement de cette maison, pour aller accepter des souffrances qu’il savait sans espoir.

Il ne revint jamais et souffrit cruellement et stoïquement, durant huit années, dans son cher foyer, d’où toute joie s’en était allée, jusqu’au jour où la mort, peut-être pitoyable, consentit à venir le chercher.

Messieurs, inclinons-nous, de tout notre coeur fervent de sympathie, de vénération et de pitié devant la noble mémoire de notre ancien chef. Il nous a tous grandi, car il a su être jusqu’au bout, jusque sur la croix, un très grand magistrat.

Monsieur Charles, Jean Barnaud

La pénible nouvelle du décès, si inattendu de monsieur le conseiller Barnaud, causa dans tout le Palais une sincère affliction. II y était l’un des magistrats les plus connus et les plus estimés. La « Renommée » avait publié son nom et souligné son prestige. On l’aimait, pour sa nature sympathique, pour l’acuité de son esprit, la droiture de son caractère. Quand on l’apercevait, parcourant lentement les couloirs, la tête pensivement inclinée, on venait à lui, avec empressement ou déférence. Il était de ceux dont on sollicitait l’avis sur les grands et les petits événements, à cause de la sûreté de son jugement.

Monsieur Barnaud avait débuté comme juge suppléant dans deux petits tribunaux du ressort de Limoges. J’ai noté la psychologie avec laquelle son premier chef avait alors deviné ses meilleures aptitudes. Son procureur général, en effet, écrivait que durant son intérim au tribunal d’Aubusson, il avait fait preuve de qualités qui semblaient le désigner pour un poste de juge d’instruclion. Bientôt, ce voeu sera comblé et, peu de temps après avoir été investi de ces fonctions, qui devaient progressivement lui permettre de révéler ses merveilleuses facultés, son chef écrivait encore : « Ce jeune magistrat témoigne d’une maturité d’esprit supérieure à son âge ». Il était né sur les bords ensoleillés de la Méditerranée ; et les hasards de la carrière semblèrent longtemps river son existence professionnelle au rude climat des régions élevées du Centre et de l’Est. Après un séjour de huit années sur les plateaux si joliment pittoresques du Limousin et de la Creuse, il sera envoyé, en effet, vers les Alpes, à Sisteron, puis vers le Jura, à Pontarlier.

Ses capacités ne cessent de s’affirmer toujours davantage. Ses chefs relèvent sa « valeur vraiment exceptionnelle », son « talent et son autorité remarquables », « son sens juridique profond, et sa sagacité poussée à un très haut degré ». Il est déjà signalé comme un « magistrat rappelé au plus brillant avenir ». Mais, tandis qu’on prévoyait, ainsi, sa magnifique carrière, monsieur Barnaud commençait à se lasser d’une vie monotone, dans des cités peu importantes, et des tribunaux peu occupés. Dans une lettre un peu désenchantée, et qui figure à son dossier, il écrivait un jour, avec cette modestie qui est souvent la marque des hommes de valeur : « Je sais qu’il ne m’est pas possible de parvenir à un poste bien élevé dans la magistrature ; je voudrais simplement, après 18 années de fonctions, habiter enfin une grande ville où je pourrais faire élever ma fille, et mener une vie professionnelle active ».

 

Il sera alors nommé au Havre, puis à Rouen. Sa destinée était désormais fixée, car il est vite noté « comme un juge d’instruction tout à fait hors ligne », et on prévoit déjà qu’il pourra devenir un très bon président d’Assises.

Bientôt enfin, c’est le Tribunal de la Seine qui lui ouvrait ses portes. J’ai lu, dans son dossier, qu’il y avait alors à ce grand tribunal, une pléiade de brillants juges d’instruction, qui étaient, disait le procureur de la République, l’orgueil de son Parquet. Je puis même ajouter que plusieurs d’entre eux occupent actuellement les sommets de la hiérarchie judiciaire. Or, monsieur Barnaud, à peine arrivé, se classa parmi les meilleurs de cette phalange.

Il a véritablement été un grand juge d’instruction avant d’être un très grand président d’Assises. La Cour d’assises devint son domaine préféré.. Il s’y mouvait avec une aisance naturelle. II y était vraiment chez lui. A tous ceux qui étaient parfois inquiets de la grave tenue des débats, il donnait une impression de confiance et de sécurité. C’est qu’en effet, il possédait. cette vertu essentielle qui s’appelle l’autorité, et qui est la précieuse émanation de la force tranquille et sereine.

Sa robuste silhouette, toujours soignée, son grand air de finesse et de bonté, sa connaissance exacte du droit pénal, sa pondération, sa courtoise fermeté, sa voix même, qui savait se faire dominatrice, lui conféraient cette enviable autorité, devant laquelle chacun s’inclinait. Et quand, pour présider récemment les longs et passionnés débats d’une affaire retentissante, il fallut choisir un magistrat d’élite, c’est à lui que partout on songea, malgré qu’il fût déjà président d’une chambre civile. On savait que grâce à son incomparable maîtrise, les plus acerbes incidents s’apaiseraient, sans dommage et sans rancune, comme les plus violents orages s’achêvent parfois, dans la paix retrouvée d’un beau soir.

Il avait été nommé au mois d’octobre dernier conseiller à votre Cour. Il vous était arrivé, avec son visage fin et souriant, son coeur optimiste, et cette volonté qui fut toujours sienne, d’être partout égal à sa tâche. Il avait su rapidement s’assimiler vos disciplines, et saisir le sens juridique de votre mission. Sa très vive intelligence vous donnait le sûr espoir qu’il serait l’un des conseillers les plus écoutés de votre chambre des requêtes.

La mort l’a brusquement emporté, avant qu’il n’ait pu donner, ici, sa mesure. Avec fierté,. nous garderons de lui le souvenir d’un beau magistrat, qui a honoré sa fonction, parce qu’il eut toujours le nécessaire et vigilant souci de sa grandeur et de sa dignité.

J’adresse à mademoiselle Barnaud l’hommage de notre profondé pitié.

Monsieur Jules, Emile Bourdon

Monsieur le conseiller Bourdon était entré dans la magistrature comme substitut à Chaumont, en 1882, après avoir été lauréat de la Faculté de droit de Dijon, où il avait obtenu deux prix.

Portant la parole avec chaleur et élégance, noté comme laborieux et actif, doué de remarquables qualités professionnelles, il fit dans les parquets, et jusqu’au poste de procureur de la République à Nice, une carrière rapide et brillante.

A travers les éloges que les chefs de Cour faisaient de ce jeune et distingué magistrat, se devine leur satisfaction de le voir déjà se montrer digne d’un père dont la Cour de Dijon était justement fière. Son procureur général semblait heureux d’écrire en 1886 : « Monsieur Bourdon avait un modèle à imiter, son père, conseiller à la Cour, qui occupe l’une des premières places, si ce n’est la première, parmi les membres de la Compagnie. Monsieur Bourdon fils a profité des exemples paternels ; il est assurément l’un des plus appliqués et des plus consciencieux de mes substituts ; il est intelligent, et a le sens des affaires comme lui, avec une droiture parfaite... ».

 

Certes, aucune parole flatteuse ne pouvait davantage encourager ce jeune procureur, qui eut toujours pour son père une véritable vénération, alliant la tendresse à l’admiration.

Son père avait été avoué à Chalon-sur-Saône avant d’être magistrat. Il était, écrivait alors le président de ce tribunal, « l’un des rares avoués qui, avant d’établir une procédure, examinaient l’affaire à fond, et ne craignaient pas de dissuader leurs clients d’un procès téméraire. C’est un esprit droit et ferme, ajoutait-il, d’une rigoureuse probité, d’une délicatesse exquise ».

 

Il était aussi d’une exceptionnelle modestie. Alors qu’il était simple juge, et présenté pour un poste de président, son chef écrivait cette phrase assez peu habituelle : « Ce magistrat est dépourvu d’ambition. Ce n’est qu’en lui imposant les fonctions de la présidence comme un devoir à remplir, qu’on triomphera de sa réserve et de ses scrupules ».

On conçoit qu’ayant abordé la carrière sous une telle direction morale, monsieur Bourdon ait toujours eu cette haute conception du devoir qui était l’une des marques de son caractère. Il avait, aux côtés de ce père, qui avait lutté pour l’établissement du régime, connu l’ardeur désintéressée des convictions sincères, l’enthousiasme pour les idées libérales et généreuses, l’amour d’une patrie d’autant plus sacrée qu’elle demeurait mutilée.

Et soit qu’on relise un beau discours qu’il fit à la Cour de Dijon, en 1891, sur Lamartine, ou une allocution pleine de nobles sentiments, qu’il prononça à Nice devant les élèves du lycée, en 1905, on y voit toujours apparaître ce culte du même idéal qui avait enchanté sa jeunesse.

Evoquant le rôle politique de Lamartine, il avait exalté « sa pitié sans bornes pour les souffrances de la classe pauvre, son esprit de tolérance pour toutes les croyances philosophiques ou religieuses, sa passion pour la liberté et la patrie ». Et devant les élèves du collège de Nice, il avait insisté sur la nécessité d’élever nos coeurs, sur la beauté des idées de charité, de justice et de patrie. Elles ont, ajoutait-il, une autre noblesse que la satisfaction des ambitions et des intérêts privés.

Dès 1906, monsieur Bourdon, alors procureur de la République à Nice, fut appelé à la Chancellerie, d’abord comme directeur du Cabinet, puis comme directeur des Affaires criminelles. II devait y être, de suite, parfaitement à sa place, car il paraît avoir toujours eu pour le droit pénal, une préférence marquée. Il avait prononcé, notamment, comme avocat général à Douai et à Lyon, deux discours sur l’infanticide et sur la loi de sursis. Il y avait prouvé son sens des opportunes initiatives en matière de législation criminelle. C’est ainsi qu’il avait préconisé, dans le but de parer au danger social d’acquittements trop fréquents, la diminution légale de la peine prévue pour la mère, coupable d’avoir tué son enfant nouveau-né. II avait, à ce sujet, rappelé cette parole de Montesquieu : « La cause de tous les relâchements provient de l’impunité des crimes, et non pas de la modération des peines ».

 

Son idée juste fut reprise par le sénateur Félix Martin et donna lieu à une proposition de loi qui, votée en 1901, atténua pour la mère, accusée d’infanticide, la rigueur de l’ancien art. 302 du Code pénal.

Durant son passage à la Direction des Affaires criminelles, il eut l’occasion d’intervenir, de façon toujours utile et heureuse, comme commissaire du Gouvernement, à la tribune des deux Assemblées, dans la discussion parfois mouvementée, des projets de lois sur la prostitution des mineurs, et les outrages aux bonnes moeurs.

Monsieur Bourdon est venu siéger dans vos rangs, en 1905, n’étant encore âgé que de 51 ans ; il devait rester 23 années à votre chambre criminelle.

Ceux d’entre vous qui l’y ont connu, savent son application, son activité, son souci d’une rédaction impeccable, sa vigilance dans le maintien et l’unité de la jurisprudence. Son autorité n’y cessa de grandir ; elle s’imposait courtoisement grâce à la sûreté de sa science du droit pénal, et à la précision de sa pensée, comme de son style.

En 1920, il avait été nommé président de la Commission de réforme des frais de justice criminelle. En 1930, il était fait commandeur de la Légion d’honneur.

La fin de sa belle carrière fut attristée par des souffrances physiques que son énergie devait dominer. Vous vous souvenez de ce contraste angoissant, entre son corps douloureux et vaincu, et la jeunesse de son intelligence, la vivacité de son regard, la clarté de son esprit de juriste.

Il vous plaira, sans doute, que je rappelle que l’un de ses fils poursuit, dans la magistrature, la continuité fidèle de ces fortes traditions professionnelles, laissées par un grand-père et par un père, dont la justice s’honore de garder la pieuse et réconfortante mémoire.

Au cours de l’année écoulée, nous avons eu le profond regret de voir s’éloigner de nous, étant atteints par la limité d’âge, monsieur le premier président Paul Matter, messieurs les présidents Paul Boulloche et Bricout, messieurs les conseillers Le March’hadour, Gazeau, André Roux, Landry et Saillard.

Je leur exprime, en votre nom, notre très cher espoir de les revoir souvent parmi nous. Nous avons profité des fruits de leur sagesse. Ils peuvent être assurés que dans cette maison, où se poursuit le culte fidèle du passé et des traditions, leurs grands exemples resteront vivants, et que notre déférente affection les accompagne dans leur retraite.

Messieurs les avocats,

Vous savez la haute estime que la Cour a pour vous et la confiance qu’elle est heureuse de vous témoigner.

Vos fonctions sont austères et difficiles, car il vous faut, dans leur sorte de dualité, réunir la science du juriste qui édifie la procédure et rédige de savants mémoires, au talent de l’orateur qui discute et persuade.

On dirait que c’est vraiment pour vous que La Bruyère, analysant les mérites de l’avocat, écrivait : « Il se délasse d’un long discours par de longs écrits ; il ne fait que changer de travaux et de fatigues ».

 

Pour monsieur le procureur général, nous requérons qu’il plaise à la Cour nous donner acte du dépôt de la statistique pendant l’année judiciaire 1936-1937, et admettre messieurs les avocats présents à la barre à renouveler leur serment.

Samedi 16 octobre 1937

Cour de cassation

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