2 mai 2024
Tribunal judiciaire de Paris
RG n° 22/11901

1/2/1 nationalité A

Texte de la décision

TRIBUNAL
JUDICIAIRE
DE PARIS




1/2/1 nationalité A

N° RG 22/11901
N° Portalis 352J-W-B7G-CX2UG

N° PARQUET : 22/1026

N° MINUTE :

Assignation du :
09 Septembre 2022

C.B.


[1]

[1] Expéditions
exécutoires
délivrées le :








JUGEMENT
rendu le 02 Mai 2024










DEMANDERESSE

Madame [Z] [D] [K]
[Adresse 3]
[Localité 1]

représentée par Me Ibrahima TRAORE, avocat au barreau de PARIS, avocat plaidant, vestiaire #B0501


DEFENDERESSE

LA PROCUREURE DE LA REPUBLIQUE
Parquet 01 Nationalités
[Adresse 6]
[Localité 2]

Madame Sophie BOURLA-OHNONA, Vice-Procureure
Décision du 2 mai 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 22/11901

COMPOSITION DU TRIBUNAL

Madame Maryam Mehrabi, Vice-présidente
Présidente de la formation

Madame Victoria Bouzon, Juge
Madame Clothilde Ballot-Desproges, Juge
Assesseurs

assistées de Madame Christine Kermorvant, Greffière

DEBATS

A l’audience du 07 Mars 2024 tenue publiquement

JUGEMENT

Contradictoire
en premier ressort
Rendu publiquement, par mise à disposition au greffe, les parties ayant été avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l’article 450 du code de procédure civile.

Signé par Madame Maryam Mehrabi, vice-présidente et par Madame Christine Kermorvant, greffière à laquelle la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.




Vu les articles 56, 455 et 768 du code de procédure civile,

Vu les dernières conclusions de Mme [Z] [K] constituées par l'assignation délivrée le 9 septembre 2022 au procureur de la République, et le bordereau de communication de pièces notifié par la voie électronique le 10 mai 2023,

Vu les dernières conclusions du ministère public notifiées par la voie électronique le 27 juillet 2023,

Vu l'ordonnance de clôture rendue le 1er février 2024, ayant fixé l'affaire à l'audience de plaidoiries du 7 mars 2024,

Vu les conclusions de Mme [Z] [K] aux fins de révocation de l'ordonnance de clôture notifiées par la voie électronique le 13 février 2024,


MOTIFS DE LA DECISION

Sur la demande de révocation de l'ordonnance de clôture

Par conclusions notifiées par la voie électronique le 13 février 2024, Mme [Z] [K] sollicite du tribunal de révoquer l'ordonnance de clôture et d'ordonner la réouverture des débats. Elle fait valoir que dans ses dernières conclusions notifiées le 27 juillet 2023, le ministère public a soulevé que la nationalité française de son époux n'était pas établie en l'absence de production de l'acte de naissance des parents de celui-ci et de leur acte de mariage ; qu'en réponse, elle a voulu produire les titres d'identité française de son époux, mais n'a pu le faire avant ordonnance de clôture, son conseil ayant été en arrêt maladie et n'ayant plus accès à sa clé RPVA.

Aux termes de l'article 803 du code de procédure civile, l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue.

Or, il n'est pas justifié en l'espèce de la cause grave invoquée tenant à l'arrêt maladie de son conseil, ayant empêché la demanderesse de produire ces pièces avant l’ordonnance de clôture. En tout état de cause, le passeport français et la carte nationale d'identité française de M. [V] [G] qu'elle entend produire sont déjà versés aux débats (pièce n°10 de la demanderesse).

Mme [Z] [K] ne justifie pas davantage d'une cause grave qui se serait révélée postérieurement à l'ordonnance de clôture.

Dès lors, la demande de réouverture des débats et de révocation de l'ordonnance de clôture sera rejetée.

Sur les conclusions de Mme [Z] [K]

Dans le dossier de plaidoirie de la demanderesse déposé devant le tribunal figurent des écritures intitulées “conclusions en réponse”, lesquelles n'ont fait l'objet d'aucune communication au ministère public.

Ces conclusions seront déclarées irrecevables en application des dispositions des articles 16 et 802 du code de procédure civile.

Par conséquent, le tribunal examinera uniquement les moyens et prétentions formulés par la demanderesse aux termes de son assignation.

Sur la procédure

Aux termes de l’article 1040 du code de procédure civile, dans toutes les instances où s'élève à titre principal ou incident une contestation sur la nationalité, une copie de l'assignation est déposée au ministère de la justice qui en délivre récépissé.

En l’espèce, le ministère de la justice a délivré ce récépissé le 29 mars 2023. La condition de l’article 1040 du code de procédure civile est ainsi respectée. Il y a donc lieu de dire que la procédure est régulière au regard de ces dispositions.

Sur l'action en contestation de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité française


Le 10 mars 2022, le ministère de l'intérieur a refusé l’enregistrement de déclaration de nationalité française souscrite le 12 octobre 2021 au titre de l'article 21-2 du code civil, par Mme [Z] [K], et dont récépissé lui avait été remis le 15 décembre 2021, au motif qu'à la date de la souscription de la déclaration de nationalité française, la communauté de vie tant affective que matérielle ne pouvait être considérée comme stable et convaincante au regard des mains courantes déposées par elle et son conjoint, faisant état d'une relation dégradée (pièce n°1 de la demanderesse).

Mme [Z] [K], se disant née le 7 avril 1978 à [Localité 5] (Côte d'Ivoire), a assigné le ministère public devant ce tribunal aux fins de contester ce refus d'enregistrement.

Elle expose que le 22 août 2015 elle a épousé M. [V] [G], né le 30 novembre 1955 à [Localité 4] (Orne), de nationalité française. Elle soutient que son couple a connu des disputes qui n'ont toutefois pas entaché leur communauté de vie.

Le ministère public s'oppose aux demandes de Mme [Z] [K] et sollicite du tribunal de dire que celle-ci n'est pas de nationalité française.

Il fait valoir que la condition d'une communauté de vie du couple n'est pas remplie.

Sur le fond

Aux termes de l’article 21-2 du code civil, dans sa rédaction issue de la loi n°2006-911 du 24 juillet 2006 modifiée par la loi n°2011-672 du 16 juin 2011, ici applicable, l’étranger ou apatride qui contracte mariage avec un conjoint de nationalité française peut, après un délai de quatre ans à compter du mariage, acquérir la nationalité française par déclaration à condition qu’à la date de cette déclaration la communauté de vie tant affective que matérielle n’ait pas cessé entre les époux depuis le mariage et que le conjoint français ait conservé sa nationalité.
Le délai de communauté de vie est porté à cinq ans lorsque l’étranger, au moment de la déclaration, soit ne justifie pas avoir résidé de manière ininterrompue et régulière pendant au moins trois ans en France à compter du mariage, soit n’est pas en mesure d’apporter la preuve que son conjoint français a été inscrit pendant la durée de leur communauté de vie à l’étranger au registre des Français établis hors de France.
En outre, le mariage célébré à l’étranger doit avoir fait l’objet d’une transcription préalable sur les registres de l’état civil français. Le conjoint étranger doit également justifier d’une connaissance suffisante, selon sa condition, de la langue française, dont le niveau et les modalités d’évaluation sont fixés par décret en Conseil d'Etat.

En vertu de l’article 26-3 alinéas 3 et 4 du code civil, la décision de refus d’enregistrement de la déclaration de nationalité française fondée sur l’article 21-2 du même code doit intervenir un an au plus après la date à laquelle a été délivré au déclarant le récépissé constatant la remise de toutes les pièces nécessaires à la preuve de recevabilité de la déclaration. L'article 26-4 du code civil poursuit qu'à défaut de refus d'enregistrement dans les délais légaux, copie de la déclaration est remise au déclarant revêtue de la mention de l'enregistrement.

En l'espèce, le récépissé de la déclaration a été remis à Mme [Z] [K] le 15 décembre 2021. La décision de refus d'enregistrement de la déclaration de nationalité française est en date du 10 mars 2022, soit moins d'un an après la remise du récépissé. Aucune pièce ne permet d'établir la date à laquelle la décision de refus d'enregistrement a été notifiée à Mme [Z] [K]. Toutefois, celle-ci ne soutient pas que cette notification serait intervenue plus d'un an après la remise du récépissé.

Dès lors, il appartient à Mme [Z] [K] de rapporter la preuve que les conditions de la déclaration de nationalité française posées par l'article 21-2 du code civil sont remplies.

En ce qui concerne la communauté de vie exigée par ces dispositions, il est rappelé qu'elle n’est pas définie par la loi ou le règlement. Elle comporte nécessairement une double dimension, matérielle et affective, laquelle peut toutefois se décliner différemment selon les couples; notamment, la communauté matérielle n’impose pas la cohabitation, ni ne se réduit à elle. La preuve peut, en outre, être rapportée par tous moyens.

À ce titre, le décret n° 93-1362 du 30 décembre 1993, dans sa rédaction issue du décret n°2019-1507 du 30 décembre 2019 indique simplement que le déclarant doit fournir tous documents corroborant que la communauté de vie tant affective que matérielle n'a pas cessé entre les deux époux depuis leur mariage (article 14-1, 4°), et que le préfet du département de résidence du déclarant procède, dès la souscription, à une enquête pouvant donner lieu à un entretien individuel avec le déclarant, destinée à vérifier la continuité de la communauté de vie tant affective que matérielle entre les époux depuis le mariage (article 15).

En effet, la communauté de vie, prévue par l'article 215 du code civil au titre des devoirs et des droits respectifs des époux, ne se résume pas à la seule cohabitation, élément matériel, mais suppose également un élément intentionnel, à savoir la volonté de vivre durablement en union, concrétisée par un ensemble de circonstances matérielles et psychologiques. D'ailleurs, l'article 21-2 du code civil exige cette double dimension, à savoir une communauté de vie matérielle et affective.

En l’espèce, la communauté de vie tant affective que matérielle doit avoir existé entre la date du mariage, le 22 août 2015, et la date de la déclaration d'acquisition de la nationalité, le 12 octobre 2021.

Il est constant que Mme [Z] [K] a déposé une main courante le 14 septembre 2020, et son conjoint a fait de même le 15 octobre 2021 (pièces n°8 et 9 de la demanderesse).

Le ministère public soutient que la communauté de vie entre les époux a cessé de manière irréfutable et sérieuse au moins à deux reprises depuis le mariage, conduisant les époux à déposer des mains courantes et à saisir un avocat pour entamer une procédure de divorce.

Mme [Z] [K] fait valoir, d'une part, que son couple a connu des disputes isolées et passagères comme tous les couples peuvent en connaître, que ces disputes étaient liées à une mésentente entre ses enfants et son nouvel époux, et d'autre part, qu'elles n'ont pas entraîné une cessation de la vie commune.

Or, s'il est certain que toute dispute entre conjoints n'entraîne pas une cessation de la communauté de vie, il n'en demeure pas moins que de telles disputes n'aboutissent pas à une déclaration de main courante de la part des époux.

En l'espèce, dans sa main courante déposée le 14 septembre 2020, Mme [Z] [K] fait état de menaces et de chantage de la part de son époux à son égard et de ce qu'il l'a informée de son souhait de divorcer (pièce n°8 de la demanderesse).

Dans sa main courante déposée le 15 octobre 2021, M. [V] [G] fait également état de sa volonté de divorcer et dit avoir consulté un avocat à ce propos la veille (pièce n°9 de la demanderesse).

Bien qu'aucune procédure de divorce n'ait été engagée, il demeure que deux mains courantes ont été déposées à plusieurs mois d'intervalle. Ainsi, il ne s'agit pas d'une mésentente isolée et brève comme le soutient Mme [Z] [K], mais d'une mésentente continue.

La demanderesse soutient à cet égard qu'après chaque dispute, elle et son époux ont fini par se retrouver avec des sentiments plus forts l'un envers l'autre.

Néanmoins, la reprise de la vie commune à la suite des déclarations de main courante importe peu. En effet, la loi du 24 juillet 2006 exige expressément que la communauté de vie n’ait pas cessé depuis le mariage, excluant ainsi toute interruption de la vie commune, suivie de sa reprise.

Or, le dépôt de deux déclarations de main courante par les époux est incompatible avec la continuité de la communauté de vie exigée par les dispositions précitées. Il en va de même de la volonté exprimée par l'époux d'entamer une procédure de divorce. De surcroît, les faits de menaces et de chantage rapportés par la demanderesse dans sa déclaration de main courante sont incompatibles avec la notion de respect inhérente à la communauté de vie telle que définie par l'article 212 du code civil selon lequel les époux se doivent mutuellement respect, fidélité, secours et assistance.

Il apparaît ainsi que Mme [Z] [K] échoue à rapporter la preuve de l'existence d'une communauté de vie affective ayant existé, de manière ininterrompue, entre le mariage et la souscription de la déclaration de nationalité française. Elle ne démontre donc pas que les conditions de communauté de vie requises par l’article 21-2 du code civil sont réunies,
Décision du 2 mai 2024
Chambre du contentieux
de la nationalité Section A
RG n° 22/11901


En conséquence, faute de rapporter la preuve que les conditions requises par l’article 21-2 du code civil sont réunies, Mme [Z] [K] sera déboutée de ses demandes.

En outre, dès lors qu'elle ne revendique la nationalité française à aucun autre titre, il y a lieu de faire droit à la demande reconventionnelle du ministère public et de juger que Mme [Z] [K] n'est pas de nationalité française.

Sur la mention prévue à l'article 28 du code civil

Aux termes de l’article 28 du code civil, mention sera portée, en marge de l'acte de naissance, des actes administratifs et des déclarations ayant pour effet l'acquisition, la perte de la nationalité française ou la réintégration dans cette nationalité. Il sera fait de même mention de toute première délivrance de certificat de nationalité française et des décisions juridictionnelles ayant trait à cette nationalité. En conséquence, la mention de la présente décision sera ordonnée en application de cet article.

Sur les demandes accessoires

Sur les dépens

En application de l’article 696 du code de procédure civile, Mme [Z] [K], qui succombe, sera condamnée aux dépens.

Sur l'article 700 du code de procédure civile

Mme [Z] [K] ayant été condamnée aux dépens, sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile sera rejetée.

PAR CES MOTIFS

Le tribunal statuant publiquement, par jugement en premier ressort et contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe :

Rejette la demande de révocation de l'ordonnance de clôture et de réouverture des débats formée par Mme [Z] [D] [K] ;

Déclare irrecevables les “conclusions en réponse” figurant au dossier de plaidoirie de Mme [Z] [D] [K] ;

Dit la procédure régulière au regard des dispositions de l'article 1040 du code de procédure civile ;

Juge que Mme [Z] [D] [K], née le 7 avril 1978 à [Localité 5] (Côte d'Ivoire), n’est pas de nationalité française ;

Ordonne la mention prévue à l’article 28 du code civil en marge des actes concernés ;

Rejette la demande de Mme [Z] [D] [K] au titre des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile ;

Condamne Mme [Z] [D] [K] aux dépens.


Fait et jugé à Paris le 02 Mai 2024

La GreffièreLa Présidente
Christine KermorvantMaryam Mehrabi

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