2 mai 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 21/02121

1/2/1 nationalité A

Texte de la décision

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




1/2/1 nationalité A

N° RG 21/02121
N° Portalis 352J-W-B7F-CTZMG

N° PARQUET : 21/149

N° MINUTE :

Assignation du :
10 Février 2021

M.M.


[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :








JUGEMENT
rendu le 02 Mai 2024









DEMANDEUR

Monsieur [X] [S]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 3]

représenté par Me Anne DEGRÂCES, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #C0516


DEFENDERESSE

LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 8]
[Localité 2]

Madame Sophie BOURLA-OHNONA, Vice-Procureure
Décision du 2 mai 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 21/02121


COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente
Présidente de la formation

Madame Victoria Bouzon, Juge
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Assesseurs

assistées de Madame Christine Kermorvant, Greffière


DEBATS

A l’audience du 07 Mars 2024 tenue publiquement

JUGEMENT

Contradictoire
en premier ressort

Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Maryam Mehrabi, vice-présidente et par Madame Christine Kermorvant, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.






Vu les articles 455 et 768 du code de procédure civile,

Vu l'assignation délivrée le 10 février 2021 par M. [X] [S] au procureur de la République,

Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 17 mai 2023,

Vu les dernières conclusions de M. [X] [S] notifiées par la voie électronique le 9 février 2024,

Vu l’ordonnance de clôture rendue le 15 février 2024 ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 7 mars 2024,


MOTIFS

A titre liminaire, il est relevé qu'aux termes de ses écritures, le demandeur indique être né à [Localité 7] (Egypte). Or, sur l'ensemble des copies de son acte de naissance versées aux débats ainsi que sur la photocopie de son passeport ladite commune est orthographiée « [Localité 6]». Dans le présent jugement, le tribunal suivra l'orthographe du nom de la commune telle que résultant des pièces produites, à savoir [Localité 6].

Sur la procédure

Aux termes de l’article 1043 du code de procédure civile, applicable à la date de l'assignation, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.

En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 21 avril 2021. La condition de l’article 1043 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.

Sur les demandes du ministère public

Le ministère public demande au tribunal de dire irrecevables les demandes de M. [X] [S] tendant à voir annuler la décision rendue par le service de la nationalité française du tribunal judiciaire de Paris le 17 février 2020 et à voir ordonner la délivrance d'un certificat de nationalité française.

M. [X] [S] n'ayant formulé aucune demande de ces chefs aux termes de ses dernières conclusions, les demandes du ministère public sont sans objet.

Sur l'action déclaratoire de nationalité française

M. [X] [S], se disant né le 22 février 1988 à [Localité 6] (Egypte), revendique la nationalité française par filiation paternelle, sur le fondement de l'article 18 du code civil. Il fait valoir que son père, [F] [S], né le 10 mars 1952 à [Localité 6], a acquis la nationalité française à la suite de son mariage, selon déclaration en date du 29 juin 1982.

Son action fait suite à la décision de refus de délivrance d'un certificat de nationalité française qui lui a été opposée le 17 février 2020 par le directeur des services de greffe judiciaires du service de la nationalité française du tribunal judiciaire de Paris au motif qu'il avait été constaté certaines incohérences dans les documents qu'il avait fournis à l'appui de sa demande, notamment entre son acte de naissance et le livret de famille de ses parents ; que cette constatation ne permettait pas d'accorder une force probante suffisante aux actes produits (pièces n°18 du demandeur et n°1 du ministère public).

Sur le fond

En application de l’article 30 alinéa 1 du code civil, la charge de la preuve en matière de nationalité incombe à celui qui revendique la qualité de Français lorsqu’il n’est pas déjà titulaire d’un certificat de nationalité délivré à son nom conformément aux dispositions des articles 31 et suivants du même code.

Conformément à l'article 17-1 du code civil, compte tenu de la date de naissance revendiquée par le demandeur, l'action relève des dispositions de l’article 18 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993, aux termes duquel est Français l’enfant, légitime ou naturel, dont l’un des parents au moins est français.

Il appartient ainsi à M. [X] [S], qui n'est pas titulaire d'un certificat de nationalité française, de démontrer, d'une part, la nationalité française de son père et, d’autre part, un lien de filiation légalement établi a l’égard de celui-ci, au moyen d’actes d’état civil probants au sens de l’article 47 du code civil, étant précisé qu’afin de satisfaire aux exigences de l’article 20-1 du code civil, cet établissement doit être intervenu pendant sa minorité pour avoir des effets sur la nationalité.

Aux termes de l’article 47 du code civil, tout acte de l'état civil des Français et des étrangers fait en pays étranger et rédigé dans les formes usitées dans ce pays fait foi, sauf si d'autres actes ou pièces détenus, des données extérieures ou des éléments tirés de l'acte lui-même établissent, le cas échéant après toutes vérifications utiles, que cet acte est irrégulier, falsifié ou que les faits qui y sont déclarés ne correspondent pas à la réalité. Celle-ci est appréciée au regard de la loi française.

Il est précisé que dans les rapports entre la France et l'Egypte, les actes d'état civil sont dispensés de légalisation par l'article 8 du Titre III de la convention franco-égyptienne sur la coopération judiciaire en matière civile du 15 mars 1982 ; il suffit que ces actes soient revêtus de la signature et du sceau officiel de l'autorité ayant qualité pour les délivrer et, s'il s'agit d'expéditions, qu'ils soient certifiés conformes à l'original par ladite autorité.

Enfin, nul ne peut revendiquer à quelque titre que ce soit, la nationalité française, s’il ne dispose d’un état civil fiable et certain.

En l'espèce, pour justifier de son état civil, M. [X] [S] produit une copie, délivrée le 2 décembre 2020, de son acte de naissance mentionnant qu'il est né le 22 février 1988 à [Localité 6] / [Localité 5] (Egypte), de [F] [S] et de [N] [T], l'acte ayant été dressé le 9 mars 1988 sous le numéro 779 (pièce n°3 du demandeur).

Il produit également une ancienne copie de son acte de naissance délivrée le 13 novembre 2016 laquelle ne porte pas mention du nom de famille de sa mère ainsi qu'un document intitulé « copie portant rectification, confirmation ou annulation d'un acte établi sur support papier » indiquant « rectification du nom de la mère sur l'acte de naissance de [X], n°779, transcrit à [Localité 5] sous le n°09/03/1988
De : [N] fille de [E] fils de [H]
A : [T] [N] fille de [E] fils de [H] » (pièces n°1 et 2 du demandeur).

Le ministère public conteste la force probante de cet acte de naissance en faisant valoir qu'il ne porte pas mention de la qualité de la personne qui l'a dressé, ni de l'identité et de la qualité de la personne ayant déclaré la naissance. Il fait valoir que l'article 20 de la loi n°143 de l'année 1994 relative à l'état civil, en vigueur durant la minorité de l'intéressé, énumère les seules personnes habilitées à déclarer la naissance ; que l'absence de mention du déclarant ne permet pas au demandeur de prouver que c'est bien l'une des personnes autorisées par la loi égyptienne à déclarer la naissance d'un enfant qui a déclaré la sienne.

Il est donc d'abord relevé que l'acte de naissance de M. [X] [S], au regard de la date à laquelle il a été dressé, n'est pas régi par la loi n°143 de l'année 1994 relative à l'état civil mais par la loi n°260 du 19 juillet 1960.

L'article 18 de cette loi énumère les mentions devant figurer sur un acte de naissance. Or, ni ces dispositions, ni aucune autre disposition de la loi, ne prévoient la mention de la qualité de l'officier d'état civil ayant dressé l'acte. Il est en outre relevé que l'acte de naissance de M. [X] [S] porte mention et cachet de l'autorité habilitée à dresser les actes d'état civil en Egypte, à savoir le cachet de « l'état civil [Localité 4] » et de « [F] [R] – officier de police » ainsi que le cachet du « ministère de l'intérieur – secteur de l'état civil – service des fiches».

Il en va de même de l'identité et de la qualité de la personne ayant déclaré la naissance dont la mention n'est prévue par aucune disposition législative.

Il ne saurait être ainsi être tiré grief de ce que l'acte de naissance de M. [X] [S] ne comporte pas des mentions qui ne sont pas prévues par la législation applicable.

Par ailleurs, si l'article 17 de loi précitée énonce limitativement les personnes habilitées à déclarer une naissance, il n'appartient au présent tribunal de vérifier que le déclarant avait qualité pour déclarer la naissance, cette vérification relevant des attributions de l'autorité ayant dressé l'acte.

L'acte de naissance de M. [X] [S] a ainsi été dressé conformément aux dispositions législatives égyptiennes et comporte l'ensemble des mentions prévues par lesdites dispositions.

Le ministère public fait encore valoir que M. [X] [S] ne produit pas la décision ayant modifié l'état civil de sa mère mentionné dans son acte de naissance.

Or, force est de relever que cette décision est produite par le demandeur en pièce numéro 2. En effet, le document précité intitulé « copie portant rectification, confirmation ou annulation d'un acte établi sur support papier » apparaît être la décision ayant rectifié – et non « modifié » comme l'allègue le ministère public – l'état civil de la mère de l'intéressé, dont le nom de famille avait initialement été omis sur son acte de naissance.

L'acte de naissance de M. [X] [S] apparaît ainsi probant au sens de l'article 47 du code civil, précité.

L'acte de naissance de [F] [S] indique qu'il est né le 10 mars 1952 à [Localité 7] (Egypte) (pièce n°6 du demandeur). Il est également justifié de la nationalité française de celui-ci par la production de la déclaration de nationalité française souscrite le 29 juin 1982 et enregistrée le 3 mai 1983, laquelle est également mentionnée sur son acte de naissance (pièce n°8 du demandeur).

Pour justifier de sa filiation paternelle, M. [X] [S] verse aux débats l'acte de mariage de [F] [S] et de Mme [N] [T], célébré le 5 décembre 1982 soit avant sa naissance (pièce n°23 du demandeur).

Il résulte de l'acte de mariage versé aux débats que [F] [S] s'est marié le 19 décembre 1981 avec Mme [Y] [B], le mariage ayant été dissous suivant jugement de divorce en date du 20 mars 1990 (pièce n°7 du demandeur). Il est donc établi qu'à la date de son mariage avec Mme [N] [T], [F] [S] était dans les liens d'une précédente union.

Le ministère public conteste l'établissement du lien de filiation paternelle de M. [X] [S] en faisant valoir qu'à la date dudit mariage, [F] [S] avait acquis la nationalité française par déclaration quelques mois plus tôt et se trouvait toujours engagé dans les liens du mariage avec Mme [Y] [B], citoyenne française ; que la seconde union contractée par [F] [S] est donc dépourvue d'effet en France pour être contraire à l'ordre public français; qu'un mariage bigame ne permet donc pas aux enfants issus de cette union de se voir reconnaître la nationalité française.

Il est donc rappelé qu'aux termes de l'article 202 du code civil, le mariage qui a été déclaré nul produit ses effets à l'égard des enfants, quand bien même aucun des époux n'aurait été de bonne foi. De même, l'article 21-6 du même code dispose que l'annulation du mariage n'a point d'effet sur la nationalite des enfants qui en sont issus.

Ainsi, nonobstant la contrariété à l'ordre public français du mariage de [F] [S] et de Mme [N] [T], leur union produit ses effets en matière de filiation à l'égard de M. [X] [S] ainsi qu'en matière de nationalité.

En conséquence, M. [X] [S] justifiant d'un lien de filiation légalement établi à l'égard de [F] [S] et rapportant la preuve de la nationalité française de ce dernier, il sera jugé qu'il est français en application de l'article 18 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n° 93-933 du 22 juillet 1993, précité.
Décision du 2 mai 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 21/02121

Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil

Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, la mention de la présente décision sera ordonnée en application de cet article.

Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

En application de l’article 696 du code de procédure civile, le Trésor public sera condamné aux dépens.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Le Trésor public sera condamné à payer à M. [X] [S] la somme de 1 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

LE TRIBUNAL, statuant publiquement, contradictoirement, en premier ressort et par mise à disposition au greffe :

Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1043 du code de procédure civile ;

Dit sans objet les demandes du ministère public relatives à l'irrecevabilité des demandes de M. [X] [S] ;

Juge que M. [X] [S], né le 22 février 1988 à [Localité 6] / [Localité 5] (Egypte), est de nationalité française ;

Ordonne la mention prévue par l’article 28 du code civil ;

Condamne le Trésor public à payer à M. [X] [S] la somme de 1 500 € au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne le Trésor public aux dépens.


Fait et jugé à Paris le 02 Mai 2024

La GreffièreLa Présidente
Christine KermorvantMaryam Mehrabi

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