20 mai 2024
Cour d'appel de Paris
RG n° 24/02263

Pôle 1 - Chambre 11

Texte de la décision

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE PARIS

L. 742-1 et suivants du Code de l'entrée et du séjour

des étrangers et du droit d'asile



ORDONNANCE DU 20 MAI 2024

(4 pages)





Numéro d'inscription au répertoire général et de décision : B N° RG 24/02263 - N° Portalis 35L7-V-B7I-CJMWS



Décision déférée : ordonnance rendue le 16 mai 2024, à 12h20, par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris



Nous, Elise Thevenin-Scott, conseillère à la cour d'appel de Paris, agissant par délégation du premier président de cette cour, assistée de Emilie Pompon, greffière aux débats et au prononcé de l'ordonnance,




APPELANT :

M. [O] [Y]

né le 30 août 1975 à [Localité 1], de nationalité algérienne



RETENU au centre de rétention : [4]

assisté de Me Hamed El Amoudi, avocat de permanence au barreau de Paris



INTIMÉ :

LE PREFET DE POLICE

représenté par Me Thibault Faugeras, du cabinet Actis, avocat au barreau de Paris



MINISTÈRE PUBLIC, avisé de la date et de l'heure de l'audience



ORDONNANCE :

- contradictoire

- prononcée en audience publique



- Vu l'ordonnance du 16 mai 2024 du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Paris rejetantla requête de l'intéressé et ordonnant le maintien de M. [O] [Y], dans les locaux ne relevant pas de l'administration pénitentiaire jusqu'au 20 mai 2024 ;



- Vu l'appel motivé interjeté le 17 mai 2024, à 15h04, par M. [O] [Y] ;



- Après avoir entendu les observations :



- de M. [O] [Y], assisté de son avocat, qui demande l'infirmation de l'ordonnance ;

- du conseil du préfet de police tendant à la confirmation de l'ordonnance ;






SUR QUOI,



Sur l'état de santé actuel et la prolongation de la mesure

1- Sur le cadre légal

Ainsi que le rappelle l'instruction du Gouvernement du 11 février 2022 « relative aux centres de rétention administrative ' organisation de la prise en charge sanitaire des personnes retenues » les droits des personnes malades et des usagers du système de santé tels que définis par le code de la santé publique s'appliquent aux personnes placées en rétention, notamment le droit à la protection de la santé, le respect de la dignité, la non-discrimination dans l'accès à la prévention et aux soins, le respect de la vie privée et du secret des informations qui les concernent, le droit à l'information, le principe du consentement aux soins et le droit de refuser de recevoir un traitement.

L'incompatibilité médicalement établie de l'état de santé avec la rétention ou le maintien en zone d'attente est une circonstance qui autorise le juge judiciaire à mettre fin à la rétention ou au maintien en zone d'attente, dans le cadre de son contrôle (2e Civ., 8 avril 2004, pourvoi n°03-50.014).

S'il appartient au juge de vérifier que les droits précités liés à la protection de la santé sont respectés au sein du centre de rétention, une juridiction, pas plus qu'un association d'aide aux droits, qui ne dispose d'aucune compétence médicale, ne saurait se substituer aux instances médicales et administratives qui seules assurent la prise en charge médicale durant la rétention administrative et apprécient les actes à accomplir. Il ne peut donc se fonder que sur les éléments médicaux qui lui sont communiqués.



2- Sur les examens au sein du centre de rétention, le statut du médecin de l'UMCRA et le statut du médecin de l'OFII

Les étrangers placés en rétention peuvent demander tout examen au médecin du centre de rétention administrative qui est habilité à prendre en charge l'étranger selon les dispositions de l'article R.744-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile et dans les conditions explicitées par l'instruction du Gouvernement du 11 février 2022 qui tire les conséquences des dispositions du code de la santé publique et du code de déontologie médicale.

Par ailleurs, les personnes étrangères retenues faisant l'objet d'une obligation de quitter le territoire français ou d'un arrêté d'expulsion présentant un état de santé nécessitant une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour elles des conséquences d'une exceptionnelle gravité et qui, eu égard à l'offre de soins et aux caractéristiques du système de santé du pays de renvoi, ne pourraient pas y bénéficier effectivement d'un traitement approprié, peuvent se prévaloir de leur état de santé pour bénéficier d'une protection contre l'éloignement. Dans ce cadre, le médecin de l'UMCRA doit mettre en 'uvre, dans les meilleurs délais, les procédures prévues aux articles R. 611-1, R. 631-1 et R. 731-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile, et par l'arrêté du 27 décembre 2016 relatif aux conditions d'établissement et de transmission des certificats médicaux, rapports médicaux et avis mentionnés aux articles R. 313-22, R. 313-23 et R. 511-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile.

Le médecin du centre de rétention administrative est le médecin traitant du retenu, dans la mesure où ce dernier, privé de la liberté d'aller et de venir, ne peut avoir accès au médecin de son choix. Le statut de ce médecin traitant est incompatible avec celui de médecin expert : un médecin ne doit pas accepter une mission d'expertise dans laquelle sont en jeu les intérêts de son patient.

En conséquence, le médecin de l'UMCRA n'est tenu d'établir un certificat médical que dans le cadre du dispositif de protection de l'éloignement (DPCE), dont la mise en 'uvre est sollicitée par le retenu. Il remet alors son certificat à l'OFII, avec l'accord du retenu. C'est l'OFII qui se prononce et rend son avis au préfet.

Dans ce contexte, l'avis du médecin de l'OFII, (rendu sur dossier et relatif à la compatibilité avec l'éloignement et les soins disponibles pendant le transport et dans le pays d'accueil) ne suffit pas, à lui-seul, à garantir l'effectivité des soins dans le temps de la rétention, Le certificat de compatibilité avec la rétention ou l'éloignement doit être sollicité par l'administration auprès d'un autre médecin que le médecin traitant en particulier un médecin du centre hospitalier de référence.



3- Sur les conditions dans lesquelles peut être constatée la compatibilité de la mesure avec l'état de santé de la personne

Si l'étranger produit dans le cadre de sa rétention un certificat médical faisant état de l'incompatibilité de son état de santé avec la rétention (certificat qui ne lie pas l'administration) ou si une autorité invite la préfecture à produire une information sur l'état de santé de la personne retenue, il appartient à la préfecture de prendre toute mesure qu'elle juge utile, en particulier pour saisir un autre médecin afin d'infirmer ou confirmer la compatibilité de l'état de santé de la personne avec son maintien en rétention.

Lorsque le juge ne dispose pas d'éléments lui permettant de s'assurer que le droit à la santé est garanti au sein du centre de rétention, il lui appartient d'en tirer toutes conséquences au regard de l'ensemble des éléments de preuve produits au dossier.

En l'espèce, sont produites les pièces suivantes concernant l'état de santé de Monsieur [O] [Y] :

- Certificats médicaux du Docteur [D], médecin à l'UMCRA, en date des 18 mars et 13 mai 2024 faisant apparaître les éléments suivants : Schizophrénie, trouble anxio-dépressif, phobie sociale. État de stress aggravé par la rétention, avec nécessité de plusieurs passages aux urgences pour avis psychiatrique et idéation suicidaire. État de vulnérabilité psychologique, instabilité psychique, état de santé incompatible avec la rétention.

- Certificats médicaux du Docteur [W], psychiatre, exerçant au CSAPA [3] en date des 14 mars et 9 avril 2024 attestant d'un suivi régulier au CSAPA depuis 2017 pour un tableau psychiatrique associant un syndrome anxieux majeur, des troubles psychotiques délirants nécessitant un traitement neuroleptique et une impulsivité incontrôlée. Il ajoute que Monsieur [O] [Y] souffre de phobie sociale importante et est demandeur d'un traitement. Les antécédents en psychiatrie sont anciens et lourds avec un suivi à [Localité 5]. L'état de santé mental est fragile et peu compatible avec un maintien en rétention administrative.

- Certificat médical du Docteur [W] du 17 juin 2021 reprenant le tableau clinique ci-dessus et indiquant que son état de santé nécessite une prise en charge médicale dont le défaut pourrait avoir pour lui des conséquences d'une exceptionnelle gravité

- Compte rendu de passage aux urgences psychiatriques le 25 mars 2024 relatant les éléments suivants : Crise suicidaire. Majoration des idées suicidaires depuis 8 jours, a des voix lui demandant d'en finir. Aggravation de la trichotillomanie depuis son arrestation. Risque élevé de passage à l'acte auto agressif. Pas compatible avec un maintien en centre de rétention administrative.

- Mail de Monsieur [P] [R], coordinateur médical national, médecin référent de la [2] ([2], association) en date du 9.04.2024 qui reprend le parcours de soins de Monsieur [Y] depuis 2017 et émet un avis sur les conséquences d'un éloignement quant à sa prise en charge thérapeutique

Si le certificat médical du médecin du centre de rétention administrative, médecin traitant du retenu, ne peut être considéré comme neutre et suffisant à établir la compatibilité de son état de santé avec la rétention administrative, celui-ci est ici corroboré par des éléments extérieurs que sont les certificats médicaux établis par son psychaitre habituel au CSAPA, mais aussi le compte rendu de passage aux urgences. L'ensemble de ces éléments permet de considérer qu'il est établi que l'état de santé de Monsieur [O] [Y] présente une vulnérabilité certaine, et qu'il ne peut bénéficier d'une prise en charge adaptée au sein du centre de rétention administrative dès lors qu'il justifie d'une dégradation de son état de santé psychique depuis son arrivée ayant déjà nécessité un passage aux urgences psychiatriques.

En conséquence, la décision sera infirmée et il sera fait droit à la requête de Monsieur [O] [Y].



PAR CES MOTIFS

INFIRMONS l'ordonnance du juge des libertés et de la détention de Paris,

DÉCLARONS RECEVABLE la requête de Monsieur [O] [Y],

ORDONNONS LA LEVÉE immédiate de la mesure de rétention administrative.

RAPPELONS à l'intéressé qu'il a l'obligation de quitter le territoire français,

ORDONNONS la remise immédiate au procureur général d'une expédition de la présente ordonnance.

Fait à Paris le 20 mai 2024 à



LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,













REÇU NOTIFICATION DE L'ORDONNANCE ET DE L'EXERCICE DES VOIES DE RECOURS : Pour information : L'ordonnance n'est pas susceptible d'opposition.

Le pourvoi en cassation est ouvert à l'étranger, à l'autorité administrative qui a prononcé le maintien en zone d'attente ou la rétention et au ministère public.

Le délai de pourvoi en cassation est de deux mois à compter de la notification.

Le pourvoi est formé par déclaration écrite remise au secrétariat greffe de la Cour de cassation par l'avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de cassation constitué par le demandeur.





Le préfet ou son représentant L'intéressé L'avocat de l'intéressé

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