2 mai 2024
Cour de cassation
Pourvoi n° 23-10.823

Chambre commerciale financière et économique - Formation restreinte hors RNSM/NA

ECLI:FR:CCASS:2024:CO00212

Texte de la décision

COMM.

FM13



COUR DE CASSATION
______________________


Audience publique du 2 mai 2024




Rejet


M. VIGNEAU, président



Arrêt n° 212 F-D

Pourvoi n° Q 23-10.823




R É P U B L I Q U E F R A N Ç A I S E

_________________________

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
_________________________


ARRÊT DE LA COUR DE CASSATION, CHAMBRE COMMERCIALE, FINANCIÈRE ET ÉCONOMIQUE, DU 2 MAI 2024

La société Fram, société par actions simplifiée, dont le siège est [Adresse 1], a formé le pourvoi n° Q 23-10.823 contre l'arrêt rendu le 30 novembre 2022 par la cour d'appel de Toulouse (2e chambre), dans le litige l'opposant à la société Capo Di Corfu Sa Hôtels & Tourist Enterprises, société anonyme, dont le siège est [Adresse 2] (Grèce), défenderesse à la cassation.

La demanderesse invoque, à l'appui de son pourvoi, un moyen de cassation.

Le dossier a été communiqué au procureur général.

Sur le rapport de M. Riffaud, conseiller, les observations de la SCP Françoise Fabiani - François Pinatel, avocat de la société Fram, de la SCP Gatineau, Fattaccini et Rebeyrol, avocat de la société Capo Di Corfu Sa Hôtels & Tourist Enterprises, après débats en l'audience publique du 5 mars 2024 où étaient présents M. Vigneau, président, M. Riffaud, conseiller rapporteur, Mme Vaissette, conseiller doyen, et Mme Labat, greffier de chambre,

la chambre commerciale, financière et économique de la Cour de cassation, composée des président et conseillers précités, après en avoir délibéré conformément à la loi, a rendu le présent arrêt.

Faits et procédure

1. Selon l'arrêt attaqué (Toulouse, 30 novembre 2022), le 1er septembre 2015, la société Capo Di Corfu Sa Hotels & Tourist Enterprises (la société Capo Di Corfu), propriétaire d'un hôtel, a conclu, avec la société Voyages Fram, un contrat cadre portant sur des prestations hôtelières pour les saisons 2016 à 2018, prévoyant, à titre d'avance, le versement par la société Voyages Fram de la somme de 800 000 euros, payable par échéances d'un montant de 150 000 euros.

2. Le 30 octobre 2015, la société Voyages Fram a été mise en redressement judiciaire. Un jugement du 25 novembre 2015, a ordonné sa cession totale, intégrant le contrat hôtelier, au profit de la société Voyages Invest et de sa filiale, la société Phoenix, ensuite renommée Fram.

3. Par une lettre recommandée du 9 décembre 2015, la société Capo Di Corfu a notifié à la société Fram la résiliation du contrat en se prévalant du non-versement des avances sur paiement. Celle-ci a contesté cette décision.

4. Le 3 mars 2016, la société Fram a assigné la société Capo Di Corfu en réparation du préjudice provoqué par la rupture fautive du contrat.

Examen du moyen

Enoncé du moyen

5. La société Fram fait grief à l'arrêt de prononcer au 9 décembre 2015, à ses torts exclusifs, la résiliation judiciaire du contrat hôtelier conclu entre la société Capo Di Corfu et la société Voyages Fram, qui lui a été cédé à l'occasion du plan de cession arrêté le 25 novembre 2015, de rejeter sa demande tendant à ce qu'il soit jugé que la résiliation du contrat par la société Capo Di Corfu est fautive et de rejeter sa demande d'indemnisation de son préjudice, alors :

« 1°/ que l'objet du litige est déterminé par les prétentions respectives des parties ; que la société Capo Di Corfu n'a jamais demandé, ni devant le tribunal, ni devant la cour d'appel, la résiliation judiciaire du contrat hôtelier la liant avec la société Fram ; qu'une telle demande n'était pas non plus formulée par la société Fram ; qu'en prononçant cependant la résiliation judiciaire dudit contrat à la date du 9 décembre 2015, la cour d'appel a méconnu l'objet du litige et violé l'article 4 du code de procédure civile ;

2°/ qu'en prononçant la résiliation judiciaire du contrat hôtelier liant les sociétés Fram et Capo Di Corfu sans les inviter à produire leurs observations sur ce moyen quand la résiliation judiciaire avait été prononcée d'office, la cour d'appel a violé l'article 16 du code de procédure civile, ensemble l'article 6 § 1 de la Convention européenne de sauvegarde de droits fondamentaux et des libertés fondamentales ;

3°/ qu'en jugeant que d'une part, que "la gravité du comportement de la société Fram, repreneur du contrat, et l'imprécision du plan de cession à son bénéfice et selon son offre justifiaient le fait pour la société Capo Di Corfu de mettre fin au contrat hôtelier pour la saison 2016 de façon unilatérale à ses risques et périls, peu important que le contrat soit à durée déterminée" et, d'autre part, que "[l]a cour prononce par conséquent la résiliation judiciaire du contrat hôtelier signé par la société Voyages Fram et la société le 1er septembre 2015 et repris par la société Fram, et ce à la date du 9 décembre 2015", la cour d'appel s'est prononcé par des motifs contradictoires et a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

4°/ qu'en jugeant que le jugement du tribunal de commerce de Toulouse ayant arrêté le plan de cession avait maintenu provisoirement le contrat qui liait la société Capo Di Corfu avec la société Voyages Fram et qu'il avait exclu l'application de l'article L. 642-7 du code de commerce quand ledit jugement avait au contraire cédé définitivement le contrat en cause dans les conditions de l'article L. 642-7 du code de commerce, la cour d'appel a dénaturé l'écrit clair et précis qui lui était soumis ;

5°/ que le jugement qui arrête le plan emporte cession de ces contrats ; que ces contrats doivent être exécutés aux conditions en vigueur au jour de l'ouverture de la procédure, nonobstant toute clause contraire ; que le cessionnaire n'a pas à répondre des éventuels manquements du cédant ; qu'en constatant que le contrat liant la société Voyages Fram avec la société Capo Di Corfu avait été cédé à la société Fram en vertu du plan arrêté par le jugement du 25 novembre 2015 du tribunal de commerce de Toulouse sans pour autant en déduire que la société Fram n'avait pas à répondre des éventuels manquements de la société Voyages Fram, la cour d'appel a violé l'article L. 642-7 du code de commerce ensemble le principe susvisé ;

6°/ que la résiliation judiciaire ne peut intervenir qu'à la condition que le manquement reproché au débiteur soit suffisamment grave ; que la société Fram faisait valoir dans ses conclusions d'appel que des retards de paiement des avances étaient régulièrement intervenus au cours de la relation contractuelle liant la société Voyages Fram et la société Capo Di Corfu sans pour autant que cette dernière ne cherche à résilier le contrat, ce qui démontrait que de tels retards n'étaient pas suffisamment graves pour justifier la résiliation du contrat, qu'en ne répondant pas à ce moyen pertinent, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

7°/ qu'en ne répondant pas aux conclusions d'appel de la société Fram qui faisait valoir que la société Capo Di Corfu avait pris prétexte du retard dans l'exécution de l'échéancier de paiement pour rompre brutalement le 9 décembre 2015 le contrat afin de contracter avec la société Tui deux jours plus tard et qu'il en résultait qu'aucun manquement grave ne pouvait être reproché à la société Fram de nature à justifier la résiliation du contrat, la cour d'appel a violé l'article 455 du code de procédure civile ;

8°/ que la cour d'appel a constaté que deux avances de 150 000 euros devaient être payées par la société Voyages Fram les 1er octobre et 1er novembre 2015 ; qu'elle a constaté également que la première avance n'avait pas été payée ; qu'il résulte en outre de l'arrêt attaqué que la seconde avance ne pouvait pas être payée dès lors que la société Voyages Fram avait été placée en redressement judiciaire le 30 octobre 2015 ; qu'au regard de ces circonstances, et comme elle y était invitée par la société Fram, la cour d'appel ne pouvait se contenter de dire que les paiements des deux avances n'avaient pas été faits à l'échéance pour qualifier de grave le manquement reproché à la société Fram dès lors qu'elle constatait que cette dernière n'était entrée en jouissance que le 26 novembre 2015 ; que pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat au 9 décembre 2015, la cour d'appel s'est donc fondée sur des motifs inopérants qui ne sont pas de nature à caractériser le manquement grave reproché à la société Fram ; qu'elle n'a donc pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1184 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause ;

9°/ que le juge ne peut se fonder sur une appréciation hypothétique de l'attitude à venir du débiteur pour prononcer la résiliation judiciaire du contrat ; qu'en jugeant que la réponse, pour le moins désinvolte de la société Fram, cessionnaire, en cours d'instance sur la non-exigence contractuelle substantielle de ce règlement, établit qu'elle n'entendait pas verser immédiatement [la deuxième avance due le 1er novembre 2015 par la société Voyages Fram], plaçant ainsi le fournisseur [la société Capo Di Corfu] dans l'impossibilité de poursuivre la relation contractuelle", la cour d'appel s'est fondée sur une appréciation hypothétique du comportement à venir de la société Fram qui n'était pas de nature à caractériser un manquement grave justifiant la résiliation judiciaire du contrat, et n'a dès lors pas donné de base à sa décision au regard de l'article 1184 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause ;

10°/ qu'en ne recherchant pas comme cela lui était demandé dans les conclusions d'appel de la société Fram, si l'absence de paiement d'avances sur un chiffre d'affaires relatif à des prestations qui n'avaient pas encore été effectuées ne pouvait caractériser un manquement grave susceptible de justifier la résiliation judiciaire du contrat, la cour d'appel n'a pas donné de base légale à sa décision au regard de l'article 1184 du code civil dans sa rédaction applicable en la cause ;

11°/ la résiliation judiciaire du contrat ne peut être prononcée aux torts exclusifs d'un débiteur si le juge constate que l'autre partie a également commis une faute ; qu'en prononçant la résiliation judiciaire aux torts exclusifs de la société Fram tout en constatant que la société Capo Di Corfu avait violé les stipulations contractuelles en ne mettant pas en demeure la société Fram de payer les avances dues avant d'envoyer un courrier pour mettre fin au contrat, la cour d'appel n'a pas tiré les conséquences légales de ses constatations et a violé l'article 1184 du code civil. »

Réponse de la Cour

6. En premier lieu, la cour d'appel ayant fixé au 9 décembre 2015 la date de la résiliation judiciaire du contrat, sa décision produit le même effet que si elle s'était bornée à rejeter la demande de dommages et intérêts formée par la société Fram en raison du caractère prétendument fautif de la résiliation unilatérale notifiée à la même date par la société Capo Di Corfu, de sorte que la société Fram est sans intérêt à critiquer le fait que l'arrêt prononce la résiliation de la convention au lieu d'en faire le constat.

7. En second lieu, c'est par une interprétation souveraine des dispositions du jugement du 25 novembre 2015 relatives au caractère provisoire ou, au contraire, définitif du maintien de certains des contrats cédés, que leur imprécision rendait nécessaire, que l'arrêt, sans se contredire, ni se fonder sur un manquement imputable à la société Voyages Fram, relève qu'alors que le versement des avances prévues par le contrat hôtelier était au coeur de son économie, la première des avances prévues par la convention n'avait pas été intégralement réglée par la société Voyages Fram, puis retient que le repreneur, qui n'avait pas pris attache avec la société Capo Di Corfu pour déterminer à quelles conditions et sous quelles garanties le contrat se poursuivrait, n'avait pas, quant à lui, réglé la deuxième de ces avances.

8. De ces constatations et appréciations, la cour d'appel, qui n'était pas tenue de suivre la société Fram dans le détail de son argumentation, a pu déduire que le repreneur avait commis une faute, dont la gravité appréciée au regard d'un contexte intégrant le fait que la société Capo Di Corfu avait ensuite contracté avec un autre partenaire, justifiait qu'il soit unilatéralement mis un terme au contrat dont la poursuite s'avérait impossible, sans qu'une mise en demeure ne fût préalablement délivrée.

9. Le moyen irrecevable en ses deux premières branches et inopérant en sa troisième branche, n'est donc pas fondé pour le surplus.



PAR CES MOTIFS, la Cour :

REJETTE le pourvoi ;

Condamne la société Fram aux dépens ;

En application de l'article 700 du code de procédure civile, rejette la demande formée par la société Fram et la condamne à payer à la société Capo Di Corfu Sa Hotels & Tourist Enterprises la somme de 3 000 euros ;

Ainsi fait et jugé par la Cour de cassation, chambre commerciale, financière et économique, et prononcé par le président en son audience publique du deux mai deux mille vingt-quatre.

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