10 mai 2024
Cour d'appel de Fort-de-France
RG n° 21/00184

Chambre sociale

Texte de la décision

ARRET N° 24/56



R.G : N° RG 21/00184 - N° Portalis DBWA-V-B7F-CIAT



Du 10/05/2024





[W]



C/



S.E.L.A.R.L. PHARMACIE DE [Localité 4]













COUR D'APPEL DE FORT DE FRANCE



CHAMBRE SOCIALE



ARRET DU 10 MAI 2024





Décision déférée à la cour : jugement du Conseil de Prud'hommes - Formation de départage de FORT-DE-FRANCE, du 23 Juin 2016, enregistrée sous le n°





APPELANTE :



Madame [N] [W]

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Me Georges-emmanuel GERMANY, avocat au barreau de MARTINIQUE

Représentée par Me Marie-laure DUFRESNE-CASTETS, avocat au barreau de PARIS







INTIMEE :



S.E.L.A.R.L. PHARMACIE DE [Localité 4]

Centre Commercial de [Localité 4]

[Adresse 3]



Représentée par Me Fred GERMAIN, avocat au barreau de MARTINIQUE









COMPOSITION DE LA COUR LORS DES DEBATS



Mme Séverine BLEUSE, Conseillère présidant l'audience,

M. Didier PODEVIN, Président de chambre,



COMPOSITION DE LA COUR LORS DU DELIBERE



Mme Séverine BLEUSE, Conseillère présidant l'audience,

Mme Nathalie RAMAGE, Présidente de chambre,

M. Didier PODEVIN, Président de chambre,





GREFFIER LORS DES DEBATS :



Madame Rose-Colette GERMANY,,





DEBATS : A l'audience publique du 17 Novembre 2023,



A l'issue des débats, le président a avisé les parties que la décision sera prononcée le 08 mars 2024 par sa mise à disposition au greffe de la Cour conformément aux dispositions de l'article 450 alinéa 2 du nouveau code de procédure civile. Le délibéré a été prorogé aux 19 avril et 10 mai 2024.



ARRET : contradictoire et en dernier ressort






*************



EXPOSE DU LITIGE :

Mme [N] [W] a été embauchée au sein de la SELARL Pharmacie [Localité 4] par contrat de travail à durée indéterminée à compter du 19 septembre 1985 à temps plein en qualité de préparatrice en pharmacie, moyennant un salaire mensuel brut de 2 194 euros.

Mme [N] [W] a bénéficié d'un mandat de déléguée du personnel à compter du 1er décembre 2008.



Par courrier du 1er octobre 2010, Mme [N] [W] a informé son employeur du dépassement de son crédit d'heures de délégation compte tenu de circonstances exceptionnelles liées à la procédure de licenciement économique de trois salariés.

Elle indiquait être intervenue au-delà du crédit d'heures, à raison de 9h au mois d'août, 39h30 au mois de septembre et 45h30 au mois d'octobre.

La direction a estimé ses demandes insuffisamment justifiées et lui a demandé, par courrier du 2 août 2011, de justifier de la conformité de l'utilisation de ses heures avec son mandat de déléguée du personnel.

Par courriers des 11 et 16 avril 2012, Mme [N] [W] a informé l'employeur qu'elle s'octroyait 16 jours de récupération, au titre des heures de délégations litigieuses, du 23 avril au 12 mai 2012.

Par courrier du 18 avril 2012, la société Pharmacie [Localité 4] lui a indiqué qu'elle maintenait sa demande de justifications et s'opposait à cette fixation unilatérale de congés.

Par courrier du même jour adressé à l'employeur, Mme [N] [W] a maintenu sa position et a confirmé sa demande de congés à compter du 23 avril 2012.

Par courrier du 2 mai 2012, la société la mettait en demeure de reprendre le travail, ce que Mme [N] [W] a refusé par courrier du 5 mai suivant.

Par courrier du 25 mai 2012, la salariée a été convoquée à un entretien préalable à son licenciement, qui se tenait le 30 mai 2012.

Par courrier du 9 juin 2012, Mme [N] [W] s'est vue notifier son licenciement en ces termes :

"Nous vous avons reçue le 30 mai 2012 pour l'entretien préalable au licenciement que nous envisageons de prononcer à votre encontre.

Malgré les explications que vous nous avez fournies et la tentative d'intimidation que votre organisation syndicale a orchestrée lors de cet entretien, nous avons décidé de vous licencier.

Ainsi que nous vous l'avons exposé lors de l'entretien, les motifs de ce licenciement sont les suivants :

Le 23 avril 2012, vous avez pris 15 jours de congé en dépit du refus de la Direction de vous les accorder et sans vous préoccuper du fonctionnement de l'officine.

En effet, vous avez estimé avoir droit à des congés de récupération pour heures de délégation exceptionnelles, et alors même que nous vous avions demandé, à plusieurs reprises, dans de nombreux échanges de courriers, de justifier desdites heures afin d'en apprécier la légitimité, vous avez unilatéralement décidé de prendre des congés du 23 avril 2012 au 12 mai 2012.

Par lettre RAR du 2 mai 2012, nous vous avons mise en demeure de reprendre votre poste en soulignant l'insubordination caractérisée dont vous faisiez preuve, et en vous mettant en garde sur les conséquences de cette attitude.

Par courrier du 5 mai 2012, vous avez persisté dans ce comportement et vous avez confirmé votre absence jusqu'au 12 mai.

Par ailleurs le 23 mai 2012 vous avez pris 6 heures de délégations, alors même que par courrier du 16 mai 2012 nous vous avions indiqué que contrairement à ce que vous prétendiez, vous n'étiez plus déléguée du personnel; le mandat de DP étant, conformément aux dispositions de la convention collective de la Pharmacie, de 2 ans et non de 4 ans.

Cette nouvelle attitude vous plaçait de nouveau en situation d'insubordination puisqu'elle démontre que vous ne tenez aucun compte des observations de la Direction.

Malgré les nombreux échanges de courriers, vous avez choisi de vous mettre systématiquement en opposition avec votre employeur.

Ces faits d'insubordination constituent un manquement à vos obligations contractuelles et les explications recueillies auprès de vous lors de notre entretien n'ont pas permis de modifier cette appréciation.

La présente constitue donc la notification de votre licenciement.

La date de première présentation de cette lettre fixe le point de départ de votre préavis de deux mois que nous vous dispensons d'effectuer; votre rémunération vous sera alors versée aux échéances habituelles'».



Mme [N] [W] a saisi le conseil de prud'hommes de Fort-de-France aux fins notamment de contester le licenciement prononcé par la société Pharmacie [Localité 4] à son encontre, et a sollicité sa réintégration sous astreinte ainsi que la condamnation de la société au paiement de diverses sommes.

Par jugement de départage contradictoire du 21 avril 2016, le conseil de prud'hommes a :

- dit que le licenciement de Mme [W] n'est pas nul ;

- dit que le licenciement de Mme [N] [W] est justifié ;

- constaté qu'aucun rappel de salaire n'est dû à Mme [W] ;

- débouté Mme [N] [W] de l'ensemble de ses demandes ;

- condamné Mme [N] [W] aux dépens ;

- dit n'y avoir lieu à application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

Le conseil de prud'hommes a considéré que Mme [N] [W] était soumise au droit commun du licenciement et ne bénéficiait pas du statut protecteur applicable aux seuls salariés protégés, ni autre titre de son mandat de délégué du personnel ni au titre d'un mandat de délégué syndical. Il a également jugé que le licenciement de Mme [N] [W] était fondé sur une cause réelle et sérieuse.

Par déclaration électronique du 21 octobre 2016, Mme [N] [W] a interjeté appel du jugement dans le délai.

Par arrêt contradictoire du 27 juillet 2018, la chambre sociale de la cour d'appel de Fort-de-[N] a confirmé en toutes ses dispositions le jugement rendu le 21 avril 2016 par le conseil de prud'hommes de Fort-de-[N], dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile et a condamné Mme [N] [W] aux dépens d'appel.



Sur le pourvoi formé par Mme [N] [W], la Cour de cassation a, par arrêt du 9 septembre 2020, cassé et annulé, l'arrêt rendu le 20 novembre 2020 mais seulement en ce qu'il a rejeté les demandes de la salariée tendant à ce que soit constatée la nullité de son licenciement intervenu en violation du statut protecteur attaché à sa qualité de délégué du personnel et de délégué syndical, à ce que soit ordonnée sa réintégration et à ce qu'il lui soit versé les salaires dus depuis son licenciement jusqu'à sa réintégration effective. Elle a remis sur ces points l'affaire et les parties dans l'état où elles se trouvaient avant cet arrêt et les a renvoyées devant la cour d'appel de Fort-de-France autrement composée.

La Cour de cassation a considéré qu'en concluant qu'aucune autre pièce que la lettre de désignation en qualité de délégué syndical ne permettait d'établir que l'employeur avait eu connaissance de cette désignation, alors que Mme [W] produisait un courrier en date du 14 mai 2012 dans lequel son employeur lui indiquait qu'en tant que délégué syndical, elle était bien placée pour connaître la durée de son mandat, la chambre sociale avait dénaturé ce dernier document par omission.

L'arrêt de la Cour de cassation rendu le 9 septembre 2020 a été signifié à Mme [N] [W] le 18 juin 2021.

Par déclarations des 16 mars, 2 juillet et 27 juillet 2021, Mme [N] [W] a saisi la cour d'appel de Fort-de-[N] suite au renvoi après cassation.



Par ordonnance du 15 septembre 2021 rendue par la présidente de la chambre sociale, l'affaire a été orientée à bref délai.

Par ordonnances rendues le 30 septembre 2022, la présidente de la chambre sociale de la cour d'appel de Fort-de-France a constaté que le 27 juillet 2021, le délai pour adresser la déclaration de saisine au greffe de la cour d'appel n'était pas expiré et Mme [N] [W] n'était pas forclose. Par conséquent la déclaration de saisine du 27 juillet 2021 venant régulariser deux déclarations antérieures susceptibles d'être jugées irrecevables ou caduques a été déclarée recevable.

L'ordonnance de clôture a été prononcée le 9 septembre 2023.



EXPOSE DES PRETENTIONS

Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 7 juin 2023, Mme [N] [W] demande à la présente juridiction de :

- déclarer recevable la déclaration de saisine effectuée le 27 juillet 2021 (RG 21/00184) en régularisation des déclarations des 16 mars (RG 21/00065) et 2 juillet 2021 (RG 21/00172) ;

- recevoir Madame [N] [W] en son appel et le dire bien fondé ;

En conséquence,

- infirmer le jugement rendu le 23 juin 2016 par le conseil de prud'hommes de Fort-de-[N],

- ordonner à la SELARL Pharmacie [Localité 4] de poursuivre le contrat de travail de Madame [N] [W] sous astreinte de 500 € par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir,

- condamner la SELARL Pharmacie [Localité 4] au versement à Madame [N] [W] d'une indemnité correspondant au montant de la rémunération qu'elle aurait perçue entre son licenciement et sa réintégration, soit la somme de 246 684,09 € entre septembre 2012 et décembre 2020, à laquelle doit s'ajouter la somme correspondant au montant des salaires (2 628,52 € par mois) entre janvier 2021 et son retour effectif à son poste de travail,

- la condamner au paiement d'une indemnité de 3 500 € à Madame [N] [W] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.



Par ses dernières conclusions, notifiées par voie électronique le 30 octobre 2023, la société Pharmacie [Localité 4] demande à la cour de :

A titre principal,

- déclarer irrecevable la déclaration de saisine du 27 juillet 2021 (RG n°21/00184) ;

A titre subsidiaire,

- confirmer que Mme [N] [W] ne bénéficiait pas du statut de salarié protégé au jour du licenciement,

En conséquence,

- confirmer le jugement de départage du 23 juin 2016 du conseil de prud'hommes de Fort-de-[N] en ce qu'il a jugé que le licenciement de Mme [N] [W] n'est pas nul,

- débouter Mme [N] [W] de sa demande de réintégration au sein de la société,

- débouter Mme [N] [W] de sa demande de rappel de salaires,

- débouter Mme [N] [W] de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

A titre infiniment subsidiaire,

- condamner Mme [N] [W] au remboursement de la somme de 19 942,12 euros au titre de l'indemnité de licenciement, dans l'hypothèse où celle-ci serait réintégrée,

En tout état de cause,

- condamner Mme [N] [W] au paiement de la somme de 4.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.




MOTIFS DE L'ARRET :

- Sur la recevabilité de la déclaration de saisine du 27 juillet 2021

* Sur l'autorité de la chose jugée de l'ordonnance du 30 septembre 2022 (RG 21/00184).

La SELARL Pharmacie de [Localité 4] rappelle que la Présidente de la chambre sociale a statué sur la recevabilité de la déclaration de saisine du 27 juillet 2021. Or, une telle décision qui ne relève pas de sa compétence, n'a pas l'autorité de la chose jugée.

L'intimée précise que la Cour de cassation indique que les pouvoirs du Président de la chambre de la cour d'appel saisie sur renvoi de cassation sont limitativement énumérés dans l'article 1037-1 du code de procédure civile.

Que l'appréciation de la recevabilité de la déclaration de saisine n'entre pas dans ces pouvoirs et une décision du Président de chambre déclarant irrecevable une déclaration de saisine n'est pas revêtue de l'autorité de la chose jugée. Par conséquent la SELARL Pharmacie de [Localité 4] précise que l'ordonnance du 30 septembre 2022, n'a pas à être déférée, n'a pas l'autorité de la chose jugée et enfin qu'il appartient à la cour d'appel de se prononcer sur l'irrecevabilité de la déclaration de saisine du 27 juillet 2022.

Mme [N] [W] ne se prononce pas sur ce point.

Sur ce, l'article 1037-1 du code de procédure civile prévoit que les ordonnances du président de la chambre ou du magistrat désigné par le premier président statuant sur la caducité de la déclaration de saisine de la cour de renvoi ou sur l'irrecevabilité des conclusions de l'intervenant volontaire ou forcé ont l'autorité de la chose jugée et peuvent être déférées dans les conditions des alinéas 2 et 4 de l'article 916 du code.

Or si, après cassation, le président de chambre de la juridiction de renvoi peut connaître de la caducité de la déclaration de saisine de celle-ci et de la recevabilité de l'appel, aucun texte ne lui donne la compétence de connaître de la recevabilité de la déclaration de saisine (Cass 2° Chambre civile 16 décembre 2021).

Par conséquent, une ordonnance que rend un Président de chambre de cour d'appel en déclarant recevable une déclaration de saisine sur renvoi après cassation sera dépourvue de l'autorité de la chose jugée.

- Sur la recevabilité de la troisième déclaration de saisine de la cour d'appel.

La SELARL Pharmacie de [Localité 4] soutient que la déclaration de saisine du 27 juillet 2021 n'est pas recevable dans la mesure ou la cour d'appel ne s'étant pas prononcée sur la caducité ou la recevabilité des déclarations de saisines des 16 mars 2021 et 2 juillet 2021, l'appelante n'a pas d'intérêt à agir en formant une troisième déclaration de saisine identique aux deux premières.

Ainsi, la cour d'appel étant régulièrement saisie par une déclaration de saisine dont la caducité ou l'irrecevabilité n'a pas été constatée, la troisième déclaration de saisine formée à l'encontre du même jugement et des mêmes parties est irrecevable pour défaut d'intérêt.

Mme [N] [W] rappelle que par lettre recommandée avec accusé de réception, elle formulait une déclaration de saisine de la cour d'appel de Fort de [N] désignée comme cour d'appel de renvoi par l'arrêt du 9 septembre 2020 de la Cour de cassation

Cette dernière ayant saisi la cour de renvoi par lettre recommandée avec accusé de réception et son conseil inscrit au barreau de Paris n'ayant pas accès à la cour d'appel de Fort de [N] par RPVA, elle ne fut destinataire d'aucun avis de fixation.

Dans l'intervalle l'avocat qui avait défendu Mme [N] [W] au cours de la première instance d'appel, mais qui, n'ayant pas été saisi dans le cadre du renvoi après cassation, aurait néanmoins été désigné par le greffe comme l'avocat constitué.

Maître Georges-Emmanuel Germany, postulant s'est constitué dans le dossier et le 12 avril 2021, la société PHARMACIE [Localité 4] constituait avocat.

Après s'être constitué aux lieu et place de l'avocat mentionné sur le RPVA le 20 avril 2021, Maître [P] [V] réclamait l'avis de fixation qui n'était jamais parvenu. Il recevait copie de cet avis le 27 avril 2021et procédait alors à la signification dudit avis le 3 mai 2021, mais omettait de joindre la déclaration de saisine. (Pièces 6 et 7)

Une deuxième déclaration de saisine était déposée le 2 juillet 2021, susceptible d'être déclarée caduque. Maître Georges- Emmanuel Germany avocat postulant, déposait le 27 juillet 2021 une troisième déclaration de saisine de la cour d'appel de Fort de [N]. Un avis d'orientation et de fixation lui était transmis le 15 septembre 2021. La déclaration de saisine du 27 juillet 2021 était signifiée le 23 septembre 2021. (Pièces 8, 9 et 10)

Par trois ordonnances rendues le 30 septembre 2022, la Présidente de la chambre sociale de la cour d'appel de Fort de France constatait la caducité de la déclaration de saisine effectuée le 16 mars 2021 (RG21/00065), de la déclaration de saisine effectuée le 2 juillet 2021 (RG 21/00172) et déclarait recevable la déclaration de saisine effectuée le 27 juillet 2021 (RG 21/00184).

Le décret 2017-1227, postérieur au décret 2017-891 est venu préciser que le texte nouveau s'applique aux appels formés depuis le 1er septembre 2017 ainsi qu'aux instances consécutives à un renvoi après cassation lorsque la juridiction est saisie à compter du 1er septembre 2017.

L'appelante précise que l'alinéa 3 de l'article 911-1 du Code signifie que l'appel de régularisation ne devient irrecevable qu'à partir du moment où la caducité ou l'irrecevabilité auront été prononcées. La régularisation peut être envisagée tant que la caducité ou l'irrecevabilité n'ont pas été prononcées et que le délai d'appel n'est pas expiré (Cass. Soc. 1er octobre 2020, pourvoi 19-11490).

Sur ce, en vertu de l'article 546 du code de procédure civile et au regard des termes de l'article 911-1 alinéa 3, quelle que soit l'irrégularité commise et peu importe la sanction encourue à ce titre, l'erreur de procédure peut être réparée par une nouvelle déclaration d'appel, même sans désistement préalable du premier appel, sous réserve d'expiration du délai d'appel, dès lors que le premier appel n'a pas été déclaré irrecevable ou caduc.

Lorsque la troisième déclaration de saisine est adressée au greffe le 27 juillet 2021, aucune décision concernant les saisines antérieures n'est intervenue.

En l'espèce, le délai pour adresser la déclaration de saisine au greffe de la cour d'appel de Fort-de-France n'était pas expiré et Mme [N] [W] n'était pas forclose.

Enfin, l'intérêt à agir naît de la volonté de réparer une irrégularité procédurale et ainsi régulariser les déclarations de saisines antérieures susceptibles d'être jugées irrecevable ou caduques alors que le délai n'est pas expiré. La troisième déclaration d'appel avait pour seul intérêt d'échapper à la caducité encourue. A défaut, aucune régularisation procédurale ne serait jamais possible puisque l'appelante n'aurait pas intérêt à agir en adressant une deuxième ou une troisième déclaration de saisine avant que la caducité ou l'irrecevabilité ne soit prononcée et que si elle décidait d'attendre le prononcé de la sanction afin de caractériser son intérêt à agir, elle ne serait plus recevable à la faire car forclose.

Par conséquent, la déclaration de saisine formée le 27 juillet 2021 sera déclarée recevable, le déclarant ayant intérêt à réitérer un acte de saisine irrégulier avant que cette caducité n'ait été constatée.

- Sur le statut de la salariée lors de son licenciement

Les dispositions de l'article L. 2411-3 du Code du travail font obligation de déposer une demande d'autorisation de licenciement auprès de l'Inspection du travail pour licencier un salarié dès lors qu'il est protégé à la date d'envoi par l'employeur de sa convocation.

Le conseil de prud'hommes a jugé que le licenciement de Mme [N] [W] était fondé sur une cause réelle et sérieuse mais a considéré que Mme [N] [W] était soumise au droit commun du licenciement et ne bénéficiait pas du statut protecteur applicable aux seuls salariés protégés, ni au titre de son mandat de déléguée du personnel ni au titre d'un mandat de déléguée syndicale. Les juges du fond ont débouté Mme [N] [W] de sa demande de réintégration.

Madame [N] [W] rappelle que si l'article D. 2143-4 du code du travail prévoit que la désignation du déléguée syndicale est faite par lettre recommandée avec demande d'avis de réception ou lettre remise au chef d'entreprise contre récépissé, il a été jugé que «ces formalités ne sont prévues que pour faciliter la preuve de la désignation et non pour sa validité et qu'il suffit dès lors que la preuve soit rapportée que l'employeur en a eu connaissance de façon certaine».

L'appelante communique une pièce (n°2) précisant que le syndicat CGTM des salariés des officines pharmaceutiques, par un courrier du 24 mai 2011, a informé la gérante de la Pharmacie [Localité 4] qu'il désignait Mme [N] [W] comme déléguée syndicale pour l'entreprise dirigée par Mme [F] [B]. A cette pièce n°2 est jointe une pièce 2 bis comportant un rapport positif faisant état d'une émission du fax.

De surcroît, Les premières lignes du courrier du 14 mai 2012 écrit par la gérante de la Pharmacie [Localité 4] précisent : «Madame, vous me soutenez que la durée de votre mandat DP est de 4 ans. Etant déléguée syndicale, il me semblait que vous étiez bien placée pour avoir une information juste» (pièce n° 4).

L'appelante précise donc que ce n'est pas seulement à l'occasion du contentieux prud'homal que la SELAR Pharmacie [Localité 4] a été informée de la qualité de déléguée syndicale de Mme [N] [W] mais depuis le courrier envoyé le 24 mai 2011 par fax par la CGTM. Par ailleurs, préalablement à la saisine du Conseil de prud'hommes, intervenue le 28 juin 2012, Mme [N] [W] a envoyé le 25 mai 2012 à la SELARL Pharmacie de [Localité 4] un courrier mentionnant explicitement qu'elle était désignée déléguée syndicale (pièce n° 12).

Enfin, en réplique à l'argumentation de la SELARL Pharmacie de [Localité 4] qui fait valoir que la désignation de Mme [N] [W] en qualité de déléguée syndicale n'aurait plus eu lieu d'être étant donné qu'elle travaillait dans un établissement employant moins de cinquante salariés et que son mandat de déléguée du personnel n'était plus d'actualité, Mme [N] [W] précise qu'elle ne fait aucunement référence à un quelconque mandat de déléguée du personnel dans son courrier de désignation.

En effet la lettre adressée par la gérante de la pharmacie de 14 mai 2012 à Mme [N] [W] fait une dissociation entre le mandat de déléguée du personnel de cette dernière et son mandat de déléguée syndicale. Dans ce courrier, il n'est pas soutenu que la cessation du mandat de déléguée du personnel dont se prévaut l'employeur a pour conséquence la fin du mandat de déléguée syndicale de Mme [N] [W].

Cette dernière précise qu'il a été relevé que le mandat du délégué syndical désigné en application de l'article L. 2143-6 du Code du travail cesse de plein droit en même temps que cesse son mandat d'élu. Mais que la disparition de mandat de délégué syndical intervient seulement si les deux mandats ont bien été liés l'un à l'autre lors de la désignation. Si un syndicat a désigné un salarié qui n'était pas alors élu comme représentant du personnel titulaire comme délégué syndical dans une entreprise de moins de 50 salariés et que l'employeur n'a pas contesté cette désignation, le mandat de délégué syndical se poursuit de manière autonome.

Lorsque la CGTM a désigné le 24 mai 2011 Madame [N] [W] comme déléguée syndicale par la CGTM, elle n'a pas entendu se prévaloir des dispositions de l'article L. 2143-6 du code du travail. Cette dernière a été désignée déléguée syndicale de manière autonome. L'employeur n'ayant pas contesté cette désignation aucune circonstance ne lui avait fait perdre son statut protecteur.



La SELARL Pharmacie de [Localité 4] indique qu'en application de l'article D. 2143-4 du Code du travail, les noms et prénoms du ou des délégués syndicaux, sont portés à la connaissance de l'employeur soit par lettre recommandée avec avis de réception, soit par lettre remise contre récépissé.

Le point de désaccord ayant conduit au licenciement de Mme [N] [W], était une absence injustifiée liée au fait que Mme [N] [W] s'était octroyée des jours de récupération, au titre d'heure de délégation en vertu d'un mandat de déléguée du personnel et qu'elle a commencé à faire état de ce prétendu mandat syndical seulement et uniquement postérieurement à son licenciement, et spécifiquement pour les besoins de la cause.

L'intimée constate dans un premier temps que la salariée ne rapporte pas la preuve de la connaissance par l'employeur de l'existence d'un supposé mandat syndical puis reconnaît que Mme [N] [W] verse le bordereau de communication indiquant que la télécopie en date du 24 mai 2011 a bien été reçue.

L'intimée produit enfin des attestations de salariés en poste au même moment que Mme [N] [W] et qui mentionnent ne jamais avoir été informés d'une telle désignation, et n'avoir jamais sollicité cette dernière dans le cadre de ses prétendues fonctions syndicales, lui reprochant de ne s'être jamais positionnée en tant que déléguée syndicale que ce soit au titre de la défense des intérêts des salariés dans ses relations avec la direction, ou au titre de la défense de ses propres intérêts durant l'exécution de son contrat de travail.



Sur ce, concernant le motif de l'absence de communication à l'Inspection du travail du nom du délégué syndical, la jurisprudence indique que si l'article L. 412-16 alinéa 2 (devenu L 2143-7), du Code du travail précise que copie de la communication du nom du délégué syndical porté à la connaissance du chef d'entreprise est adressée à l'inspecteur du travail, cette formalité n'est prévue que comme mode d'information de la désignation et non pour sa validité (Soc., 2 avril 1996, pourvoi n 95-60.624).

Par ailleurs, la cour constate à la lecture des pièces qu'à deux reprises et précédemment à la procédure de licenciement de la salariée le 30 mai 2012, que l'employeur avait connaissance de la désignation de Madame [N] [W] comme déléguée syndicale :

- par un courrier envoyé le 24 mai 2011 et réceptionné par fax à cette même date, adressé par la CGTM à la gérante de la Pharmacie de [Localité 4] qui mentionne explicitement le mandat de «déléguée syndicale» de Mme [N] [W] (pièce 2 et 2 bis de l'appelante).

- par la lettre du 14 mai 2012 envoyée par la gérante de la Pharmacie [Localité 4] à Mme [N] [W] faisant clairement état de la qualité de déléguée syndicale de la salariée en ces termes : «Madame, vous me soutenez que la durée de votre mandat DP est de 4 ans. Etant déléguée syndicale, il me semblait que vous étiez bien placée pour avoir une information juste» (pièce 3 de l'appelante).

Enfin, c'est seulement à partir de l'instant où elle a pris la décision d'engager une procédure de licenciement à l'encontre de Madame [N] [W], sans déposer de demande d'autorisation auprès de l'Inspecteur du travail, que la gérante de la Pharmacie [Localité 4] a remis en cause son mandat de déléguée du personnel, alors qu'elle continuait jusqu'alors à organiser avec Madame [N] [W] des réunions au cours desquelles celle-ci présentait ses questions en qualité de déléguée du personnel.

Par conséquent, combien même la SARL Pharmacie de [Localité 4] considère que Mme [N] [W] ne s'est pas suffisamment engagée dans son activité syndicale, l'intimée avait nécessairement connaissance de la désignation de l'appelante comme déléguée syndicale et ne pouvait ignorer le statut protecteur dont elle bénéficiait.

En tout état de cause, la SERARL Pharmacie [Localité 4] a procédé au licenciement de Mme [N] [W] en ne respectant pas les dispositions de l'article L. 2411-3 du Code du travail qui lui faisaient obligation de déposer une demande d'autorisation de licenciement auprès de l'Inspection du travail.

Le licenciement de Mme [N] [W], intervenu sans qu'aient été observées les formalités protectrices attachées à son mandat de déléguée syndicale, est donc entaché de nullité.

La cour infirme le jugement de ce chef.

- Sur la demande de réintégration de la salariée

La nullité du licenciement prononcée au cours de la période de protection de la salariée ouvre droit, si cette dernière le demande, à réintégration dans son emploi, ou, à défaut, dans un emploi équivalent.

L'appelante sollicite la poursuite de son contrat de travail sous astreinte de 500 euros par jour de retard à compter de l'arrêt à intervenir

La demande de réintégration étant souhaitée par la salariée, cette dernière sera autorisée à poursuive son contrat au sein de la SERARL Pharmacie [Localité 4] dans le mois suivant la signification de l'arrêt.

En revanche, Mme [N] [W] sera déboutée de sa demande d'astreinte qu'elle ne motive pas dans ses écritures.

Le jugement sera infirmé sur ce point.

- Sur la réparation de son préjudice

En application de l'article L. 1225-71 du Code du travail, l'intéressée peut alors prétendre au paiement d'une somme correspondant à la réparation de la totalité du préjudice subi entre son licenciement et sa réintégration, dans la limite du montant des salaires dont la salariée a été privée.

Mme [N] [W] sollicite une condamnation de la SERARL Pharmacie [Localité 4] au versement d'une indemnité correspondant au montant de la rémunération qu'elle aurait perçu entre son licenciement et sa réintégration, soit la somme de 246 684, 09 € entre septembre 2012 et décembre 2020, à laquelle doit s'ajouter la somme correspondant au montant des salaires (2 628,52 € par mois) entre janvier 2021 et son retour effectif à son poste de travail.

La SERARL Pharmacie [Localité 4] dans ses écritures précise que l'appelante s'est attribuée un coefficient de 330 à compter de janvier 2017 ce que conteste l'intimée qui indique que ce dernier échelon permet au préparateur disposant de «qualités commerciales exceptionnelles et qui exécute des travaux comportant une large initiative» d'être assimilé cadre pour la retraite et la prévoyance. Le passage à ce dernier échelon reste le choix exclusif du titulaire.

Sur ce, il ressort des pièces communiquées à la cour que lors de son licenciement, le bulletin de salaire de Mme [N] [W] indique un coefficient de 300 correspondants à une rémunération de 2078,49 euros.

Le licenciement a été notifié par lettre recommandée du 9 juin 2012. La salariée a été dispensée d'effectuer son préavis de 2 mois.

L'employeur devra donc verser une indemnité correspondant au montant brut des salaires qui aurait dû être perçus par la salariée de la fin de la période de préavis jusqu'à la date de réintégration sur la base d'un montant mensuel brut de 2078,49 euros.

- Sur la demande de remboursement de l'employeur de l'indemnité de licenciement.

La réintégration fait obstacle à ce qu'il soit fait droit aux demandes de dommages et intérêts pour licenciement.

La cour ayant admis la réintégration de Mme [N] [W], cette dernière sera contrainte de procéder au remboursement de son indemnité de licenciement.

En l'espèce, le reçu pour solde de tout compte indique que la salariée a perçu une indemnité de licenciement à hauteur d'un montant de 19942,12 euros.

Mme [N] [W] sera condamnée au remboursement de cette somme à l'employeur.

- Sur les frais irrépétibles et dépens

Le jugement sera infirmé en ce qu'il a condamné Mme [N] [W] aux dépens de première instance et confirmé en ce qu'il a débouté la SERARL Pharmacie [Localité 4] de sa demande de l'article 700 du code de procédure civile.

Par ailleurs, La SERARL Pharmacie [Localité 4] sera condamnée aux dépens d'appel et à la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.



PAR CES MOTIFS

La cour,

- déclare recevable la déclaration de saisine du 27 juillet 2021(RG 21/00184) en régularisation des déclarations des 16 mars (RG 21/00065) et 2 juillet 2021 (RG 21/00172) 

- infirme le jugement du conseil des prud'hommes de Fort-de-[N] du 21 avril 2016 en ses dispositions soumises à la cour,

Statuant à nouveau,

- déclare le licenciement de Mme [N] [W] nul en raison de son statut de salariée protégée,

- ordonne sa réintégration au sein de la SERARL Pharmacie [Localité 4] dans le mois suivant la signification du présent arrêt,

- condamne la SERARL Pharmacie [Localité 4] à payer à Mme [N] [W] une indemnité correspondante au montant brut des salaires qu'elle aurait dû percevoir de la fin de sa période de préavis jusqu'à sa date de réintégration sur la base d'un montant mensuel brut de 2078,49 euros,

- condamne Mme [N] [W] à rembourser à la SERARL Pharmacie [Localité 4] la somme de 19942,12 euros au titre des indemnités de licenciement,

- condamne la SERARL Pharmacie [Localité 4] à payer à Mme [N] [W] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- condamne SERARL Pharmacie [Localité 4] aux dépens de première instance et d'appel.

Et ont signé le présent arrêt Mme Séverine BLEUSE,Conseillère présidant l'audience, et Mme Rose-Colette GERMANY, Greffière



La Greffière, La Présidente,

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