Audience de début d’année judiciaire - Octobre 1934

En 1934, l’audience solennelle de rentrée s’est tenue le 16 octobre.

Rentrées solennelles

Discours prononcés :

Monsieur Théodore Lescouvé,

premier président de la Cour de cassation

Messieurs,

La Cour de cassation, réunie aujourd’hui pour la pre­mière fois depuis la sanglante tragédie de Marseille, ne saurait reprendre ses travaux sans s’associer de toute son âme à l’émotion et aux sentiments de révolte et de stupeur qui ont secoué la France entière à la nouvelle de l’odieux et lâche attentat qui, avec tant d’autres victimes, a couché sous le même linceul glorieux un grand souverain, ami de la France, et un illustre homme d’Etat français.

Aux côtés de S. M. la reine, le roi Alexandre venait nous apporter le salut fraternel d’un peuple, qui nous est attaché par les liens indissolubles d’une amitié confiante, scellée sur les champs de bataille de la grande guerre. Les acclamations et l’allégresse d’une foule enthousiaste les attendaient sur leur passage, mais elles se sont évanouies à la lueur d’un crime qui a plongé deux nations dans le deuil et les réunit aujourd’hui dans une commune affliction. A l’ombre des drapeaux en berne et sous l’amoncellement des lauriers et des fleurs, une auguste reine, dont la dignité stoïque a conquis tous les coeurs, pleure derrière un cercueil : la Cour dépose respectueusement à ses pieds l’hommage de son indicible et douloureuse pitié, avec les voeux ardents qu’elle forme pour l’enfant qu’elle abrite encore sous ses voiles de deuil et que le destin a fait l’héritier d’un grand roi.

A l’hommage rendu à sa mémoire vient s’ajouter celui que nous devons au Président Barthou, tombé comme lui au champ d’honneur et victime du même devoir. A l’heure même où tout absorbé par la tâche qu’il avait entreprise et fier de l’oeuvre de paix qu’il poursuivait ardemment, il allait porter à un souverain ami les souhaits de bienvenue de la France, la mort est venue le surprendre et briser une existence précieuse entre toutes pour les destinées de notre Pays.

­Ce n’est point le moment de rappeler ici, et je n’en aurais du reste pas la force, tout ce que nous devons à ce grand Français, qui fut, pour tant d’entre nous, le chef le plus bienveillant et l’ami le plus sûr et le plus fidèle. Qu’il soit toutefois permis à un des compagnons de sa vie de proclamer après tant d’autres son amour sans bornes pour la France et le prix qu’il attachait à son rôle et à sa grandeur dans le monde : il lui aurait tout sacrifié et en fait il lui a tout donné.

Par le vote de la loi de trois ans, il a assuré la défense de son sol et contribué ainsi à la future victoire de nos armes. En octobre 1914, je sonnais à sa porte chargé de l’atroce mission de lui porter la nouvelle de la mort de son fils unique, frappé à 17 ans sur la première parcelle reconquise de notre terre d’Alsace. Et voici que, par une aveugle fatalité, vingt ans après presque jour pour jour, il tombe à son tour en donnant à sa patrie avec sa su­prême pensée, la dernière goutte de son sang.

Aussi la France reconnaissante inscrira-telle son nom parmi ceux de ses enfants qui l’ont le plus aimée et le mieux servie et l’Histoire, qui est une résurrection, assu­rera-t-elle à sa mémoire l’immortalité du souvenir.

Hélas ! Messieurs, depuis hier un nouveau deuil s’est abattu sur la France, dont le retentissement douloureux est venu ébranler les voûtes de notre vieux Palais de Justice dont celui que nous pleurons fut si longtemps une des gloires les plus pures et les plus éloquentes.

Raymond Poincaré s’est éteint doucement, emportant dans la tombe les regrets unanimes et la gratitude de son pays au service duquel il a mis pendant plus d’un demi-siècle, les ressources inépuisables d’un des plus puissants cerveaux qui aient honoré le barreau et le Parlement français.

A ce noble serviteur de la France, à ce grand patriote, à cet illustre ouvrier de la grandeur française, j’apporte en votre nom l’hommage profondément ému et attristé de la reconnaissance nationale.

Je propose à la Cour de suspendre son audience en signe de deuil.

________

Au milieu de l’émotion générale, monsieur le procureur général Paul Matter a répondu :

Monsieur le premier président,

Messieurs,

La Cour me permettra d’associer son Parquet général aux paroles de douleur qui viennent d’être prononcées. Un abominable assassinat a, d’un même coup, jeté deux nations dans un deuil cruel et devant ces deux cercueils parallèles, un cri d’indignation et de souffrance s’est élevé de toutes parts ; car ces nobles victimes avaient un même idéal et un même but : assurer la paix dans la dignité nationale. Les hommes tombent, leurs idées justes demeurent.

Alexandre Ier, à qui le Parlement de Yougoslavie a décerné le beau titre de « Roi Chevalier, unificateur de sa Patrie », avait assumé bien jeune les tâches les plus lourdes : il avait appris, dans de longs et sanglants com­bats, l’amour du peuple, dont il avait partagé toutes les souffrances, l’horreur de la guerre, dont il avait vu tou­tes les atrocités. Il voulait sa nation libre, unie et pacifique : et c’est pour cela qu’on l’a tué. Inclinons-nous très bas devant la douleur de S. M. la reine, du jeune roi, d’un peuple tout entier.

Louis Barthou était depuis 45 ans l’infatigable servi­teur de la République. Député, sénateur, ministre, Président du Conseil, partout il avait montré son intelligence alerte, son bon sens servi par une parole éloquente, sa vive allure qui entraînait tout. Ministre de la Guerre, il faisait voter une loi sans laquelle, peut-être, la défaite eût remplacé la Victoire. Garde des Sceaux, il nous donné l’exemple des initiatives généreuses et il a conquis notre affectueuse déférence. Ministre des Affaires étrangères, il a parlé un clair langage, bien français, pour maintenir les droits de la civilisation, le prestige de sa patrie : car il avait l’amour de la France jusque dans les fibres. Dans le privé, la vie la plus intègre, l’homme le plus simple, l’esprit le plus cultivé, le coeur le plus tendre : nul ne pourrait mieux le dire que le Premier d’entre vous. Il est mort à son poste d’honneur, comme celui qu’il a pleuré pendant vingt ans est mort à son poste de soldat.

Et sur la France, doublement endeuillée, vient de s’abattre un nouveau coup : Raymond Poincaré n’est plus. Il était doué de toutes les qualités de l’intelligence et du cœur, orateur de haute classe, écrivain de style le plus pur ; avant tout, ce Lorrain, était fils de la France. Il avait, comme Louis Barthou, franchi tous les degrés de la vie politique, exerçant partout son autorité pénétrante, lorsqu’éclata la guerre mondiale malgré tous ses efforts pour conjurer ce fléau. Alors il incarna la Nation et le récit qu’il fit, sous ce beau titre : « Au service de la France », sera, dans l’avenir, l’histoire d’un peuple qui tint. Venue la Victoire, le Parlement a proclamé solennellement que « le Président Poincaré a bien mérité de la Patrie ». Rentré dans la vie privée, définitivement, pensait-il, il dut, deux fois, reprendre l’exer­cice du pouvoir, dans les circonstances les plus angoissantes, et pour le bien de son pays, tant était grand son prestige. Atteint dans ses forces physiques, qu’il avait voulu dompter pour mieux servir, il s’était remis au travail, encore, toujours ; brusquement, il s’est éteint. Avec celle qui fut la compagne intime de sa pensée, nous pleurons douloureusement.

En vérité, par la mort de ces trois hommes d’Etat, le monde entier est appauvri.

La Cour participera au deuil national en levant son audience.

Au nom du barreau de la Cour de cassation, monsieur Lemanissier, président de l’Ordre, s’est associé en ces termes aux sentiments qui venaient d’être exprimés :

« Le barreau de la Cour de cassation, indigné et consterné par l’abominable attentat, s’incline devant la mémoire du roi Alexandre Ier de Yougoslavie et du Président Louis Barthou.

 

Le roi Alexandre fut un illustre roi, héroïque et clairvoyant dans la guerre et dans la paix.

 

Le grand homme d’Etat français que fut le Président Barthou, est tombé avant d’avoir achevé l’oeuvre qu’il avait heureusement entreprise et qui avait inspiré à la France l’espoir de l’apaisement de l’Europe.

 

Cependant la mort s’acharne sur la France et nous ne pouvons nous souvenir qu’avec reconnaissance du Président Poincaré qui n’a cessé de mettre au service du pays sa droite intelligence lumineuse d’ordre et d’au­torité.

 

Nous ne pouvons oublier, nous autres avocats, que le bâtonnier Poincaré fut un grand avocat. Le barreau de la Cour de cassation, du fond du cœur, s’associe aux paroles qui ont été prononcées par monsieur le premier prési­dent et monsieur le procureur général de la Cour de cassation ».

L’audience a été suspendue un quart d’heure en signe de deuil.

A la reprise, monsieur le premier président Lescouvé a donné la parole à monsieur l’avocat général Chartrou pour prononcer le discours d’usage.

Ensuite et sur la demande de monsieur le premier pré­sident Lescouvé, le procureur général Paul Matter ayant déclaré n’avoir pas de réquisitions à prendre, messieurs les avocats ont été invités à renouveler leur serment, selon la coutume traditionnelle.

La séance a été levée à 15 heures, puis la Cour a continué à siéger en chambre du conseil pour expédier les affaires courantes.

Discours de monsieur Jean-Marie, Léon, Joseph Chartrou,

Avocat général à la Cour de cassation

LA COUR DE CASSATION EN 1870-1871

 

Monsieur le premier président,

Messieurs,

Le magistrat chargé du grand honneur de vous entre­tenir un jour de rentrée, conformément à une bien ancienne tradition, réveillée récemment d’un sommeil de trente ans, est sollicité par les sujets les plus variés parmi lesquels il doit faire un choix souvent difficile.

Vous parlera-t-il morale en s’inspirant du grand d’Agues­seau qui, avocat général et procureur général au Par­lement de Paris, avant d’être chancelier de France, affectionnait de donner à ses collègues des leçons d’éthi­que professionnelle en un style d’ailleurs magnifique et avec une hauteur de pensée admirable ? L’exemple serait singulièrement périlleux. « Seuls, ceux qui sont à portée de faire réussir leurs prétentions peuvent les laisser paraître avec bienséance », a dit Vauvenargues [1].

Votre orateur vous parlera-t-il droit ? Il est bien diffi­cile qu’il vous apporte, en cette matière, qui vous est si familière, des vues originales et des solutions inédites. D’ailleurs, ne serait-il pas souvent un peu dangereux de sa part de parler droit devant les maîtres que vous êtes ! La philosophie pourrait le tenter (elle l’a fait quelque­fois à votre grande satisfaction) mais tout le monde n’est pas un Brillat-Savarin - qui fut.des vôtres - et qui, avant d’intriguer le public lettré par l’anonymat de sa délicieuse « Physiologie du goût », avait donné aliment aux esprits profonds dans de graves études. Tout le monde n’est pas non plus un de Tarde, qui aurait pu sans doute poursuivre sa carrière de magistrat jusqu’à vous, s’il n’en avait été détourné par ses belles études sur la criminalité et la philosophie sociale.

Les sujets philosophiques écartés, les sujets littéraires plairaient souvent à votre orateur. Le droit et les lettres ont bien des affinités. Il sait, du reste, que, dans les temps passés, on ne représentait pas un magistrat sans un Horace ou un Lucrèce dans sa poche. Mais les sujets littéraires ne sont-ils pas réservés à l’Académie ? Et puis, l’Horace de son ancien n’a-t-il pas dit : « Pindarum quisquis studet aemulari ad..... ceratis av .. nititur pennis [2] ».

 

Heureusement, il y a l’Histoire, chargée de l’inépuisa­ble passé, la petite et la grande Histoire et, bien sou­vent, c’est à elle que vos orateurs de rentrée ont emprunté leurs sujets de discours.

Peut-être vous intéressera-t-il que, à mon tour, j’ajoute une page de souvenirs à celles qui ont été pour vous écrites par tant de mes éminents prédécesseurs, et que je vous parle histoire, de votre histoire, m’efforçant modestement d’ajouter un tableau sans prétention à ceux qui ont été si magistralement brossés devant vous, ces dernières années.

Depuis son institution, dont un beau discours, il y a deux ans, vous a rappelé la genèse, la Cour de cassation, associée aux tristesses de la France, comme elle était associée à ses joies et à sa gloire, a vécu, à plu­sieurs reprises, des heures douloureuses, les heures où étaient mises en péril la grandeur et même la liberté de notre pays. Trois dates à cet égard, sollicitent notre attention émue : 1814, 1870, 1914, dates d’invasions tra­giques et redoutables, dates où la France se vêtit de voiles de deuil, même quand elle fut victorieusement sauvée par l’admirable sacrifice de ses fils. Je ne veux évoquer ici qu’une de ces époques, 1870-1871, - l’année Terrible, comme l’a appelée Victor Hugo - l’année Terrible et ses conséquences sur la vie de votre Cour. Certes, 1814-1815 réservèrent à vos prédécesseurs des moments angoissants. En seize mois, deux invasions, trois révolutions, quatre gouvernements contradictoires, exi­geant tous des témoignages de fidélité. Il y avait là bien des motifs d’inquiétude. La dignité de votre Cour, sa mesure et son tact lui permirent de dominer les événe­mènts et de placer son haut devoir au-dessus de tant de changements politiques ; mais les discours de l’époque, conservés dans vos vieux registres, témoignent du caractère délicat et poignant de la situation qui lui fut, alors, plusieurs fois faite. Quoi qu’il en soit, les circonstances furent telles que sa vie judiciaire ne fut, à cette époque, à aucun moment, gravement troublée, et qu’elle put continuer à remplir normalement sa grande mission.

Sa vie professionnelle ne fut pas non plus arrêtée, il y a vingt ans, pendant l’effroyable guerre qui nous fut imposée et dont le souvenir ne cessera, de nous remplir d’émoi.

Les pouvoirs publics envisagèrent bien, le 2 septembre 1914, l’envoi en province d’une délégation de votre Cour et, sur leur ordre, une de vos chambres, présidée par un grand magistrat, monsieur le premier président Bard, se trans­porta à Bordeaux dès le 3 septembre. Mais, peu après la victoire de la Marne, elle revint à Paris sans avoir siégé en province, et c’est en présence de toute la Cour que, le 16 octobre 1914, eut lieu la reprise de vos travaux, précédée du traditionnel salut à vos morts, prononcé par monsieur l’avocat général Furby. Dès lors, vos trois chambres restèrent dans leur palais et continuèrent à y siéger, assurant le cours de leur haute justice dans le danger, la sérénité et la confiance, jusqu’à l’heure où sonna glorieusement le clairon de Rethondes.

Au contraire de ce qui se passa en 1814 et en 1914, pendant les sombres jours de l’année Terrible, vos prédéces­senrs ont éprouvé, dans l’anxiété et la douleur patrio­tiques, les plus grandes difficultés pour assurer l’accom­plissement de leur grand devoir et ont payé un lourd tribut à la guerre allemande et, hélas ! surtout à la guerre civile.

Après les premières défaites de la guerre : Wissem­bourg, Froeschwiller, Forbach, Saint-Privat, noms qui résonnent encore si douloureusement à nos oreilles, après la triste capitulation de Sedan et la chute de l’Empire, Paris était menacé d’investissement. Le Gouvernement de la Défense nationale prit aussitôt, le 9 septembre, un décret autorisant le garde des Sceaux Crémieux à transférer la chambre criminelle de la Cour de cassation à Tours, d’où les nouveaux ministres orga­nisaient, avec l’énergie et le patriotisme que l’on sait, la glorieuse résistance française.

Consultée sur l’exécution de ce décret, votre Cour prit une délibération exprimant son désir de rester à Paris.

S’il était nécessaire, proposa-t-elle, une délégation irait siéger en province [3].

Mais le 19 septembre 1870, les menaces d’investisse­ment étaient devenues, hélas ! une réalité. Le 25 octobre, deux jours avant la déplorable reddition de Metz, une semaine avant la rentrée judiciaire, le Gouvernement prit un nouveau décret[4], convoquant impérativement à Poitiers, pour le 3 novembre, une section de votre Cour, désignant pour la présider monsieur Legagneur, président de la chambre criminelle, ou, à son défaut, le conseiller le plus ancien de cette chambre. Devaient composer cette section de guerre les magistrats de la chambre criminelle se trouvant en province, auxquels seraient adjoints, en cas de besoin, les membres disponibles des chambres civiles, sans que le nombre total des conseillers de la délégation pût dépasser 15. Et le décret fixait les attri­butions de la section : affaires criminelles, correctionnelles et de simple police, affaires civiles dont l’ur­gence serait reconnue par décision préalable, renvoi devant une juridiction située en dehors de leur ressort normal des affaires pénales que les cours et tribu­naux régulièrement compétents seraient empêchés de juger à raison des circonstances. Les avocats de la Cour de cassation qui le pourraient rempliraient leurs fonctions habituelles près la section de Poitiers. A leur défaut, ils seraient suppléés par les avocats et avoués du Siège provisoire de la Cour.

Le décret prévoit tout et l’on ne peut qu’admirer la précision et la netteté avec lesquelles il est rédigé, en un moment où le Gouvernement de la Défense nationale se débattait dans les complications les plus graves. Souci d’ordre bien français ! Malgré l’ennemi, la vie devait continuer normale et la justice, la plus haute justice, devait être assurée.

Conformément à ce décret, la section de guerre se réunit à Poitiers le 3 novembre, date à cette époque normale de la rentrée judiciaire. Le même jour, reprirent leurs travaux, dans Paris assiégé, les membres de la Cour qui y étaient restés et qui devaient continuer à y travailler dans la mesure où les angoissantes conjonc­tures le leur pouvaient permettre. En l’absence de monsieur le premier président Devienne, un moment suspendu de ses fonctions pour des motifs qui devaient être bientôt jugés injustifiés[5], le président Bonjean suppléa le chef de la Cour à l’audience solennelle de rentrée, une an­dience dont il est facile d’imaginer la lourde tristesse et où tant de places étaient inoccupées. Le procureur général, Paul Fabre, y prit la parole [6]. Une phrase résume son allocution : « Les circonstances ne se prêtent pas aux solennités traditionnelles, dit-il, mais il est toujours l’heure du devoir ». Toujours l’heure du devoir ! admirables paroles dont Bonjean et Paul Fabre lui-même devaient, par leur exemple, illustrer le sens.

A Poitiers, donc, de leur côté, le même jour, 3 novem­bre, s’étaient réunis les magistrats de la Cour qui avaient pu répondre à la convocation du Gouvernement.

D’abord, monsieur de Carnières, président de la Section, en l’absence de monsieur Legagneur, resté à Paris, doyen éminent, qui devait quelques années plus tard être nommé président de la chambre criminelle en remplacement de Faustin Hélie. Puis messieurs Lascoux, de Gaujal, de Chenevières, Camescasse, Roussel, Saillard, conseillers à la chambre criminelle, monsieur Dumon, futur président de la chambre civile, messieurs Dagallier et Guillemard, monsieur Sor­bier, auteur d’un ouvrage charmant : « Lectures d’un magistrat, méditations morales et études historiques », tous les quatre conseillers à la chambre des requêtes, et deux conseillers de la chambre civile, monsieur Massé, à qui d’intéressants ouvrages de droit valurent d’entrer à l’Académie des Sciences morales et politiques, et monsieur Larombière, dont le nom et les travaux sur les obliga­tions sont bien connus de vous, juriste éminent, lui aussi membre de l’Académie des Sciences morales et politiques, d’ailleurs latiniste et poète fervent, qui tra­duisit en vers français le de Natura Rerum de Lucrèce et Les Géorgiques de Virgile.

Le ministère public était représenté par deux avocats généraux : monsieur Bedarrides, chef du Parquet de la Sec­tion, qui devint, en 1877, président de la chambre des requêtes, et dont les travaux n’ont pas cessé d’être consultés avec fruit, monsieur Connély, le plus jeune des magistrats de la Cour - il avait 45 ans - qui, après la guerre, démissionna pour s’enfermer à la Trappe. Et à côté de ces hauts magistrats siégeait monsieur de la Mon­noye, greffier de la chambre civile, auteur d’une traduction en vers du Marchand de Venise, de Shakes­peare, et d’un important ouvrage sans doute en prose sur l’expropriation pour cause d’intérêt public ![7]

C’est cette phalange d’hommes remarquables qui s’installa à Poitiers.

Poitiers ! C’était presque par tradition que le décret du 25 octobre avait désigné cette vieille ville historique comme siège de la section temporaire de votre Cour.

Déjà, bien des années avant, de 1418 à 1436, à l’époque de la guerre de Cent ans, le Parlement royal avait dû s’y réfugier avec le dauphin Charles qui, dit monsieur Hanotaux, aurait pu tout aussi bien s’appeler roi de Poi­tiers que roi de Bourges[8].

La population poitevine fit à vos prédécesseurs un accueil déférent. Le droit, à Poitiers, était depuis longtemps à l’honneur ; la magistrature y était très respectée, et un journal local put écrire, en souhaitant la bien­venue à la section : « La Cour de cassation se trouvera parmi nous en famille » [9]

 

Bien entendu, la Cour siégea dans l’admirable Palais de Justice que beaucoup d’entre vous connaissent, l’ancien Palais des comtes de Poitiers, édifié ou magnifique­ment restauré à la fin du XIVème siècle par Jean, duc de Berry. Cadre bien digne d’elle ! Nous pouvons imaginer vos éminents prédécesseurs, aux heures de suspension ou d’attente, devisant dans la majestueuse salle gothique du Palais, éclairée par ses hautes et élégantes fenêtres du plus pur flamboyant, qui lui donnent un caractère et un charme si délicats...

De quoi parlaient-ils, en ce triste mois de novembre, sinon des malheurs du pays, des efforts héroïques de l’armée de la Loire, de Chanzy, en qui la patrie allait mettre tout son espoir, des progrès de l’ennemi menaçant. Et ils parlaient aussi de leurs familles dont bien des membres restés à Paris subissaient le siège tragique. Peut-être, quelquefois, les poètes, et nous savons qu’il y en avait parmi eux, allaient-ils suivre les sinuosités du joli Clain dont les rives se paraient encore des couleurs dorées de l’automne. D’autres, sans doute, cherchaient les souvenirs merveilleux du passé dans les admirables monuments romans de la ville : Notre-Dame­-la-Grande, Saint-Hilaire, Sainte-Radegonde, ou les souvenirs d’un passé encore plus ancien dans les vieilles pierres du Baptistère Saint-Jean.

Cependant, la Cour n’était pas restée inactive. Au cours du mois et demi de son séjour à Poitiers, elle tint d’assez nombreuses audiences et rendit, nous apprend la statistique - qui ne perd jamais ses droits - dix arrêts de cassation, soixante-et-un arrêts de rejet, trois de règlement de juges, un de suspicion légitime, sans parler d’arrêts de déchéance, d’irrecevabilité, et de neuf arrêts accueillant des demandes de renvoi pour cause d’occupation enne­mie[10]. Et certaines de ces affaires donnèrent lieu à d’importants débats, notamment un grave procès d’as­sassinat Fauchet, suivi de cassation [11].

Mais les progrès de l’ennemi n’avaient pu être arrê­tés, les batailles malheureuses de Champigny et de Vil­liers, 30 novembre et 2 décembre, d’Arthenay, 3 dé­cembre, la prise d’Orléans qui suivit, rendaient la situation dangereuse pour les villes du centre de la France. Le Gouvernement avait dû se retirer à Bor­deaux. Le 12 décembre, le garde des Sceaux prit un arrêté enjoignant à la section de Poitiers de transférer son siège à Pau [12].

La Cour ne put qu’obéir ; mais elle le fit avec une intime tristesse. La décision devant laquelle elle s’in­clinait prouvait, à l’évidence, que le Gouvernement crai­gnait une nouvelle et grave avance allemande. Quelle raison d’émoi douloureux ! Et puis, la Cour avait reçu à Poitiers une hospitalité si déférente ! Pourquoi, du reste, l’envoyer siéger si loin, dans une ville séparée de Paris par plus de 800 kilomètres ? Comment, d’autre part, allait-elle s’installer dans sa nouvelle résidence ? Il ne lui suffisait pas, pour calmer son inquiétude, de se rappeler que Pau était une capitale, la capitale de la Navarre, de Jeanne d’Albret, du bon roi Henri ; les vallonnements harmonieux du Poitou l’avaient séduite, la majesté des Pyrénées ne la tentait pas...

Ses appréhensions étaient injustifiées, elle s’en rendit vite compte. Nous sommes très renseignés à cet égard par un ouvrage charmant dans lequel un distingué magistrat palois, le conseiller Pons Devier, a tenu à fixer les souvenirs que la section temporaire a laissés dans sa ville, petit livre alertement écrit, utilement docu­menté, dans lequel j’ai puisé bien des détails intéres­sants et qui témoigne, à la fois, du respect dont vos collègues furent entourés, et des sentiments de fierté qu’éprouva la population locale à recevoir les premiers magistrats du pays.

Pour annoncer la venue à Pau de la section tempo­raire de la Cour suprême, le garde des Sceaux Cré­mieux avait écrit au procureur général Georges Lemaire, qui devait plus tard siéger lui-même parmi vos prédécesseurs : « Quoique la Cour ne me paraisse quant à présent exposée à aucun danger, j’ai pensé que l’oeuvre de la justice réclamait un calme et des méditations qu’aurait troublés, à Poitiers, le passage incessant des troupes, sans parler de l’encombrement des voyageurs. Votre ville, située dans un climat doux et convenable pour une résidence d’hiver, m’a paru, d’ailleurs, offrir des conditions avantageuses pour l’installation de la Cour suprême [13] ». Le garde des Sceaux était vrai­ment plein de prévenances pour vos collègues.

Le procureur général répondit : « La Cour d’appel de Pau tient à honneur de recevoir dignement la délé­gation de la Cour de cassation et de lui offrir sa res­pectueuse et cordiale hospitalité [14] ».

 

Cette hospitalité fut, en effet, respectueuse et cordiale ; mais, dès le début, l’aimable complaisance des magis­trats locaux se heurta à des complications. La Cour suprême arriva, en effet, à Pau, le 15 décembre, en pleine nuit, à 2 heures du matin. Le train spécial qui la transportait avait été anormalement retardé par des convois de troupes. A pareille heure, la question installation n’alla pas sans difficultés, ni même sans des incidents, qui, dit l’excellent conseiller Pons Devier, auraient pu inspirer la verve d’un vaudevilliste, n’eût été la tristesse des événements... Cependant, tout s’ar­rangea, et bientôt chacun fut chez soi.

 

Dès le lendemain, la section temporaire, composée exactement comme à Poitiers, s’organisa pour travailler. La Cour d’appel lui céda sa 1ère chambre, qu’on appelle à Pau, la grande Chambre, belle salle aux vastes dimen­sions qui permit facilement aux 14 magistrats de la Cour de prendre séance. Evidemment, le Palais de Pau n’était pas le Palais de Poitiers. Les belles lignes gothiques ne charmaient plus de leurs élégantes ara­besques les yeux de vos collègues, mais le Palais de Pau était sans doute plus confortable ; - neuf ou presque neuf, moderne et bien agencé, il était très digne de recevoir la Cour suprême.

Les mauvaises langues racontent que, quand les chefs de la Cour d’appel firent visiter à leurs hôtes éminents leur bibliothèque, ceux-ci n’auraient manifesté aucun intérêt devant les rayons où étaient soigneusement ran­gés les ouvrages de doctrine, et ne parurent satisfaits qu’en apercevant, bien alignés, les recueils des arrêts de la Cour de cassation. Prompts à la critique mali­cieuse, certains magistrats palois ne craignirent pas de les accuser d’indifférence à l’égard de la doctrine. L’excellent monsieur Pons Devier s’indigne, horrescit referens ; il défend énergiquement la Cour de cassation et développe sur la jurisprudence diverses réflexions qui, pour être évidemment moins pénétrantes et moins remarquables que celles si profondes et de si haute allure que vous avez entendues ici, il y a trois ans, ne sont certes pas sans valeur. Il rappelle de façon très opportune les paroles de Clermont-Tonnerre et de Merlin, au moment où, en 1790, on discutait la création du Tribunal de cassation : On ne parviendra à assurer l’uniformité nécessaire de la Jurisprudence « qu’en fai­sant délibérer les mêmes hommes, dans le même lieu, avec la faculté constante de consulter les mêmes documents et de comparer sans cesse les jugements à rendre avec les jugements rendus ». Il aurait pu ajouter, avec Portalis : « Dans cette immensité d’objets divers dont le jugement, dans le plus grand nombre des cas, est moins l’application d’un texte précis que la combinaison de plusieurs textes qui conduisent à la décision bien plus qu’ils ne la renferment, on ne peut pas plus se passer de jurisprudence que de lois [15] ».

Installée, la section temporaire se mit au travail. Pen­dant les trois mois de son séjour à Pau, elle tint 14 au­diences et rendit 165 arrêts, dont 29 de cassation, 55 de rejet, 11 de renvoi pour cause d’occupation ennemie[16]. Et certaines de ces affaires retinrent longuement son attention, notamment celle du lieutenant-colonel Chenet, traduit sur l’ordre du général Garibaldi pour abandon de poste devant une Cour martiale composée en majo­rité de membres de nationalité étrangère et condamné à la dégradation militaire et à mort. La Cour cassa l’arrêt, comme elle cassa bien d’autres décisions de cours martiales, réprimant ainsi, selon la parole de son pro­cureur général, avec autorité et justice, de graves et regrettables abus [17].

A Pau, plusieurs avocats de la Cour de cassation avaient suivi la section temporaire : maîtres Mimerel, Hal­lays-Dabot, Barrème, Petit, Costa, et aussi maître Mazeau, qui devait devenir plus tard conseiller à votre Cour, garde des Sceaux et premier président. Tous prêtèrent à vos collègues le plus dévoué concours. L’organisation de la Cour était donc aussi régulière qu’on pouvait le désirer. Même, un décret du 20 décembre 1870 - le Gou­vernement pensait à tout - créa un bureau d’assis­tance judiciaire près la section, bureau qui présenta cette originalité d’être présidé par monsieur Renouard, conseiller honoraire à. la Cour de cassation,. retiré à Pau depuis sa récente retraite, et qui devait, à 76 ans, le 21 avril 1871, être rappelé à l’activité, nommé procureur géné­ral près votre Cour et occuper ces hautes fonctions jus­qu’à sa seconde mise à la retraite, en 1877, à l’âge de 83 ans.

Les brèves indications que je viens de donner rensei­gnent sur la vie professionnelle de votre section de guerre. Mais elles laissent dans l’ombre la vie intime angoissée de vos collègues. Depuis Poitiers, la situation du pays s’était aggravée ; des noms de défaites douloureuses se succédaient, malgré la résistance quelquefois heureuse et l’héroïsme de nos armées : le Mans, Saint-Quentin ! Puis ­Paris cédait à la famine et ouvrait ses portes, et le 28 janvier 1871, l’armistice était signé.

La guerre était finie ! Mais que d’inquiétudes patriotiques, avant comme pendant les pourparlers de paix, étreignaient le cœur de vos collègues, même de ceux que la guerre n’atteignait pas directement dans leurs intérêts et leurs affections, et qui faisaient mentir le mot cruel de Tite-Live : « Nous ne sentons des malheurs publics que ce qui nous touche [18] ».

Pau était à ce moment le refuge de bien des Parisiens, anciens ministres de l’Empire, financiers, diplomates sans emploi, désoeuvrés de tous genres.

La Cour, cependant, vivait retirée, à l’écart du bruit et des hôtes mondains de la ville, toute à son devoir et à ses an­goisses. Les seules distractions de vos collègues, en dehors de leur travail, étaient des promenades, surtout sur la terrasse, justement célèbre, qui domine l’ad­mirable et large vallée du Gave et d’où l’on voit, au loin, se profiler majestueusement les sommets des Pyré­nées. A cette époque, la terrasse était moins large et moins étendue qu’aujourd’hui ; elle n’était pas bordée de beaux hôtels et d’une élégante balustrade, mais elle offrait le même splendide point de vue. Cette année, le spectacle était particulièrement remarquable. Le froid qui avait si durement éprouvé nos soldats pendant l’hi­ver terrible de la guerre, n’avait pas épargné la région paloise. En dépit du beau ciel de Pau et de son climat privilégié dont le garde des Sceaux Crémieux avait vanté le charme dans sa lettre au procureur général Georges Lemaire, la neige était abondamment tombée sur toute la région, et la magnifique vallée que domine la ville fut longtemps toute blanche, blanche comme les montagnes qui, au loin, étalaient leurs masses, quelquefois étincelantes sous le soleil d’hiver. Quand le froid était trop rigoureux (le thermomètre descendit, à Pau même, jusqu’à 12 degrés sous zéro) et le vent trop vif, vos collègues visitaient les monuments de la cité, qui, quoique moins nombreux et moins vénérables que ceux de Poitiers, n’en sont pas moins fort beaux, notamment le vieux château de Gaston Phoebus et de Jeanne d’Albret, et son musée aux tapisseries fameuses.

Ainsi s’écoulait la vie des membres de la section. Leur séjour à Pau prit fin le 12 mars 1871, conformé­ment à un arrêté du garde des Sceaux Dufaure, succes­seur de Crémieux, en date du 2 mars, lendemain de la ratification des préliminaires de paix par l’Assemblée nationale réunie à Bordeaux.

La section rentra donc à Paris : mais elle y arriva à la veille du 18 mars, des graves troubles de la Com­mune et du départ pour Versailles du Gouvernement, soucieux d’organiser la lutte contre la Révolution que la France si cruellement éprouvée ne méritait pas. En pleine insurrection, la section temporaire reprit sa place au sein de la Cour, dont l’émeute grandissante n’arrêtait pas les travaux, mais qui allait être si dure­ment atteinte dans son affection et son respect pour deux de ses chefs.

Le 21 mars, le président Bonjean venait de présider son audience de la chambre des requêtes quand, d’ordre de la Commune, il fut arrêté comme otage et enfermé à Mazas.

Je ne vous rappellerai pas - ce n’est pas dans le cadre de ce discours - les cruelles circonstances de la détention et de la mort héroïque, le 24 mai, du grand citoyen et du grand magistrat que fut le président Bon­jean, malheureuse victime de la passion populaire. Au surplus, vous connaissez tous cette page d’histoire d’hier. Mais je ne veux pas évoquer son nom sans m’in­cliner bien bas devant sa mémoire respectée. J’ai relu quelques-unes des lettres que, de sa prison, il écrivait aux siens. Elles témoignent d’un admirable courage. Quelques jours avant sa mort, il s’adressait ainsi à un ami : « Je puis vous affirmer sur l’honneur que, sauf la poignante inquiétude que j’éprouve pour la santé de ma noble et sainte compagne, jamais mon âme ne fut plus sereine et plus calme que depuis que j’ai perdu jusqu’à mon nom pour ne plus être que le n° 14 de la 6ème division. Mais ce n° 14 vous aime bien et vous bénit, comme si vous étiez un de ses enfants[19] ». L’antiquité ne nous offre pas d’exemple d’une plus émouvante gran­deur.

Le président Bonjean, dont un buste de marbre placé dans la salle du conseil de votre chambre des requêtes­ - sa chambre - perpétue la noble figure, ne fut pas la seule victime que fit la Commune dans les rangs de votre Cour. Le procureur général Paul Fabre, dont effigie est également conservée pieusement par la Cour, mourut, lui aussi, de l’insurrection. II avait courageuse­ment essayé d’obtenir la libération du président Bonjean. Ses démarches le rendirent suspect et la Commune lui répondit par un ordre d’arrestation. Au moment où il allait être saisi, des amis purent l’entraîner et le conduire à Versailles. Mais les émotions qu’il venait d’éprouver avaient gravement affaibli sa santé. La mort le frappa quelques jours après, le 27 mars. Il la vit venir avec sérénité. Il avait fait à sa patrie le sacrifice de sa vie [20].

Après l’arrestation du président Bonjean, le Gouverne­ment avait pris le 22 mars, un arrêté prescrivant aux cours et tribunaux de cesser de rendre la justice à Paris.

Dès ce moment, les audiences de votre Cour furent suspendues, mais il fallait éviter que le service de la Justice fût arrêté dans le reste de la France. Le 25 avril 1871, un arrêté du président du Conseil, chef du Gouvernement provisoire, prescrivait à votre chambre criminelle de siéger à Versailles. Celle-ci s’y transporta aussitôt ; et le 4 mai, elle tint sa première audience au Palais de Justice de la vieille ville royale. Elle continua d’y siéger jusqu’à ce que la Révolution définitivement dominée, elle fut invitée par un arrêté du président du Conseil du 23 juin 1871 à reprendre ses audiences à Paris. A Versailles, votre chambre criminelle n’avait cessé de travailler. Elle y rendit 9 arrêts de cassation, 90 arrêts de rejet, 13 arrêts de règlement de juges, 33 arrêts de déchéance, 6 arrêts de désistement [21].

Mais pendant son absence, des événements tragiques s’étaient produits. Le 24 mai, le jour même où, dans le chemin de ronde de la grande Roquette, l’héroïque Bon­jean tombait sous les balles de ses concitoyens égarés, le feu était mis au Palais de Justice, en même temps qu’aux Tuileries, à la Cour des Comptes, au Palais Royal, à l’Hôtel de Ville... Pourquoi les colères du peuple se résolvent-elles en gestes de vandalisme et de lamentable destruction ? Victor Hugo les a comparées à celles de l’océan :

« Il foudroie, il caresse, et Dieu seul sait pourquoi…

Et l’on sent que ce flot, comme toi, gouffre humain,

Ayant rugi ce soir, dévorera demain [22] ».

La partie du Palais occupée par votre Cour fut gravement atteinte et de déplorables dégâts y furent commis. Les ruines de l’édifice étaient réparables dans la mesure où les pierres neuves et les reconstructions peuvent remplacer la grâce et le charme des vieilles pierres et des vieux monuments. Mais ce qui certainement ne pouvait être réparé, c’était la perte de la plus grande partie de l’admirable bibliothèque de la Cour. Renan fait dire à Caliban : « Guerre aux livres ! ». Les émeu­tiers de la Commune, peut-être sans le vouloir expres­sément, firent la guerre aux vôtres. Dans son discours de rentrée du 3 novembre 1871, le procureur général Renouard énumère les richesses disparues : 30.000 volumes sur 50.000, dont certains constituaient des éditions uniques, sans compter les archives du Parquet, une grande partie des minutes de la Cour, des tableaux de valeur et surtout celui du Chancelier d’Aguesseau peint par Largilière.

L’incendie avait cependant épargné votre chambre des requêtes, alors toute neuve, puisqu’elle avait été achevée trois ans avant, en 1868. Ses décorations et ses ornements sobres, sa précieuse tenture de soie brochée, verte à semis d’abeilles, tissée spécialement pour elle [23], étaient intacts. Les trois chambres y tinrent audience, chacune son tour : la chambre des requêtes, le lundi et le mardi, - la chambre civile, le mercredi et le jeudi, - la chambre criminelle, les deux derniers jours [24]. Mais il fallait, une fois de plus, réparer le vieux Palais de Saint Louis qui, au cours de sa longue histoire, avait si souvent subi les outrages du feu. Le 5 août 1871, le président du Conseil décida, par arrêté, qu’à partir du lundi 7 août, la Cour de cassation siége­rait au Palais Royal dont l’incendie avait respecté une partie des bâtiments. Votre Cour s’y installa dans les locaux occupés aujourd’hui par la Direction des Beaux­-Arts, donnant sur la rue de Valois et sur les historiques et classiques jardins ; et elle y resta jusqu’à ce que, le 14 août 1877, par décret du Président de la République, elle fut invitée à reprendre ses travaux dans son antique Palais, mais dans des locaux presque entièrement nouveaux, situés sur une partie de l’emplacement qu’elle occupait avant l’incendie, diminué, hélas, de l’ancienne Grand’Chambre, détruite par le feu, et dont les restes furent annexés au tribunal de première instance pour l’élévation de sa première chambre [25]. L’inauguration de la nouvelle Cour de cassation se fit sans grande céré­monie. Le procureur général Raynal, le jour de la rentrée du 3 novembre 1877, se borna à lui consacrer quel­ques passages de son discours. Il donna son regret ému à l’édifice ancien, vanta - avec réserve et non sans formuler quelques critiques - les nouveaux locaux dont il apercevait les défectuosités.

On devine, toutefois, qu’il ne voulut faire nulle peine, même légère, au restau­rateur du Palais, l’éminent architecte Duc, et il insista aimablement sur la beauté de la toute neuve galerie Saint-Louis qui avait remplacé l’ancienne galerie de bois, de grand caractère, - sur la magnificence de la salle d’audience qui lui est adossée, votre chambre crimi­nelle - qu’il trouvait, il est vrai, trop dorée, mais dont le temps devait, pensait-il, se charger d’amortir l’éclat. Dès lors, votre chambre des requêtes reprit ses tra­vaux dans son sobre cadre d’autrefois. Votre chambre civile et votre chambre criminelle tinrent toutes deux leurs audiences dans la resplendissante salle dont les ors paraissaient trop étincelants au procureur géné­ral Raynal. Ce partage de la même salle d’audience par vos chambres civile et criminelle dura jusqu’en 1892, date à laquelle fut enfin terminée votre nouvelle Grand’Chambre - où j’ai l’insigne honneur de parler aujourd’hui - oeuvre somptueuse, - elle aussi bien riche d’ors, sans doute, - mais où Duc et Cocquart, aidés des peintres Baudry, Delaunay et Lefebvre, ont cher­ché et réussi à réaliser un cadre très digne de la majesté de la Cour suprême.

C’est le décret du 14 août 1877 et la cérémonie de ren­trée du 3 novembre de la même année qui mettent terme à la période douloureuse et agitée de votre histoire que j’ai voulu faire revivre devant vous.

Les événements sombrent vite dans l’abîme sans fond du passé. L’oubli les y précipiterait avec une hâte néfaste si, parfois, nous ne nous recueillions pour suspendre leur chute.

« Nous rappelons le passé pour l’arrêter comme trop prompt », a dit Pascal.

J’ai voulu arrêter quelques instants votre passé ; j’ai voulu me recueillir avec vous et, par ces quelques sou­venirs d’une époque troublée, unir au présent l’émou­vante vie d’hier de votre éminente Compagnie.

Arrêter le passé !

C’est bien ce que nous faisons, chaque année, avec dévotion et piété, en rendant hommage, à pareille date, à ceux de nos collègues que la mort inexorable a frappés. Pendant le cours de la dernière année judiciaire, deux décès de membres honoraires de votre Cour l’ont tris­tement mise en deuil.

Monsieur le conseiller Furby vous a quittés le premier.

Monsieur Charles Furby

Il était né le 21 novembre 1853, à Edimbourg, et dut de naître à l’étranger aux circonstances politiques. Son père s’était affirmé républicain ardent en 1848. Au coup d’Etat, contraint de s’expatrier et, comme Victor Hugo, de « s’envoler dans la grande tristesse de la mer » [26], il se réfugia dans la capitale de l’Ecosse et y donna des leçons de français. Ses leçons y eurent un tel succès qu’il attira sur lui l’attention royale et fut choisi comme pré­cepteur du prince de Galles, le futur Edouard VII, et de son frère, le duc d’Edimbourg. Précepteur d’élite, dont on peut dire qu’il mit au coeur de ses royaux élèves les premières semences de sympathie française dont le roi Edouard VII nous donna tant d’efficaces témoignages.

Votre collègue reçut, en Ecosse, une éducation presque exclusivement anglaise, jusqu’à l’âge de 15 ans. Mais, à cette époque, son père l’envoya terminer ses études au collège de Dunkerque où beaucoup d’Ecossais faisaient élever leurs enfants. Deux ans après, c’était 1870 - c’était Sedan, la fin de l’Empire, la fin de l’exil. Pendant, que son père s’installait comme avocat à Marseille, Charles Furby passait brillamment ses examens de droit et se faisait inscrire au barreau d’Aix. Ses débuts y furent si remarqués que, en 1880, le procureur général près la cour d’Aix le présenta pour le poste de substitut près le tribunal de cette ville. Il y fut nommé le 29 juin 1880.

Il s’y distingua aussitôt. Et ses chefs appréciant que ce poste était trop modeste pour son talent, obtinrent, moins de deux ans après, sa nomination comme substitut du procureur général à Aix. Il avait 28 ans. Là, il put donner toute sa mesure et s’affirma magistrat d’assises des mieux doués. Le procureur général Naquet lui décerne les éloges les plus flatteurs, et lui reconnaît, avec un grand talent d’audience, une vive intelligence, un esprit très droit et une très belle culture générale. En 1890, il le présenta comme avocat général et un décret sanctionna bientôt cette présentation. Dès lors, votre collègue est chargé des affaires les plus lourdes et les plus délicates et y soutient l’accusation avec éclat. Son nouveau procureur général, monsieur Bonin - dont le nom évoque le souvenir de magistrats distingués, hélas, trop tôt disparus - fait de lui le plus bel éloge et déclare que ses réquisitoires, comme ses conclusions civiles, le classent parmi les magistrats de Parquet destinés à atteindre les plus hauts postes. Cette prédiction ne devait pas tarder à se réaliser. Le 2 décembre 1898, monsieur Furby était nommé procureur de la République à Nancy et, huit ans après, il y était nommé procureur général. Dans ces postes frontières difficiles, où les com­plications, à l’époque où il les occupait, étaient fréquen­tes, votre collègue se montra toujours plein de mesure et de tact. Il se fit particulièrement remarquer lors de l’at­terrissage d’un zeppelin, à Lunéville, en 1913, incident grave qu’il contribua à régler avec autant d’intelligence que de fermeté. Le 5 avril 1913, il était appelé à la Cour suprême, comme avocat général et quatre ans après il y était nommé conseiller. Commandeur de la Légion d’hon­neur, le 25 juillet 1928, il fut mis à la retraite quelques mois après, à sa limite d’âge.

Ce qu’a été votre collègue au milieu de vous, je ne le sais, moi qui ai le regret de ne pas l’avoir connu, que par vos propres appréciations. Mais leur unanimité me permet de faire revivre la belle figure de monsieur le conseil­ler Furby. Un peu froid, un peu distant au premier abord, ayant conservé de sa première éducation quelque raideur britannique, monsieur Furby apparaissait bientôt comme un homme aimable et un collègue de relations très courtoises et très cordiales. En qualité d’avocat général dans vos trois chambres, il se fit remarquer par ses conclusions très solides en droit et, en même temps, très élégantes en leur forme sobre et correcte. Comme conseiller, il siégeait à votre chambre civile. Il y fut surtout chargé des affaires de chemin de fer, qui, après la guerre, présentèrent à juger des questions souvent des plus complexes. Il s’y montra magistrat à l’esprit très droit, très sûr, très juridique et contribua au plus haut titre à fixer, en cette matière, en des arrêts nets, précis et d’une impeccable rédaction, une jurisprudence aujourd’hui indiscutée.

Tout en remplissant ses devoirs de conseiller, votre collègue a fait partie de diverses commissions profes­sionnelles ; il fut surtout, pendant neuf ans, président du jury du concours d’admission à la magistrature, - président qui remplit sa fonction délicate, non seulement avec science et autorité, mais aussi avec une affabilité et une courtoisie que les candidats, qu’il mettait en con­fiance, appréciaient particulièrement.

Au terme de ce portrait professionnel, je m’en voudrais de ne pas citer l’appréciation autorisée de monsieur le premier président Sarrut, qui fixe admirablement la personnalité de votre collègue : « Très laborieux, d’un caractère à la fois ferme et bienveillant, doué d’une parole sobre et nette, distingué par sa culture générale, monsieur Furby a conquis auprès de tous ceux qui ont pu le connaître, dans tous les milieux, une autorité incontes­tée. Son tact, sa cordialité, la simplicité, l’austérité de sa vie privée lui ont valu les plus profondes et les plus fidèles sympathies. Ce magistrat mérite d’être classé hors pair ».

 

Cette note si justement élogieuse et d’ailleurs si conforme à toutes celles qui l’avaient précédée, fait ressortir, entre autres qualités de monsieur Furby, sa remar­quable culture générale. Et, en effet, pendant sa longue carrière de magistrat, votre collège n’a cessé d’en faire preuve. Il a publié, avant sa venue parmi vous, un grand nombre d’études juridiques ou histori­ques pleines d’intérêt et de science, notamment le Droit d’aînesse en Angleterre, La loi de primogéniture, Les plaidoiries de Mirabeau devant le Parlement de Provence, Le juge d’instruction et les droits de la défense. Et il a utilisé également sa connaissance de la langue anglaise qui avait été celle de son enfance et qu’il parlait admirablement, même avec un peu d’ac­cent écossais, pour traduire en français divers ouvrages anglais de droit international et une étude sur l’Entente cordiale.

Et ce n’est pas tout, messieurs, votre collègue était un lettré très fin et un poète délicat.

Fervent admirateur de Verlaine, de Mallarmé, de Rimbaud, de ces symbolistes qui, selon le mot de Paul Valéry, « ont voulu reprendre à la musique leur bien [27] », il se délassait de ses travaux arides en fai­sant des vers charmants dont quelques-uns furent, du reste, publiés. Il en fit beaucoup, de forme d’ailleurs classique, malgré son admiration pour des poètes qui ne l’étaient pas. Il fit même, dans sa jeunesse, une délicieuse comédie en vers, « Un divorce », qui fut jouée à Aix en 1885.

C’est vraiment un bel éclectisme que celui de monsieur Charles Furby qui fut à la fois magistrat et juriste éminent, historien averti et poète fervent.

Votre collègue, messieurs, a succombé à une très courte maladie. La mort ne le surprit pas : il l’attendait.

Il était de ceux qui, selon le mot de Montaigne, sont tou­jours « bottés et prêts à partir [28] ».

Quelques jours avant de mourir, il avait écrit ses der­niers vers, une sorte d’adieu plein de sérénité, adressé à la compagne de sa vie : Il faut faire la retraite, lui disait-il,

« Disperser les cendres du feu ».

 

Et il ajoutait :

« Ma lèvre garde le pli

D’un sourire que rien n’attriste ».

 

Quelle douce philosophie, et que cette sagesse et cette résignation souriantes éclairent de jolie lumière la belle figure de votre collègue !

Sa vie est un très bel exemple, un exemple qu’il nous a laissé à tous et qu’il a laissé surtout à son fils qui est des nôtres et qui saura suivre la voie lumineuse et droite que son père a tracée devant lui.

Monsieur Henri Boucard

Monsieur le conseiller honoraire Boucard a appartenu peu de temps à votre Cour. Il y fut admis alors que, déjà, il était sournoisement atteint par la maladie à laquelle il devait succomber et qui le contraignit à prendre sa retraite quelques mois après sa nomination parmi vous.

Si la maladie empêcha monsieur le conseiller Boucard de donner à la chambre criminelle, où fut affecté, toute sa mesure, il n’en fut pas moins un très distingué magistrat, un juge d’instruction de premier ordre et un pré­sident d’assises, un président de chambre de haute valeur et de grande allure.

Né à Fontenay-le-Comte en 1862, d’une très honorable famille de banquiers vendéens, Henri Boucard vint à Paris pour faire son droit. Il se sentit, tout de suite, ses titres conquis, attiré par la carrière de la magistrature. Attaché en 1887 au Parquet de la Seine, puis au Parquet de la cour de Paris, il fut nommé en 1889 juge suppléant à Chartres, et, en 1893, juge suppléant au tribunal de la Seine. Un an après, un décret lui confiait l’instruction. Juge d’instruction titulaire en 1906, conseiller à la cour d’appel de Paris, en 1917, vice-président de cette cour, en 1921, président de chambre trois ans après, il fut nommé conseiller à la Cour de cassation en 1929, obte­nant ainsi légitimement la récompense désirée d’une prestigieuse carrière.

Les dates que je viens d’énoncer ne marquent que des étapes. Déjà, cependant, elles précisent que Henri Bou­card a exercé pendant 23 ans les fonctions de juge d’ins­truction à Paris.

La précision n’est pas sans intérêt ; mais ce qui en a davantage, c’est la façon dont, pendant ces 23 années, votre collègue a rempli son difficile devoir. Un mot la qualifie, un mot qui peut paraître très laudatif, mais qui, à mon sens, est, ici, fort bien à sa place : monsieur Boucard a été un grand juge d’instruction. Chargé des plus graves, des plus lourdes et des plus délicates affaires, il les a toutes instruites avec une intel­ligence aiguë, un tact et une pondération remarquables. Qu’il s’agisse de l’affaire de la tiare de Saïtapharnès qui fit tant de bruit, du procès Syveton, des poursuites pour attentats anarchistes, des si nombreux homicides volontaires dont il eut à connaître, toujours il fit preuve des plus réelles qualités. Les notes de ses chefs en témoignent à chaque page de son dossier : « Magistrat d’une intelligence, d’une perspicacité hors de pair », disent-ils en 1910. « Monsieur Boucard appartient à la race des grands juges d’instruction, résolvant les pro­blèmes de psychologie avec une finesse et un doigté merveilleux ! », ajoutent-ils en 1912. Et ils affirment en 1913 : « Monsieur Boucard est sans contestation le meilleur et le plus habile des juges d’instruction de la Seine ». Quel harmonieux et impressionnant concert de louanges ! Il jus­tifie, me semble-t-il, la qualification de grand juge que j’ai donnée, il y a un instant, à votre collègue qui a laissé au Parquet de la Seine un nom et un exemple, à côté des meilleurs juges d’instruction des années pas­sées.

Et comme président de cour d’assises ou président de chambre, monsieur Boucard mérita également de justes éloges. C’est dans ces dernières fonctions que j’ai eu l’honneur de le connaître et de siéger à côté de lui à la chambre des appels correctionnels qu’il présida longtemps. Je le vois encore droit sur son siège, un peu raide même, le visage énergique, éclairé par des yeux gris très vifs sous le lorgnon, l’air un peu sévère avec sa moustache assez épaisse et sa barbe blonde parsemée de fils d’argent ; il parlait d’une voix haute, claire, un peu autoritaire, articulant chaque mot ; il interrogeait avec intelligence, fermeté et netteté ; et il avait de l’esprit, un esprit de bon ton qui perçait fréquemment ; mais il s’abstenait de mots faciles, de ces mots qui, selon l’expression d’André Gide, se fanent dès qu’on les im­prime [29].

Il avait aussi beaucoup d’autorité et imposait le res­pect ; un respect que personne ne lui marchandait, ni ses collègues, ni la barre. On l’a qualifié souvent de magistrat très parisien. Il l’était certainement, si l’on entend par là : magistrat fin, élégant et distingué, connaissant et comprenant la vie.

En dehors de l’audience, monsieur Boucard était pour ses collègues un président très affable et très simple. Aux suspensions, aux fins d’audiences, il aimait à se délasser dans des causeries cordiales et intimes. C’est à ces moments que les magistrats apprennent à se connaître, à se lier. Au cours de ces heures précieuses de la vie judiciaire, Henri Boucard rappelait volontiers ses ancien­nes fonctions de juge d’instruction, qu’il avait tant aimées. « Je suis un vieux magistrat », me disait-il un jour, « mais un magistrat qui a surtout été un juge d’instruction », appréciant ainsi lui-même, avec un peu de très légitime fierté, la phase dominante de sa belle carrière.

A toutes ses grandes qualités professionnelles, votre collègue joignait la plus délicate bonté. La Rochefou­cauld, dans une de ses maximes si souvent amères, affirme que rien n’est plus rare que la vraie bonté. « Ceux qui croient en avoir, dit-il, n’ont d’ordinaire que de la complaisance et de la faiblesse ! » La bonté du président Boucard était sans complaisance et sans fai­blesse. Tous ceux qui l’ont approché le savaient. Et le savaient aussi les nombreux égarés auxquels il a tendu une main discrètement et intelligemment secourable et qu’il a aidés à reprendre la voie droite de laquelle ils avaient pu momentanément s écarter.

Tel fut, messieurs, votre collègue, trop tôt séparé de vous par la maladie. Il s’est éteint, entouré de l’affection des siens, laissant à tous le souvenir d’un homme de bien, de personnalité marquante, d’un juge d’instruction de grande intelligence et de grand style et d’un magistrat du plus haut mérite.

Après l’expiration de l’année judiciaire, un nouveau deuil, messieurs, a frappé la Cour.

Le 22 septembre dernier, monsieur le conseiller Rome a succombé à la douloureuse maladie dont il était atteint depuis déjà quelque temps. Un autre dira, l’an prochain, conformément à la tradition de votre grande compagnie, le distingué magistrat qu’a été votre collègue. Mais, dès aujourd’hui, je tiens à exprimer les regrets émus que ce nouveau décès a causés à la Cour et à m’incliner respectueusement devant cette tombe à peine fermée.

Messieurs, j’arrive au terme de mon discours, mais je ne voudrais pas l’achever sans saluer en votre nom à tous les trois magistrats de la Cour qui ont été, cette année, atteints par la brutale limite d’âge.

Messieurs de Casabianca, Poulle et Bourgeon vous ont quittés en pleine force, en pleine vigueur, en pleine santé, faisant parmi vous un vide immense. Ils nous ont laissé de profonds et intime regrets. Mais nous avons confiance qu’ils ne nous oublieront pas plus que nous ne les oublierons nous-mêmes et qu’ils ne laisseront pas se dé­tendre le lien qui les unit à la Cour et à vous tous.

Messieurs les avocats,

Dans son discours du 3 novembre 1871, après les dou­loureux événements que j’ai évoqués, le procureur général Renouard rappelait à vos prédécesseurs que le pro­cureur général Fabre et le président Bonjean, dont il avait prononcé un magnifique éloge, sortaient l’un et l’autre de vos rangs. Je ne puis apporter ici un témoi­gnage plus émouvant des liens qui vous unissent à la Cour.

En me tournant vers vous, je m’adresse donc à des membres de notre grande famille, dont nous rapproche la communauté des épreuves que le temps n’a pas voilées d’oubli.

Et il m’est agréable de rendre hommage, une fois de plus, au seuil de la nouvelle année judiciaire, au dévoue­ment et au talent que vous apportez à l’accomplissement de votre devoir. Vous avez conservé les traditions d’hon­neur, de science juridique, de culture que vous ont laissées vos grands anciens. Je salue votre ordre et l’assure de la haute considération de la Cour.

Pour monsieur le procureur général, Nous requérons qu’il plaise à la Cour nous donner acte du dépôt de la sta­tistique de l’année 1933-1934 et admettre les avocats présents à la barre à renouveler leur serment.

[1] Maximes, 560.

[2] Horace, Odes, IV.I .

[3] Reg. de la Cour Table.

[4] Bull. des Lois de la délég. du Gouvernement hors de Paris, n° 132.

[5] Voir décrets 23 septembre 1870, 20 janvier 1871 ; arrêt de la Cour de cassation du 21 juillet 1871 ; Pons Devier, p. 7.

[6] Discours de rentrée, vol. 3, p. 3, aud. 3 nov. 1870.

[7] Voir détails, Pons Devier, p. 18 et suiv.

[8] Labbé de la Mauvinière, p. 55, Poitiers et Angoulême ; Hanotaux, Histoire du cardinal de Richelieu, t. VII, p. 71.

[9] Courrier de la Vienne, 28 octobre 1870.

[10] Discours du procureur général Renouard du 3 novembre 1871, volume III, p. 57.

[11] Archives de la Vienne.

[12] Bulletin des Lois de la délégation du Gouvernement hors de Paris, n° 467.

[13] Voir Pons Devier, p. 9

[14] Idem.

[15] Portalis, Discours préliminaires du projet du Code civil (Dupin, opuscules de jurisprudence, p. 483).

[16] Discours du procureur général Renouard, page 57.

[17] Discours du procureur général Renouard, page 28.

[18] Tite Live, livre30, 44, cité par Montaigne, livre III, ch. XII.

[19] Discours du procureur général P. Renouard, page 40.

[20] Idem.

[21] Discours P. Renouard, loc.cit .

[22] Châtiments, livre VI, ch. IX..

[23] Etude de monsieur le greffier Pierre Jouvenet (Correspondant du 25 juillet 1922, p. 321).

[24] Décision de la Cour du 1.7.71 (Registre).

[25] Jouvenet, Correspondant du 25 janvier 1928, p. 249.

[26] Châtiments, « Au moment de rentrer en France ».

[27] Variétés, page 97. Edit. Nouv., Rev. Franç.

[28] Montaigne, livre I, ch, 20, p. 119. Edit.Plottard.

[29] Les Faux monnayeurs, p. 110.

Mardi 16 octobre 1934

Cour de cassation

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