Audience de début d’année judiciaire - Janvier 1977

Rentrées solennelles

En 1977, l’audience solennelle de rentrée s’est tenue le 3 janvier, en présence de monsieur Olivier Guichard, ministre d’Etat, garde des Sceaux, ministre de la Justice.

 

Discours prononcés :

 

Discours de monsieur Albert Monguilan, premier président de la Cour de cassation

Monsieur le ministre d’Etat, garde des Sceaux,

J’ai déjà eu le privilège de vous faire les honneurs de cette maison lorsqu’il y a trois mois, à peine, vous êtes venu assister à l’installation de monsieur le procureur général Chavanon, et je suis très heureux de vous accueillir de nouveau, au premier rang de nos invités de marque, pour l’audience solennelle que la Cour de cassation tient maintenant le 3 janvier de chaque année, ainsi que le veut le décret du 27 février 1974.

Nous apprécions d’autant plus votre présence que nous savons que vous vous êtes spécialement dérangé, que vous aviez bien d’autres choses à faire, que ni le jour ni l’heure n’étaient à votre convenance, et que, néan­moins, vous avez sacrifié à la tradition de nos solennités.

Vous montrez ainsi, une fois de plus, que vous êtes homme de devoir, de tradition et de fidélité, que vous êtes le ministre de la Loi, selon le terme que vous aimez vous-même employer ; je dis : une fois de plus, car vous venez de le rappeler fortement dans une récente déclaration ; vous nous montrez surtout - et c’est pour nous l’essentiel - que vous teniez à nous honorer.

Nous en sentons tout le prix et nous vous prions d’accepter nos pro­fonds remerciements.

Monsieur le représentant de monsieur le premier ministre,

Messieurs les représentants des Assemblées parlementaires,

Monsieur le représentant de monsieur le président du Conseil consti­tutionnel,

Monsieur le Grand Chancelier de la Légion d’honneur,

Mesdames et messieurs les membres du Conseil supérieur de la magistrature,

Monsieur le premier président de la Cour des comptes,

Mesdames et messieurs les hautes personnalités civiles et militaires,

C’est aussi très sincèrement que la Cour vous exprime ses remer­ciements. Votre présence nous est une précieuse marque d’estime ; elle nous flatte et nous touche ; elle rehausse l’éclat de notre audience.

Ainsi, chaque année - les hommes changent, les institutions demeu­rent -, la Cour de cassation, par la voix d’un premier président et d’un procureur général, qui ne sont pas toujours les mêmes, s’adresse au garde des Sceaux, qui n’est pas non plus toujours le même, pour lui décrire les charges et les travaux, les satisfactions (il y en a parfois), les inquiétudes et les espoirs de la plus haute instance judiciaire.

La sobriété de parole m’a toujours paru une grande vertu, trop rare­ment pratiquée dans nos prétoires. De plus, l’année et le moment présents me semblent peu propices à de longs développements.

Aussi, serai-je bref.

C’est monsieur le procureur général qui va vous informer, ainsi que le veut la loi, de notre activité au cours de l’an passé et de l’état de nos affaires.

II m’appartient seulement de rappeler que j’avais, l’année dernière, souligné avec force deux points qui restent d’actualité : la faiblesse de nos effectifs et la situation de nos conseillers référendaires.

Certes, sur le premier point, nous venons d’avoir une satisfaction : celle de constater que le budget récemment voté par le Parlement a prévu la création de trois postes de conseillers. Nous vous en savons gré, mon­sieur le garde des Sceaux, car, si vous n’avez pas été l’initiateur des pro­positions, qui étaient déjà arrêtées lorsque vous êtes arrivé place Ven­dôme, vous n’en avez pas moins eu le mérite de les faire aboutir devant l’Assemblée nationale et devant le Sénat.

Je vous ai même entendu dire que le budget de la justice vous parais­sait dérisoire, ce qui nous laisse bien augurer de l’avenir. L’effort budgé­taire doit être, en effet, poursuivi sans relâche, ainsi que je l’ai toujours proclamé (il est vrai que, l’an dernier, vous n’étiez pas là pour m’entendre), jusqu’à ce que chaque chambre civile ait retrouvé l’effectif traditionnel de quinze conseillers, la chambre criminelle ayant, quant à elle, besoin de vingt-et-un conseillers pour former les trois sections nécessaires à une prompte solution des pourvois.

Effort limité, comme vous le voyez ; effort raisonnable.

Croyez bien, monsieur le garde des Sceaux, que, devant l’accrois­sement considérable de sa tâche, la Cour de cassation ne se borne pas à demander un certain renfort. Elle sait qu’elle doit rester corps d’élite, donc d’effectif relativement peu nombreux. Elle est en train de réviser ses méthodes de travail ; elle fait notamment l’expérience, dans l’une de ses chambres civiles, d’un bureau d’expédition qui semble accélérer de façon très notable et avec toutes les garanties nécessaires pour les parties en cause la solution d’une forte proportion de pourvois. La pratique montre que plus les pourvois sont rapidement jugés, moins les plaideurs en for­ment de nouveaux.

C’est donc vers la célérité et la modernisation du travail que tendent nos efforts.

La lenteur, mal endémique de notre institution, ne peut plus être sup­portée.

Les délices des plaideurs du dix-neuvième siècle sont à ranger parmi les jeux qui n’amusent plus personne.

Nous voyons aussi quelques raisons d’espérer dans la révision actuel­lement entreprise de notre procédure. La Cour de cassation doit cesser d’être tenue, comme elle l’est maintenant trop souvent, pour un troisième degré de juridiction ; elle doit redevenir ce qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être : une cour unificatrice du droit, limitant strictement son contrôle à la légalité des décisions qui lui sont déférées.

Nous voyons enfin un grand motif d’espoir dans la mise en oeuvre des méthodes informatiques auxquelles se consacrent avec tant de dévoue­ment certains d’entre nous en association avec des membres du Conseil d’État. Le classement des dossiers, leur répartition, la documentation, la recherche des précédents, ne feront plus dans l’avenir difficulté ni perte de temps pour nos successeurs. Mais, de nombreux problèmes techniques, voire même théoriques, restent encore à résoudre et, en attendant l’avenir, qui peut être encore assez lointain, il nous faut faire face à la situation présente.

Quant au sort de nos conseillers référendaires, il continue à me pré­occuper vivement et sur ce point, hélas, nous n’avons reçu ni satisfaction ni motif d’espérer, au train où vont les choses.

Je ne vais pas entrer dans les détails que vos services connaissent bien, mais je tiens à vous préciser que la création de ce corps, qui date de 1967, et qui n’était, à l’époque, qu’une expérience assez timide, a abouti, en fait, à l’isolement d’un petit groupe de magistrats (ils sont au total une vingtaine), coupés de tous leurs autres collègues du même grade, lesquels les considèrent sans bienveillance et multiplient les barrages à leur retour, pourtant obligatoire, dans les juridictions du fond.

Résultat : le recrutement des référendaires est pratiquement tari.

J’espérais, je dois le dire, que le Parlement serait saisi d’un projet de nouveau statut dont l’urgence s’accroît avec les jours qui passent puisque nous abordons maintenant les deux années où les conseillers vont, pour la moitié environ d’entre eux, partir à la retraite par suite de la nouvelle limite d’âge et où, dans le même temps, les conseillers référendaires vont devoir, pour la plupart, quitter aussi la Cour de cassation.

Le Conseil des ministres a, il est vrai, approuvé dernièrement un pro­jet de loi tendant à attribuer, sous certaines conditions, aux conseillers référendaires voix délibérative.

Certes, je n’ai qu’à me louer du principe d’une telle mesure puisqu’elle fait partie des propositions de statut dont j’ai eu l’honneur de saisir votre Chancellerie, mais, dans mon esprit, ces propositions forment un tout et j’avoue que je ne vois pas bien en quoi le seul octroi d’une voix délibéra­tive améliorerait la situation que je viens d’évoquer.

L’institution des conseillers référendaires n’a pas encore trouvé sa véritable assise et sa véritable intégration dans une carrière, déjà trop complexe à mon sens.

Ces questions de statut sont toujours irritantes et l’on en vient finale­ment à regretter profondément que les magistrats en France soient dans la nécessité de « faire carrière » comme l’on dit, ce qui n’a d’autre résultat que de les assimiler abusivement à des fonctionnaires.

Ainsi s’expliquent, selon moi, bien des mécomptes d’une justice dont l’indépendance doit être au-dessus de tout soupçon.

Monsieur le procureur général, vous avez la parole.

 

 

 

Discours de monsieur Guy Chavanon, procureur général près la Cour de cassation

 

Monsieur le garde des Sceaux,

Permettez qu’au nom du Parquet de cette Cour je m’associe aux paroles de bienvenue que vient de vous adresser monsieur le premier président. Nous sommes, tous ici, très flattés de l’hommage que vous rendez à notre juridiction en prenant une part de votre temps, combien précieux, pour venir assister à cette audience solennelle qui est moins, à vrai dire, une audience de rentrée (nos travaux n’ont guère été interrompus) que la célébration d’une année nouvelle.

Il est de vieil usage qu’on exprime, à pareille époque, des voeux de bonheur et de succès. J’oserai vous présenter les miens et ceux de nos magistrats tant pour vous-même, monsieur le garde des Sceaux, que pour ministre d’Etat attentif à ce que nous ayons de bonnes lois mais qui a aussi la charge du fonctionnement de la solide mais vieille et lourde machine qu’est l’appareil judiciaire.

Nous souhaitons tous votre complète réussite, de tout coeur mais aussi, avouons le, avec un certain « amour-propre » au sens où l’entendait La Rochefoucauld.

Je ne veux pas manquer, au début de ce propos qui s’efforcera d’être bref, d’exprimer, après monsieur le premier président, ma gratitude, à toutes les personnalités (parlementaires, civiles, militaires et judiciaires) qui, répondant à l’invitation de la Cour, nous font aujourd’hui l’honneur de leur présence.

La loi - en l’occurrence un décret du 27 février 1974 - me fait obli­gation d’exposer à cette audience l’activité de notre juridiction au cours de l’année écoulée. Je m’efforcerai d’être clair et précis et de vous montrer que la situation, si elle ne doit pas susciter de véritable inquiétude, exige cependant une sérieuse attention.

Je me bornerai aux chiffres essentiels.

En matière civile, tout d’abord : les cinq chambres de la Cour ont reçu en 1976 : 7 852 affaires soit 219 de plus que l’an dernier et 1 000 de plus qu’il y a deux ans. Pour bien situer la progression, il faut savoir que le chiffre des affaires qui avaient été reçues au cours de l’année 1972 (pas très éloignée de la nôtre) ne dépassait pas 6 183 soit près de 1 700 affaires de moins que pendant l’année qui vient de s’écouler.

Quant aux affaires terminées, leur nombre progresse aussi : 6 980 en 1976 soit 455 de plus que l’année précédente et 860 de plus qu’il y a deux ans.

L’effort accompli est considérable. Mais, comme le chiffre des entrées demeure depuis plusieurs années toujours supérieur au chiffre des sorties, le déficit s’accroît. Le nombre des affaires qui restaient à juger au 31 décembre passe ainsi de : 8 177 fin 1974 à 9 285 fin 1975, pour atteindre, il y a trois jours : 10 157.

La situation est donc sérieuse. Elle deviendrait vite inquiétante si la progression ne pouvait être freinée. Nous verrons tout à l’heure les moyens à envisager en ce sens.

Au pénal, le bilan des travaux de la Chambre criminelle est lourd mais cependant un peu moins préoccupant.

En 1976, cette chambre a reçu 3 686 affaires soit 243 de plus qu’au cours de l’année précédente. Elle a terminé 3 635 affaires, chiffre analogue à ceux des deux dernières années.

Notons, en passant, qu’elle a prononcé 373 cassations.

Le reliquat des affaires non jugées au 31 décembre atteint 2 181, chiffre supérieur de près de 200 au chiffre de l’an dernier.

C’est dire qu’au prix d’un effort soutenu et avec l’aide d’un renfort momentané en conseillers, la Chambre criminelle, qui s’est divisée en deux sections et même en trois sections pendant quelques temps, est parvenue à assurer une évacuation convenable des dossiers, sans cependant éviter, d’accroître sensiblement son déficit.

Encore ne faut-il pas perdre de vue qu’en matière pénale et spécia­lement en matière criminelle, si la précipitation est dangereuse, toute lenteur est critiquable et critiquée. L’attention du public est de plus en plus fréquemment attirée sur bon nombre de ces affaires et c’est avec impatience qu’on attend la décision de la Cour de cassation qui donnera à la sentence pénale son caractère définitif et exécutoire. La liberté et la sécurité des citoyens, dont la justice est garante, s’accommodent mal des retards.

Les quelques chiffres que je viens de citer montrent donc qu’une sensible accélération au pénal et une très nette amélioration au civil sont éminemment souhaitables.

Je sais bien que dans la plupart des pays du monde, les cours su­prêmes ou cours de cassation sont encombrées de recours de plus en plus nombreux pour toutes sortes de raisons parmi lesquelles sans doute la tendance à s’incliner de plus en plus difficilement devant la décision du juge. Les délais d’examen de ces recours dépassent bien souvent et de beaucoup ceux que nous déplorons chez nous et le dernier haut magistrat étranger qui m’ait récemment honoré de sa visite me parlait de retards atteignant quatre années. Pour ne parler que de notre pays, nous savons que les lenteurs de la justice ont de tous temps été brocardées. La Bruyère se livrait à de brillantes diatribes à ce sujet, il y a trois siècles.

Il est juste de reconnaître que depuis quelques décennies les délais d’examen des pourvois en cassation ont été largement réduits. Pour s’en convaincre, il suffit de compulser les recueils de jurisprudence de diverses époques et de relever les dates du début du procès, du pourvoi, et de l’arrêt de cette Cour.

Mais ces considérations ne sont pas satisfaisantes :

D’une part, en effet, des réformes des règles de procédure ont été mises en application précisément pour réduire la durée des instances : il est de l’intérêt de tous qu’elles atteignent leur objectif.

D’autre part, l’évolution de la nature des affaires soumises à la justice, les circonstances économiques et aussi les exigences de la vie moderne rendent de moins en moins supportables et de plus en plus onéreuses pour le plaideur de bonne foi, les lenteurs judiciaires.

Il faut donc faire quelque chose pour permettre aux magistrats d’obte­nir une rapidité et partant une efficacité plus grandes.

Certes, en ce qui concerne les matières civiles, il faut savoir qu’en règle générale un pourvoi est soumis à des dispositions légales de régle­mentations destinées à assurer des garanties suffisantes à toutes les parties.

C’est ainsi qu’on dispose d’un délai de deux mois pour former un pourvoi à compter de la signification de la décision attaquée. Un troisième mois est même accordé à celui qui signifie lorsque la partie adverse forme un pourvoi. Ensuite, la mise en état de l’affaire comporte deux délais successifs de cinq et trois mois pour le dépôt du mémoire ampliatif et du mémoire en défense.

Si je rappelle - sommairement - ces quelques dispositions, ce n’est pas en vue d’en demander la modification mais c’est simplement pour montrer qu’en tout état de cause, le recours en cassation est considéré par le législateur comme une procédure sérieuse, exigeant, de tous, temps et réflexion, étant observé qu’en certaines matières dispensées d’avocats et en matière pénale, les textes prévoient des délais plus courts.

La Cour de cassation, si elle veut continuer à jouer son rôle essentiel de régulatrice de la jurisprudence et se réserver la possibilité de suggérer à l’occasion, au garde des Sceaux, comme la loi le prévoit, les modifi­cations à opérer dans les textes législatifs ou réglementaires, doit peser ses décisions d’où doit être bannie toute hâte et qui doivent éviter toute contradiction entre elles, ce qui nécessite de sérieux moyens et travaux de recherche. C’est la qualité et non la rapidité de ses arrêts qui fait l’autorité de notre juridiction en France et sa haute réputation auprès des juristes étrangers.

Cela dit - et je tenais à le dire -, il faut intervenir si l’on veut main­tenir cette qualité et ne pas aggraver les retards.

Nos magistrats, accablés de travail au point d’étonner l’observateur non prévenu, souvent absorbés par des tâches extérieures au sein de divers jurys ou commissions, ne peuvent pas accentuer ni même soutenir longtemps l’effort accompli pendant des années. Il faut chercher ailleurs les remèdes.

On peut songer à améliorer les moyens de toute nature mis à la disposition des conseillers rapporteurs : je pense aux locaux, aux voitures, à l’accroissement de l’aide apportée par les magistrats du Service de documentation, aux moyens informatiques. A cet égard, nous savons tous, monsieur le garde des Sceaux, que vous êtes convaincu de la nécessité de renforcer ces divers moyens. Vous l’avez proclamé et nous sommes persuadés que vous ferez l’impossible pour obtenir que les conditions de travail, déjà améliorées mais encore bien archaïques, soient mieux adaptées à notre époque.

On peut penser aussi à accroître les effectifs de la Cour. Cet accrois­sement ne pourrait être que modéré : quelques créations de postes ont déjà été faites ; peut-être serait-il opportun de les renouveler, ce qui permettrait de soulager un peu les conseillers les plus chargés et de hâter, en conséquence, le dépôt d’un certain nombre de rapports. Il vient d’être proposé de donner aux conseillers référendaires, sous certaines conditions, voix délibérative. Cette solution excellente ne résout cependant pas notre problème.

Faut-il aller jusqu’à créer des chambres nouvelles ou des sections de chambres ? L’expérience faite à la Chambre criminelle où elle était devenue indispensable a donné de bons résultats. Beaucoup doutent de l’opportunité de l’étendre aux formations civiles. Des solutions nuancées pourraient être envisagées, mais c’est plutôt dans la révision des règles de procédure qu’on peut espérer trouver des remèdes.

Une commission de procédure civile, composée d’éminents techni­ciens et présidée par un ancien garde des Sceaux particulièrement compétent en cette matière difficile, poursuit actuellement ses recherches en vue de pourvoir le nouveau Code de dispositions spéciales à la Cour de cassation. II lui appartiendra d’apprécier l’opportunité d’une révision des cas d’ouverture à pourvoi, ou encore de créer les moyens d’éviter les pourvois purement dilatoires qui, en certaines matières, se multiplient lorsque la dégradation de la monnaie rend le procédé avantageux pour les mauvais payeurs ou pour les débiteurs de mauvaise foi. Ces pourvois sans fondement accroissent inutilement la tâche des magistrats, d’autant plus que, de l’avis de tous les rapporteurs, l’examen et la réfutation des moyens artificieux produits à leur appui est particulièrement difficile.

Or, les sanctions prévues par la loi n’ont qu’un effet dissuasif insi­gnifiant. Augmenter le montant de l’amende qui sanctionne le rejet du pourvoi n’aboutirait qu’à donner un privilège peu justifié aux plaideurs nantis de moyens pécuniaires suffisants. Dès lors, pourquoi ne recherche­rait-on pas des sanctions sérieusement efficaces, à la discrétion de la Cour, dans l’arsenal des peines accessoires ou des mesures de sûreté telles que certaines interdictions ou incapacités ?

Enfin, il est illogique de traiter de la même façon tous les pourvois et de leur consacrer le même temps et les mêmes soins. Jadis la chambre des requêtes constituait un organisme de filtrage dont certains regrettent aujourd’hui la disparition. Sans aller jusqu’à revenir sur le passé, certains, dans cette Cour, ont eu l’idée d’organiser, au sein des chambres, un tri des affaires qui ne peuvent se terminer que par un rejet, en donnant à leur examen une priorité. Une fois surmonté la difficulté, - qui est certaine - de ce tri, le résultat escompté est, si j’ose dire, à double détente : dans un premier temps, serait obtenue l’évacuation rapide d’un certain nombre d’affaires (ce qui aurait au moins l’avantage de permettre au procureur général de présenter des statistiques plus réconfortantes) ; ensuite le rejet dans de brefs délais de tels pourvois le plus souvent dilatoires pro­duirait un effet dissuasif en réduisant considérablement l’intérêt du plaideur à mettre en échec sans raison valable un arrêt de cour d’appel.

L’idée a déjà fait son chemin et une expérience très sérieusement menée est en cours dans l’une des chambres civiles. Des conclusions définitives seraient prématurées. Mais la pratique adoptée, purement in­terne, qui se déroule dans le cadre strict des dispositions législatives et réglementaires, paraît digne d’être poursuivie.

Assurément, bien d’autres formules ou solutions pourraient être pro­posées pour améliorer le fonctionnement de cette Cour.

L’organisation des chambres mixtes a été l’une de ces mesures et elle paraît être maintenant au point. Présidents et avocats généraux sont à même de détecter et de signaler les solutions divergentes que donnent ou peuvent donner deux ou plusieurs chambres de la Cour à une même question de principe. Avant même que ne soit consacrée une contradiction, toujours fâcheuse pour les plaideurs et pour l’autorité de la Cour, une procédure simple et souple permet de soumettre le problème, dans des délais relativement rapides, à une chambre mixte qui énoncera la solution.

Certains sont même allés jusqu’à suggérer de régler des points de droit délicats soumis à des juridictions de première instance ou d’appel en permettant à celle-ci de consulter la Cour de cassation par la voie d’une question préjudicielle, à l’image de ce qui est en usage devant la Cour de Justice des Communautés européennes. On pense couper court par ce moyen à d’interminables procès. L’inconvénient de cette procédure serait évidemment de surcharger, au moins dans un premier temps, la Cour de cassation. L’idée vaut, peut-être, cependant d’être creusée.

En tout état de cause, les chiffres que la loi m’obligeait à vous exposer montrent la nécessité urgente de mesures capables de maintenir, ce qui est essentiel, la qualité de nos arrêts tout en évitant, ce qui ne l’est pas moins, l’encombrement de nos chambres et les lenteurs qui s’ensuivraient.

C’est à ce prix que seront sauvegardés l’efficacité et le prestige de notre juridiction, clef de voûte de notre édifice judiciaire.

L’enjeu est assez important pour mobiliser sans retard les imagina­tions et les bonnes volontés.

Lundi 3 janvier 1977

Cour de cassation

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